• « L’époque est toujours affreuse, et la vie ou l’existence est toujours une vie ou une existence affreuse, qu’il faut affronter, braver, traverser jusqu’au bout, mais l’époque actuelle est pour moi la plus repoussante, la plus impitoyable que le monde ait jamais expérimentée, et l’Autriche en constitue a tout instant la preuve la plus éclatante. Se réveiller en Autriche revient à entrer dans une atmosphère étouffante faite d’hostilité aux choses intellectuelles et d’insensibilité grossière, de stupidité et de vilenie. Être obligé de voir comment cet affairement primitif détruit la surface du pays (l’Autriche), et comment le pays est corrompu en profondeur par ce même affairement (de ceux qui y détiennent le pouvoir) - cela ne peut que provoquer l’effroi. Les gouvernements que nous avons eus au cours des dernières décennies étaient prêts à tous les crimes contre cette Autriche, et d’ailleurs ils ont commis à l’encontre de cette Autriche tous les crimes imaginables (...). Les petits-bourgeois brutaux et sans scrupule, qui au cours des décennies écoulées ont aisément gravi l’échelle de l’hypocrisie dans ce pays, jusqu’à investir le Parlement et la Chancellerie et tous les palais du pouvoir, ont eu la partie facile avec ce peuple d’humeur égale et à qui tout est égal. Le Parlement de l’Autriche d’aujourd’hui est un champ de foire clinquant, dispendieux et terriblement dangereux, établi sur le terreau politique le plus abject, tandis que le gouvernement n’est, de même, qu’une charlatanerie tout aussi ruineuse. Lorsque le grand rideau de l’Etat se lève, nous n’assistons, chaque jour qui passe en Autriche (c’est-à-dire aussi le jour de la fête nationale), qu’à un spectacle de marionnettes. Et si nous regardons de plus près nous voyons ce que nous avons toujours vu : les marionnettes sont le peuple, faible d’esprit et incorrigible, tandis que ceux qui les manipulent (ceux qui tirent les ficelles) sont les gouvernants, qui se jouent de la bêtise du peuple. »

    Thomas Bernhard, À l’occasion de la fête nationale autrichienne 1977, traduction Daniel Mirsky