• Existe-t-il une discipline scientifique qui admette l’indiscipline du rêve, de l’imagination, de l’inventivité ? Qui puisse embrasser les problèmes soulevés par les crises que connaît notre temps, dans la société et l’environnement ? Qui soit capable d’associer critique et reconstruction, théorie et pratique, vision créatrice et technique ?

    Il y a toujours eu un lien très étroit, depuis la Renaissance, entre les progrès fondamentaux des sciences naturelles et les bouleversements de la pensée sociale. Aux XVIe et XVIIe siècles, l’astronomie et la mécanique naissantes, avec leur ouverture libératrice sur un univers héliocentrique et l’unité entre le mouvement cosmique et le mouvement local, trouvèrent une contrepartie dans des idéologies sociales tout aussi rationnelles et critiques. Les Lumières ont apporté une prise en considération nouvelle des sensations et la revendication pour la raison humaine de faire porter son discernement sur un monde jusqu’alors accaparé par le monopole idéologique du clergé. Ce furent ensuite l’anthropologie et la biologie de l’évolution qui mirent à bas les conceptions traditionnelles et statiques de l’aventure humaine et les mythes de la création originelle et de l’histoire comme destinée théologique. En ouvrant de nouvelles perspectives et en mettant en évidence la dynamique séculière de l’histoire sociale, ces sciences ont constitué un puissant renfort pour les nouvelles doctrines socialistes et leurs idéaux de progrès humain issus de la Révolution française.

    Face aux gigantesques bouleversements qui nous attendent, notre époque a besoin d’un corpus de savoir – scientifique et social – d’une envergure et d’une profondeur plus grandes, afin de résoudre les problèmes qui se posent à nous. Sans renoncer aux apports des théories scientifiques et sociales antérieures, il nous faut entreprendre une analyse critique plus complète de notre rapport au monde naturel. Nous devons rechercher les fondements d’une approche plus reconstruite des sérieux problèmes posés par les apparentes « contradictions » entre nature et société. Nous ne pouvons plus nous permettre de rester captifs de la tendance de la science classique à disséquer les phénomènes pour en examiner les fragments. Nous devons les associer, les relier, les observer dans leur totalité autant que dans leur spécificité.

    C’est pour répondre à ces besoins que nous avons défini une discipline propre à notre temps : l’écologie sociale .

    Extrait de Qu’est-ce que l’écologie sociale , de Murray Bookchin, que nous sommes en train de rééditer pour une sortie début septembre.