De Santillane

Quartier, solidarité, citoyenneté, capacitation, cohésion sociale

  • La Covid-19 creuse les inégalités d’aujourd’hui, mais aussi celles de demain
    Estelle Carde, The Conversation, le 27 mai 2020
    https://theconversation.com/la-covid-19-creuse-les-inegalites-daujourdhui-mais-aussi-celles-de-

    Des voix s’élèvent pour demander, à raison, que les statistiques de la pandémie recueillent les caractéristiques socio-économiques et raciales des victimes afin de rendre visibles ces inégalités. Toutefois, si ces statistiques sont nécessaires, elles ne permettront pas de dresser un portrait complet des inégalités face à la Covid-19.

    C’est habituellement pendant les mois d’été que les enfants des milieux socio-économiques favorisés distancent les autres dans l’acquisition de compétences scolaires et il ne fait guère de doute que ce printemps de pandémie leur donne une bonne longueur d’avance. Or l’éducation est un déterminant majeur de la santé, à court, mais aussi à long terme : les inégalités scolaires entre les enfants d’aujourd’hui sont le terreau des inégalités de santé entre les adultes de demain.

    #coronavirus #inégalités #Canada

    Voir compile des effets délétères indirects de la pandémie :
    https://seenthis.net/messages/832147

  • « Dans un monde aussi brutal, la #convivialité est un combat »
    Par Geneviève Azam
    Publié le 13 mars 2020 à 14h00 - Mis à jour le 13 mars 2020 à 14h58
    Lecture 3 min.
    #collapsologie

    L’économiste Geneviève Azam observe, dans une tribune au « Monde », que le refus de l’#effondrement du monde conduit la société à se « reformer » autour d’expériences concrètes de #cohésion_sociale.
    Le monde semble vaciller. Les alertes s’accumulent : inégalités insupportables, dépendance à des systèmes techniques incontrôlés, #accélération du chaos climatique et de l’extinction du vivant, déracinement de millions de personnes sans terre pour les accueillir, pollutions, système financier au bord de l’implosion, et désormais épidémie : la liste est longue des menaces qui sapent la confiance dans un avenir, même tout proche. Nous ne vivons pas une crise passagère, offrant une sortie moyennant quelques mesures correctrices pour revenir à la « normale ». Nous sommes confrontés à des irréversibilités et à une accélération hors norme, illustrées tout particulièrement par les #catastrophes écologiques. Nous vivons le temps d’effondrements.

    « Fabrique du diable »

    L’effondrement est aussi politique. Depuis plusieurs décennies, les Etats ont sacrifié la sphère publique, les communs, et ont fait des sociétés un « appendice » du marché et de l’économie, selon l’expression de Karl Polanyi, dans son ouvrage La Grande Transformation, publié en 1944 (Gallimard, 1983). L’économiste faisait alors du grand marché « autorégulateur » une « fabrique du diable » et une des causes des fascismes des années 1930. Avec le néolibéralisme, cette fabrique s’est élargie, et se trouve en surchauffe. A force de devoir s’adapter aux lois de la concurrence, la vie, sous toutes ses formes, humaines et autres qu’humaines, est menacée. Non plus à l’échelle géologique mais à l’échelle historique. L’histoire, pensée dans la modernité comme fabriquée par des humains souverains, nous échappe en partie. La Terre et le vivant ripostent. Nous avons en effet déclenché des événements non maîtrisables et qui s’auto-entretiennent. Le récit néolibéral d’optimisation de la vie et de la santé s’effondre lui aussi.

    Lire aussi : Savants ou militants ? Le dilemme des chercheurs face à la crise écologique
    Le capitalisme global répond à ces événements par une bio-politique, déjà percée à jour par Michel Foucault : l’adaptation des populations prend la forme de fichages, traçages, sélections, confinements, murs et camps de rétention, surveillance et répression. Elle est désormais pratiquée de manière plus « rationnelle » et industrielle avec l’appui de « l’intelligence » artificielle et des algorithmes.

    LES COMMUNAUTÉS DES RONDS-POINTS, CES NON-LIEUX D’UNE VIE CONDAMNÉE À CIRCULER SANS S’ATTACHER, SURGISSENT DU DÉSASTRE
    Pourtant, la créativité humaine échappe aux contrôles. L’imaginaire des effondrements est aussi un dérangement qui, loin de pétrifier la pensée et l’action, semble bien au contraire les libérer de l’attente progressiste d’un futur qui exile de la présence au monde. Il donne la mesure des enjeux et éloigne des illusions d’une transition par étapes successives, d’une « sortie de crise » dans un temps linéaire et réversible. Il anime les générations futures, dont la présence désormais concrète et les engagements redonnent sens à l’idée de faire monde et protège d’attentes apocalyptiques qui, elles, se nourrissent de la perte de sens. Habiter le monde, habiter la Terre, reconquérir les territoires perdus, vidés, détruits ou enlaidis s’incarnent dans de multiples expériences. Expériences concrètes de convivialité nées au sein de communautés terrestres, incluant humains et autres qu’humains, se confrontant aux oligarchies prédatrices et hors-sol.

    Lire aussi : « La recherche publique ne doit plus servir à détruire la planète »
    C’est en refusant la gestion des catastrophes, appelée désormais « réformes », que la société défaite se « reforme », que s’inventent d’autres manières de vivre. Les communautés des ronds-points, ces non-lieux d’une vie condamnée à circuler sans s’attacher, surgissent du désastre. La convivialité retrouvée au sein du vivant se nomme agroécologie, agroforesterie, permaculture, circuits courts de production et de consommation, coopération dans le travail, solidarité sociale, sobriété et partage, accueil des migrants, occupation de terres, techniques conviviales ou low tech. La société se reforme en destituant les institutions du consumérisme et de la société ubérisée. Ce sont des expériences de « joie pure et sans mélange », comme les grèves ainsi qualifiées par Simone Weil lors des manifestations des métallurgistes en 1936.

    Lire aussi : L’appel de 1 000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire »
    Au lieu de l’accélération qui supprime tous les attachements, le temps retrouvé s’accorde au rythme du vivant saccagé par la cadence du monde industriel. La convivialité prend sens quand des avocats en grève se regroupent pour faire appliquer le droit et la justice, quand des enseignants refusent la pédagogie algorithmique, quand des cheminots en lutte s’opposent à la déshumanisation de la fermeture des guichets, quand plus de mille scientifiques appellent à la désobéissance, quand l’échelon de la commune devient à nouveau un enjeu politique face à une métropolisation imposée. Dans un monde aussi brutal, la convivialité est un combat.

    Geneviève #Azam est économiste, essayiste, membre du comité scientifique d’Attac et signataire du Second Manifeste convivialiste (Actes Sud, 144 pages, 9,80 euros).

  • « En banlieue, “restez chez vous” est un slogan qui n’a pas de sens
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/09/brigitte-giraud-en-banlieue-restez-chez-vous-est-un-slogan-qui-n-a-pas-de-se

    Pour l’écrivaine Brigitte Giraud, qui a grandi dans une « ZUP » près de Lyon, être confiné « à la maison » ne vaut que si l’on peut parler d’un « chez-soi ». Car, explique-t-elle dans une tribune au « Monde », dans ce que l’on nomme les « cités », l’extérieur est devenu l’extension naturelle de l’habitat.

  • Jacques Rancière / Andréa Inzerillo /viralité/ immunité : dialogue italo-français pour interroger la crise - 2 | Institut français Italia
    https://www.institutfrancais.it/fr/italie/2-jacques-ranciere-andrea-inzerillo

    Andrea Inzerillo – La question que nous aimerions vous poser une fois de plus est la suivante : en quel temps vivons-nous ? Ces temps extraordinaires semblent accentuer encore davantage les temporalités différentes qui caractérisent nos vies. Des gens qui continuent à travailler en sortant quotidiennement de chez eux, des privilégiés qui nous invitent à profiter du temps que nous avons retrouvé, des gens qui n’ont pas de foyer… Il ne fait aucun doute que la crise accentue les différences qui constituent déjà nos sociétés. Et en même temps, on pourrait se demander, comme le font les optimistes, si les bouleversements de la période que nous vivons ne sauraient, au contraire, constituer une opportunité : certains disent que nous découvrons une nouvelle solidarité (nationale ou internationale), que nous reconnaissons l’existence de héros à nos côtés, que nous sommes presque en présence d’une révolution humaine et que nous devons en profiter pour repenser les temps et tout changer. Qu’en pensez-vous ?

     

    Jacques Rancière – Le problème est malheureusement que le confinement nous ôte le moyen de partager ces temporalités sinon par bribes – par exemple les brèves confidences des petits commerçants qui craignent moins la journée dans leur boutique que le transport du retour vers les lointaines banlieues où ils habitent. On applaudit à heure fixe les personnels soignants mais on n’a aucun moyen de partager leur quotidien. Le résultat est que le discours sur le temps est monopolisé par deux sortes de gens : d’une part, les gouvernants qui gèrent l’urgence selon les concepts et les méthodes bien rodés : crise à affronter, sécurité à assurer, dispersion des rassemblements, etc. ; d’autre part, les intellectuels habitués à penser la fin de l’histoire ou celle de l’anthropocène. Ceux-ci nous disent volontiers aujourd’hui que l’épidémie est l’occasion de tout repenser, de renverser la logique capitaliste, de mettre l’humain avant le Capital ou de rendre à la Terre ou à la Planète les droits usurpés par les humains. Ils nous disent que, à la fin de l’épidémie, il va falloir en tirer les leçons et tout changer. Ce qu’ils oublient de nous dire, c’est qui se chargera de « tout changer » et en quel temps cela se passera. Un temps politique se tisse par des pratiques communes qui construisent des emplois du temps et des agendas. Or c’est précisément ce qui manque dans les conditions du confinement. Il n’y a pas de moyen de construire des temporalités qui préparent cet « après » dont tout le monde parle. En conséquence, les analyses qui prétendent répondre à la situation présente et préparer l’avenir sont en fait des analyses qui étaient toutes constituées avant, depuis la théorie de l’état d’exception et la critique de la société de contrôle et du totalitarisme des Big Data jusqu’à la nécessité de repenser de fond en comble les rapports de l’humain et du non-humain. Ce que le confinement révèle plus clairement que jamais c’est cette distribution bien réglée des rôles entre des gouvernants qui ont réduit le temps de la politique à l’urgence et fait de cette urgence leur métier à la petite semaine, et des intellectuels qui placent toute situation dans le temps multiséculaire du Capital ou de l’anthropocène et ne connaissent qu’une seule manière efficace d’y intervenir, à savoir le « retournement » radical de ce temps. Ce face-à-face peut durer indéfiniment. Le cours des choses ne change jamais que par l’action de ceux et celles qui travaillent le temps : ceux et celles qui font vivre quotidiennement nos sociétés en donnant les réponses qu’il faut donner à tout moment ; ceux et celles aussi qui, de temps en temps, envahissent les places, les rues ou les ronds-points pour suspendre l’ordre normal des travaux et des jours et inventer d’autres usages du temps. Tout le reste est imposture.

    #Jacques_Rancière #crise_sanitaire #capitalisme #politique

    • En conséquence, les analyses qui prétendent répondre à la situation présente et préparer l’avenir sont en fait des analyses qui étaient toutes constituées avant, depuis la théorie de l’état d’exception et la critique de la société de contrôle et du totalitarisme des Big Data jusqu’à la nécessité de repenser de fond en comble les rapports de l’humain et du non-humain. Ce que le confinement révèle plus clairement que jamais c’est cette distribution bien réglée des rôles entre des gouvernants qui ont réduit le temps de la politique à l’urgence et fait de cette urgence leur métier à la petite semaine, et des intellectuels qui placent toute situation dans le temps multiséculaire du Capital ou de l’anthropocène et ne connaissent qu’une seule manière efficace d’y intervenir, à savoir le « retournement » radical de ce temps. Ce face-à-face peut durer indéfiniment. Le cours des choses ne change jamais que par l’action de ceux et celles qui travaillent le temps : ceux et celles qui font vivre quotidiennement nos sociétés en donnant les réponses qu’il faut donner à tout moment ; ceux et celles aussi qui, de temps en temps, envahissent les places, les rues ou les ronds-points pour suspendre l’ordre normal des travaux et des jours et inventer d’autres usages du temps. Tout le reste est imposture.

      Carrément.
      Conséquences :
      a) ne plus écouter (dans le sens d’acquiescer aux) les injonctions des politi-tocards et de leurs laquais auto-proclamés « experts » et un peu éditocrates sur les bords.
      b) faire confiance à l’intelligence collective de la communauté humaine en préservant pour ses membres la possibilité de communiquer « IRL » (IRL : parce que l’aspect non verbal ne traverse pas les écrans, écrans à travers lesquels nous serons toujours fatalement tentés de nous mettre en scène alors que IRL, c’est moins facile de duper ses interlocuteurs), laquelle communication IRL en petit groupes d’affinités permettra d’amener à la raison les imprudents et les inconscients sachant qu’une injonction délivrée « en masse » est déjà biaisée par la posture (ou l’imposture) de celui ou celle qui la délivre.
      c) vu qu’on ne pourra pas mettre un flic derrière chaque « citoyen » étant donné que ça supposerait que 50% de ces mêmes citoyens fliqueraient tout le reste et que même si on inversait les rôles alternativement, ce serait complètement pénible.
      d) il nous* faudra donc révoquer tous les fonctionnaires actuels dont la mission est de faire la police et/ou de juger leurs concitoyens pour quelque infraction, délit, ou crime, ainsi que ceux qui ont pour mission de « défendre la nation » contre un ennemi pré-supposé.
      * le « nous » restant bien sûr à définir mais il vaudrait mieux que ce « nous » soit coopté par une très grande majorité lucide et responsable quant à la possibilité d’un avenir acceptable pour l’ensemble des espèces de cette planète.

  • Le travail invisible derrière le confinement. Capitalisme, genre, racialisation et Covid-19 | Françoise Vergès
    https://www.contretemps.eu/travail-invisible-confinement-capitalisme-genre-racialisation-covid-19

    En France, nous sommes entrés le mardi 24 mars 2020 dans la deuxième semaine de « confinement » décidé par le gouvernement Macron pour faire face à l’épidémie du COVID-19, et déjà cela craque de partout. Je ne reviendrai pas ici sur les demi-vérités, demi-aveux, mensonges par omission, et preuves d’incompétence, d’indifférence, de mépris par le gouvernement amplement dénoncées et analysées dans les médias et sur les réseaux sociaux. Ce travail d’étude et d’analyse n’est pas terminé ; il doit se poursuivre et s’avère bien plus important – car il nourrit les luttes à venir – que toutes les déclarations sous forme d’oracles (« rien ne sera plus comme avant », « il faudra que… ») ou que toutes les remarques et réflexions sur le confinement comme moment de retour sur soi ou de redécouverte de joies simples. Source : (...)

  • Les #Brigades_Solidaires sont nées en Italie, en voici une belle vidéo napolitaine :
    https://www.facebook.com/BrigadesSolidaritePopulaire/videos/1117337091964564

    Mais elles existent maintenant en France :

    Le boom des #Brigades_de_Solidarité_Populaire pour politiser l’aide aux plus précaires
    Stéphane Ortega, Rapports de Force, le 29 avril 2020
    https://rapportsdeforce.fr/pouvoir-et-contre-pouvoir/le-boom-des-brigades-de-solidarite-populaire-pour-rendre-politique-l

    L’activité des brigades ne souhaite pas se cantonner à une intervention humanitaire. Outre leur volonté de s’organiser avec des gens en lutte pour sortir du rapport aidant-aidés, ses membres désirent allier réponse immédiate, pour couvrir les besoins matériels, et réponses politiques. Par exemple, à travers les distributions des masques : « il y avait un enjeu sur les conditions de travail dans les entreprises. Cela a été l’occasion de discuter du droit de retrait et de la grève avec les travailleurs que l’on allait voir », se remémore Julia. Une forme d’intervention politique dans la continuité des trois mois de mobilisation contre la réforme des retraites, arrêtés par le coronavirus.

    #coronavirus #solidarité #France #Italie

    Voir compile des effets délétères indirects de la pandémie :
    https://seenthis.net/messages/832147

  • L’illusion dangereuse de l’égalité devant l’épidémie - Didier Fassin - Santé publique (2019-2020) - Collège de France
    https://www.college-de-france.fr/site/didier-fassin/L-illusion-dangereuse-de-legalite-devant-lepidemie.htm

    La première disparité concerne les milieux socialement défavorisés dont les types de logement et les conditions de travail rendent malaisé le respect des consignes de prévention, dont l’accès au dépistage s’avère souvent plus difficile et qui doivent plus fréquemment renoncer à des soins. Cette disparité touche surtout les quartiers populaires, les grands ensembles d’habitat social et les campements plus ou moins licites des gens du voyage. Il s’agit d’inégalités auxquelles s’ajoute une double injustice : en se contentant d’incriminer leur comportement, on leur impute le risque plus élevé auquel ils sont exposés, phénomène bien connu consistant à blâmer les victimes ; et dans le cadre de l’état d’urgence, on les soumet à des mesures de contrôle plus répressives que ce n’est le cas pour le reste de la population.

    #crise_sanitaire #inégalité #contrôle #stigmatisation

  • Promeneurs ou délinquants : les doubles standards du confinement – Binge Audio
    https://www.binge.audio/promeneurs-ou-delinquants-les-doubles-standards-du-confinement

    Même en temps de crise, les double standards racistes et classistes continuent de biaiser la perception de ces populations. Au risque d’en faire des boucs émissaires. D’un département à l’autre, les médias changent de discours et la police, d’attitude : d’un côté l’empathie, de l’autre la répression. Car pouvoir être un simple “promeneur en mal d’air frais et de soleil” n’est pas un luxe accordé à tous.tes.

    #93 #Seine-Saint-Denis #stigmatisation #audio #racisme

  • « Ces territoires jouent le rôle de boucs émissaires » (20+) Michel Kokoreff - Libération
    https://www.liberation.fr/france/2020/04/21/ces-territoires-jouent-le-role-de-boucs-emissaires_1785978


    A Villeneuve-la-Garenne, le 20 avril. Photo Geoffroy van der Hasselt. AFP

    Pour le professeur de sociologie Michel Kokoreff, la police cultive une forme d’impunité dans les quartiers populaires, plus visible encore durant l’épidémie.

    Quel regard portez-vous sur la situation dans les banlieues depuis le début du confinement ?

    Il y a de la révolte dans l’air. D’un côté, on sait bien que ces territoires cumulent les difficultés sociales, à commencer par la pauvreté. Le Covid est un puissant révélateur des inégalités dans les quartiers populaires. La désertification médicale est un fait depuis longtemps dénoncé. L’exercice de métiers de première ligne (caissières, livreurs, ambulanciers, infirmiers…) accroît la vulnérabilité des travailleurs. Ce qui explique que la Seine-Saint-Denis serait la plus touchée par la surmortalité. D’un autre côté, la focalisation des contrôles dans les quartiers populaires (y compris à Paris intra-muros ou dans d’autres villes) a conduit à une surreprésentation des contraventions dans ce contexte. Dès le début du confinement, la Seine-Saint-Denis a concentré à elle seule 10 % de l’ensemble des amendes. A cet égard, la question du respect du confinement est une fausse piste. Les chiffres montrent très bien que les mesures ne sont pas moins respectées en Seine-Saint-Denis que dans le département voisin des Hauts-de-Seine. Cet argument vise surtout à légitimer les interventions rugueuses et stigmatiser à nouveau les populations de ces quartiers populaires, qui jouent le rôle de boucs émissaires en temps d’épidémie.

    Plusieurs incidents ont éclaté ces derniers jours. Faut-il craindre une contagion ?

    Ce n’est pas sûr. Les conditions d’un débordement général ne me semblent pas réunies, vu le contexte. Au lieu d’agiter le spectre des révoltes de 2005, il faudrait plutôt s’interroger sur l’immobilisme des politiques publiques et la fonction sociale de ces territoires dans le gouvernement de la peur. Aux difficultés structurelles, comme la pauvreté, s’ajoutent les difficultés conjoncturelles liées au Covid-19, la saturation des hôpitaux, la surveillance, les contrôles. Dans certains quartiers, la police continue de se comporter comme une armée de réserve coloniale. Cette culture de l’impunité n’est pas nouvelle, mais elle apparaît plus visible en temps de confinement. En décembre 2015, quand l’état d’urgence a été décrété, certains services de police judiciaire ont profité de l’effet d’aubaine pour perquisitionner et interpeller dans des conditions exceptionnellement garanties par la loi. On a vu toute une série d’interventions qui n’avaient aucun lien avec les attentats terroristes. Aujourd’hui, le risque est exactement le même avec l’état d’urgence sanitaire. Et ce n’est pas propre aux « banlieues ».

    Avez-vous noté des changements dans les quartiers populaires depuis 2005 ?

    La physionomie de certains quartiers a profondément changé. Des dizaines de milliards ont été investis dans les opérations de rénovation urbaine. L’exemple le plus emblématique est celui de Clichy-sous-Bois, d’où est originaire le réalisateur Ladj Ly. Pour son film les Misérables, il n’a pas pu tourner une partie des scènes sur place car le quartier avait été entièrement rénové. Mais en dehors des conditions de vie souvent plus dignes, rien n’a vraiment changé. La situation sociale des familles ne s’est pas arrangée. Le chômage des moins de 25 ans est toujours trois à quatre fois supérieur au niveau national. Et l’expérience des discriminations ethniques et raciales n’a jamais été aussi prégnante. Face à la désaffection des services publics, au retrait de l’Etat, face à ses options répressives, à la stigmatisation, à l’islamophobie, les religions d’un côté, les trafics de l’autre semblent plus structurants de l’organisation sociale.

    Quel est l’impact du confinement sur l’économie parallèle ?

    A part la rupture des stocks, un sursaut d’énergie, un désir de vengeance, difficile de répondre. Le trafic constitue une sorte de filière professionnelle qui redistribue les ressources. Cette économie de survie est doublée d’une économie symbolique. Les avantages ne sont pas seulement financiers. Beaucoup d’enquêtes de terrain montrent que participer aux réseaux de trafic, c’est être quelqu’un. Dans les représentations, ni l’école ni le travail légal ne permettent d’accéder à cette reconnaissance. Le business exerce ainsi son emprise sur les plus jeunes. Je suis frappé par la reproduction des schémas. Chaque génération veut éviter les impasses de la précédente mais reste soumise aux mêmes contraintes et aux mêmes risques. Comme le marché s’agrandit, que l’offre est plus forte, que rien n’est vraiment fait pour ses quartiers au plan social, la spirale est sans fin, la chute programmée.

    Comment sortir de cette situation ?

    Il faut la dénoncer, mais aussi changer de regard. Par exemple, en mettant davantage en avant les initiatives qui voient le jour dans plusieurs cités, de la région parisienne à Marseille. Face aux carences de l’Etat et à l’envoi des policiers, de nombreux collectifs se déploient pour faire des courses, livrer à domicile, venir en aide aux personnes âgées ou isolées, aux familles qui ont faim. A Clichy-sous-Bois, cinquante palettes de nourriture ont été distribuées pendant huit jours à des centaines de personnes. Tous les acteurs de ces quartiers ont financé cette action solidaire - les dealers inclus. Plus largement, de nombreuses prises de position militantes donnent une visibilité aux dérives observées aujourd’hui et exigent des changements en matière de logement, d’emploi, d’école, de vie démocratique. Rapporter la situation actuelle à des causes structurelles sans pour autant ignorer les capacités d’auto-organisation dans ces quartiers et ses appels, la voie est étroite mais vitale politiquement face à ce sujet complexe.

    #quartiers_populaires #police #gouverner_par_la_peur
    #auto-organisation #solidarité #pratiques_sociales

    • Confinement : en Seine-Saint-Denis, un taux de verbalisation trois fois plus important qu’ailleurs
      https://www.liberation.fr/france/2020/04/26/confinement-en-seine-saint-denis-un-taux-de-verbalisation-trois-fois-plus

      Avec plus de 41 000 contraventions ces dernières semaines, le département francilien affiche des statistiques largement supérieures à la moyenne nationale. Des écarts qui soulèvent des questions sur les modalités d’intervention policière.

      Confinement : en Seine-Saint-Denis, un taux de verbalisation trois fois plus important qu’ailleurs
      Depuis le début du confinement, le taux de verbalisation en Seine-Saint-Denis frôle le triple de la moyenne nationale. Selon les derniers chiffres obtenus par Libération, le département totalisait samedi 41 103 contraventions pour 242 259 contrôles, soit un taux de verbalisation de 17%. Au niveau national, ce taux est seulement de 5,9% (915 000 contraventions pour 15,5 millions de contrôles). En clair, la proportion de personnes contrôlées qui sont verbalisées est trois fois plus importante en Seine-Saint-Denis que sur le reste du territoire.

      Interrogé mercredi à l’Assemblée Nationale lors des questions au gouvernement, Christophe Castaner a lui-même brandi en exemple le département dionysien pour illustrer l’absence supposée de laxisme de la police dans les quartiers populaires. « Il n’y a pas de quartiers dans lesquels nos forces de sécurité intérieure n’interviendraient pas » , a tonné le ministre de l’Intérieur en entretenant la confusion entre contrôles et verbalisations.

      « Densité importante »

      Les derniers chiffres recueillis par Libé témoignent surtout de fortes disparités régionales. Si l’omniprésence policière est plus criante à Paris (1 104 060 contrôles, soit quasiment un contrôle pour deux habitants), le taux de verbalisation apparaît en revanche beaucoup plus faible dans la capitale (6,25%). Un taux bien inférieur à ceux constatés dans les Hauts-de-Seine (8,7%), le Val-de-Marne (13,7%) et surtout en Seine-Saint-Denis (17%).

      Ce nombre élevé de #contraventions n’a pas échappé à la procureure du département. « Au début du confinement, on atteignait plus de 900 verbalisations par jour » , souligne Fabienne Klein-Donati, qui note toutefois une « diminution progressive » des contraventions quotidiennes, dont le nombre est tombé à moins de 400 ces derniers jours. Parmi les explications structurelles susceptibles de justifier un tel écart avec la moyenne nationale, la magistrate évoque « une population très jeune », « une densité très importante » et « un habitat qui rend difficile de rester chez soi à plusieurs ». « Les jeunes ont été beaucoup verbalisés, notamment en bas des immeubles, parfois plusieurs fois , précise Klein-Donati. Mon parquet a dû gérer de nombreux délits de réitération. De surcroît, le trafic de stupéfiants n’a pas cessé. »

      Flou

      Mais ces éléments suffisent-ils à expliquer une telle différence entre Paris et sa petite couronne ? Pour Sébastian Roché, directeur de recherches au CNRS et spécialiste des questions de police, « les comportements ne peuvent expliquer à eux seuls une amplitude aussi importante dans les taux de verbalisation. C’est nécessairement une approche policière différente qui génère de tels écarts ».

      Le chercheur pointe aussi l’absence de transparence dans les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur, données qui ne sont même pas disponibles dans le cadre du contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire. Une opacité constitutive selon lui d’un « grave déficit démocratique » . A ce flou sur les chiffres, il faut ajouter celui qui entoure les contrôles de police et de gendarmerie. « A la différence des verbalisations, qui sont systématiquement enregistrées dans un logiciel, il n’existe aucun outil pour mesurer les contrôles, dont on ignore comment ils sont comptabilisés » , poursuit Sébastian Roché.

      Contacté par Libération, le ministre de l’Intérieur admet des taux de verbalisation différents d’un département à l’autre mais réfute toute stigmatisation territoriale. « Nous ne considérons pas que le confinement ne serait pas respecté en Seine-Saint-Denis, ni dans les quartiers , insiste un conseiller de Christophe Castaner. Au contraire, et le ministre l’a dit à plusieurs reprises publiquement. » Mais affirmer que la population de Seine-Saint-Denis respecte bien les règles alors que le taux de verbalisation y est trois fois supérieur, n’est-ce pas assumer que les contrôles sont discriminatoires dans ce département ?

      #confinement #contrôles_policiers #amendes

  • Le covid-19, la guerre et les quartiers populaires - Métropolitiques
    https://www.metropolitiques.eu/Le-covid-19-la-guerre-et-les-quartiers-populaires.html

    Le 18 mars, plusieurs médias annoncent que le département de la Seine-Saint-Denis comptabilise 10 % des procès-verbaux pour non-respect du confinement, au premier jour de sa mise en œuvre [1]. Telle une grille de lecture familière et rassurante en cette période troublée, on voit alors surgir des discours dénonçant « l’incivilité » des habitants des quartiers populaires et l’existence de « zones de non droit », réactivant la chimère selon laquelle ces territoires se seraient transformés en ghetto, émancipés du respect des règles communes et représenteraient un danger pour la République (Gilbert 2011). Ce cadrage médiatique, alimenté par l’extrême droite et par divers commentateurs [2], s’appuie non seulement sur une vision erronée de la réalité des quartiers populaires, mais repose surtout sur un postulat (selon lequel les infractions au confinement seraient plus fréquentes dans les cités) qui n’est pas démontré

  • Quartiers populaires : le Covid-19 inquiète les « éduc’ de rue » | Jonathan Louli
    https://rapportsdeforce.fr/pouvoir-et-contre-pouvoir/quartiers-populaires-le-covid-19-inquiete-les-educ-de-rue-04186810

    Depuis le début de la crise sanitaire, les éducateurs et éducatrices de rue ont été contraint.e.s d’abandonner leur quartier d’intervention. Leur désertion forcée de la rue laisse les habitant.e.s dans un face à face parfois compliqué avec la police et exacerbe leur précarité. Assigné.es à un travail de gestion, ils et elles s’inquiètent. Cette période a priori provisoire ne pourrait-elle pas transformer durablement leur métier ? Source : Rapports de Force

  • Bus et tram bondés en Seine-Saint-Denis malgré le coronavirus | Actu Seine-Saint-Denis
    https://actu.fr/societe/coronavirus/bus-tram-bondes-seine-saint-denis-malgre-coronavirus_33089445.html

    Depuis la mise en place de mesures de confinement pour lutter contre la propagation du coronavirus Covid-19, l’offre de transport a été réduite à 30 %, en moyenne en Île-de-France. 

    Sauf qu’en Seine-Saint-Denis, cette offre ne semble pas répondre aux besoins de la population. « La Seine-Saint-Denis est un département qui se caractérise par le fait que beaucoup de personnes travaillent dans les services dit « essentiels à la continuité de la nation ». Aujourd’hui, une proportion importante continue à travailler et à devoir se rendre sur leur lieu de travail », explique la préfecture. Dès lors, la fréquentation des transports en communs se révèle plus importante que dans certaines zones du territoire francilien.

  • Dans les quartiers populaires, « si on remplit le frigo, on chope le corona », Louise Couvelaire, le 18 avril 2020
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/18/dans-les-quartiers-populaires-si-on-remplit-le-frigo-on-chope-le-corona_6036


    File d’attente pour une distribution de nourriture organisée par AC Le Feu et le centre social Toucouleurs à Clichy-sous-Bois, le 15 avril. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

    Les quartiers populaires entament leur deuxième mois de confinement à bout de souffle, mais encore soutenus par un faisceau de solidarités inédites, réinventées dans l’urgence.

    Il y a ceux qui ont encore un travail et prennent tous les risques pour le garder. Ceux qui craignent pour l’avenir de leurs enfants. Et il y a ceux qui ont faim. Ce sont souvent les mêmes. Les quartiers populaires entament leur deuxième mois de confinement à bout de souffle, mais encore soutenus par un faisceau de solidarités inédites, réinventées dans l’urgence.

    Ce matin-là, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), les premiers sont arrivés à 8 heures, soit trois heures avant l’ouverture des portes de la maison de la jeunesse de la ville. A 11 heures, la file d’attente s’étirait sur 300 mètres. Mercredi 15 avril, ils étaient des centaines à patienter pour remplir leurs caddies de salades, courgettes, pommes, yaourts et crème fraîche. Sans débourser un centime. Organisée par le collectif AC Le Feu et le centre social Toucouleurs, avec le soutien de la Fondation Abbé-Pierre, cette distribution alimentaire était la troisième en huit jours. 190 personnes se sont présentées la première fois, 490 la seconde, puis 750.

    Les 50 palettes de nourriture données par des anciens des quartiers, grossistes, semi-grossistes et vendeurs – « qui n’ont pas oublié d’où ils venaient », se félicite le cofondateur de l’association, Mohamed Mechmache –, n’ont pas suffi à répondre à la demande. Du jamais vu. « Il y a urgence dans ces territoires, tout va se casser la gueule, alerte le cofondateur d’AC Le Feu. Des centaines de personnes que nous ne connaissions pas sont en train d’apparaître sur nos radars. On ne sait pas comment ils vont trouver les ressources un mois de plus pour se nourrir. »

    Dans la queue, il y avait Samia*, une aide-soignante de 42 ans, mère de quatre enfants, dont le salaire ne suffit plus à financer le budget nourriture du foyer, qui a été multiplié par trois depuis le début du confinement. Il y avait Evana* aussi, la mine lasse, assise sur son déambulateur, le visage recouvert d’une épaisse couche de fond de teint trop clair. Evana a 48 ans mais elle en fait vingt de plus. Elle ne s’est jamais remise d’un accident de voiture qui l’a laissée avec un bassin cassé. C’était en 2014. Depuis, elle n’arrive pas à rester debout plus de quelques minutes et vit d’une petite pension d’invalidité qui ne suffit pas à payer son loyer. Le confinement est en train de la clouer sur place. Jusqu’à présent, ses amis et sa famille l’aidaient à boucler ses fins de mois en lui donnant des « petits billets de 10 euros ou 20 euros par-ci par-là, mais ils ne peuvent plus venir me voir, alors j’accumule les dettes et je n’ai plus rien pour nous nourrir, moi et ma fille ».
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    Pour des familles, la cantine est le seul repas de l’enfant

    Lors de son allocution du 13 avril, Emmanuel Macron a annoncé le versement d’une aide financière exceptionnelle pour « les familles modestes avec des enfants afin de leur permettre de faire face à leurs besoins essentiels ». Chaque famille bénéficiaire du RSA ou de l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) recevra 150 euros, plus 100 euros par enfant, et les familles touchant des aides au logement percevront 100 euros par enfant. « Pffff…, souffle Ahmed*, ça ne va pas suffire. » Ahmed n’est pas du genre commode. Père autoritaire de sept enfants, il est au chômage partiel depuis que le restaurant dans lequel il fait la plonge a fermé ses portes. « A force de rester là sans rien faire, mes enfants ont faim toute la journée et ce que je touche ne suffit pas ! », lance-t-il, sur les nerfs. Avec l’arrêt de la cantine à 1 euro le déjeuner, il n’a plus les moyens de subvenir aux besoins de sa famille. Une situation qu’il vit comme une humiliation. A peine évoqué les paniers repas qui lui sont offerts par une association et il raccroche sans préavis.

    « Dans certaines familles très modestes, le repas de la cantine est le seul repas de la journée de l’enfant, témoigne Eddy*, 42 ans, éducateur de vie scolaire dans un lycée du département, qui, « en temps normal », distribue des barquettes à emporter composées des restes du jour aux élèves les plus démunis. « Avec le confinement, nous avons créé un groupe WhatsApp pour tenter d’identifier les plus en difficultés et chacun de nous achète ce qu’il peut pour eux. Le Coronavirus a un effet loupe sur tous les dysfonctionnements et toutes les inégalités. »


    A Clichy-sous-Bois, le 15 avril. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

    Ahmed reçoit ses paniers de l’association Têtes grêlées, lancée par Sylla Wodiouma, surnommé « Djoums » dans le quartier des Quatre-Chemins, à Pantin. Le jeune homme de 34 ans distribue chaque semaine quelques dizaines de « kits » composés de nourriture et de produits d’hygiène qu’il a pu financer grâce à l’appel aux dons lancé sur la plate-forme Leetchi. Il a récolté un peu plus de 6 000 euros en trois semaines. « Beaucoup de familles qui travaillaient en tant qu’intérimaires ou non déclarées n’ont plus rien, elles ont tenu deux semaines et puis tout s’est effondré », raconte Djoums. Les listes de personnes à soutenir, dont les noms lui sont signalés par des voisins, des travailleurs sociaux et des amis, « explosent », témoigne-t-il.
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    Tenaillée par la « honte »

    Sur ces listes, figure désormais Nassira*. La jeune femme de 29 ans parle à voix basse pour ne pas réveiller ses quatre filles âgées de 13 ans à cinq mois. Il est pourtant midi. « Les aînées se couchent vers 2 heures du matin et je les laisse dormir le matin, je les réveille à l’heure du déjeuner, peu avant de mettre les petites à la sieste, comme ça, elles peuvent être un peu tranquilles pour faire leurs devoirs. » Sans travail ni mari, elle vit des allocations familiales et accueille dans son petit deux pièces de 41 mètres carrés du quartier des Courtillières son père de 65 ans atteint d’un cancer du foie. Elle dort avec ses quatre filles dans une chambre minuscule et ne veut surtout pas qu’elles sachent qu’elle n’a plus les moyens de les nourrir. « Qu’est-ce que mes enfants vont penser de moi, que je ne suis pas capable de prendre soin d’elles ? » confie-t-elle, tenaillée par la « honte ».

    Fatoumata* elle aussi a honte. Et peur. Sans-papiers ivoirienne, elle se terre avec ses trois enfants dans une modeste HLM d’une cité de l’Essonne qu’elle sous-loue pour 300 euros par mois. Elle n’est pas sortie de chez elle depuis le début du confinement, pas même pour faire des courses, terrorisée à l’idée d’être contrôlée par la police omniprésente et susceptible de lui demander attestation et pièce d’identité à tout instant. Impossible de se faire livrer, elle n’a plus un sou. La nourriture commence à manquer. Fatoumata travaillait jusqu’au début du mois de mars : elle faisait des ménages dans des hôtels en « empruntant » les papiers d’une autre moyennant 20 % sur les sommes qu’elle rapporte. Mais il ne reste rien des 800 euros gagnés entre le mois de février et le début du mois de mars. C’est sa fille aînée de 16 ans qui a fini par lancer un SOS à la responsable d’une association de quartier qu’elle a l’habitude de fréquenter. La directrice a mis 80 euros de sa poche pour lui faire un premier marché et le déposer devant sa porte. « Toutes les associations et les centres sociaux sont fermés, les gens ne savent pas vers qui se tourner », dit-elle. L’une de ses collègues a pris la suite la semaine suivante.

    Au moment où certaines familles apparaissent pour la première fois sur les radars des associations, d’autres, au contraire, ne répondent plus à l’appel. Comme en témoigne une professeure de français dans un collège de Seine-Saint-Denis qui dit avoir perdu le contact avec 40 % de ses élèves. Dans les quartiers Nord de Marseille, Fatima Mostefaoui tire la sonnette d’alarme. Dans un texte rédigé au nom du collectif des femmes des quartiers populaires, elle écrit : « Je suis pauvre, triste, un peu en colère ; non, beaucoup en colère (…). Hier déjà dans ma cité, la réussite scolaire était un rêve inaccessible. Alors là, pour moi, l’école à la maison, c’est un tsunami qui va me noyer et emporter mes enfants ». Fondatrice de l’association Avec Nous, la militante a lancé l’opération « Partage ton Wi-Fi » pour inciter les résidents qui disposent d’un réseau Internet à en faire bénéficier leurs voisins en dévoilant leurs codes d’accès.

    A deux doigts de « tout lâcher »

    Nadia*, elle, est à deux doigts de « tout lâcher », le suivi des devoirs à la maison auxquels elle « ne comprend rien », les courses au rabais qui l’obligent à nourrir ses deux enfants de pain fait maison et de pâtes, les négociations « qui n’aboutissent à rien » avec son bailleur social pour lui permettre d’échelonner le paiement de son loyer. A 45 ans, elle vit dans le 3e arrondissement de Marseille, l’un des plus pauvres de la cité phocéenne. Le 17 mars, premier jour du confinement, elle a perdu son travail − au noir, en tant que femme de ménage pour des particuliers − et la rémunération qui allait avec − un peu moins de 500 euros par mois. « Ma voisine est en dépression, je ne vais pas tarder à la suivre », annonce-t-elle en aspirant sur sa cigarette. Elle n’a qu’une crainte : que cette épidémie de Covid-19 « détruise l’avenir de [ses] enfants ». Son fils, lycéen, et sa fille, collégienne, sont en train de « perdre le fil », dit-elle, et d’accumuler un retard qu’ils ne sont pas sûrs de pouvoir rattraper malgré le prêt d’un ordinateur via l’association Avec Nous.


    750 personnes sont venues récupérer de la nourriture lors de la distribution du 15 avril à Clichy-sous-Bois. GUILLAUME HERBAUT POUR « LE MONDE »

    A 800 kilomètres de là, on a croisé Sofia* sur un bout de trottoir de Clichy-sous-Bois, un cabas dans chaque main remplis de denrées gracieusement distribuées par AC Le Feu. 16 ans à peine, silhouette fluette, mots écorchés, cette « fervente lectrice » d’Emile Zola évoque sa mère, femme au foyer, son père, qui a pris la poudre d’escampette, elle raconte les efforts « immenses » qu’elle fournit pour figurer parmi les premières de sa classe de 2nde, parle de « l’influence de son milieu » qui la condamne « à la misère » pour résumer l’angoisse de ce confinement et des conséquences « tragiques » sur sa vie, elle raconte les « droits qu’elle n’a jamais eus » et les « chances qu’elle n’aura jamais plus ». Elle en est convaincue. Sofia est en colère, elle est en train de décrocher, et elle le sait. Impossible de suivre le rythme de l’école à la maison. Chez elle, « pas d’ordinateur, pas d’imprimante, un seul téléphone pour quatre enfants ». Tout est dit. Elle tourne les talons. « Si ceux qui ont de la chance dans la vie s’inquiètent de l’après, interroge Mohamed Mechmache, imaginez ce que ressentent ceux qui n’ont rien. » Ou si peu.

    Le père Patrice Gaudin les voit chaque matin aux arrêts de bus, les aides-soignantes, les caissières, les livreurs, les travailleurs du BTP, les éboueurs. Chaque matin, il voit ces « colonnes de travailleurs de l’ombre » passer devant son église du christ Ressuscité plantée au cœur de Bondy Nord, en Seine-Saint-Denis, tous ces « héros silencieux de nos cités » dont il admire le « sens du devoir ». Le « père Patrice », comme l’appellent les résidents du quartier, se dit « horrifié » par les inégalités que génère ce confinement. Avec sa carrure de rugbyman et son franc-parler − « avant d’arriver ici il y a cinq ans, j’y connaissais que dalle aux cités » −, il veut défendre l’honneur de ceux dont « on dit trop souvent depuis quelques semaines qu’ils ne respectent pas les règles du confinement » et à qui « on ne rend pas assez justice » malgré les risques auxquels ils sont exposés au quotidien.
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    La conviction d’avoir « un rôle important »

    Keltoum* a subi les foudres de son mari, furieux qu’elle se mette en danger. « Il aurait préféré que je m’arrête, mais finalement il a compris. » La jeune femme de 36 ans a dix ans de labeur dans la grande distribution derrière elle et la conviction d’avoir « un rôle important ». Elle occupe le poste de manager dans les rayons d’un petit supermarché du 93. Six de ses collègues ont fait valoir leur droit de retrait. Ils ont été remplacés par des étudiants de l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis. « Il faut faire tourner le magasin, dit-elle. Si je m’absente, il n’y aura plus rien dans les rayons. »

    Keltoum est responsable des commandes et du réapprovisionnement. A l’occasion, elle fait aussi des remplacements en caisse. Depuis le 17 mars, le panier moyen du consommateur a presque doublé, passant de 12 euros à 22 euros. « Les gens achètent plus, du coup, j’ai une charge de travail deux à trois fois supérieure à la normale, le tout dans une atmosphère très pesante », confie-t-elle. Tous les jours depuis un mois, la jeune femme adopte le même rituel en rentrant chez elle : elle ouvre la porte, pose son sac à terre, retire ses chaussures, se déshabille dans l’entrée, met le tout à laver et fonce sous la douche. « J’essaie de pas être parano mais il y a de l’angoisse, et encore, heureusement qu’on a des visières maintenant pour nous protéger des clients. »

    Depuis trois semaines, Phaudel Khebchi passe ses journées à imprimer des visières en 3D qu’il distribue ensuite aux caissières et aux personnels soignants des commerces et hôpitaux voisins. Directeur du musée numérique la Micro-Folie, à Sevran (93), il a déjà fabriqué plus de 200 visières qu’il a appris à confectionner grâce aux fiches techniques partagées sur Internet par les « makers » des visières solidaires. « Le plus pénible, se désole Keltoum, c’est de voir que beaucoup de gens n’ont rien changé à leurs habitudes, ne serait-ce que par respect pour nous. Ils viennent faire leurs courses tous les jours, parfois plusieurs fois par jour, et parfois, seulement pour s’acheter une barquette de fraises. »

    « Si on se retire, qu’est-ce que les gens vont devenir ?, lance Sosthène*, le directeur du supermarché, tout aussi habité par sa mission que sa manager des rayons. On est un peu comme le personnel de santé, on a besoin de nous. » Lorsqu’il a entendu la ministre du travail, Muriel Pénicaud, le 1er avril, inviter les entreprises privées à verser une « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » (défiscalisée et exonérée de charges salariales et patronales) de 1 000 euros destinée à « soutenir ceux qui sont au front », il a cru pouvoir annoncer une bonne nouvelle à ses 25 salariés. « Sauf que pour l’instant, personne ne nous en a parlé, s’inquiète le directeur. Cette prime, c’est une aide financière, oui, mais pas seulement, c’est aussi une forme de reconnaissance dont nous avons tous besoin pour tenir le coup psychologiquement. »

    « Moi, la prime de 1 000 euros, je n’y ai pas droit ! », affirme Stéphane Lafeuille. Depuis trois ans, le quadragénaire est éboueur intérimaire à Champigny-sur-Marne (Seine-et-Marne). Il n’a jamais décroché de CDI, il enchaîne les contrats journaliers payés au smic. « Avec mes collègues intérimaires, on vit dans la grande précarité. Si on remplit le frigo, on chope le corona. » Avant l’intervention de Mamadou Sy, commercial et conseiller municipal, qui a dégoté un lot de 100 masques qu’il a distribué aux éboueurs de la ville, il travaillait sans aucune protection. « Aujourd’hui encore, on fait nos tournées avec des petits gants en plastique alors que les poubelles des particuliers débordent et que les gens jettent leurs déchets médicaux, leurs mouchoirs, leurs masques et leurs gants en vrac dans les poubelles aux couvercles jaunes normalement exclusivement dédiées au tri sélectif, dénonce-t-il. L’angoisse est permanente, si j’attrape le virus, je n’ai rien, aucun filet de sécurité. » Impossible d’exercer un quelconque droit de retrait, il n’est pas salarié.

    « A ce rythme, dans un mois, nous, travailleurs au noir, travailleurs précaires, habitants des quartiers, enfants des quartiers, on va se retrouver définitivement hors-jeu, redoute Nadia, de Marseille. Pour l’instant, on tient grâce aux solidarités locales et parce qu’on ne veut pas se laisser faire. Mais pour combien de temps encore ? »

    #travailleurs_précaires #solidarité

  • Dans les quartiers nord de Marseille, « le confinement est une gageure »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/300320/dans-les-quartiers-nord-de-marseille-le-confinement-est-une-gageure


    Le Château en santé, à Marseille. © OB

    À Kalliste, l’un des quartiers les plus pauvres de France, l’équipe d’un centre de santé cherche des réponses à la précarité, l’insalubrité, la promiscuité, alors que la « vague » approche. Reportage dans un poste d’observation hors norme.

    « Le Château en santé » allait fêter son anniversaire quand le confinement est venu. La fête devait durer une semaine, organisée par l’équipe soignante et les habitants. Il a fallu y renoncer, la reporter, pour basculer dans ce monde calfeutré. En ouvrant il y a deux ans au parc Kalliste, l’un des quartiers les plus pauvres de France, l’équipe pluridisciplinaire (médecins, infirmières, médiateurs, orthophonistes, assistante sociale, etc.) voulait construire le centre de santé avec les habitants pour mieux répondre à leurs besoins, et prendre en compte leurs déterminants sociaux autant que leurs symptômes, pour mieux les soigner. Le confinement venu, tout cela fait du centre un prisme passionnant pour comprendre à quel point le confinement agit dans les quartiers populaires comme une loupe sur les inégalités, sanitaires, éducatives, alimentaires, numériques…

    Vendredi matin, quelques patients attendent à l’extérieur. Des chaises éloignées les unes des autres font office de salle d’attente devant la bastide élégante qu’une famille de négociants avait fait construire au milieu du XIXe siècle, quand les collines appelées aujourd’hui « quartiers nord de Marseille » étaient parsemées de villégiatures de la bourgeoisie marseillaise. Neuf barres de béton ont été construites à la fin des années 1950 dans le parc de la villa. Elles forment comme un rempart autour de la bastide, abandonnée jusqu’à ce que les jeunes soignants obtiennent que la ville la rachète pour la transformer en centre de santé communautaire au cœur du quartier. Les habitants pensant la bâtisse hantée, ils l’ont appelée le Château en santé.

    Les immeubles autour se sont terriblement dégradés en soixante-dix ans. Des marchands de sommeil ont progressivement racheté les appartements, loués très cher à des locataires qui ne peuvent accéder au logement social, doivent parfois se tasser à plusieurs familles pour payer le loyer. « Dans ce contexte, le confinement est une gageure », disent les médecins, qui interpellent les pouvoirs publics pour prendre en compte ces freins au confinement. Il faut selon eux multiplier les centres de dépistage dans les quartiers nord (à Kalliste, un labo commence mardi sur ordonnance) ; trouver des solutions de confinement strict pour ceux qui se révèlent positifs, au besoin en réquisitionnant des hôtels ; mettre en place l’accompagnement autour.

    À Kalliste, des familles vivent à huit ou dix (ou plus). Lors des visites à domicile, les toubibs constatent qu’il y a parfois deux ou trois lits par pièce, dans des appartements souvent insalubres, mal isolés, humides. Certaines barres sont par ailleurs infestées de punaises de lit. Rester strictement confiné dans ce cadre est un enfer. Passés les premiers jours, comme partout en France, le confinement est pourtant relativement bien respecté. Une note d’ambiance des éducateurs de l’arrondissement relève que les jeunes sortent beaucoup moins.

    Habiba fait partie de l’équipe du Château en santé où elle assure le ménage et apporte dans ce centre au fonctionnement très horizontal des éclairages précieux sur la situation des habitants, ou le fonctionnement du quartier. Elle habite La Solidarité, cité constituée de hautes tours juste au-dessus de Kalliste. « Au début, raconte Habiba, les habitants ont pris le confinement à la rigolade. Quand ils allaient sur le balcon, mes enfants me disaient pourquoi tout le monde est dehors et pas nous ? » Depuis, les espaces collectifs se sont retrouvés désertés. Ne restent que les chats, nombreux.

    Morad assure l’entretien des espaces communs d’une barre du parc Kalliste, où vivent ses parents, où lui-même a grandi. Dans le quartier, dit-il, « seuls les 16-17 ans continuent de sortir ». Jusqu’à la semaine dernière, certains continuaient de jouer au football, le soir, sur le petit terrain derrière le centre commercial. « Ils disent : “Moi je crains rien, j’ai pas peur.” Moi je leur dis :“Et ton père, et ta mère, ils craignent rien, crétin ?” »

    Tout autour, les réseaux de vente de drogue ont ralenti mais l’activité continue. « Tu viens pour toucher ? » (acheter), demandait hier un guetteur posté dès 9 heures du matin près de l’une des barres de quartier. Les clients se font rares mais ils n’ont pas totalement disparu. Certains viennent avec des gants, une écharpe en guise de masque. Mais les points de vente risquent de n’avoir bientôt plus grand-chose à charbonner. Fermeture de frontières et limitation de la circulation rendent l’approvisionnement dangereux. La pénurie approcherait.

    Les parents ont d’autres priorités. Il faut occuper les enfants, puisqu’ils ne peuvent plus sortir, essayer de faire école pour qu’ils ne prennent pas de retard. Khadija a quatre enfants, elle vit à La Granière, une cité voisine. Elle est aide-soignante à l’hôpital Nord, très mobilisée ces temps-ci, tout comme son mari préparateur de commandes pour Carrefour. Quand elle rentre du travail, lestée d’une fatigue « physique et psychologique », elle essaie de devenir maîtresse. Les enseignants du primaire envoient les leçons et devoirs par mails, Khadija prend en photo le travail des enfants pour le leur renvoyer.

    « Pour celle qui est au collège, dit-elle, c’est plus compliqué. Seuls quatre professeurs restent en contact avec eux, les autres ont donné plein de travail en disant : “On verra en classe après le confinement.” Moi je ne peux pas aider dans toutes les matières, j’espère que ma fille ne va pas prendre trop de retard. »

    D’autres parents sont beaucoup plus démunis. Certains n’ont pas d’ordinateur, la plupart pas d’imprimante. « Au début, raconte Céline, orthophoniste au Château en santé, certains enfants recopiaient intégralement les formulaires comportant des questions à remplir, parce qu’ils ne pouvaient pas les imprimer. » À la maison, pères et mères se retrouvent parfois dans une incapacité culpabilisante, humiliante, remarque Carolina, assistante sociale au Château.

    L’école primaire de Kalliste a décidé de ne pas avancer dans les apprentissages le temps du confinement, pour éviter de creuser les inégalités. Les enseignants n’envoient des exercices que sur les notions acquises. Le directeur s’efforce de rester en lien avec les familles, il appelle les plus isolés pour prendre des nouvelles. Paradoxalement, certains parents raccrochent un peu avec l’école dans cette période. « Ils essaient de prendre en charge, de pallier les difficultés, alors qu’ils étaient très éloignés du système éducatif, du langage scolaire », observe Céline, l’orthophoniste.

    Mais après le confinement, « il va falloir ouvrir des centres de repos pour les mamans au bord de la dépression nerveuse », soupire Zoubida, patiente du Château. Elle a quatre enfants, a l’impression d’être « sur le pont de 7 heures à minuit ». Elle dit que c’est infernal. « Le temps que je passe de l’un à l’autre, le premier ne se souvient plus de ce que j’ai expliqué ; quand je reviens à lui, le troisième décroche… » Elle a l’impression que sa seule pause est « à 20 heures, quand ils se défoulent sur le balcon avec les casseroles et des couverts ».

    Dans les quartiers populaires plus qu’ailleurs, les femmes sont en première ligne, soumises au stress, à des responsabilités écrasantes. Par temps de confinement, elles ont en plus « les hommes dans les pattes », soupire une patiente du Château. « Et le carême approche, prévient Zoubida (le ramadan est attendu aux alentours du 24 avril). Dans ces périodes, comme ils ne peuvent pas fumer dans la journée, les hommes sont de mauvaise humeur, ils essaient de dormir, les enfants ne doivent pas faire de bruit. J’espère pour les mamans que le confinement sera terminé sinon ça va être explosif… »

    « La peur d’encombrer »

    Carole, infirmière, avec un patient et son fils. © OB
    Élisa, conseillère conjugale et familiale, a « très peur de l’après », des situations qu’ils vont rencontrer. En ouvrant le centre de santé, les professionnelles ne s’attendaient pas au niveau de violences conjugales et familiales qu’elles ont découvert. Elles s’inquiètent d’une recrudescence avec le confinement. « Cela peut être tendu dans tous les milieux, reconnaît Carolina, l’assistante sociale. Se retrouver enfermés ensemble, ce n’est simple pour personne, mais c’est encore plus dur quand il y a plus d’enfants dans moins de pièces et d’autres problématiques urgentes à affronter. » Un « groupe d’appui » se met en place au Château avec Carolina, Élisa la conseillère conjugale et familiale, Carole l’infirmière, Céline et Clémentine les orthophonistes, Fatima et Apo qui assurent les médiations, traduisent pour les familles comoriennes, turques et kurdes.

    Dans cette période où les services publics n’offrent pas de réponses face à la grande précarité, l’équipe dépasse les barrières des professions pour inventer des réponses informelles, appelle régulièrement les familles, soutient les femmes plus isolées. « Mais si certaines subissent des violences, elles ne le diront qu’après, murmure Carolina. Elles n’en parleront jamais au téléphone. Il faut toujours du temps pour laisser venir cette parole. » Et puis comment parler de violences avec toute la famille autour de soi ?

    Le Château va aussi ouvrir un blog pour garder le lien, partager questions, renseignements pratiques, conseils, coups de gueule ; échanger des idées d’activités pour les enfants, des recettes, des solutions pour les devoirs ; inventer des « défis créatifs ». Enfants et adolescents pourraient par exemple tourner des petits films chez eux sur un thème donné, avec les smartphones. Tout cela serait projeté ensuite au Château, quand le temps de la fête d’anniversaire sera enfin venu.

    En attendant le centre s’est transformé. Le rez-de-chaussée accueille les patients suspects de Covid, le premier étage les autres urgences. Deux équipes d’accueillants et de médecins sont constituées chaque jour, elles ne se croisent théoriquement pas de la journée. D’autres toubibs assurent les consultations par téléphone, qui changent beaucoup la nature du soin dans ce quartier où le symptôme est souvent un prétexte pour venir voir un médecin, poser son sac, dire l’enchevêtrement de soucis autant que de pathologies.

    Avec le confinement, beaucoup appellent ou viennent pour des difficultés à respirer, un sentiment d’oppression thoracique, parfois dus aux troubles d’anxiété. Au moindre doute, les médecins demandent aux patients de venir. Ce n’est pas toujours simple. Vendredi, une dame a décommandé son rendez-vous au dernier moment : trois ou quatre personnes sont atteintes du Covid-19 dans son immeuble, or, pour sortir, il faut passer par tous les espaces communs. Elle n’ose plus bouger.

    Marseille a été relativement épargnée jusque-là, mais la vague approche. En fin de semaine dernière, les présomptions de cas positifs se multipliaient en consultations. Edwige, médecin généraliste, a découvert l’angoisse d’annoncer le résultat, « parfois perçu comme une annonce de VIH ». Lorsque les symptômes ne sont pas trop alarmants, les patients sont appelés à se confiner le plus étroitement possible. Les médecins les rappellent pour vérifier que la situation ne s’aggrave pas.

    Céline et Clémentine, orthophonistes, assurent l’accueil. © OB
    L’équipe est très mobilisée mais le centre n’a jamais semblé aussi silencieux. L’absence des familles, des enfants, change tout. Bon nombre de patients n’osent plus venir. « Il y a la peur de l’infection, analyse Thomas, médecin généraliste, mais aussi celle de nous encombrer. Ils nous imaginent complètement débordés, alors ils ne viennent pas, ils reculent tout ce qui ne leur paraît pas urgent. » Edwige, sa collègue, craint « un retour sérieux » après la pandémie, pour rattraper prévention et suivis chroniques, tout ce que les patients auront laissé dériver, « oubliant leur santé ».

    Les questions de santé sont souvent reléguées lorsqu’on s’inquiète pour la fin de mois, pour l’avenir des enfants, pour ce qu’on pourra leur donner à manger. Laetitia (prénom changé à sa demande), professeur des écoles dans les quartiers nord, a été alertée par une mère du quartier qui lui a dit que certains de ses élèves « avaient faim ». Les parents qui travaillent au noir se retrouvent soudain privés de tout. « Beaucoup cachent leur situation, parce qu’ils sont clandestins ou qu’ils craignent qu’on leur enlève leurs enfants, ou tout simplement parce qu’ils ne veulent pas les stigmatiser » (pour la même raison, elle demande de ne pas citer le quartier, aussi dégradé que Kalliste). La mère de famille qui l’avait alertée lui a fait remonter les besoins, des bénévoles ont collecté les courses faites par des particuliers, le minibus de l’association sportive qui ne transporte plus de sportifs a été réquisitionné. « Quand on voit la liste de ce dont les gens disent manquer, on est vraiment dans la première nécessité : des pâtes, de l’huile, de la margarine, des couches. » Dans certaines familles, depuis quelques jours, on change les bébés moins souvent.

    Des solidarités se mettent en place, mais elles sont souvent entravées par la crainte de la contagion. Habiba, du Château en santé, dit qu’elle ne sait plus quoi faire : elle a l’habitude de partager avec ses voisins quand elle prépare un plat, mais en ce moment elle n’ose plus. Elle a peur. Et « honte d’avoir peur ». L’une de ses amies a perdu son mari pendant le confinement, elle ne savait pas si elle devait aller « au deuil ». Finalement, elle y est allée, elles se sont retrouvées à six ou sept, soigneusement éloignées les unes des autres. « On se disait : “Alors finalement t’es venue toi aussi ?!” Je crois que cela a fait beaucoup de bien à mon amie. »

    Au début du #confinement, patients et soignants imaginaient que la fête d’anniversaire serait après la pandémie extrêmement libératrice. Il faudra cependant se réjouir rapidement. Tout le monde a compris que la crise sociale frappera plus durement ici. Qu’elle se posera comme une loupe, encore, sur les quartiers populaires. « Pour nous, ce sera le retour des apéros en terrasses, pour beaucoup ce sera encore plus de chômage, plus rien pour payer le loyer », résume Laetitia, l’institutrice.

    Thomas, le généraliste, répond que patients et soignants feront au Château comme ils font depuis deux ans. « Composer comme on peut, en étant là les uns pour les autres. » Il a envie que la fête d’anniversaire vienne vite, et qu’elle soit « très libératrice ».

    #quartiers_populaires #soin #hors_normes

  • Coronavirus : dans les quartiers populaires, l’incompréhension face aux mesures de confinement
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/03/23/coronavirus-dans-les-quartiers-populaires-l-incomprehension-face-aux-mesures

    Si la Seine-Saint-Denis concentrait dans les premiers jours du confinement près de 10 % des infractions nationales, dans nombre de quartiers populaires de France, et principalement dans les grands ensembles, les consignes peinent à se faire respecter.

    Grappes de jeunes dans les stades de foot municipaux, adolescents qui fument la chicha aux pieds des immeubles, mères avec de jeunes enfants aux agrès… Les habitudes ont la peau dure et les conditions de vie – familles nombreuses, logements exigus et mal insonorisés, illettrisme, illectronisme… – rendent le quotidien entre quatre murs particulièrement pénible. Les relations très dégradées avec la police n’arrangent rien. Depuis le début du confinement, les échanges musclés et les tensions se multiplient.
    [...]
    Jeudi à Saint-Denis, la tension était montée dans le quartier Franc-Moisin, autour de la place Rouge, au centre du grand ensemble, entre des agents déployés sur le terrain et des habitants du quartier. « Trop difficile » d’être enfermés avec leurs frères et sœurs, avaient expliqué ces derniers. Les policiers se sont contentés de rappeler les consignes de confinement. « On fait tout pour éviter de déclencher des émeutes », assure un policier de Seine-Saint-Denis.

    « Les adolescents et les jeunes adultes sont le public le plus difficile à confiner », observe Christelle Leroy, directrice de deux centres sociaux, Belencontre et Phalempins, à Tourcoing (Nord). Les images de personnes en train de se faire bronzer à la plage, de se balader le long du bord de mer, de déambuler côte à côte sur les quais de Seine à Paris ou parmi les étals des marchés, brouillent encore un peu les cartes. « Tout ça crée beaucoup de confusion, remarque un médiateur de la ville du Nord. Ils se disent “et pourquoi pas nous ?” Ils n’ont pas la notion du danger qu’ils représentent. Ils s’amusent au chat et à la souris avec les forces de l’ordre, ça les occupe. »
    [...]
    Au-delà du message « difficile à faire passer », des conditions de vie difficiles, des réticences à suivre les règles et des relations dégradées avec la police, d’autres freins au respect des consignes existent, notamment en ce qui concerne les attestations. « Avec cette épidémie, la fracture numérique nous explose au visage », remarque Christelle Leroy, à Tourcoing, qui enchaîne les réunions virtuelles avec tous les autres directeurs de centres sociaux de la ville : « On appelle les plus fragiles, on crée des tutos, on liste le matériel dont on dispose et que l’on pourra prêter, comme les tablettes, on imprime attestations et devoirs que l’on dépose ensuite dans les boîtes aux lettres. »

    « Ils sont très nombreux, illettrés ou éloignés du numérique, à ne pas savoir ou ne pas pouvoir remplir les attestations », confirme Florian Soudain, coordinateur des Centres sociaux connectés de la métropole lilloise. Jeudi, en urgence, ils ont lancé le projet Mon centre social à la maison pour « garder le lien avec les habitants et les aider à rester chez eux », détaille M. Soudain, qui pilote le projet. Le site propose notamment des tutos vidéo pour les aider à acquérir des compétences numériques et offre une permanence téléphonique pour assister à distance les plus dépassés par la dématérialisation des démarches.

    Les habitants des quartiers populaires disposent rarement d’une imprimante et pas toujours d’un ordinateur (surtout les personnes âgées). A Poitiers, 2 000 photocopies d’attestations ont ainsi été distribuées en vingt-quatre heures dans les commerces et les boîtes à livres.

    Plusieurs villes à travers le pays ont pris des arrêtés au cours du week-end pour imposer un couvre-feu à la population la nuit. Mais la plupart des quartiers populaires de France ne sont pas concernés par ces mesures difficiles à appliquer sur le terrain. « Le problème avec le fait d’imposer un couvre-feu c’est qu’ensuite, si vous ne faites pas respecter la mesure, vous passez pour un idiot. » Certains maires, notamment en Ile-de-France, ne sont pas pressés d’en arriver là.

    #coronavirus #jeunesse #quartiers_populaires #police
    Tiens, curieusement, l’article n’évoque pas la question des #trafics et plus largement, celle de l’#économie_informelle.

  • Les municipalités face à la hausse des loyers : un thème électoral essentiel post-Covid
    https://theconversation.com/les-municipalites-face-a-la-hausse-des-loyers-un-theme-electoral-es


    PS = les fauxcialistes.

    La hausse des prix du #logement ne concerne qu’une petite partie de la ville pour le moment. Mathilde Costil, dans sa thèse portant sur les politiques de résorption du logement insalubre à Saint-Denis, explique que La Plaine est le quartier dont la mutation est la plus avancée. La partie nord de ce quartier, qu’elle qualifie de « nouvelle petite Défense », est déjà partiellement gentrifiée.

    Les candidats aux municipales s’attendent à ce que les deux « grands projets » que sont le Grand Paris Express et les Jeux olympiques fassent prendre à l’ensemble de la ville un tournant similaire à celui que connaît actuellement La Plaine. Certains déplorent cette perspective, tandis que d’autres l’appellent de leurs vœux.

    Les trois principaux candidats, Mathieu Hanotin (PS), Laurent Russier (PC) et Bally Bagayoko (LFI), sont un bon exemple de cette différence de points de vue vis-à-vis de l’évolution de la ville. Tous trois de gauche, ils mobilisent le logement comme enjeu de différenciation entre leurs programmes. Là où Bagayoko, et, dans une moindre mesure, Russier, se positionnent explicitement en candidats des classes populaires, assurant notamment de maintenir un taux de logement social autour de 40 %, Hanotin s’adresse aux classes moyennes plus ou moins nouvellement arrivées dans la ville et préconise de s’écarter du « totem des 40 % » de logement social. Les candidats ont exposé leurs positions sur ce sujet lors d’un débat organisé par France 3, en février.

    #gentrification #exclusion

  • À Montreuil, l’autodéfense populaire contre le coronavirus | des Montreuillois et Montreuilloises
    https://reporterre.net/A-Montreuil-l-autodefense-populaire-contre-le-coronavirus

    On en a fait des choses, à Montreuil, pendant le confinement, et « c’était que l’apéro ! », racontent les auteurs de cette tribune. Bénévoles engagés dans des collectifs autogestionnaires, ils témoignent de la vitalité de la culture populaire dans cette ville de l’Est parisien malgré le confinement. Source : Reporterre

  • #Coronavirus : #métaliste thématique que je mettrai à jour :

    #fascistovirus, les atteintes à nos droits fondamentaux, au prétexte de nous protéger du virus :
    https://seenthis.net/messages/832825

    #solidarité nécessaire pour les plus vulnérables d’entre nous : personnes âgées, malades, handicapées, pauvres, femmes, Palestinien.nes, étudiant.s, mal logé.es, sans domiciles, migrant.es, sans statut, sans papiers, prisonnier.es :
    https://seenthis.net/messages/832826

    Conditions de #travail scandaleuses :
    https://seenthis.net/messages/832829

    Et pour finir, un peu d’humour et d’art quand même :
    https://seenthis.net/messages/832830

  • Le confinement affame les enfants de familles pauvres | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/210420/le-confinement-affame-les-enfants-de-familles-pauvres?onglet=full

    En temps normal, les familles les plus pauvres réussissent à bricoler. Elles parviennent à se nourrir grâce au travail informel mais le confinement a porté un coup d’arrêt à leurs moyens de subsistance. Depuis cinq semaines, manger est devenu un parcours du combattant. Les associations d’aide alimentaire sont submergées, alors des réseaux de solidarité se mettent en branle. Des cagnottes sont mises en place dans des écoles pour parer à l’urgence. La fermeture de ces dernières a entraîné celle des cantines et la fin du seul repas complet et équilibré de la journée pour les enfants pauvres. Un repas souvent gratuit grâce au quotient familial, avec entrée, plat, dessert.

    La situation est grave, s’alarme Jean Merckaert, le directeur de l’action et du plaidoyer au Secours catholique : « Les plus exclus des exclus, dans les bidonvilles ou les campements, qui vivent de la mendicité et de revenus informels, ont faim. Aujourd’hui, les Roms craignent plus de mourir de faim que du coronavirus. » D’autant plus qu’au départ, il a été difficile de maintenir les distributions de repas car de nombreux bénévoles ont plus de 70 ans et sont donc à risque face au Covid-19.

    Les jeunes entre 18 et 25 ans, exclus des aides sociales, sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide du Secours catholique, note encore l’humanitaire : ceux qui vivent du travail informel, comme les femmes de ménage, ceux qui travaillent au noir sur les chantiers et ceux qui sont en situation irrégulière, toutes ces personnes hors des radars qui ne peuvent percevoir le RSA (certains bénéficient de l’ADA, l’allocation du demandeur d’asile). « C’est dramatique pour eux et cela fait aussi exploser cette hypocrisie d’accepter des personnes corvéables à merci sans leur donner le droit formel de vivre et de travailler ici. Il faut des mesures de régularisation. »

    • Laura a l’habitude de composer avec la pauvreté. Elle est professeure des écoles en REP+. Ses élèves viennent des Rosiers, dans le 14e arrondissement de Marseille, une cité du dénuement où l’on survit dans des logements vétustes qui mettent en danger la santé et la sécurité. Mais depuis que la France est confinée par la pandémie de Covid-19, les fragilités et les inégalités sociales sont exacerbées et les enfants ont faim. « Des parents me disent qu’ils jeûnent depuis des jours, une mère est anémiée, une autre n’a plus de lait pour son bébé qui boit de la tisane en attendant, une troisième m’a demandé du sel car elle fait des économies sur tout et que ça coûte 50 centimes, mais elle est à 50 centimes près. »

      En temps normal, les familles les plus pauvres réussissent à bricoler. Elles parviennent à se nourrir grâce au travail informel mais le confinement a porté un coup d’arrêt à leurs moyens de subsistance. Depuis cinq semaines, manger est devenu un parcours du combattant. Les associations d’aide alimentaire sont submergées, alors des réseaux de solidarité se mettent en branle. Des cagnottes sont mises en place dans des écoles pour parer à l’urgence. La fermeture de ces dernières a entraîné celle des cantines et la fin du seul repas complet et équilibré de la journée pour les enfants pauvres. Un repas souvent gratuit grâce au quotient familial, avec entrée, plat, dessert.

      La situation est grave, s’alarme Jean Merckaert, le directeur de l’action et du plaidoyer au Secours catholique : « Les plus exclus des exclus, dans les bidonvilles ou les campements, qui vivent de la mendicité et de revenus informels, ont faim. Aujourd’hui, les Roms craignent plus de mourir de faim que du coronavirus. » D’autant plus qu’au départ, il a été difficile de maintenir les distributions de repas car de nombreux bénévoles ont plus de 70 ans et sont donc à risque face au Covid-19.

      Les jeunes entre 18 et 25 ans, exclus des aides sociales, sont de plus en plus nombreux à solliciter l’aide du Secours catholique, note encore l’humanitaire : ceux qui vivent du travail informel, comme les femmes de ménage, ceux qui travaillent au noir sur les chantiers et ceux qui sont en situation irrégulière, toutes ces personnes hors des radars qui ne peuvent percevoir le RSA (certains bénéficient de l’ADA, l’allocation du demandeur d’asile). « C’est dramatique pour eux et cela fait aussi exploser cette hypocrisie d’accepter des personnes corvéables à merci sans leur donner le droit formel de vivre et de travailler ici. Il faut des mesures de régularisation. »

      Le gouvernement a annoncé le versement par les caisses d’allocations familiales d’une aide pour « les familles modestes avec des enfants, afin de leur permettre de faire face à leurs besoins essentiels ». Le 15 mai, les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) bénéficieront de ce coup de pouce. Chacun percevra, par virement bancaire, 150 euros, auxquels s’ajouteront 100 euros par enfant à charge. Les familles touchant des aides au logement recevront également 100 euros par enfant. Quatre millions de familles sont concernées. Or on dénombre 9,3 millions de personnes vivant dans la pauvreté en France.

      Pour Jean Merckaert, du Secours catholique, le geste du gouvernement est insuffisant car les besoins tournent plutôt autour de 250 euros par mois et par personne selon lui. Des familles se privent de nourriture. Il cite le cas de la Guyane ou de Mayotte où les associations de distribution alimentaire sont débordées. Or, l’aide promise n’arrivera que le 15 mai, soit une éternité pour ceux qui ont faim. « Les difficultés budgétaires rencontrées en fin de mois arrivent aujourd’hui à la moitié du mois. 200 euros auraient été satisfaisants. Surtout que cette période va durer au-delà du 11 mai et le début du déconfinement. Il n’est pas acquis que tous les enfants vont retourner à la cantine. »

      Le manque de réactivité du gouvernement est dû selon Jean Merckaert à l’incapacité de l’action publique à s’organiser et à renvoyer la balle à chaque ministère. « Cette période de crise sanitaire sert de révélateur des lacunes de l’action publique : on s’est rendu compte dès les premiers jours que pour tout un tas de personnes, les circuits d’aide alimentaire sont des circuits de survie et quand ça ferme, la puissance publique ne peut rien faire. »

      Au niveau local, des municipalités, comme Lille, distribuent des paniers alimentaires aux familles qui bénéficient de la cantine gratuite ou quasi gratuite. Les villes de Brest ou Paris, entre autres, ont annoncé mettre en place une aide. Marseille a tardé à réagir. Le maire Jean-Claude Gaudin a demandé à Sodexo, qui fournit la restauration collective, de rouvrir sa cuisine centrale pour distribuer 5 000 repas chaque jour aux familles les plus démunies.

      Marie-Aleth Grard, vice-présidente d’ATD Quart Monde et membre du conseil scientifique mis en place par le président de la République dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, a reçu des alertes de tout le territoire concernant les difficultés à se nourrir. « Ces familles sont à cinq euros près car tout part très vite dans le mois. Les budgets ont augmenté car il n’y a plus de cantine et les courses se font dans le magasin le plus proche, pas toujours le moins cher. »

      Son autre inquiétude concerne la fermeture des bureaux de poste qui empêche par exemple de percevoir le RSA : « Avec 1 850 bureaux de poste ouverts sur 7 000, certains sont restés sur la touche. Dans les zones très urbanisées, vous pouvez aller plus loin au pire. C’est impossible si vous habitez dans une campagne éloignée. »

      Si les situations de précarité ne la surprennent pas, Marie-Aleth Grard relève que ce confinement et ses conséquences mettent en exergue le fait que des millions de personnes vivent très mal au quotidien. Le sort de ceux qui se trouvent à la frontière de la pauvreté se dérègle dès lors qu’un événement vient gripper leur organisation.

      « Notre système ne marche pas bien. Les réseaux pallient le manque de l’État. C’est insupportable, cela veut dire que ces familles sont dépendantes des distributions alimentaires. Vous ne choisissez pas ce que vous mangez et ce que vous donnez à vos enfants dans la sixième puissance mondiale », ajoute-t-elle.

      C’est aussi le constat de Sadek Deghima, responsable du service de prévention lié à l’aide sociale à l’enfance, à Harnes, dans le Pas-de-Calais. Il constate au quotidien les ravages sociaux de la crise sanitaire. Dans cette cité minière, le taux de chômage bat des records, les habitants survivent au moyen de l’intérim ou de contrats précaires, d’heures de ménage par-ci par-là.

      La cantine scolaire ne soulage plus les parents d’un repas. Pire, le confinement change l’organisation de l’alimentation des familles. Il faut être capable de fournir plus de repas et contenir les envies de grignotage des adolescents qui vident les placards. Dans le quartier, constate Sadek Deghima, il y a une augmentation des bénéficiaires de l’aide alimentaire. Notamment parce que « tous ceux qui vivaient à peu près bien et étaient dans une zone de vulnérabilité basculent avec le confinement. La moindre rupture fait basculer dans la précarité ».

      Radja fait partie de ces familles en difficultés et ne cesse de se référer au temps d’avant, ce temps où elle arrivait à s’en sortir tant bien que mal. À 32 ans, cette mère de trois enfants de 12, 3 ans et 18 mois, est seule. Son mari a été expulsé en janvier vers leur pays d’origine au Maghreb. Elle-même est sans papiers et ne peut donc bénéficier des dispositifs sociaux. « On n’a aucun droit », résume-t-elle. « Depuis que je suis arrivée en France, je ne suis jamais tombée dans une galère comme ça. Avant, je ne contactais pas les assistantes sociales, je payais mon loyer, je me suis toujours débrouillée. Mais avec le confinement on est bloqués. »

      Elle a été serveuse, au noir, pendant plusieurs années dans un restaurant, puis elle a travaillé dans une boulangerie avant de s’arrêter lors de sa dernière grossesse. Elle a fait des ménages pour parvenir à s’en sortir, de quoi gagner quelques centaines d’euros. Depuis le départ involontaire de son époux, qui faisait vivre le foyer, Radja n’a plus de logement et est hébergée. Surtout, depuis le confinement, elle est assaillie d’angoisses.

      Souvent, elle a l’estomac noué. « Je ne mange rien, je suis démoralisée, je n’ai plus d’appétit, trop de stress. » La peur de tomber malade et l’impossibilité de faire garder ses enfants l’a conduite à cesser toute activité. Radja raconte qu’aujourd’hui, elle s’en remet aux solidarités pour nourrir ses enfants.
      La débrouille règne

      Le confinement et ses contraintes la conduisent à réorganiser ses habitudes. L’assistante sociale qu’elle a contactée lui octroie aussi 50 euros en tickets service. Avec cette somme, elle est censée tenir vingt jours. Seulement, c’est impossible. « 50 euros, ça part vite avec les couches et le lait. Je ne peux pas aller chez Lidl et Aldi car ils ne prennent pas les tickets service. Je suis obligée d’aller à Casino où tout est cher. L’assistante ne comprend pas que cela n’est pas suffisant. » La preuve, à peine a-t-elle récupéré la somme qu’il ne lui reste que 20 euros pour tenir 19 jours, soupire-t-elle.

      Elle souffre aussi de ne pouvoir garder la main sur la nourriture de ses enfants et satisfaire leurs désirs. « Avant quand je pouvais travaillais, je leur achetais tout, je me débrouillais. Aujourd’hui, ils mangent ce qu’on me donne. Dans les colis, il y a des yaourts de telle marque, mes enfants ne les mangent pas, ils ne comprennent pas. Celui de 18 mois, je peux l’arnaquer un peu mais les autres non. Je leur dis que demain je leur achèterai ce qu’ils veulent comme des chips Pringles en espérant qu’ils oublient. » L’absence de cantine grève le budget car les petits sont nourris le midi avec un repas complet. Il faut préparer tous les repas à domicile, goûter inclus.

      Laurence est enseignante dans une école maternelle en REP + qui accueille 270 élèves et compte dix enseignants dans le 1er arrondissement de Marseille, mobilisés pour aider les familles. Dès la fermeture des écoles, le 16 mars, ses collègues et elle se sont réparti les parents à appeler et les familles les plus en difficultés. Quatorze d’entre elles ont été ciblées. Aujourd’hui, 35 sont aidées.

      « On les connaît mais on en a découvert beaucoup d’autres, pas celles à qui on pensait forcément. D’habitude, ce sont les assistantes sociales qui nous contactent et qui prennent le relais. Au début, les parents nous disaient “tout va bien”. »

      Puis Laurence a reçu des messages de mères de famille, lancés comme des bouteilles à la mer. Elles demandaient s’il était possible de récupérer des Ticket-Restaurant pour faire quelques courses. Entre les lignes, Laurence comprend que les petits ont faim et que leurs parents ne savent pas trop vers qui se tourner. Surtout que la Ville de Marseille n’a rien mis en œuvre.

      « On a tous donné de l’argent avec les collègues mais on a vite vu qu’on n’allait pas y arriver avec nos deniers personnels et surtout on a attendu en vain que la mairie mette en place une aide alimentaire. On est cinq ou six à faire les courses pour les familles les plus précaires. »

      Mais l’organisation est lourde, surtout qu’il faut continuer à assurer le quotidien et travailler à distance. La débrouille règne, raconte Laurence : « Une collègue a trouvé un boucher sympa qui nous a donné du poulet, ses invendus, pour une dizaine familles. On essaie aussi de récupérer des paniers de fruits et légumes. »

      Zazi*, 39 ans, deux enfants de 7 et 4 ans, vit aussi dans le 1er arrondissement. Atteinte d’une maladie auto-immune, qui affaiblit ses défenses immunitaires, elle ne peut ni travailler ni sortir en ce moment. Confinement strict. D’ordinaire, son époux fait vivre la famille en prêtant main-forte, sans être déclaré, dans un restaurant. Il est actuellement au chômage technique. Avec un budget serré, Zazi parvient à faire des courses en temps normal, qui durent autant que possible. « D’habitude, je me gère bien, je vais à Lidl, je dépense 60 euros là-bas, puis j’achète 50 euros de légumes et de viande. »

      Mais aujourd’hui le couple, sans papiers, n’a plus de revenus. Zazi raconte avoir essuyé des remarques racistes de la part d’une assistante sociale qui lui a demandé pourquoi elle était venue en France « pour galérer ». Elle en est sortie en larmes.

      Quand le confinement est tombé, elle n’a pas souhaité solliciter d’aide. Une de ses voisines, connaissant sa situation précaire, l’a aidée spontanément. « Elle m’a emmenée à Carrefour pour faire des courses, elle a dépensé 200 euros. Ma voisine m’a pris des goûters, des jus, de la viande, elle sait que je suis malade et que je dois bien manger, sinon je suis trop faible. » Puis les provisions ont fondu. L’assistante sociale ne l’aide toujours pas, assure-t-elle. « Je stressais par rapport à ce qui nous attend et aussi parce que je me demandais comment j’allais faire manger les enfants. » Au bout d’un mois de confinement, elle est arrivée au bout de ses ressources. « Les petits me demandaient un gâteau, une pizza. Je n’avais rien pour leur faire, même pas un œuf, de l’huile ou du sucre. » C’est ainsi qu’elle a l’idée de contacter l’enseignante de son fils. Celle-ci doit bien avoir des connaissances, une possibilité afin de l’aider à obtenir de la nourriture pour ses enfants…

      Laura, l’enseignante du 14e arrondissement, a réalisé la gravité de la situation par un concours de circonstances. N’arrivant plus à communiquer à distance avec une mère arabophone alors que de visu, les deux femmes parviennent à se comprendre, elle demande à sa propre mère, qui parle l’arabe, d’appeler celle-ci de sa part afin de s’assurer que tout va bien. « Elles ont commencé à échanger, raconte Laura, et cette mère en rupture totale de revenus s’est sentie à l’aise avec la mienne et lui a dit qu’elle n’avait plus rien à manger. Elle n’avait pas en face d’elle une enseignante, quelqu’un qui allait la juger ou pire la signaler en information préoccupante. Ma mère m’a dit de retirer de l’argent pour elle et de lui faire un sac de courses. »

      Laura s’exécute et en parle à sa collègue. Les deux femmes établissent une liste des familles possiblement en difficulté, une trentaine. Elles ouvrent une cagnotte car elles comprennent qu’elles n’auront pas les moyens de nourrir tout le monde. Aujourd’hui, 120 familles bénéficient de cette aide alimentaire.

      Laura et sa binôme sollicitent aussi les pouvoirs publics, comme la métropole ou la déléguée du préfet. Cette dernière leur permet de récupérer des dons matériels et de prendre langue avec le directeur du centre social du 14e arrondissement, qui devient un point de distribution et de récupération des livraisons. Une demande de subvention à la Fondation de France a été faite et des contacts ont été établis avec les acteurs traditionnels, comme la Croix-Rouge ou les Restos du cœur.

      Les colis, « l’équivalent d’un chariot de courses », comprennent des fruits, des légumes mais aussi du chocolat pour adoucir le quotidien. « On veut que les bénéficiaires aient le choix et la liberté de ce qu’ils mangent. On a ouvert une autre cagnotte pour aider les familles à payer leurs loyers en liquide. »

      Les difficultés du confinement sont amplifiées par l’exiguïté des logements et leur insalubrité parfois avec de l’humidité, des cafards et des souris. Il est impossible à ces familles de faire du stock. Les produits premier prix sont pris d’assaut.

      Même les familles qui d’ordinaire parviennent à ne pas avoir recours à l’aide alimentaire s’y résolvent. C’est le cas de Valérie, 43 ans, qui habite près de Brest. À 43 ans, cette ATSEM, en intérim, a dû cesser de travailler. Des problèmes de santé l’ont laissée handicapée. Son mari travaille comme garde à domicile. Il est au chômage partiel depuis le début du confinement. Il a travaillé en moyenne une journée et demie, cette semaine, à temps complet. Elle ne sait pas s’il aura droit à une compensation. Leur fille de 14 ans, qui vit en internat d’habitude, est rentrée chez eux, obligeant le couple à réajuster son budget nourriture.

      Cette famille vit au seuil de la pauvreté. Valérie perçoit 900 euros d’allocation adulte handicapé, son mari 600 euros, le prix de leur loyer. Une erreur de déclaration les prive d’APL. Ils n’ont plus droit à la CMU car son mari « travaille trop » désormais.

      Une fois les charges payées et les différents frais réglés, il leur reste 150 euros pour manger tout le mois. Avec leur perte de revenus, le confinement les contraint à avoir recours aux aides du Secours populaire ou ATD Quart Monde.

      « Ça nous aide beaucoup. On ne peut pas acheter ce qu’on veut. Je n’aime pas trop priver ma fille de nourriture ou de goûter. Elle me demande des frites, mais sans pommes de terre je ne peux pas lui en faire. Pareil quand elle demande des gâteaux trop chers ou un paquet de bonbons. »
      De Brest à Marseille, la solidarité joue son rôle

      En ces temps de disette, Valérie fait son pain elle-même. Elle se résout à cuisiner « ce qu’il y a dans les placards » grâce à l’aide alimentaire, soit des pâtes, des haricots verts, du riz, de la farine. Il y a aussi des gâteaux, une fois de la viande.

      Forcément, les repas sont moins équilibrés que d’ordinaire, plus caloriques. Or, Valérie est censée perdre du poids eu égard à ses problèmes de santé…

      Les complications financières, les difficultés à aider sa fille, atteinte d’une déficience intellectuelle, à faire ses devoirs, pèsent sur le moral de Valérie. Alors elle ne regarde plus les informations pour diminuer son anxiété, et pour se sortir la tête de ces problèmes, elle s’est portée volontaire pour téléphoner aux personnes isolées aidées par ATD Quart Monde. Elle a aussi proposé de donner des draps pour fabriquer des masques, ne pouvant donner de la nourriture.

      De Brest à Marseille, la solidarité joue son rôle. Charlotte est bénévole de l’association Aouf, une plateforme en ligne qui met en lien ceux qui aident et ceux qui ont besoin de ce soutien. Cette initiative est née à la fin 2018 après le drame de la rue d’Aubagne et a permis d’aider les sinistrés. Avant l’épidémie, leur réseau comptait 150 bénévoles. Aujourd’hui, 500 personnes sont volontaires pour prêter main-forte.

      Depuis le début du confinement, l’idée, explique Charlotte, est d’être en appui des associations afin de cibler au mieux les actions à mener. Elle détaille : « On relaie les demandes. Emmaüs vient de lancer une collecte de couches et lait infantile, donc Greg, l’un des fondateurs, est en contact avec les associations locales. Il se renseigne sur les demandes des familles. Par exemple, il demande la taille des couches dont elles ont besoin, et les transmet à Emmaüs. On fait aussi de l’appel aux dons. »

      Maud est une mère d’élève du 1er arrondissement, un quartier déshérité de Marseille. En décembre, elle crée avec d’autres parents une association de parents d’élèves pour mettre en place des activités, abonder la coopérative, financer le centre de loisirs et se rencontrer. Aujourd’hui, la cagnotte sert à nourrir des familles en détresse. Plus de 30 familles ont bénéficié des paniers de courses.

      Sitôt la sidération de l’irruption du Covid-19 passée, Maud se rappelle qu’une petite fille de l’école dort dans une voiture avec ses parents. La famille est déjà venue prendre des douches chez elle. Elle se dit qu’ils doivent être dans une situation délicate. Elle n’a pas réussi à les joindre. Une amie de Maud a laissé son appartement vide. Une autre famille de l’école s’y est installée.

      « L’enjeu pour les familles, explique Maud, va être de pouvoir payer leur loyer. Donc on va leur donner de l’argent liquide pour qu’elles puissent le faire. C’est une situation compliquée qu’on ne peut parfois pas voir. C’est pire que ce qu’on pensait car ces familles sont pudiques dans ce qu’elles vivent, ce qui est logique et normal. »

      Les besoins sont élevés, les demandes d’aide affluent de toute part. Charlotte donne aussi un coup de main au McDonald’s réquisitionné à Marseille (lire l’article de Khedidja Zerouali), qui a distribué 1 300 colis de pâtes, riz, lait et chocolat pour les enfants la semaine dernière. Elle considère que, au regard de l’urgence de la crise, il est nécessaire que les initiatives militantes suppléent le travail des associations historiques plus installées.

      « J’admire leur travail. Notre avantage, c’est que nous sommes plus réactifs, car affranchis des pesanteurs administratives. On offre aussi une aide sans condition, on ne pose pas de questions, on essaie d’interroger les bénéficiaires sur leurs besoins. On veut aussi préserver leur dignité. On essaie au maximum, en respectant les règles sanitaires, d’apporter les colis chez les gens, pour éviter le mur de la honte et de faire la queue dehors devant tout le monde. »

      Dans son école au cœur de la cité des Rosiers, dans le 14e arrondissement à Marseille, Laura est encore trop prise pour manifester sa colère. « Je fais à titre bénévole des choses des services de l’État. À un moment, il faudra régler les comptes, là il y a l’urgence. » Elle se félicite que dans ce marasme économique, une solidarité parvienne à émerger, cite ces parents démunis qui l’ont aidée à participer à l’identification des bénéficiaires et aident eux-mêmes à la distribution des vivres.

      « Ce ne sont pas que des consommateurs, il faut le dire. Des personnes en difficulté à qui on donnait des colis m’ont signalé des gens encore plus dans la galère qu’eux et ont préféré qu’on leur donne à eux. Une mère m’a dit qu’elle pouvait m’aider pour la traduction en comorien, d’autres aident à la distribution physique et à la manutention. Il est aussi difficile d’avoir les familles roms au téléphone. Une maman est allée voir ces familles en caravane pas identifiées. Elle a fait une fiche sur chaque famille pour connaître la composition et les besoins de chacune d’entre elles. »

      Laurence, l’enseignante de l’école maternelle du 1er arrondissement, a vidé l’école et distribué aux élèves des stylos, des crayons, des puzzles, tout ce qu’ils ne possèdent pas pour pouvoir faire des exercices. Elle en veut aux pouvoirs publics. « Ils ont laissé les gens dans la galère, planifié un confinement du jour au lendemain sans penser aux familles en difficulté. Le gouvernement n’a rien fait. On aurait pu travailler ensemble pour répertorier les familles précaires. Certaines n’ont même pas de compte bancaire, comment vont-elles faire pour percevoir la prime d’aide ? »

      Radja se demande ce qu’elle aurait fait sans ces réseaux de solidarité. Les colis que lui font parvenir « deux dames d’une association qui n’est pas dans mon secteur » adoucissent un peu la période. Ils contiennent du thon, des pâtes, du chocolat, des légumes, même des jouets, produits d’hygiène convoités comme du shampooing. En échange, pour se sentir utile et parce qu’elle aime bouger, elle est secrétaire bénévole dans les associations qui l’aident.

      Dans le bassin minier, comme le confie Sadek Deghima, « il y a toujours eu cette tradition de partage et de solidarité, dans l’ADN des habitants, et cela se renforce en temps de crise ». Des familles sollicitent son équipe pour les accompagner faire leurs courses car, à Harnes, il faut prendre le bus ou la voiture pour aller au supermarché. En pleine épidémie, les familles rechignent à utiliser les transports en commun et beaucoup n’ont ni permis de conduire ni voiture.

      « Il y a aussi la fracture numérique, ajoute-t-il. On voit tous les gamins connectés mais là beaucoup n’ont pas d’ordinateur et ont honte de le dire. Il y a beaucoup de pudeur, surtout qu’on part souvent de problèmes de devoirs et puis finalement, les familles, souvent des mères célibataires, nous parlent de leurs difficultés à faire les courses. »

      Sadek Deghima et ses collègues ont récupéré des ordinateurs et des tablettes et les ont mis à disposition des familles qui en étaient dépourvues. « C’est une fenêtre sur l’extérieur pour gamins confinés. » Le travailleur social a aussi décidé de distribuer des jeux de société, le temps du confinement pour offrir un peu de répit à ces enfants.

  • QUARTIERS POPULAIRES : NOUS NE SOMMES PAS UN RISQUE | Le Club de Mediapart (10 mai 2020)
    https://blogs.mediapart.fr/papinoumam/blog/100520/quartiers-populaires-nous-ne-sommes-pas-un-risque

    L’exclusion sociale et politique place les habitants de ces quartiers dans un confinement permanent en les exhibant comme au temps des zoos humains. Elle les expulse hors de nos territoires protégés et hors de l’histoire.

  • Autrefois, les révoltes urbaines avaient pour cibles les usines et les patrons. Désormais, elles s’en prennent aux institutions publiques. Que s’est-il passé entre temps ? #urbain #banlieues #révoltes

    https://sms.hypotheses.org/24721

    Dans quelle mesure les formes de radicalités politiques rencontrées dans les quartiers populaires sont-elles nouvelles ? Qu’est-ce qui sépare ou rapproche les insurrections ouvrières de l’entre-deux-guerres des révoltes urbaines d’aujourd’hui ? À quoi correspondent les comportements violents attribués aux jeunes des quartiers populaires ?

    Si dans l’entre-deux-guerres les insurrections ouvrières attribuées au parti communiste sont récurrentes et avaient pour cible les usines et le patronat, les révoltes urbaines actuelles montrent du doigt les institutions républicaines comme la police et l’État. Questionner la métamorphose des conflits dans les banlieues populaires, du monde ouvrier en particulier et des classes populaires en général, est essentielle pour comprendre les nouvelles formes de radicalisation politique.

    Certes, les ouvriers sont encore nombreux sur le marché du travail (...)

  • La #colère des #quartiers_populaires est #légitime - Bondy Blog
    https://www.bondyblog.fr/societe/police-justice/la-colere-des-quartiers-populaires-est-legitime

    La veille au soir, un homme a failli perdre sa jambe à Villeneuve-la-Garenne après une violente tentative d’interpellation policière et c’est bien cela qui a mis le feu aux poudres.

    Les populations qui vivent dans les quartiers populaires sont en première ligne face à la crise sanitaire : elles sont parmi celles qui travaillent dans les « secteurs essentiels », celles qui permettent à notre #société de ne pas s’effondrer aujourd’hui.

    Pourtant, les #inégalités sociales, déjà criantes, sont renforcées par la gestion du coronavirus et vont exploser avec la crise économique et sociale à venir. Ce dont témoigne déjà, entre autres, la surmortalité particulièrement élevée en Seine-Saint-Denis depuis le début de l’épidémie.

    Les discriminations racistes, déjà insupportables, sont renforcées par l’impunité policière et les violences et humiliations se multiplient dans les quartiers populaires. On peut y ajouter le couvre-feu discriminatoire imposé aux habitant·es de ces quartiers par la ville de Nice. Ces injustices flagrantes sont documentées, nul ne peut les ignorer.

    Alors nous le disons très clairement : nous refusons de renvoyer dos-à-dos les révoltes des populations dans les quartiers populaires et les graves et inacceptables violences policières qui les frappent.

    Nous n’inversons pas les responsabilités et nous le disons tout aussi clairement : ces révoltes sont l’expression d’une colère légitime car les violences policières ne cessent pas.

    Les inégalités et les discriminations doivent être combattues avec vigueur et abolies : avec les populations des quartiers populaires, nous prendrons part à ce juste combat pour l’égalité, la justice et la dignité

    • Premières organisations signataires :

      ACORT, Assemblée citoyenne des originaires de Turquie
      ATTAC, Association pour la taxation des transactions financières et l’action citoyenne
      ATMF, Association des travailleurs maghrébins de France
      Brigades de solidarité populaire Île-de-France
      CCIF, Collectif contre l’islamophobie en France
      Cedetim, Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale
      CGT, Confédération générale du Travail
      CGT de la Cité nationale de l’Histoire de l’immigration
      Collectif de la Cabucelle, Marseille
      Collectif du 5 novembre – Noailles en colère, Marseille
      Collectif du 10 novembre contre l’islamophobie
      Comité Adama
      CNT-SO, Confédération nationale du Travail-Solidarité ouvrière
      CRLDHT,Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie
      Ensemble !
      FASTI, Fédération des Associations de solidarité avec toutes et tous les immigré·es
      Fédération SUD éducation
      Fédération SUD PTT
      Fédération SUD-Rail
      Féministes révolutionnaires
      Femmes égalité
      Femmes plurielles
      FO Sauvegarde de l’enfance 93
      FTCR, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives
      FUIQP, Front uni des immigrations et des quartiers populaires
      JJR, Juives et juifs révolutionnaires
      Marche des solidarités
      Mémoires en marche, Marseille
      Mouvement La révolution est en marche
      Mwasi, Collectif Afroféministe
      NPA, Nouveau parti anticapitaliste
      Le Paria
      PCOF, Parti communiste des ouvriers de France
      PEPS, Pour une écologie populaire et sociale
      SNPES-PJJ FSU, Syndicat national des personnels de l’éducation et du social PJJ de la FSU
      SQPM, Syndicat des quartiers populaires de Marseille
      UCL, Union communiste libertaire
      Union locale villeneuvoise, Villeneuve-Saint-Georges
      UJFP, Union juive française pour la paix
      Union syndicale Solidaires
      UTAC, Union des Tunisiens pour l’action citoyenne

      #coronavirus #quartiers_populaires #France #solidarité #racisme #classisme #violences_policières

      Voir compile des effets délétères indirects de la pandémie :
      https://seenthis.net/messages/832147