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Fil d’actualités Covid19-Migration-santé (veronique.petit@ird.fr) relié à CEPED-MIGRINTER-IC MIGRATIONS.

  • « La France aurait intérêt à voir les étudiants étrangers comme des agents d’influence plutôt que comme de potentiels immigrés illégaux »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/20/la-france-aurait-interet-a-voir-les-etudiants-etrangers-comme-des-agents-d-i

    « La France aurait intérêt à voir les étudiants étrangers comme des agents d’influence plutôt que comme de potentiels immigrés illégaux »
    Chronique Philippe Bernard Editorialiste au « Monde »
    C’est une façon de mesurer le rayonnement de la France que les Français eux-mêmes ignorent largement : trente chefs d’Etat ou de gouvernement en exercice dans le monde en 2023 ont fait leurs études supérieures en France.
    Le classement des Etats les plus influents de ce point de vue, établi par le Higher Education Policy Institute, un cercle de réflexion britannique spécialisé dans les politiques universitaires, classe l’Hexagone en troisième position derrière les Etats-Unis (soixante-cinq dirigeants de la planète y ont fait leurs études) et le Royaume-Uni (cinquante-huit dirigeants). Derrière la France vient la Russie, où dix leaders mondiaux ont été formés, puis la Suisse, l’Australie, l’Italie et l’Espagne. A l’heure où les questions de souveraineté et d’attractivité sont largement débattues, l’accueil des étudiants étrangers est, dans notre pays, le plus souvent traité – négativement – dans la catégorie « immigration » plutôt que considéré comme un outil de rayonnement et d’influence.
    Suivant l’extrême droite, qui a tendance à voir derrière chaque étudiant étranger un immigré illégal en puissance, le sénateur (Les Républicains) des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi a réussi, à l’automne 2023, à faire adopter un amendement au projet de loi sur l’immigration rendant obligatoire le dépôt d’une caution pour la délivrance d’un titre de séjour pour motif d’études, une somme qui aurait été restituée au moment de la sortie du territoire. Cette mesure a servi d’appât pour attirer le vote de la droite et de l’extrême droite sur le texte. Combattue par les responsables de l’enseignement supérieur, elle a finalement été censurée par le Conseil constitutionnel pour cause de rapport distant avec l’objet du projet de loi, ce qui ne l’empêche nullement d’être présentée à nouveau.
    « Honnêtement, ce n’est pas une bonne idée, avait admis Emmanuel Macron, dont la plupart des amis ont cependant voté pour. Je pense qu’on a besoin de continuer à attirer des talents et des étudiants du monde entier. » Le cliché des étrangers utilisant le statut d’étudiant pour contourner les règles du séjour a été ainsi conforté dans le débat. Un cas de figure qui existe mais reste minoritaire : 80 % des étudiants arrivés en France en 2010 ont quitté le pays ou sont devenus Français dix ans après la délivrance de leur premier titre de séjour. Ceux qui restent ne constituent pas moins de la moitié de l’immigration de travail légale, indique l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans son rapport 2023 sur les migrations internationales.
    La suspension de la délivrance des visas et des bourses d’études, à la rentrée 2023, pour les étudiants des pays du Sahel touchés par des coups d’Etat militaires, provoquée par la fermeture des consulats, mais qui pouvait être vécue comme une sanction consécutive aux putschs, a constitué un autre dérapage. Une bévue particulièrement malencontreuse au moment où les jeunes Africains mettent en cause la politique africaine de la France.
    La France aurait pourtant tout à gagner à considérer les étudiants étrangers comme une manne et un puissant outil d’influence. Aujourd’hui professeur émérite à Harvard, Joseph Nye, le politiste américain inventeur du concept de « soft power » – la capacité pour un Etat d’obtenir ce qu’il souhaite par l’attractivité plutôt que par la coercition ou l’argent –, considère que les Etats-Unis et le Royaume-Uni « boxent au-dessus de leur catégorie » sur le plan géopolitique en partie « grâce à l’accueil favorable qu’ils reçoivent largement des diplomates, responsables politiques et industriels étrangers qui y ont fait leurs études », explique-t-il au journal Times Higher Education.
    Personnellement, j’ai gardé en mémoire le souvenir de hauts fonctionnaires africains examinant favorablement ma demande d’accréditation comme journaliste dans leur pays en évoquant leurs belles années d’étudiant au Quartier latin et leur lecture du Monde. Chacun peut avoir ce type d’expérience à l’étranger. Près de 90 % des étudiants étrangers résidant en France estiment que leur séjour leur donne envie de travailler avec des entreprises françaises, de consommer des produits français et de recommander la France comme destination d’études, de travail et de vacances, indique une étude réalisée en 2022 par Campus France, l’agence de l’Etat chargée de la promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger.
    Instrument d’attractivité et de rayonnement, l’accueil des étudiants étrangers est aussi une activité rentable budgétairement. Les étrangers ayant choisi la France pour leurs études supérieures – ils sont 400 000 en 2024, soit 9 % du total des étudiants – ont rapporté 1,35 milliard d’euros net au pays en 2022, selon Campus France.
    Au Royaume-Uni, l’enseignement supérieur est officiellement considéré non seulement comme l’un des principaux facteurs de rayonnement du pays avec la BBC, mais comme une ressource financière faisant l’objet d’objectifs chiffrés. La dépendance financière des universités britanniques à l’égard des étudiants étrangers (ils sont 700 000, soit 25 % des effectifs totaux) payant le prix fort, qui conduit certaines d’entre elles à abaisser spécifiquement pour cette « clientèle » les seuils d’admission afin d’accroître leurs recettes, ne constitue évidemment pas un exemple.
    Mais entre la financiarisation forcenée de l’enseignement supérieur en vigueur outre-Manche, où l’Etat a réduit au minimum sa contribution, et l’indifférence française au trésor national que représentent les universités et les grandes écoles pour l’attractivité du pays, la marge est large. Alors que la mobilité étudiante vers la France est en perte de vitesse, à rebours de l’attractivité croissante des Etats-Unis, de l’Allemagne et de la Chine, il est urgent de soustraire la stratégique question de l’accueil des étudiants venus d’ailleurs au venimeux débat sur l’immigration.

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