• Le viol, un crime de l’intimité longtemps impensé
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/04/05/le-viol-un-crime-de-l-intimite-longtemps-impense_6226192_3232.html

    A partir du milieu du XIXe siècle, quelques rares médecins commencent cependant à écouter la parole des victimes, surtout quand elles sont encore enfants. Le psychiatre Auguste-Ambroise Tardieu (1818-1879) est ainsi le premier à prêter attention à la souffrance des petites filles violées de l’hôpital de Lourcine [à Paris, actuel hôpital Broca]. Mouvements fébriles, troubles nerveux, suicide : le fondateur de l’enseignement médico-légal comprend qu’un #viol engendre des tourments psychiques. « Ce crime qui offense les sentiments les plus intimes au moins autant qu’il blesse le corps détermine souvent une perturbation morale », écrit-il en 1857.

    Dans l’esprit des médecins, des magistrats et de la société tout entière, une révolution des sensibilités est en train de naître, même si elle est encore très embryonnaire. « Si quelques experts médicaux de la fin du XIXe siècle commencent effectivement à apercevoir la souffrance psychique des #femmes violées, ce sont encore des voix isolées au sein de la communauté médicale, observe l’historien Frédéric Chauvaud. Leurs rapports n’ont pas vraiment d’incidence sur le quotidien de la justice – d’autant qu’à l’époque les victimes, de manière générale, n’intéressent pas les juges : le procès pénal est centré autour de l’accusé. »

    Beaucoup de magistrats, au début du siècle suivant, restent en effet convaincus que la violence physique est consubstantielle au viol – et certains restent même imprégnés par la doctrine de l’Ancien Régime sur la « certitude du consentement ». En 1913, dans son Traité théorique et pratique du droit pénal français, le grand pénaliste René Garraud (1849-1930) affirme ainsi avoir « quelque scrupule à placer sur la même ligne la violence morale et la violence matérielle, et à admettre que la femme, consentant, sous la pression même des menaces les plus graves, à se livrer à un homme, puisse prétendre avoir été violée par celui-ci ».

    Une question politique

    Il faudra encore plusieurs décennies pour que le regard sur le viol se transforme vraiment. En s’affirmant peu à peu comme des disciplines à part entière, la psychiatrie, la psychologie et la #psychanalyse permettent de mesurer les ravages psychiques de la violence. « La connaissance de la subjectivité traumatique émerge, au XXe siècle, dans le sillage des conflits militaires, analyse Denis Salas. Les premiers travaux sur la névrose traumatique sont publiés après la première guerre mondiale, ceux sur le stress post-traumatique après la seconde guerre mondiale. Ils permettent de comprendre des souffrances qui, jusque-là, étaient restées invisibles. »

    https://justpaste.it/6kpmk

    #histoire #sensibilités #justice

    • Si la protection que le code pénal accorde aux femmes est à ce point fragile, c’est en grande partie en raison d’une croyance très ancienne que Georges Vigarello baptise la « certitude du consentement ». Aux yeux des hommes de loi de l’Ancien Régime, il était impossible qu’un homme seul viole une femme. « [Pour eux], la vigueur féminine suffit à la défense, écrit Georges Vigarello. Les juristes d’Ancien Régime y voient une quasi-vérité. » Les philosophes des Lumières adhèrent, eux aussi, à cette doctrine : « La nature a pourvu le plus faible d’autant de force qu’il en faut pour résister quand il lui plaît », estime, en 1762, Jean-Jacques Rousseau dans Emile ou De l’éducation.

      L’article souligne le fossé anachronique et s’appuie sur les juridictions. Sans dire que l’éducation sexuelle, des enfants, des hommes et des femmes a levé un tabou immense il y a à peine 50 ans sur l’inconnu du sexe et du désir, alors, imagine le viol et ses non-dits. Il faudrait demander aux femmes âgées de plus de 80 ans ce qu’elles savaient de la sexualité à 15 ou 20 ans.