François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • Ce portrait que l’on voudrait oublier
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    Pourquoi Pierre Laval, le chef du gouvernement du régime de Vichy et l’homme fort de la collaboration avec les nazis a-t-il encore aujourd’hui son portrait sur le mur du siège du ministère de la Justice alors que ce même portrait a disparu du quai d’Orsay ? Enquête de Cécile de Kervasdoué

    En place depuis des décennies, ce portrait de Pierre Laval orne les murs de la salle des Sceaux de l’Hôtel de Bourvallais siège du ministère de la Justice, tout comme celui de Christiane Taubira, Jacques Toubon ou Robert Badinter. Cette galerie de portrait est présentée là où les visiteurs attendent un rendez-vous à la Chancellerie. Beaucoup ont pour habitude de se prendre en photo dans ce lieu et c’est ainsi qu’il a été redécouvert par un groupe de magistrat de la cour d’appel de Paris.

    Découverte fortuite

    « En zoomant sur la photo derrière mes deux collègues, j’ai vu le portrait de Pierre Laval et je n’ai pas supporté de voir que cette canaille avait encore son portrait au sein d’une institution de la République » s’alarme Philippe Callen président de chambre à la Cour d’appel de Paris, spécialisé dans le droit des tutelles, de la famille et des réfugiés, Grand amateur d’histoire, ce portrait de l’ancien chef du gouvernement de Vichy, convaincu de collaboration l’a choqué comme lorsqu’en avril dernier, il a découvert et fait décrocher de la bibliothèque de la Cour d’Appel de Paris, un autre portrait d’un autre collaborateur du Régime de Vichy, Francis Villette ; celui qui avait fait appliquer les sections spéciales, ces juridictions expéditives où étaient jugés et assassinés les résistants sans exposé des motifs et sans contradictoires comme l’a raconté Costa Gavras dans son film éponyme de 1975.

    Pour Philippe Callen, la présence à la Chancellerie de ce portrait de Pierre Laval qui fut un éphémère ministre de la Justice entre mars et juillet 1926, comme il l’a été ensuite de l’intérieur, du travail, des colonies ou des affaires étrangères durant l’entre deux guerres, est la preuve que le travail de mémoire sur la collaboration française n’est pas terminé au ministère de la Justice.

    Car en 2018, la même polémique avait eu lieu au ministère des Affaires étrangères. Jean-Yves le Drian avait alors décidé que le portrait de Pierre Laval ancien serait remplacé par un fond noir et c’est précisément ce que demandent les syndicats FO et CGT du ministère qui vont à nouveau interpeller le ministre Eric Dupond-Moretti aujourd’hui sur le sujet avec cette idée : ne pas supprimer le portrait, car il ne faut pas nier l’histoire, mais laisser le cadre vide afin d’attirer l’œil pour que ce personnage ne tombe dans l’oubli.

    En 2019, le ministère de la Justice avait fait rajouter sur le passe-partout du portrait la mention « convaincu d’indignité nationale, Pierre Laval a été condamné à la dégradation nationale le 9 mars 1945 ». Le problème, c’est que cette mention ne fait pas état du fait qu’il a ensuite été condamné à mort pour haute trahison et complot et fusillé.

    Et oubli presque commode

    Pour ses biographes, Pierre Laval incarne un des personnages les plus honnis de l’histoire de France et c’est sans doute ce qui explique qu’il est aujourd’hui presque oublié, raconte Renaud Meltz, auteur d’une biographie publiée en 2018. Du vivant de sa fille et grâce à la fortune familiale qui n’avait pas été confisquée, les tentatives de réhabilitation de sa mémoire ont été nombreuses jusque dans les années 1980, mais aujourd’hui presque tout le monde a oublié ce « personnage honteux pour les français par ce qu’il ressemble trop au français moyen sans structuration idéologique, c’est-à-dire qu’il n’était ni de droite ni de gauche et fustigeait les partis, mais qu’il avait surtout compris que pour arriver et se maintenir au pouvoir, il fallait être dans ce centre mou. Le problème, c’est que sans valeur, sans principe, sans même de religion, il était très poreux à l’insinuation des idées fascistes et il l’est d’ailleurs devenu sans presque s’en rendre compte... comme l’opinion publique de l’époque et c’est pour cela qu’on préfère encore aujourd’hui l’oublier ».

    Contacté, le ministère affirme que pour la période de la Seconde Guerre mondiale, seuls les ministres de la Justice du gouvernement provisoire de la République française sont affichés en salle des Sceaux. Les ministres de l’État français ne sont pas présents dans la galerie. Pierre Laval est présent au titre de sa brève nomination au poste de ministre de la Justice du 9 mars 1926 au 18 juillet 1926 et non de son retour au ministère de la Justice après l’armistice. La Chancellerie ne compte modifier ni le portrait ni sa mention en arguant que cela permet de regarder en face les parts d’ombre de notre histoire et qu’un noircissement risquerait d’attirer trop d’attention sur ce personnage.

    Par Cécile de Kervasdoué