François Isabel

Ni dieu, ni maître, nirvana

  • Une étrange et inédite élongation crânienne observée chez trois femmes vikings - Sciences et Avenir
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    Elles sont au nombre de trois. Trois femmes, enterrées à trois endroits distincts de l’île de Gotland - vaste terre suédoise située au milieu de la mer Baltique -, ayant subi une élongation crânienne qui leur a assurément conféré, de leur vivant, une spectaculaire apparence. Toutes auraient vécu vers la fin du 11e siècle, au crépuscule de l’ère viking.

    Dans une étude publiée fin février 2024 dans la revue Current Swedish Archaeology, deux chercheurs allemands se penchent en détails sur ces cas uniques en Scandinavie, référencés uniquement à Gotland, même si les modifications corporelles sont une tradition connue des chercheurs dans certaines sociétés nordiques.
    Une influence venue de l’Europe du Sud-Est

    Selon les auteurs de la publication, les archéologues Matthias Toplak et Lukas Kerk, l’élongation crânienne serait une pratique arrivée en Scandinavie depuis l’Europe du Sud-Est, et notamment depuis la Bulgarie, où plusieurs exemples ont été référencés entre le 9e et le 11e siècle.

    Il se pourrait ainsi que les trois femmes, respectivement trouvées sur les sites de Havor, Ire et Kvie, soient elles-mêmes nées en Europe du Sud-Est, « peut-être en tant qu’enfants de commerçants de Gotland ou de la Baltique orientale », et que leur crâne ait été modifié dans cette région au cours de leurs premières années de vie, avancent les chercheurs.

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    Le crâne artificiellement modifié de la tombe 192 d’Harvor. Crédits : SHM/Johnny Karlsson

    « Nous pensons que cette coutume pourrait avoir été utilisée comme signe d’identification par un groupe fermé de marchands », écrivent les chercheurs. L’autre possibilité évoquée par Matthias Toplak et Lukas Kerk est que la déformation a été opérée sur l’île de Gotland, signifiant qu’il s’agirait d’une pratique dont on ignorait qu’elle avait été adoptée par certains peuples vikings.

    Les trois femmes pourraient avoir des antécédents communs en raison de la datation chronologique rapprochée de leurs trois sépultures, et surtout de l’exécution « très similaire des modifications du crâne ». L’âge qu’elles avaient au moment de leur mort est connu pour deux d’entre elles : l’une est décédée entre 25 et 30 ans, l’autre avait entre 55 et 60 ans.
    Un statut particulier ?

    À ce stade, beaucoup de questions sont encore en suspens. La communauté locale les considérait-elle comme différentes ou étrangères ? Leur accordait-elle un statut particulier en raison de leur apparence ? Et comment ont été effectuées ces déformations, sans doute réalisées avant l’âge de trois ans ?

    « Nous supposons que ces trois femmes étaient des personnages exposés dans leur société, même si nous ne sommes pas tout à fait sûrs qu’elles étaient réellement considérées comme des marginales », ont affirmé Matthias Toplak et Lukas Kerk au site spécialisé dans l’histoire du Moyen Âge Medievalists.net. « Mais nous sommes convaincus que ces déformations avaient une signification particulière car elles signalaient une identité différente et servaient de médiateur à certains récits en lien avec des territoires lointains et des influences culturelles exotiques. »

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    Les sigles noirs indiquent les sépultures des femmes au crâne déformé, tandis que les blancs font références aux hommes trouvés avec les dents limées. Crédits : M. Toplak/L. Kerk

    La sépulture de l’une d’entre elle – la femme de Havor - peut néanmoins donner quelques indices sur leur statut et la façon dont elles étaient considérées. Celle-ci a non seulement été enterrée avec la tenue vestimentaire « standard » du Gotland mais aussi avec de nombreux ornements et bijoux ornés, dont quatre broches à tête d’animal, une coutume courante à Gotland.

    La manière dont le crâne a été déformé reste lui aussi, pour le moment, une énigme, même si certaines méthodes employées par d’autres cultures de l’époque médiévale sont connues. En Amérique du Sud, en Asie centrale et en Europe du Sud-Est, la tête des jeunes enfants de moins de trois ans était compressée avec du bois et du tissu.
    Des dents limées

    Ces dernières années, plusieurs preuves de modifications corporelles permanentes ont été recensées à l’âge des Vikings. Ont notamment été retrouvés 130 individus de sexe masculin présentant des altérations dentaires sous forme de sillons horizontaux, la plupart d’entre eux provenant justement de l’île baltique de Gotland. Tous étaient âgés d’au moins 20 ans, preuves que ces modifications étaient à la fois volontaires et souhaitées.

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    Les dents limées d’un individu masculin de la tombe 25 du site de Slite. Crédits : SHM/Johnny Karlsson

    Plusieurs théories existent sur la raison d’être de cette altération : elle pourrait avoir eu vocation à tester la résistance à la douleur de ces hommes, ou bien avoir été un signe d’appartenance à un groupe distinct, guerrier ou, là encore, marchand.