Nidal

“You know what I did? I left troops to take the oil. I took the oil. The only troops I have are taking the oil, they’re protecting the oil. I took over the oil.”

  • Georges Corm, L’Europe et l’Orient, extraire de la « Préface à l’édition de 2002 »

    […]

    En particulier, ce livre décrit et explique l’usage et la promotion de l’intégrisme islamique à des fins purement profanes de puissance, ce qui a été si longtemps ignoré par la plupart des analystes. Aujourd’hui, de nombreux auteurs ou éditorialistes de grands quotidiens occidentaux découvrent enfin « avec horreur » cet intégrisme qui a été un allié précieux États-Unis dans la Guerre froide, alorts qu’il était pourtant largement étalé sous leurs yeux durant des années. Il était simplement de bon ton, tant que la guerre froide battait son plein, de croire que l’intégrisme islamique était la seule spécialité de la révolution iranienne à couleur « chiite » et anti-occidentale ; comme il était de bon ton de taire les liens de la CIA avec les principaux mouvements d’intégrisme islamique d’inspiration wahhabite, financés par l’Arabie Saoudite et soutenus et développés par le Pakistan.

    Il fallait au contraire dans cette conjoncture délicate ignorer cette coalition hétéroclite menant la « guerre sainte » contre le régime prosoviétique régnant en Afghanistan envahi par l’armée russe en 1979, année de la révolution « religieuse » en Iran qui faisait craindre à Moscou une déstabilisation de ses républiques musulmanes. Ou au mieux donner à penser que l’intégrisme islamique, travaillant alors contre les régimes du tiers monde hostiles à l’Occident, était un mal nécessaire, un passage obligé vers la modernité et la démocratie. C’est ainsi d’ailleurs que les principales capitales occidentales ont longtemps reçu, voire honoré les chefs de ces mouvements, qui obtenaient sans problème des visas d’entrée ou des statuts de réfugiés politiques. Par la suite, et jusqu’au premier attentat de l’organisation Al Quaida contre des objectifs américains en Afrique et dans la péninsule Arabique, il a fallu continuer de faire silence sur le régime des Talibans en Afghanistan, alliés pro-américains de l’Arabie Saoudite et du Pakistan, jugé utile pour empêcher une extension de l’influence « chiite » iranienne en Asie centrale, hostile aux intérêts occidentaux.

    Dans ce contexte mouvant, il a donc d’abord été impératif en Occident de présenter les mouvements militants islamiques comme des expressions authentiques de l’identité musulmane que les dictatures laïques et nationales postcoloniales du tiers monde, plus proches de Moscou que de Washington, auraient opprimés de façon scandaleuse. Il s’est agi pour les États-Unis et ses alliés européens, saoudiens et pakistanais, de liquider tout à la fois l’URSS et ses alliés du tiers monde qui avaient fait considérablement reculer l’influence impériale de l’Occident libéral et capitaliste dans le monde au profit de celle de l’URSS et des régimes autoritaires et socialistes qu’elle soutenait. La Guerre froide a été, en fait, une véritable troisième guerre mondiale qui s’est principale déroulée dans le tiers monde et où une mobilisation maximale de l’Islam a été une arme redoutable. Tout comme Paris valait bien une messe, Moscou valait bien le soutien à des États et des milices armées se réclamant d’une application rigoriste et brutale de l’Islam.

    On ne s’étonnera donc pas que chercheurs et journalistes, naïvement ou consciemment, aient produit toute une littérature savante ou de vulgarisation sur les mouvements islamiques, présentés comme un phénomène authentique d’expression identitaire, nécessaires pour le passage à la modernité. Ces auteurs ont, en effet, estimé que les politiques dictatoriales des pays musulmans du tiers monde devenus indépendants n’avaient pas réussi à accomplir le passage à la modernité, pour avoir voulu être laïcs et socialisants et d’avoir persécuté les différents mouvements islamiques radicaux, censés exprimer la psychologie collective réelle des peuples musulmans.

    […]

    Beyrouth-Paris, mai-juin 2002