la maire de Rennes réclame à la gauche un « discours courageux »

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  • Immigration : la maire de Rennes réclame à la gauche un « discours courageux »
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    Immigration : la maire de Rennes réclame à la gauche un « discours courageux »
    Habituée à se substituer à l’Etat pour pallier le manque d’hébergements d’urgence dans sa ville, Nathalie Appéré plaide pour un accueil « digne » des demandeurs d’asile. L’élue socialiste appelle son camp à se saisir du sujet pour contrer le discours du RN.
    Par Benjamin Keltz(Rennes, correspondance)
    Elle pèse chacun de ses mots, ce vendredi 15 septembre. Nathalie Appéré, maire socialiste de Rennes, devine qu’une prise de position sur l’immigration lui vaudra davantage de critiques que de compliments. Révoltée par les discours de « submersion migratoire » développés à droite et à l’extrême droite en réaction à l’arrivée de milliers de personnes sur l’île de Lampedusa en Italie, depuis le 11 septembre, et à l’aube des débats sur la loi « immigration » au Parlement, elle s’agace : « Nous devons déconstruire ces mystifications funestes. La France accueille moins de migrants que nombre de pays et a les moyens de le faire dignement. »
    Depuis quelques mois, l’édile tente de mobiliser sur ce sujet qui « prend aux tripes » : « Je n’accepte pas de voir des enfants dormir à la rue. Ces mômes ne sont pas des statistiques, mais des visages que je connais. Alors, je parle avec la légitimité de maire d’une ville qui, comme d’autres, est en bout de chaîne d’un dispositif d’accueil des migrants dysfonctionnel et indigne. »
    Depuis le début de sa carrière politique en 2001 comme adjointe au maire de Rennes, elle affronte l’explosion des difficultés à loger les demandeurs d’asile arrivant dans la capitale bretonne. La problématique est même devenue celle qui alimente le plus la boucle de messagerie qu’elle entretient avec ses proches collaborateurs. Bien que le nombre de logements d’urgence ne cesse d’augmenter en Ille-et-Vilaine, moins de 20 % des demandes de mise à l’abri des personnes en errance, majoritairement des migrants, sont satisfaites. La ville de Rennes a pourtant pris l’habitude de combler les manques de l’Etat. Chaque soir, la municipalité loge dans des hôtels ou des bâtiments publics plus d’un millier de demandeurs d’asile. Un choix politique qui coûte près de 4 millions d’euros annuels à la collectivité, et atteint ses limites. En octobre 2022, tandis que des associations de soutien aux demandeurs d’asile ouvraient des squats dans la ville et que des collectifs de parents d’élèves réquisitionnaient des écoles pour loger des familles à la rue, Mme Appéré reconnaissait : « On n’y arrive plus. » Avec d’autres maires, elle avait rappelé l’Etat à ses responsabilités. Après moult tractations, le gouvernement avait finalement débloqué suffisamment de moyens pour apaiser la situation à Rennes et ailleurs.
    A l’approche d’un nouvel hiver, la tension repart de plus belle. Le 13 septembre, l’édile a saisi le tribunal administratif en référé pour procéder à l’évacuation d’un camp de migrants installé dans un parc. La moitié des quelque 200 personnes ont été relogées. Les autres ont déménagé leurs tentes dans un autre jardin public… Dans les couloirs de la préfecture d’Ille-et-Vilaine, beaucoup constatent, sous le ton du reproche, « l’appel d’air » provoqué par l’action politique de la socialiste. Cette dernière conteste : « Si on n’y arrive pas, ce n’est pas parce que j’en fais trop. C’est parce que les autres n’en font pas assez. Localement, j’ai quelques clés pour agir, mais les plus importantes ne sont pas à ma disposition. »
    Alors, Mme Appéré a entrepris un hypothétique travail d’influence, ces dernières semaines. En mai, elle s’est déplacée à Bruxelles pour déposer à la Commission européenne un projet d’initiative citoyenne européenne (ICE) pour améliorer les conditions d’accueil des étrangers, rédigé par des collégiens d’un quartier populaire et des associations locales. L’édile s’est saisie du dossier pour plaider auprès de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, le besoin d’une directive révisant le règlement de Dublin III, qui impose aux migrants de poursuivre leur demande d’asile dans le pays membre où la démarche a été lancée et obligeant les Etats à l’application de normes d’accueil similaires.
    Jugé recevable, le projet doit désormais obtenir, d’ici avril 2024, un million de signatures pour être étudié par la Commission européenne. A ce jour, l’initiative compte… 7 780 soutiens. « Nous faisons ce que nous pouvons avec nos moyens. Cette ICE nous sert à rappeler notre ancrage européen et nos valeurs humanistes. Nous avons démontré collectivement que nous en étions capables de bien accueillir les Ukrainiens. Pourquoi ne sommes-nous pas en mesure de le faire pour des migrants que le système actuel maintient dans une extrême précarité ? », martèle la maire de Rennes. Esseulée dans ses démarches, l’élue relativise et se présente comme la porte-parole d’une expression populaire dans sa ville, un bastion historique de gauche qui a voté à 36,31 % pour Jean-Luc Mélenchon (LFI) lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022. Mme Appéré dit aussi échanger avec les maires écologistes de Strasbourg ou Lyon, puis elle évoque des discussions « constructives » au sein de cénacles d’élus locaux qu’elle fréquente. Il n’empêche. Au sein de sa famille politique, peu la soutiennent franchement.
    « Je ne crois pas au discours cynique, endossé parfois par la majorité présidentielle, selon lequel la France populaire n’en pourrait plus de l’immigration », reprend Nathalie Appéré. Ancienne députée d’Ille-et-Vilaine (2012-2017), elle s’est rapprochée de Boris Vallaud, président du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, pour lui enjoindre de se positionner franchement à l’aube des débats autour de la loi « immigration ». Elle insiste : « La gauche a une grande responsabilité. Elle doit produire des politiques crédibles et un discours courageux. Sinon, le Rassemblement national va prospérer sur les tensions et développer ses thèses de préférences nationales, de murs et de barbelés. »

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