• @raspa Et comme Silvia Federici a été interviewée par Radio Parleur, tu peux aussi lire ses réponses intéressantes ici :
      https://radioparleur.net/2019/06/18/capitalisme-patriarcal-entretien-avec-silvia-federici-feminisme

      On critique souvent le fait que je ne parle essentiellement que des femmes dans mes écrits ; or ce sont bien les femmes qui se mobilisent le plus sur ce terrain, aujourd’hui. Si les hommes les rejoignent, c’est tant mieux. Ce sont aussi les femmes qui sont en première ligne en train de s’opposer aux politiques extractivistes, car elles voient que lorsque les eaux sont contaminées, que les forêts sont détruites, il n’y a plus de futur possible pour la communauté.

      (mais elle explique surtout comment elle a dépassé Marx pour forger le concept de travail reproductif. Et tout le reste de l’article est super intéressant !)

      Dans l’analyse marxiste comme dans la société capitaliste, le travail domestique est considéré une affaire de femmes, invisibilisé et naturalisé. Or, il relève bien d’une construction sociale et historique, qui en l’état bénéficie en priorité non pas à la famille, mais surtout aux employeurs. Sans lui, ces derniers auraient à créer toute une infrastructure reproductive permettant aux travailleuses et travailleurs de se présenter chaque jour sur le lieu de travail salarié. Lorsqu’on parle de travail domestique, on parle donc d’un type particulier de production : la production du producteur.

  • @raspa Article intéressant de critique du terme de « masculinité toxique » : j’ai eu un peu peur au début, mais en réalité il y a des réflexions super intéressantes sur comment lutter contre le patriarcat sans utiliser le féminisme pour renforcer des oppressions racistes ou classistes sur les hommes non-privilégiés
    https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-masculinite-toxique-nouvel-avatar-dune-critique-inefficace-des-rap

    • C’est un colloque et c’est sur 3 jours, 16-17-18 janvier
      Colloque « Faire face aux discriminations. Expériences et (dé)mobilisations dans les quartiers populaires »
      http://ceraps.univ-lille2.fr/fileadmin/user_upload/enseignants/Talpin/20190116-18_-_COLLOQUE_FAIRE_FACE_AUX_DISCRIMINATIONS.pdf

      (j’ai demandé à @aude_v si elle connaissait des personnes pouvant m’héberger. Je ne sais pas non plus si ce colloque intéresse d’autres personnes vers Lille : @sandburg, @tintin, ... ?)

      Faire face aux discriminations
      Expériences et (dé)mobilisations dans les quartiers populaires
      Lille, 16-18 janvier2019
      Le colloque se déroulera à l’Université de Lille, 1 place Déliot à Lille, M° Porte de Douai.

      Colloque organisé par Julien Talpin et le collectif D.R.E.A.M. (Discriminations, racismes, engagements et mobilisations)

      Ce colloque constitue l’évènement scientifique de clôture du projet de recherche ANR EODIPAR (“Expérience des discrimination, participation et représentation”) coordonné par le collectif DREAM (Discriminations, racismes, engagements et mobilisations).
      Les premières et troisième journées seront consacrées à la présentation des résultats de l’enquête collective comparative menée dans neuf quartiers populaires en France (Le Blanc Mesnil, Lormont, Mistral à Grenoble, Roubaix, Vaulx-en-Velin, Villepinte) en Angleterre (Londres), au Canada (Montréal) et aux Etats-Unis (Los Angeles) entre 2015 et 2018. Reposant sur 250 entretiens biographiques et l’observation d’une quinzaine de collectifs militants et de dispositifs d’action publique, ces recherches seront discutées par des cherheur.e.s spécialistes de ces questions.
      La deuxième journée d’étude, ouverte suite à un appel à communication, sera consacrée à la question des formes de disqualification et de répression qui affectent les mobilisations de minorités et issues de quartiers populaires.

      Le collectif DREAM (Discrimination, Racisme, Engagements et Mobilisations) est composé de : Hélène Balazard, Marion Carrel, Angéline Escafré-Dublet, Virginie Guiraudon, Samir Hadj Belgacem, Camille Hamidi, Sumbul Kaya, Alexandre Piettre, Anaïk Purenne Guillaume Roux, Julien Talpin

      16 janvier 2019
      Faire l’expérience des discriminations :
      Incidences sur les trajectoires et rapport au politique

      17 janvier 2019
      Démobiliser les quartiers populaires
      Répression, disqualification et cooptation comme stratégies de gouvernement

      18 janvier 2019
      Lutter contre les discriminations : stratégies,
      répertoires et changement social

      (je mettrai tout le programme si j’ai le temps, et sinon, n’hésitez pas.)

    • ok, c’est bon pour le logement et voilà !
      Si y’a des personnes intéressées (ça commence ce mercredi matin) :

      ENTREE GRATUITE

      LIEU : Université de droit-Campus Moulins, 1 place Déliot, Lille
      Salles :
      le 16/01 : Salle GUY DEBEYRE (Bâtiment A, 3ème étage, salle A.3.01)
      les 17 et 18/01 : AMPHI CASSIN (Bâtiment T, rez-de-chaussée)

      INSCRIPTION OBLIGATOIRE dans le plan Vigipirate
      Ecrire à l’adresse mail suivante : eodipar@gmail.com en communiquant votre identité afin d’avoir accès aux salles du colloque.
      Par précaution, avoir une pièce d’identité à présenter si besoin.

      http://ceraps.univ-lille2.fr/en/colloque-faire-face-aux-discriminations.html

      (je taggue aussi @raspa & @georgia , c’est à Lille cette semaine)

      #discriminations #quartiers_populaires #luttes

  • @raspa
    Deux réflexions intéressantes, déjà croisées ailleurs mais ici joliment formulées, sur l’Histoire, le récit historique, et sa « vérité » :

    1 - Etienne Davodeau et Sylvain Venayre sont venus à La Fabrique de l’Histoire pour parler de La Balade nationale (toujours pas lu...). Ils expliquent comment ils ont cherché à déconstruire les images d’Épinal du « roman national », sans en imposer de nouvelles, et parlent de leurs astuces pour faire réfléchir le lectorat sur la façon dont on représente des personnages historiques dont on n’a à peu près aucune description physique (Jeanne d’Arc, Vercingétorix...).
    Intéressant aussi, leur parti pris de créer une fiction rocambolesque pour marquer une distinction claire avec les éléments historiques scientifiques présentés dans la BD ; se distinguant là, expliquent-ils, des histoires de roman national, où on prend les recherches historiques en comblant le vide avec de la fiction mais sans signaler ce qui relève de l’un ou de l’autre... Ça m’a évoqué le travail mené dans Petite histoire des colonies françaises où finalement, la distinction fiction/réalité n’est pas toujours si simple malgré l’ironie, le second degré et les inventions énormes, puisque l’Histoire elle-même est tellement faite d’horreurs et d’énormes monstruosités qu’on peut s’y perdre si on n’a pas quelques repères...

    Ils expriment aussi clairement quelque chose qui me saute de plus en plus souvent aux yeux : à quel point notre vision de l’Histoire de France d’avant 1800 est totalement déformée par le filtre historiographique du XIXe siècle. Et ils cherchent à dépasser ça.

    Ah, et puis à 32’, à ne pas louper, une chanson des années 80 sur Vercingétorix chantée par des collégiens : le roman national en chanson, c’est... grandiose
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/la-bd-entre-dans-lhistoire-44-lhistoire-dessinee-de-la-france

    2 - Dans No Home de Yaa Gyasi (https://calmann-levy.fr/livre/no-home-9782702159637) , un des personnages est prof d’Histoire au Ghana, dans un lycée de garçons. Il a une énorme cicatrice sur le visage, depuis son enfance, suite à un incident raconté dans un précédent chapitre :

    C’était la dixième année qu’il enseignait dans cette école. [...]
    « Qu’y a-t-il d’écrit au tableau ? » demanda Yaw [...] Cette fois-ci, un élève de très petite taille du nom de Peter leva la main.
    « Il y a écrit : l’histoire est un récit », répondit Peter. Il sourit, sans plus contenir son excitation.
    « L’histoire est un récit » répéta Yaw. Il s’avança dans les allées entre les rangées de sièges, s’obligeant à regarder chaque garçon dans les yeux. Une fois qu’il eut terminé et qu’il se tint debout au fond de la classe, où les élèves seraient obligés de se tordre le cou pour le voir, il demanda : « Qui aimerait raconter l’histoire du jour où j’ai eu ma cicatrice ? »
    Les élèves se tortillèrent, soudain amorphes et hésitants. Ils se scrutaient les uns les autres, toussaient, détournaient les yeux.
    « Ne soyez pas gênés, dit Yaw tout sourire à présent, hochant la tête pour les encourager. Peter ? » demanda-t-il. Le garçon, qui avait été si heureux de parler quelques secondes auparavant, eut un regard implorant. Le premier jour avec une nouvelle classe était toujours le préféré de Yaw. [...]
    – On raconte que vous êtes né dans le feu, commença-t-il. C’est pour ça que vous êtes si intelligent. Parce que vous avez été éclairé par le feu.
    – Un autre ?
    Timidement, un dénommé Edem leva la main : « On dit que votre mère luttait contre des esprits mauvais d’Asamando. »
    Suivit William : « Il paraît que votre père était tellement triste de la défaite des Ashantis qu’il a maudit les dieux, et que les dieux se sont vengés »
    Un autre, du nom de Thomas : « J’ai entendu dire que vous vous l’êtes faite vous-même, pour avoir quelque chose à dire le premier jour de la classe. »
    Tous les garçons éclatèrent de rire, et Yaw dut dissimuler son envie d’en faire autant. L’histoire de sa leçon s’était répandue, il le savait. Les élèves plus âgés avaient prévenu certains des plus jeunes à quoi s’attendre de sa part.
    Pourtant, il continua, regagna l’estrade pour observer sa classe, des garçons intelligents venus d’une Côte-de-l’Or plongée dans l’incertitude, apprenant le livre des Blancs d’un homme couturé de cicatrices.
    « Laquelle de ces histoires est exacte ? » leur demanda-t-il. [...]
    « Monsieur Agyekum, nous ne pouvons pas savoir quelle histoire est exacte ». Il regarda le reste de la classe qui comprenait lentement. « Nous ne pouvons pas savoir quelle histoire est exacte parce que nous n’étions pas là ».
    Yaw hocha la tête. Assis sur le devant de la classe, il observa tous les jeunes garçons. "C’est le problème de l’histoire. Nous ne pouvons pas connaître ce que nous n’avons ni vu ni entendu ni expérimenté par nous-mêmes. Nous sommes obligés de nous en remettre à la parole des autres. Ceux qui étaient présents dans les temps anciens ont raconté des histoires aux enfants pour que les enfants sachent, et qu’eux-mêmes puissent raconter ces histoires à leurs enfants. Et ainsi de suite, ainsi de suite. Mais maintenant nous arrivons au problème des histoires conflictuelles. Kojo Nyarko dit que les guerriers qui arrivèrent dans son village portaient des tuniques rouges, mais Kwame Adu dit qu’elles étaient bleues. Quelle histoire faut-il croire alors ? [...] Nous croyons celui qui a le pouvoir. C’est à lui qu’incombe d’écrire l’histoire. Aussi, quand vous étudiez l’histoire, vous devez toujours vous demander : « Quel est celui dont je ne connais pas l’histoire ? Quelle voix n’a pas pu s’exprimer ? » Une fois que vous avez compris cela, c’est à vous de découvrir cette histoire. A ce moment-là seulement, vous commencerez à avoir une image plus claire, bien qu’encore imparfaite." [...]
    « Mais monsieur Agyekum, sah, vous ne nous avez pas raconté l’histoire de votre cicactrice » [...]
    [Yaw] conclut : « Je n’étais qu’un bébé. Tout ce que je sais, je l’ai entendu dire. »

    Voilà, j’ai trouvé ça bien dit, et pédagogiquement intéressant d’utiliser un fait qui ne peut pas être dissimulé sur le physique du prof, et source de questionnements voire moqueries par les élèves, pour faire une leçon sur la matière elle-même...
    Par ailleurs, j’ai trouvé ce livre fabuleux (même si Calmann-Lévy doit faire de grosses économies dans son département correction, grrr), il donne envie d’explorer plein de champs sur l’histoire de l’esclavage, notamment sur le démarrage du circuit de la traite en Afrique (et ça me donne envie de revoir Roots aussi).

  • @raspa
    Une fille confronte une de ses anciennes relations à son comportement de l’époque, dans la foulée de #MeToo : remarques négatives, coups de pression pour coucher ensemble... et revient sur sa propre incapacité à dire non à l’époque, où elle avait 18 ans et peu d’expérience.
    Fort intéressant, avec exemple d’un gars pas le pire, mais qui rentre bien dans les critères de #BalanceTonPorc, et qui peu à peu évolue (lentement) : à écouter !
    https://www.arteradio.com/son/61660257/retrouve_ton_porc

  • Je n’ai pas dit non une seule fois – Binge Audio
    https://www.binge.audio/je-nai-pas-dit-non-une-seule-fois

    C’est l’histoire d’une jeune femme, Loulou Robert. A l’âge de 18 ans, alors qu’elle venait de commencer le mannequinat, elle a eu des relations sexuelles avec un photographe de mode, lors d’une séance de photo de nu ; elle accepte ensuite de revoir cet homme plusieurs fois.

    Et aussi

    Stupéfiant !
    Le nu après #MeToo
    https://www.france.tv/france-2/stupefiant/stupefiant-saison-3/814089-le-nu-apres-metoo.html

    #mannequinat #viol

  • @raspa Je prends enfin le temps de lire les numéros de la revue Timult que j’ai acheté au printemps. https://timult.poivron.org
    Dans le n°10, dernier en date, il y a une discussion sur les questions de transformation sociale, avec ces 2 illustrations que je trouve très éclairantes : un vrai guide pour l’action pour les mouvements militants, d’autant que cette image de tabouret vite bancal sans ses 3 pieds est particulièrement frappante !

    Par ailleurs :
    – Ça me rassure sur le fait de penser que mettre en place des alternatives sans arrière-fond politique, c’est bien pour soi mais clairement insuffisant (oups, je vais encore taper sur les Colibris)
    – Pour autant, on peut avoir un mouvement équilibré où tout le monde ne fait pas tout : parce qu’on peut pas tout faire, qu’on n’est pas à l’aise dans tout, qu’on n’a pas envie... Franchement, je comprends qu’après des années épuisantes de rapport de force, certain.e.s aient seulement envie de construire des alternatives positives, déléguant la « lutte » plus directe à d’autres. S’il y a communication et soutien mutuel entre les 3 pieds d’une même organisation / d’une même mouvance, ça tient la route en fait.
    – Ça renforce ma conviction qu’il faut agir pour une diversité sociale réelle dans les mouvements que je fréquente. Partir des savoirs des gens qu’on veut toucher/intégrer paraît une très bonne piste (déjà, ça oblige à supposer qu’ils ont des savoirs, et qu’ils sont capables de nous les transmettre... et pas qu’on doit leur délivrer la bonne parole ou qu’ils vont voler nos livres si tu vois ce que je veux dire... Un excellent garde-fou ! :-) )

    J’ai presque envie d’en faire des grandes affiches pour ton boulot et pour les locaux associatifs que je fréquente !

    https://lh3.googleusercontent.com/DxhPxhtxpfL1hh_oeEk_eqPT8zznWpPbK2CrBFqoUKs0kz2Awl-3om3cSPrR_

    https://lh3.googleusercontent.com/D5HLlkbgV2GwNcOn2CYgzr58F08LErMhTXbfY70-8uXfYyPxQGlEl8ZsbZrLd

  • @raspa Une excellente réponse de Titiou Lecoq aux dernières conneries enthoviennes :

    Ses raisonnements sont logiques et pourtant, ils aboutissent souvent à un non-sens. Comment ce miracle rhétorique est-il possible ?

    http://www.slate.fr/story/166898/raphael-enthoven-homme-universel-raisonnement-rapports-domination-privileges

    Au-delà du minutieux décortiquage de ses derniers propos et d’autres plus anciens (et des hypnotiques illustrations), je trouve surtout que tout l’article constitue au final une excellente explication de la notion de privilège social.
    (c’est moi qui graisse)

    Sur la pensée « hors tout » :

    En fait, il y a un point de décrochage qu’on peut retrouver dans la plupart de ces raisonnements. Raphaël Enthoven pense hors de tout, en maniant de purs concepts hors situation, mais surtout hors historicité et donc hors rapport de force. Revenons sur l’écriture inclusive qu’il avait pourfendue partout. [... blablabla "lacération de la Joconde"], « penser qu’on va modifier la langue par un décret (et en vertu d’une morale) relève, à mon sens, d’une ambition totalitaire avantageusement recouverte par le souci de lutter pour l’égalité hommes-femmes ». Ses arguments oubliaient notoirement que ladite langue avait précédemment été nettoyée par les académiciens, passée au filtre de la misogynie avec décrets, ambition totalitaire et soucis d’ordre moral. Non seulement Raphaël Enthoven pense la langue comme un objet mémoriel, donc figé et atemporel, mais en prime, il ne connaît pas l’histoire de cette langue qu’il prétend défendre.

    Comme l’illusion d’optique fait fi de certaines réalités du monde physique.

    Sur l’illusion de l’égalité entre lui et l’ensemble des autres êtres humains :

    Je crois que quand [4consonnes&3voyelles] veut débattre avec [Rokhaya Diallo] en public sur Twitter, il est sincèrement convaincu qu’ils sont sur un pied d’égalité. Ce qui est faux en terme de situation. À chaque fois qu’il l’apostrophe, elle se prend des torrents de boue dont il n’a pas idée. Il n’a pas conscience que sur internet, il jouit d’un confort qu’elle n’a pas.

    Ça me rappelle une conversation avec mon père : on parlait d’une copine de mon frère bien connue par toute la famille qui avait bien galéré à une rencontre de boulot, (en gros personne l’écoutait alors qu’elle devait dire un truc pro important) : 25 ans tout juste, un petit mètre 60, dans la boîte depuis pas longtemps et en tant qu’alternante, avec son accent brésilien encore bien perceptible, sa voix toute petite minée par le manque de confiance en elle...
    Et mon père qui raconte la stratégie que lui a déployé avec ses collègues dans un cas similaire... et ma mère et moi qui lui rappelons la légère différence de positionnement social entre eux deux... Bon, il en avait un peu conscience, mais clairement pas assez.

    Mais le fait de penser de façon aussi abstraite n’est pas une simple erreur. C’est un choix philosophique. Raphaël Enthoven dénonce ce qu’il appelle « un tropisme contre-révolutionnaire qui nie tout homme universel et ne reconnaît d’existence qu’à des êtres enracinés dans une culture ». Eh bien, oui, je l’avoue. Je nie tout homme universel. Ce que je reconnais, ce sont des principes universels, les droits humains, comme la liberté, dont devraient bénéficier l’ensemble des êtres humains réels. Mais nous sommes tous et toutes enracinées, résultat du croisement d’une multitude de facteurs culturels, historiques, sociaux, économiques, biologiques, etc. Or Enthoven croit profondément que « les gens ne pensent pas seulement comme ils sont. Ils pensent aussi. Tout court. Loin de toute appartenance ».

    Deux choses là-dessus :
    – La distinction entre des principes universels et le fait qu’aucun être humain n’est universel (et que donc, toute application d’un principe universel ne peut, justement, se faire de façon universelle : on ne garantira pas la liberté de la même façon à une femme soudanaise réfugiée et analphabète qu’à notre ami Raphaël). C’est une formulation qui m’éclaire particulièrement.
    – Le « penser tout court et loin de toute appartenance » m’a immédiatement mis en tête tes vieux chercheurs qui t’ont pourri ton atelier avec leur incapacité à concevoir que tout point de vue est situé (et qu’eux, vieux hommes blancs, ont bien sûr La Vérité Pure et Parfaite et Objective). Cf la suite, qui s’applique parfaitement à eux :

    Et c’est d’autant plus difficile quand on jouit de privilèges parce que le privilégié croit toujours que son regard sur le monde est universel, la preuve : c’est sa vision du monde qui domine partout. Il se voit donc légitimé en permanence. Il peut traverser la vie et penser sans réfléchir à sa position dominante parce qu’il ne la ressent pas.

    Avec la conclusion, appel à la vigilance :

    Dire que toute pensée est forcément située, ce n’est pas abandonner l’idée de réfléchir mais au contraire, exiger une vigilance encore plus grande, un effort supplémentaire pour commencer par déconstruire ce qui, de notre point de vue, paraît évident. Cela implique parfois de penser contre soi-même, d’accepter qu’on a des privilèges, et d’écouter ceux qui n’en ont pas. On sera toujours le fruit d’appartenances, mais en multipliant l’écoute et les échanges avec d’autres, des autres qui ont des expériences différentes, on pourra espérer élaborer une pensée un peu plus universelle.

    Chose impossible tant qu’on reste arc-bouté à l’idée qu’on est déjà un homme universel.

    (promis, j’ai même pas copié tout l’article :-D )

  • « Ce n’est pas un logement, c’est un cercueil »

     ?️ ?À Barcelone, des promoteurs immobiliers construisent des appartements de 1 mètre sur 2, pour + de 150 000 € à l’achat, et 200 € de loyer ??️

    Pendant ce temps la touristification & AirBnB continuent de mettre les habitant·es dehors...

    Via https://twitter.com/HiginiaRoig/status/1037280742185861122

    Et voir ici : https://www.elperiodico.com/es/barcelona/20180831/una-empresa-trata-de-implantar-los-pisos-colmena-en-barcelona-7012344

    et ici : https://beteve.cat/economia/pisos-rusc-habitatge-barcelona

  • @raspa :

    Pour qui aspire aux positions sociales les plus élevées, apprendre à être à l’aise dans des contextes sociaux et culturels divers représente un atout majeur. Au XVIIe siècle déjà, le « grand tour » parachevait l’éducation des jeunes aristocrates. Ce voyage de plusieurs mois les amenait non seulement à rencontrer des savants et à se mêler à leurs pairs d’autres pays, mais aussi à s’encanailler en vivant dans des conditions matérielles moins confortables qu’à l’accoutumée.

    Le « grand tour » n’a pas disparu. Des écoles prestigieuses ont même intégré ce type de séjour à leur cursus : « Dans un monde aux frontières de plus en plus ouvertes, la formation se doit d’être internationale », peut-on ainsi lire sur le site Internet de Sciences Po. C’est que, comme l’explique le sociologue Norbert Elias, à mesure que la violence physique recule dans la vie sociale, la distinction se met à reposer sur des pratiques pacifiées : il ne s’agit plus de montrer sa force, mais ses qualités culturelles, son adresse, son prestige, sa capacité à alimenter les conversations mondaines (1). Autant d’aptitudes que les voyages aident à développer.

    sur les voyages qui forment ou pas la jeunesse, sur les pioupious vs les migrants du même âge, sur la circulation des élites hier et aujourd’hui : un excellent article du Monde Diplo : https://www.monde-diplomatique.fr/2012/07/REAU/47948

    Tout voyage à l’étranger ne constitue donc pas un capital. La valorisation de l’« international » comme ressource ne s’opère que sous certaines conditions, celles-là mêmes qui contribuent à la reproduction de l’ordre social national (9).

    Ça me fait réaliser que de ce que j’observe les jeunes de classes populaires et classes rurales qui partent sur des projets solidaires font ça relativement jeunes (15-18 ans, 20 ans max), et de façon encadrée (avec des animateurs jeunesse qui accompagnent avant et pendant, dans le cadre d’un jumelage des communes/collectivités le plus souvent), alors que les jeunes des classes aisées sur ces mêmes projets solidaires partent un peu plus tard (18-25 ans), et de façon « spontanée », sans accompagnateur ni incitation directe par une institution.
    Et je ne suis pas sûre que ça se valorise pareil dans un parcours pro après (sur les fameux soft skills et sur la capacité à monter des projets en autonomie. Autonomie à questionner d’ailleurs : dans un cas, les « coups de pouce » (financiers, réseaux...) sont très visibles parce qu’au premier plan en raison de leur caractère institutionnel. Dans l’autre, ils sont, je pense, pas tellement moins présents (don financier de la grand-mère, contact associatif « là-bas » du meilleur ami du père...), mais bien plus cachés, donnant l’illusion que les jeunes ont fait leur projet « tout seul ». C’est de la sociologie à la sauvage, mais je pense qu’il y a un truc à creuser).

    • Pour de la sociologie de basement, c’est très intéressant. Existe-t-il un barème pour évaluer la qualité missionariale des jeunes (et des moins jeunes) ?

      Sinon, gardez les yeux ouverts, avec une formulation logique de même, ça va entrer dans les algorithmes de sélection sous peu, et fissa, le jeune actif 3.0 est né.
      Il faut quand même spécifier que le fait que « la violence recule dans la vie social », est une formulation relativement douteuse. La violence ne recule devant rien. Parler de paix sociale pour définir notre époque est un orientalisme brutal. Ce ne serait pas plutôt la systématisation de l’appropriation culturelle comme vecteur de bonne conscience ?

      C’est le terme de « sauvage » qui me fait réagir, pardon.

  • @raspa Une émission fort fort intéressante sur le racisme et la notion de « races », avec une chercheuse en philosophie politique :
    https://www.franceculture.fr/emissions/matieres-a-penser-avec-frederic-worms/la-realite-du-racisme


    Un décortiquage fin de comment la notion de race n’a aucune base biologique/scientifique mais est bien une construction sociale qui a des effets bien réels, et au final, une réalité sociale :

    Je ne sais pas s’il s’agit « donner une existence sociale aux races » mais il s’agit de visibiliser leur existence. Quand on a construit quelque chose, cette chose existe. Les races ne sont pas une fiction, elles sont une réalité qui a des effets extrêmement violents, dévastateurs, allant jusqu’au génocide parfois. Les catégories une fois qu’elles ont été construites produisent des effets objectifs, subjectifs et intersubjectifs. De même la catégorie de nation produit des effets réels. Depuis Benedict Andersen, on sait que la catégorie de nation a été construite par les nationalistes, pourtant il est difficile de dire aujourd’hui que les nations ne sont pas réelles. Les races sont une réalité qu’il importe de ne pas nier au risque de s’interdire de traiter cet ensemble d’effets. Ce n’est pas parce qu’on ne la dira plus ou qu’on fermera les yeux qu’elle aura cessé d’exister. Il est fondamental de la critiquer comme fait naturel, de saisir que les races sont construites, dans un contexte donné : les races aux Etats-Unis ne correspondent pas exactement à ce qu’elles sont dans le contexte français ou allemand.

    Elle explique très bien comment les mouvements anti-racistes utilisent ces catégories (une façon de se réapproprier/retourner le stigmate) pour dénoncer les effets de la classification raciale. Elle prend l’exemple de l’inscription de la « race » sur la carte d’identité aux EUA, qui permet de visibiliser les discriminations subies par les Noir⋅e⋅s par exemple.
    Elle explique aussi la différence entre les EUA et la France sur le fait de nommer les « races », désigner les gens par leur « race »... ou pas, à la fois sur l’origine de ces deux visions et sur leurs effets pour lutter contre le racisme.

    Dans l’émission, il y a cette fabuleuse chanson, que je trouve diablement intéressante :
    https://www.youtube.com/watch?v=R5QjSh2Yfc4


    (Apparemment, tout l’album parle des questions d’identité. A explorer...)

  • @raspa Ça fait longtemps qu’on n’a pas parlé éduc pop dis donc !

    Deux textes dont on pourra discuter :

    Le premier sur différentes façons de faire de l’éducation populaire, avec une forme de catégorisation : http://www.alternativelibertaire.org/?Pratiques-de-nos-coleres-communes
    Le chapô et l’intro :

    Dans les pratiques d’éducation populaire, on trouve du bon et du moins bon. A tel point qu’on peut parfois s’interroger sur les motivations de certaines et certains  : briller  ? se faire mousser  ? se croire au-dessus de la mêlée  ? Au risque de déplaire, il faut le rappeler ici  : l’éducation populaire c’est agir en égaux, avec humilité, et faire progresser notre conscience de classe.

    Qu’est-ce que l’éducation populaire ? Ce sont des espaces ayant pour but de produire des savoirs critiques et mobilisateurs. Mais comment s’y prendre pour produire de tels savoirs ?

    On peut identifier trois courants, qui se situent tous en dehors du joug de l’État et de ses labels, et qui, poursuivant le même objectif, mettent en œuvre des pratiques très contradictoires voire totalement divergentes. Ces contradictions trahissent des conceptions différentes du rapport à la production et à la diffusion des savoirs. On peut en identifier trois principales : le courant humaniste, le courant pédagogiste, et un courant plus matérialiste.

    Si les deux premiers présentent des convergences parfois saisissantes avec les institutions dominantes, le dernier s’efforce de prendre en compte la réalité des classes sociales et ses enjeux politiques.

    Et un extrait du site de Franck Lepage sur les formations aux conf gesticulées données par sa structure, l’Ardeur : http://www.ardeur.net/formations

    S’inspirant d’une histoire, celle des stages de réalisation initiés à partir de la Libération par les instructeurs nationaux d’éducation populaire dans le but de politiser l’action culturelle*, L’ardeur anime tout au long de l’année des stages pour réaliser sa conférence gesticulée [...].
    En effet, le stage est ouvert à toute personne et tout collectif :

    Ayant envie de construire pendant le stage une analyse de son expérience. Il n’est donc pas nécessaire d’être un expert du sujet traité. Il s’agit de travailler à une critique de la domination capitaliste, à un démontage politique et à une explication des mécanismes de son métier.
    Dont les orientations sont en cohérence avec celles de L’ardeur. Sont ainsi invités à s’abstenir les candidats ne partageant pas l’orientation anticapitaliste, ceux principalement intéressés par la forme (les « théâtreux » par exemple, ou ceux ne voyant dans la conférence gesticulée qu’une forme culturelle), ainsi que les adeptes des différentes mouvances du développement personnel, idéologie anti-politique que nous combattons résolument. Il ne s’agit pas d’une conférence vaguement animée sur des sujets divers, et encore moins sur des sujets que nous entendons combattre avec la dernière énergie, et que nous analysons comme une escroquerie intellectuelle doublée d’une offensive idéologique profondément droitière et dépolitisante. Nous sommes ainsi des adversaires de la méditation, de la CNV, du tai chi, du feng chui, du chi quong, de la médecine chinoise, de l’astrologie, de la PNL, du yoga, et même de l’homéopathie ! c’est vous dire ! Et nous ne croyons pas plus en Dieu qu’en Boudha, ou en Macron.

    Nous sommes sincèrement heureux pour ceux qui trouvent une voie d’apaisement dans la méditation à titre personnel, mais nous veillerons à empêcher que cela ne devienne une idéologie globale qui éloigne de la lutte des classes.

    On en reparlera !

  • @raspa Dans la suite de notre discussion de l’autre jour, un article intéressant sur la « zone grise » (un docu vient d’être réalisé pour France 2) :

    « Depuis toujours, il arrive aux jeunes femmes de ne pas consentir à des rapports sexuels et d’y céder malgré tout, décrit la voix-off au début du docu. Souvent à leur entrée dans la sexualité, les filles vivent ces agressions sans menace physique, sans violence ou sans cri. Où se trouve, alors, la limite avec le consentement, la limite avec le malentendu, la limite avec le viol ? »

    Dans l’article il est rappelé l’expression de Nicole-Claude Mathieu, qui parle de « céder sans consentir », ce que je trouve très juste. Surtout, le documentaire a été précédé d’un documentaire radio, (que je t’avais raconté je crois) à retrouver ici : https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/le-consentement

    . Il est une parfaite description de cas où les filles ne savent pas trop à quoi s’attendre, ne sont pas sûres de ce qu’elles veulent elles (parce qu’elles n’ont pas appris à le savoir, et qu’elles sont jeunes), ne sont pas sûres d’avoir le droit de dire non et de refuser (parce que là non plus, on ne leur a pas franchement appris... et qu’on n’a pas appris à leurs agresseurs à respecter la fille en face !). Au final, elles vivent des rapports sexuels imposés qui jamais ne seraient reconnus comme des viols devant les tribunaux, malgré la grande violence de ce qu’elles ont subies.

    L’article revient beaucoup sur les débats autour de cette notion de « zone grise », c’est vraiment intéressant :

    Autre défaut du terme, pointé par la philosophe Geneviève Fraisse : puisqu’il donne l’impression que les choses sont compliquées, il arrange bien les agresseurs. « Ils sont ravis les dominants avec ce terme, qui leur donne bonne conscience », avance-t-elle. Pour cette historienne de la pensée féministe, parler de « zone grise », c’est encore une fois donner l’impression que les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent. « Bien sûr que si, les femmes savent ce qu’elles veulent ! Quand elles cèdent, c’est parce qu’elles savent qu’elles sont face à “la bourse ou la vie”, c’est un rapport contraint où elles ont choisi la vie sur la bourse », nous dit-elle

    Une gynéco interviewée dans l’article a une position très intéressante je trouve :

    Emmanuelle Piet, gynécologue et présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV), utilise elle aussi le terme de viol - tout en précisant que dans le cadre de ses consultations, quand ses patientes évoquent des violences sexuelles, elle prend soin de décrire l’acte comme la femme le décrit, pour ne pas leur imposer un terme.

    « Je propose souvent à mes patientes violentées par leur partenaire un certificat médical de contre-indication au rapport sexuel. Ça marche très bien, ça leur permet de comprendre des trucs. Quand elles reviennent, elles disent "c’est bien je me suis reposée" ou bien "vous vous rendez compte, il l’a fait quand même". » Autre arme : le lubrifiant. La médecin conseille d’en appliquer, pour éviter que les rapports soient douloureux. « Certaines reviennent me voir et me disent "il m’a dit qu’il aimait pas quand j’ai pas mal". Et là, elles comprennent des choses. »

    D’autres réflexions sur la question du vocabulaire :

    Delphine Dhilly évoque le terme anglais de date rape et regrette qu’« en français, on n’ait pas de terme comme ça ».

    La féministe Valérie Rey, qui blogue sous le nom de Crêpe Georgette, propose, elle, le terme de « sexe coercitif », notamment utilisé dans la littérature anglo-saxonne. « Le sexe coercitif, c’est ce mec qu’on a toutes connues, qui insiste, qui te dit qu’au moins tu pourrais lui faire une fellation, que sinon ça veut dire que tu ne l’aimes pas, etc. Dans ce cas, tu as la possibilité de dire non, mais les constructions sociales font que dans beaucoup de cas, tu vas céder. Pour moi, à partir du moment où un consentement explicite a été donné, il ne s’agit pas de viol au sens juridique, mais de sexe coercitif. »

    En anglais, on trouve ainsi cet article du site féministe Bustle qui interroge la nature d’un « oui » énoncé sous la contrainte et décrypte « cinq types de coercition sexuelle ». Si vous avez des rapports parce que vous pensez que c’est votre devoir ; parce que vous avez été menacé-e ; parce qu’on vous a culpabilisé ; parce qu’on vous a persuadé de boire de l’alcool ; parce que vous avez peur de mettre en colère votre partenaire. Un nouveau champ de réflexion à explorer ?

    Et pour finir, ce témoignage glaçant d’un garçon. On a beau le savoir, c’est pas toujours marrant de se rappeler la longueur du chemin qui reste à parcourir...

    Dans leur documentaire, Delphine Dhilly et Blandine Grosjean ont également interviewé quelques garçons, croisés à la plage ou lors de festivals, sur leur rapport au consentement. Dont ce témoignage, qui en dit plus en quelques mots que tout un livre de sociologie :

    « Ça m’est déjà arrivé d’être dans cette situation où je veux aller plus loin et elle non, on a fait la première partie et elle est là "ah, mais non, je peux pas". Donc je l’ai relancé, et au petit matin, j’ai eu ce que je voulais.(...) Dès qu’on me dit non, ça me motive encore plus d’y aller. (...) Pour moi le "non" d’une fille c’est limite, pas excitant, mais ça me motive en tout cas. »

  • @raspa
    Ça, c’est pour compléter ta lecture de Beauté Fatale :

    Un invincible été » Rencontre avec Diglee, illustratrice et féministe
    http://uninvincibleete.com/2018/02/rencontre-diglee

    La BD « girly », ça n’existe pas !

    J’ai l’impression que c’est un peu passé, mais il y a véritablement eu cette vague d’appellation « girly », ses figures de proue malgré elles étant donc des dessinatrices comme Diglee, Pénélope Bagieu et Margaux Motin, et ce qu’a dit Diglee d’une manière extrêmement percutante, c’est que la définition de la BD « girly », c’est quand même un drôle de concept. En effet, ça voulait dire quoi ?

    « Ça voulait dire que des femmes partageaient des anecdotes de leur vie sur un ton humoristique en BD. Exactement comme Boulet, et on n’a jamais dit qu’il faisait de la BD pour mecs. »

    C’est encore une fois une histoire de référentiel, que je retrouve beaucoup dans la littérature en ce moment, tout comme au cinéma. Pendant des décennies — voire des siècles ? — on a considéré que l’être humain par défaut était l’homme, de préférence blanc, hétéro, cisgenre. Parce que ce sont ces voix qu’on a privilégiées, ces hommes ont pu raconter leurs histoires de leur propre manière, imposer leur vision du monde, et il est hyper difficile d’imprimer un autre mouvement à la narration. Si une femme écrit une histoire d’amour, on va dire que c’est de la littérature féminine, et c’est tout de suite déconsidéré : il n’y a qu’à voir comment les soeurs Brontë ont galéré, comme peu d’hommes lisent Jane Austen, comme la saga Outlander est considérée comme un truc de minette (alors que bon, pas du tout !), comme on a conseillé à Joanne Rowling de devenir J.K. Rowling pour cacher son genre au premier abord.

    Pourtant, il me semble qu’on n’a jamais dit de Stendhal que son Le Rouge et le Noir était une littérature « de bas étage » (car c’est souvent dégradant, de faire des choses féminines, vous avez remarqué ?), qu’il écrivait des choses neuneu sans profondeur. De mon côté, ça me pose beaucoup de questions, parce que quand j’écris de la fiction, c’est en général des histoires d’amour et pendant un moment je me suis dit que ce n’était pas de l’écriture légitime, parce que j’étais une femme et que c’était neuneu. Et puis en y réfléchissant, des classiques écrits par des hommes qui sont des histoires d’amour, il y en a pléthore !

    Ça me fait dire qu’il faut trouver un autre terme pour désigner ces BD qui tendent à renforcer les clichés sur le genre de leur auteur⋅e. Je suis incapable de signaler des blogueurs-auteurs de BD hommes dans ce cas-là, mais il y en a sûrement. Côté femmes, certaines citées dans l’article sont dans ce cas pour moi, Margaux Motin et Soledad Bravi notamment pour ce que je connais (il y a une liste de plein d’autrices plus loin dans l’article). Les sujets sont des anecdotes dites féminines dont il y a clairement des choses à tirer (relations de couple, garde alternée des enfants, gestion quotidienne d’une famille et d’un logement...) mais sans que ça soit "travaillé" ou "bien vu" (de mon point de vue, vu que des milliers de lectrices adorent). Du coup ça se traduit en "hihihi je suis pestouille avec mon mec", "je suis trop bien sapée en toute circonstances (tout en prétendant ne pas l’être)", le tout sur fond de modèles féminins parfaitement inaccessibles (corps parfaitement parfait inexistant dans la réalité, vêtements à la mode, pratiques culturelles inatteignables socialement ou économiquement pour plein de gens). Avant je trouvais ça inintéressant (sous l’étiquette girly, en me disant "encore un truc gnangnan de magazines féminins", maintenant ça me met en colère, tellement je trouve que ça fait passer les femmes pour des débiles (sans contribuer 1 seconde à légitimer ces sujets qui n’ont pas voix au chapitre). Et je peux plus appeler ça girly. Zut alors (mais c’est très bien).
    C’est d’autant plus dommage que ça n’est absolument pas corrélé aux talents de ces dessinatrices. En regardant les productions des deux que j’ai cité, je me rends compte que je trouve le trait de Soledad Bravi vraiment chouette, avec une capacité à transmettre des émotions tout en épure que j’aime beaucoup...

    Bref, je vais continuer à lire des autrices de BD qui abordent des sujet pas spécialement féminins, et celles qui les abordent de façon intéressante (Aude Picault <3, Marjane Satrapi <3 ou Marguerite Abouët <3 pour ne citer qu’elles)

    • @georgia peut-être qu’on peut réserver le terme « girly » à des bd non pas faites « par » des femmes mais « pour » les femmes, et qui promeuvent une vision très consensuel de la femme (ou de la fille) telle qu’on l’attend. Des BD qui jouent et renforcent les stéréotypes de genre. Même pas anti-féminisme, mais juste pas du tout questionné.
      A vrai dire, c’est comme ça que j’ai toujours compris le terme. Et pour son équivalent masculin, ou plutôt... « viriliste », du coup, il y a Marsault dans un genre totalement assumé, mais aussi beaucoup d’autres je pense, y compris des BD qu’on ne se verrait pas critiquer. Le stéréotype masculin est peut-être encore plus répandu que le stéréotype féminin, vus le nombre de héros grand public qui le diffusent. Titeuf pourrait être du lot...

    • @raspa Ton exemple de Titeuf me fait penser à un autre bon exemple du genre : Le Petit Spirou.
      Validation à longueur de « gags » que les petits garçons sont en droit de passer leur temps à faire des bêtises, à regarder des filles nues et à lorgner sur leur institutrice, à acheter des magazines érotiques en douce, à faire tourner en bourrique les adultes... Pendant que leurs copines de classe sont soit inexistantes, soit des objets sexuels.
      Mais bon, c’est de « l’humouuuuur »...

  • @raspa Sur le travail émotionnel, quelques extraits de mon début de lecture du Prix des sentiments de Arlie Russel Hochschild (c’est marrant d’ailleurs ce titre : sans le sous-titre Au coeur du travail émotionnel, et avec l’illustration de couverture d’une hôtesse qui sourit, on dirait un mauvais roman à l’eau de rose).
    C’est elle qui met en italique, c’est moi qui graisse.

    Déjà sur le terme lui-même :

    J’utilise le terme travail émotionnel [emotional labour], qui désigne la manière de gérer ses émotions pour se donner une apparence physique correspondant à ce qui est attendu socialement (au niveau du visage comme du corps ; celui-ci a lieu en échange d’un salaire (et a donc une valeur d’échange). J’utilise de manière indifférenciée les termes travail émotionnel [emotion work] ou gestion des émotions [emotion management], qui se réfèrent à des actes de même type, mais effectués dans la sphère privée, où leur seule valeur est une valeur d’usage.

    Je ne sais pas si ça résout ton allergie au mot « travail », mais en tout cas ça affine !

    Ensuite, il y a tout un passage où elle reprend un exemple du Capital de Marx, qui parle d’un enfant de 7 ans travaillant dans une usine de papier-peint. L’enfant, par son emploi, devient un « instrument de travail », qui permet de faire fonctionner la machine 16 heures par jour. Son boulot est achevé quand le nombre suffisant de rouleaux de papier a été produit.
    Elle met en parallèle le travail d’une hôtesse de l’air aujourd’hui, dont les conditions sont, malgré les difficultés, bien moins atroces que celles du gamin de Marx :

    Comment l’hôtesse de l’air peut-elle savoir quand son travail a été fait ? Quand un service a été produit ; que le client a l’air satisfait. Dans le cas de l’hôtesse de l’air, le fait de fournir de l’émotion en même temps qu’un service fait partie du service lui-même ; alors que le fait d’aimer ou de détester le papier peint ne joue en rien sur sa production. "Avoir l’air d’aimer son travail" fait ainsi de plus en plus partie du travail lui-même ; et essayer de l’aimer vraiment - et d’apprécier les clients - aide l’employée dans son effort pour prétendre qu’elle apprécie son travail.

    C’est cette dernière partie que j’ai trouvé éclairante sur notre monde du travail actuel. L’autrice indique que si le travail émotionnel augmente, c’est aussi que la part des services dans l’emploi augmente. Mais c’est aussi qu’il y a de plus en plus de personnes, j’ai l’impression, à qui on demande cet effort émotionnel d’apprécier leur travail, même si c’est un job aux conditions horribles (ou qui ne sert à rien, voire qui est nuisible). Je sais pas à quel point ça contribue à l’épidémie de burn-out actuelle.
    Là où j’ai l’impression que ça pose souci (et c’est corroboré par ce qu’elle dit sur un guide qui classifie la qualité de services des compagnies aériennes), c’est qu’on ne demande pas juste aux gens d’adopter, durant leur temps de travail, une posture professionnelle adaptée au contexte (on sait que plein de gens ont peur en avion, donc ça paraît pas déconnant que les hôtesses et stewards aient dans leurs tâches d’être rassurant.e.s ; de même que l’écoute et l’empathie d’un.e soignant.e, l’énergie et la bonne humeur d’un.e animateur.trice... font partie du job). Le mieux (= ce qui est demandé, voire exigé des employeurs) c’est qu’ils le soient vraiment, comme si « adorer son job » et « sourire H24 » devaient être des qualités intrinsèques des personnes exerçant ces métiers. Dans la formation des hôtesses, on ne leur apprend pas seulement à sourire aux passagers, mais surtout à sourire comme si ça émanait vraiment d’elles :

    Montrer que la gaîté demande un effort, c’est faire un travail médiocre

    Hochschild dit d’ailleurs plus loin :

    Bien que le travail de l’hôtesse de l’air ne soit pas pire que d’autres emplois de services (et, par bien des côtés, soit même meilleur), il rend l’employée vulnérable à ce que d’autres décident concernant le travail émotionnel qu’elle doit effectuer - ce qui ne laisse qu’un contrôle réduit sur son travail. Les problèmes qu’elle rencontre pourraient donc être annonciateurs de ce qui se prépare dans d’autres emplois du même genre

    (to be continued pour les problèmes rencontrés)
    (et ça repose très clairement la question de l’autonomie dans le travail salarié).

    • @georgia Effectivement, la distinction entre « labour » et « work » est éclairante.

      Pour ce que tu évoques, l’exigence de plus en plus forte d’"aimer" son travail et de l’exprimer, cela rejoint toute l’analyse sur l’évolution du capitalisme et des formes de management, par laquelle le travail cesse d’être vu comme « oppression, exploitation ». J’ai deux références en tête pour cela : Lordon et son « conatus », et Boltanski sur le « nouvel esprit du capitalisme ». On s’éloigne un peu du travail émotionnel parce que justement il n’est plus question de « produire une émotion », qui serait une exigence économique. Il s’agit d’une exigence morale, de l’évaluation de la « qualité » d’une personne et pas juste de son travail, de ce qu’elle produit. C’est une nouvelle forme d’aliénation.

      Sur le travail (au sens « work ») émotionnel, je me dis aussi qu’il y a un rapport très fort avec l’interculturalité, avec ce que nous demandons à nos petits jeunes qui partent à l’autre bout du monde. Il y a un « effort » concret à effectuer, appuyé sur une préparation, une auto-formation, l’acquisition de « compétences » précises (savoir-être bien sûr, mais pas seulement)...

      Je crois que le sourire est quelque chose d’universel (même les singes sourient) mais qui n’a pas forcément le même sens, le même usage selon les cultures. Je me demande comment les formations des personnels navigants prennent ça en compte, puisque par définition ils sont constamment confrontés à l’interculturalité.

      Concernant la vulnérabilité de ces travailleur.euse.s dont une partie non négligeable du travail est « émotionnel »... c’est le lot commun de tous les métiers du service et de la relation au public. Ils et elles ne sont pas seulement redevable envers l’employeur, mais aussi envers le public. Ca ne me choque pas outre mesure. Mais ça me fait penser que certains corps de métier résistent davantage à cette « mise en vulnérabilité ». Un exemple extrême : les syndicats de police qui combattent la proposition de récépissé de contrôle, comme si le fait de signifier leur redevabilité envers les personnes qu’elles viennent de contrôler leur était insupportable, et les mettait en danger.

    • @raspa Tu dis

      c’est le lot commun de tous les métiers du service et de la relation au public. Ils et elles ne sont pas seulement redevable envers l’employeur, mais aussi envers le public. Ca ne me choque pas outre mesure.

      Hochschild ne dit pas que c’est choquant d’avoir une part de travail émotionnel dans tout un tas d’emploi. La question c’est comment l’entreprise demande d’exercer ce travail, en lien avec le fait d’aimer son travail.
      Deux exemples me viennent en tête :
      J’ai longtemps été cliente Virgin Mobile avant son rachat par SFR. A chaque fois que j’appelais le service client, c’était le même sketch : la personne au bout du fil devait absolument débiter tout un tas de phrases du style « bienvenue chez vous », le tout avec un ton visant à rendre mon expérience d’appel au service client extraordinaire, genre « c’est encore mieux que d’appeler des potes ». L’exigence de l’entreprise allait au-delà de mon exigence. Je veux au téléphone quelqu’un qui réponde clairement à mes questions et soit capable de parler des offres de forfait (partie « technique » du travail), ne donne pas l’impression que je l’ennuie et soit normalement poli (partie « émotionnelle » du travail) : pas quelqu’un qui fasse genre « ça me fait TELLEMENT plaisir que tu ais appelé ! ». Mais c’est clairement ce qu’on demandait aux employé.e.s du service client, et c’est cette dérive qui me paraît dangereuse pour la santé mentale des salarié.e.s.

      A l’inverse : j’ai dans mon entourage une infirmière qui a longtemps travaillé dans le service de soins palliatifs d’un CHU. Ça veut dire travailler au quotidien avec des personnes en grande souffrance (malades comme familles) et gérer plusieurs décès par semaine dans le service. Le travail émotionnel demandé au personnel est absolument énorme, mais fait totalement partie du job. L’institution avait pris ça en considération : l’équipe était très accompagnée, avec des temps d’analyse de pratique et d’évacuation des émotions. Le management était adapté, et favorisait une bonne cohésion de l’équipe. Au final, on avait des gens contents de leur travail, un turn-over quasi nul, une excellente coopération entre les différents corps de métier (et don un certain dépassement de la hiérarchie pleine de méfiance et de conflit entre médecin/infirmières/aides-soignantes dans le cadre hospitalier...).

      Donc la question c’est comment on évalue le travail émotionnel nécessaire à l’exercice du métier ; comment on ne l’augmente pas au-delà du nécessaire suffisant (notamment en luttant contre les trouvailles fabuleuses du capitalisme contemporain) ; comment on met en place pour les travailleureuses les conditions d’un travail émotionnel bien vécu. Quand tu bosses sur un chantier, t’as des équipements de protection individuel et des procédures de sécurité. Pourquoi quand tu fais du travail émotionnel dans ton travail, t’aurais pas aussi des ressources sécurisantes ?

  • @raspa Un (encore) joli billet de Mona Chollet, pour te motiver à lire Beauté Fatale un jour : http://www.la-meridienne.info/Comme-si-ta-vocation-etait-de-me-conforter-dans-la-mienne
    C’est à propos d’un livre d’André Gorz où il parle de son épouse, livre « hommage » sorti un an avant leur décès :

    Un hommage, donc ; mais un hommage au goût amer, dès lors qu’on fait abstraction de la sympathie qu’inspirent la figure de Gorz et cette longue fidélité mutuelle. Leur histoire reprend un schéma trop familier : lui, l’intellectuel en devenir qui écrit fiévreusement ; elle, la compagne dévouée qui croit en lui dès le début, qui lui sert d’assistante, de documentaliste, de conseillère, d’interlocutrice, de relectrice. Elle prend des boulots alimentaires pour contribuer à la subsistance du couple, tandis que lui n’accepte que des emplois en lien avec la vie intellectuelle (il a été journaliste à L’Express et au Nouvel Observateur). Elle fait « monter sa cote » grâce à son charme et à son talent pour « recevoir », tempérant l’austérité de son compagnon solitaire et aidant ainsi sa carrière. Son intelligence et sa culture à elle, décrites par tous les proches du couple, ne serviront qu’à mettre en valeur celles de son mari ; elles n’auront eu qu’une valeur ornementale.

    Ça fait écho à des conversations de ces vacances, des couples au bord de l’explosion justement parce que certaines femmes commencent à ne plus accepter ça, d’être des ornements, des supportrices éternellement bienveillantes, qui suivent leur champion dans sa carrière, gèrent la maison, les enfants et la vie sociale, mais mettent leur propre vie entre parenthèse. (et puis Jackie Kennedy, aperçue dans ma série du moment, femme intelligente et cultivée, avec plein de choses à creuser derrière l’icône glamour de femme de président jeune, sexy et martyr de l’Histoire, qui clairement n’a pas eu la vie facile avec son infernal JFK de mari...).

    L’un des invités de Laure Adler laisse entendre qu’elle ne se reconnaissait pas vraiment dans le portrait qu’il avait dressé d’elle dans ce livre : elle insistait sur le fait que c’était sa vision à lui. Nous ne connaîtrons jamais sa version à elle. En dehors de rares enregistrements de sa voix, tout ce qui reste d’elle sera passé par sa médiation, par son regard à lui.

    C’est un tel gâchis... Mais il y a de telles montagnes de censure et d’autocensure à déplacer pour résoudre ce gâchis... Pour avoir vu une collecteuse de témoignages pour les archives municipales d’une ville de l’agglo s’escrimer (avec bienveillance et patience) à faire parler une vieille femme qui n’avait rien à raconter, sous prétexte que c’était pas intéressant, qu’elle s’était « juste » occupée des 3 enfants du couple (pendant que son mari construisait leur maison avec les Castors, participait à moultes associations, engagements syndicaux etc), je sais à quel point c’est dur, mais ça me désespère. On ne saura pas ce que veut dire élever trois enfants dans cette ville dans l’immédiat après-guerre, dans des maisons autoconstruites par les hommes du quartier... mais pour lesquelles les femmes, qui y passaient ensuite leur journée, n’avait pas été consultées. Il manque au moins la moitié de l’histoire :-( Alors que

    Il nous reste à lire des histoires où les femmes puissent aussi envisager de croire en elles-mêmes.

  • @raspa En ces temps de retrouvailles familiales, un peu de sociologie sur les discriminations au sein de la famille :
    http://www.laviedesidees.fr/Le-foyer-des-discriminations.html

    « La redistribution inégalitaire des ressources matérielles au sein de la famille

    Les discriminations dans la famille peuvent être analysées sous l’angle matériel, celui de la redistribution inégalitaire. Les exemples sont nombreux de traitements inégaux dans la famille, du plus trivial au plus lourd de conséquences : de l’argent de poche réparti inégalement entre les petits-enfants en raison de l’origine des beaux-enfants (Eberhard et Rabaud, 2013) jusqu’aux personnes lésées lors de donations du vivant en passant par l’absence de participation au cadeau de mariage dans le cas d’un couple de même sexe (Rault, 2014). Il faut distinguer ici les cas où le même événement a été vécu au même moment par différentes personnes de ceux où un événement comparable est vécu à différents moments. Dans ce deuxième type de cas, le traitement inégalitaire est probablement moins facile à identifier, car il s’agit alors de situations comparables et non de la même situation au sens strict, ce qui permet de minimiser et de justifier les traitements inégaux. Par exemple, l’investissement moindre de la famille dans l’organisation et le financement d’un Pacs par rapport à un mariage pourra être justifié par le caractère moins solennel du Pacs. Dans tous ces cas, l’absence ou les différences d’investissement financier signifient bien une différence de traitement entre des personnes d’une même famille en raison d’un critère qui serait considéré comme illégal dans d’autres espaces sociaux. »
    Là ça cause inégalités matérielles, mais plus bas, le propos porte sur des aspects plus symboliques : par exemple, à qui on annonce un emménagement en couple de membres de sa famille ? Très largement si le couple est vu comme légitime (hétérosexuel, pas de personne toxico ou séropositive...), à un cercle très restreint voire à personne s’il y a des aspects d’illégitimité. Bref, long mais très intéressant !

  • @raspa Sur la culture du viol, encore, un point de vue de médiéviste :
    https://www.nonfiction.fr/article-9084-actuel-moyen-age-une-trop-vieille-culture-du-viol.htm

    L’argument des bandes de jeunes Florentins était proche de celui de bien des harceleurs actuels. Aujourd’hui, ils disent : « elle s’est habillée de manière provocante » ; hier, c’était : « elle était de mœurs légères ». Le message est clair : une femme qui n’est appropriée par aucun homme est nécessairement un corps à prendre, et souvent à prendre à plusieurs. Le fait de se trouver sans la garantie d’un mari suffit pour construire la mauvaise réputation et donc légitimer l’agression. Le viol collectif est la punition que la société fait subir à ces femmes soupçonnées du fait de leur indépendance.

    Aujourd’hui, on reste frappé de la prégnance de cet imaginaire. Le corps des femmes reste un objet à conquérir, à s’approprier. Le simple fait qu’une femme s’habille d’une certaine manière, parle un peu plus haut ou le simple fait qu’elle existe indépendamment d’un autre homme en fait une proie légitime pour certains.

    Nous ne vivons pas un « retour au Moyen Âge ». Nous vivons sur l’héritage que le Moyen Âge – et avant lui l’Antiquité – nous a légué. Notre culture considère encore largement les femmes comme des objets ; et parfois, quand ces objets prennent leur indépendance, la violence se libère. Il est temps que chacun en prenne conscience pour que de moins en moins de personnes aient à dire : « moi aussi ».

  • @raspa
    Alors que revoilà l’auteur de BD dont tu me parlais l’autre jour...
    https://www.buzzfeed.com/julesdarmanin/raptor-dissident-valek-noraj-dans-la-tete-des-youtubeurs

    Ces créateurs citent également comme influence Marsault, un dessinateur dont les fans ont harcelé une militante féministe en 2016, et dont l’une des planches de son dernier album, Dernière pute avant la fin du monde, montre un mari exploser la tête de son épouse contre un mur. Ils évoquent aussi Papacito, blogueur et auteur des Fils de pute de la mode, décrit comme « une salve de haine gros calibre pour redresser ce pays de fiottes à coup de mornifles ! » Marsault et Papacito ont réalisé un album ensemble.

    Article qui par ailleurs traite de la question des YouTubeurs d’extrème-droite, pour poursuivre nos réflexions du week-end...

  • @raspa
    Excellent article sur l’intersectionnalité, le côté inséparable de nos différentes étiquettes sociales (et donc l’inséparabilité des combats, en l’occurrence là contre sexisme et racisme).

    PANTHERE PREMIERE | PP ?
    http://pantherepremiere.org/le-dilemme-de-cologne.html

    Je n’ai pas oublié, cependant, la première fois où l’injustice que cela impliquait m’a frappée, et ce n’était alors qu’un chagrin d’enfant. J’avais cinq ans, six ans peut-être, et devant le grand miroir du couloir, chez ma grand-mère, nous faisions des mines avec ma cousine. Elle jetait ses cheveux en arrière, longs, lisses et clairs. J’avais beau secouer la tête, les miens, de cheveux, tressés haut sur le crâne, couronnés de frisottis, demeuraient parfaitement inertes. J’ai fondu en larmes sur les genoux de ma mère – pourquoi mes cheveux ne bougeaient-ils pas, pourquoi n’avais-je pas droit à l’ondoyance, aux reflets brillants, pourquoi fallait-il les enrouler dans un cordon la nuit, les attacher le jour. J’ai pleuré, je n’ai jamais aimé ces cheveux, je les ai torturés quelque temps, ils profitent maintenant d’une tranquillité discrète. Je voulais qu’ils bougent enfant, je les porte enfermés aujourd’hui – trop nombreux, trop frisés, trop voyants. Ce jour-là, j’étais triste parce que dans le miroir, je ne ressemblais pas aux modèles de filles et de femmes que déjà nous avions appris à poursuivre ; et je n’y ressemblais pas parce que j’étais arabe. La question de mon propre rapport à mon corps et à ma féminité a toujours été, aussi, celle de ma racisation ; de la même manière qu’ils ont toujours été appréhendés par autrui à travers ce prisme racial : mes cheveux de femme, ma peau de femme, mon corps de femme est un corps d’arabe.

    Encore cette histoire de cheveux... Cette anecdote est le parfait miroir du projet dont je t’ai parlé, ça va m’inspirer pour mes questions.

    Melusine dit des trucs super intéressants sur l’intersectionnalité qui m’interrogent beaucoup. J’arrive pas à savoir si je suis d’accord ou pas... Mais je crois que ça va changer ma façon d’expliquer le concept :

    L’approche intersectionnelle porte un risque, l’idée que ces positions d’intersection ne concerneraient que certains groupes, minoritaires parmi les minorités. Les femmes racisées, au croisement de rapports de genre et de rapports de race, subiraient une domination patriarcale et une domination raciste, comme autant de jougs qui viendraient s’ajouter. Les femmes blanches quant à elles, ne subiraient que – la grammaire oblige à de stupides euphémismes – le sexisme : elles seraient ainsi seulement femmes, quand d’autres seraient femmes et arabes ; femmes et noires. Cette idée que certaines positions seraient plus intersectionnelles que d’autres renforce le biais même que ce paradigme entend renverser. En invisibilisant la spécificité des positions dominantes, en passant sous silence la prise de la blanchité et de la masculinité sur les individus, on échoue à penser l’imbrication des structures de domination. Il y aurait des situations qui seraient en elles-mêmes simples : l’homme vainqueur et ses subordonnés : la femme, l’arabe ; quand d’autres seraient complexes, tant socialement que politiquement.

    La nécessité de rétablir une symétrie d’analyse politique entre ces différentes positions sociales, prises dans une pluralité de structures de domination, ne doit cependant pas conduire à une appréhension cumulative de l’imbrication. Elle amènerait à penser les hommes racisés comme à la fois bénéficiant des « privilèges » associés à leur sexe et souffrant des discriminations propres à leur statut de racisé, chacun allant indépendamment des autres. Cette approche simpliste ne correspond à aucune appréhension matérielle des conditions de vie des individus : les femmes racisées issues de quartiers défavorisés rencontrent par exemple moins de barrières à l’entrée du marché du travail que les hommes racisés issus des mêmes milieux sociaux – mais les emplois qu’elles occupent en nombre sont ceux de ménage, de care, résolument féminins. De la même manière, les femmes blanches ne sauraient être considérées comme étant à la fois dominées en tant que femmes et dominantes en tant que blanches : leur appartenance au groupe blanc est irrémédiablement traversée par leur condition subalterne de genre, elles ne sont blanches qu’en tant qu’elles appartiennent aux hommes du groupe dominant, et c’est comme objet de convoitise qu’on leur enseigne à craindre l’homme racisé.

  • @raspa Ce que la diversité veut dire : plein d’éléments intéressants dans cette expérience Wikimedia.
    Wikimedia Diversity Conference 2017 – Commonists
    https://commonists.wordpress.com/2017/11/08/wikimedia-diversity-conference-2017

    Ensuite parce que, assez logiquement, les Diversity Conference sont toujours à la pointe de l’inclusivité et de la bienveillance : salles calmes sans être à l’écart, nourriture adaptée à tous les régimes alimentaires, lieux accessibles, rappel des différentes maîtrises de l’anglais, travail émotionnel effectué…

    Donc tout cela ne se fait pas n’importe comment :

    Ce schéma [un incident décrit juste au dessus dans le billet] est typique des espaces féministes où la fonction de care (« soin ») et de militance sont confondus. Attendre que les évènements Wikimedia ne soient pas des lieux de réouvertures de plaies traumatiques me semble complètement raisonnable. En même temps, nous avons besoin de changer les choses, de parler, d’apprendre les unes et les uns des autres, et cela suppose de répondre à des propos « mauvais » avec pédagogie et bienveillance. Je pense que nous avons un besoin vitale d’avoir ces discussions, mais qu’elles doivent se faire dans un cadre très préparé, avec une modération solide et de nombreux systèmes de support. Un gros, gros chantier.

    (c’est moi qui graisse. Ça me confirme dans ma ligne directrice au boulot, c’est pas mal ;-) )

    Bref, lis tout le billet, c’est pas très long, et c’est un bel exemple concret de cette question de la diversité et de l’inclusivité réelle.

  • 5 fat activists sound off on how thin people can become real allies
    https://mic.com/articles/185380/5-fat-activists-sound-off-on-how-thin-people-can-become-real-allies

    The question of when and how thin women should take part in various body positivity movements is a very hot topic — and for good reason. Arguably, the mainstreaming of body positivity has hit an all-time high (how else can we explain even Weight Watchers calling itself #BoPo?). And with that comes critical pushback from fat activists, who are frustrated by how their decades of work are being erased while thin, white, conventionally attractive women take center stage.

    #poids #féminisme #privilège

  • @raspa Ça reboucle avec une discussion récente sur l’utilité des concepts, et ça pose aussi des questions sur notre posture de « hauts du panier » qui sont amené à expliquer à des discriminé.e.s ce qu’ils.elles vivent...

    Enseigner Pierre Bourdieu dans le 9-3 : ce que parler veut dire
    http://socio-logos.revues.org/2446

    Ainsi, les élèves qui me font face sont objectivement, au sens de Bourdieu, des élèves qui sont dominés socialement, économiquement, culturellement et scolairement. Non seulement, il va falloir parler de cette domination, la montrer et la démontrer, mais il s’agira en plus d’indiquer en quoi le rôle joué par l’école et par l’enseignement ne fait qu’accentuer des inégalités structurelles. C’est évidemment une position inconfortable et par ailleurs intenable pour l’enseignant. Le seul discours possible au quotidien est en effet le discours méritocratique car c’est le seul qui peut faire sens pour le professeur et pour les élèves. Si je commence à penser que mes cours sont inutiles et que mes élèves sont condamnés à l’échec, je ne fais plus cours. Si les élèves pensent que tout est déjà joué, alors ils ne travailleront plus.

    La sociologie de Bourdieu nous pose donc un problème essentiel qu’il nous faudra résoudre en tant que classe : celui du sens de notre action.

    Il pose aussi une question très concrète à l’enseignant : comment exposer sa thèse sans déclencher l’hostilité ou le mépris, qui seraient les deux faces d’une réaction attendue à l’expression de la « violence symbolique » latente dans le discours à venir et à tenir.