• Constat 1 : nous vivons à l’heure d’une extrême atomisation sociale affectant aussi bien les corps que les gagne-pains (éclatement des lieux d’activité, uberisation, télé-travail, disparition progressive des conventions collectives, auto-entrepreneuriat de misère etc.), où chacun-e est renvoyé-e à la responsabilité de sa propre situation et de sa propre détresse. Cette atomisation sociale, qui a su se rendre désirable (par le développement des libertés individuelles), exacerbe les égoïsmes et a pour effet l’incapacité de mettre les souffrances en lien, en perturbant la conscience de leurs causes.

    Constat 2 : nous sommes toutes et tous soumis-e-s à diverses violences, pressions et oppressions interpersonnelles (selon le genre, la couleur de peau, la religion, l’orientation sexuelle, l’âge, le quartier ou le pays d’origine etc., oppressions exacerbées par l’exaltation de la compétition et par la mise en concurrence des individus) autant que collectives (par la précarité institutionnalisée, par la privatisation des biens communs, la logique du profit appliquée au moindre interstice vital, par la techno-dépendance, par l’exposition à toutes formes de pollutions, par le pillage des ressources, la dégradation des écosystèmes etc.). Ces rapports de domination, ces violences physiques, psychologiques et symboliques, vont en s’accentuant, se réclamant de l’intérêt supérieur de l’État, de la « sauvegarde de l’économie », de la défense des traditions, des croyances, voire même de la protection des personnes. Elles s’exercent par les coups, les décisions discrétionnaires, la propagande et l’incantation médiatique, la répression administrative et policière et toutes sortes de manipulations.

    Constat 3 : les luttes sociales et sociétales contemporaines, qui affrontent l’oppression dans toutes ses composantes, s’inscrivent dans ce monde atomisé, et sont elles-mêmes soumises à l’atomisation. Envisagées par secteurs et catégories, elles apparaissent souvent à leurs acteurs-trices et observateurs-trices comme déconnectées les unes des autres. La constitution d’un rapport de force susceptible de nuire à l’ordre social n’est alors plus espéré qu’au prisme d’une « convergence » des luttes, terme postulant qu’elles ne puisent pas leur motivation à la même source, même si elles peuvent ponctuellement identifier le même adversaire.

    Constat 4 : les lois sécuritaires cajolent l’individu atomisé, si celui-ci consent à réduire sa « liberté » à un éventail de possibilités marchandes (je veux être libre de prendre l’avion pour un séjour touristique, de boire un café en terrasse, de me payer une place de spectacle etc.). Mais ces lois ciblent la liberté de réunion et de manifestation, et donc les individus, dès lors qu’ils entendent s’émanciper au contact des autres, convaincus de la nécessité de se rassembler, dès lors qu’ils entendent repenser ensemble les modes d’organisation et de production. Il s’agit, pour le pouvoir, de tuer dans l’œuf toute possibilité d’établissement d’un rapport de force réfléchi et structuré (discrédit de la contestation politique, restriction du droit à manifester, répression des manifestant-e-s, criminalisation de l’action syndicale, criminalisation des occupations etc.).

    Occupons partout : nous n’avons pas d’autre choix – Créons nos utopies
    https://www.apc-creonsnosutopies.org/2021/05/11/occupons-partout-nous-navons-pas-dautre-choix

  • Retour sur l’occupation interrompue du théâtre Liberté, à Toulon
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    L’occupation des théâtres en ce printemps 2021, aussi peu mordante soit-elle vis-à-vis de l’institution, a permis d’ouvrir ces lieux à des débats inédits et une certaine forme d’offensive politique. À Toulon, la récré aura duré moins de deux semaines avant que la préfecture ne renvoie tout le monde à la maison. L’administration du Liberté, avec qui les occupant-e-s n’ont jamais noué des relations de franche camaraderie, est peut-être soulagée. Mais cette assignation à la torpeur réjouit surtout les forces réactionnaires.

    Mars 2021. Un collectif s’invite dans le hall du théâtre le Liberté, à Toulon, avec l’approbation circonspecte du directeur Charles Berling. [...]
    Dès le premier jour, Charles Berling estime au micro de France 3 que les revendications du collectif sont peut-être « un peu trop larges », et que « politiquement, ce n’est pas forcément une stratégie audible. » Lui se bat, depuis l’automne, pour la réouverture des lieux de culture.
    Après une semaine, le collectif d’occupation publie sur Facebook un communiqué virulent, en réaction à une instrumentalisation de l’administration du théâtre qui, décidément, a bien du mal avec l’extension du domaine de la lutte, puisqu’elle vient d’envoyer une newsletter à ses abonné-e-s réduisant les revendications du collectif à la seule portion qui l’intéresse.
    Le texte vengeur ironise sur les missions du Liberté. Les réactions sont vives, souvent indignées. Des artistes, technicien-ne-s, spectateurs-trices se désolidarisent d’un mouvement d’occupation qu’ils-elles n’avaient pas rejoint. L’équipe du Liberté s’estime outragée. On parle de poujadisme. On regrette une division qui ferait le jeu des méchants. [...]
    « Le théâtre Liberté est un temple de la culture bourgeoise », affirme le communiqué. La formule ne passe pas. On rejette l’adjectivation du mot culture. [...]
    Il faudrait donc se contenter de la culture au singulier et sans complément, comme dans « Ministère de la Culture ». [...]
    Revenons alors à cette Culture avec un grand C que le ministère entend promouvoir à travers le réseau des « scènes nationales » auquel émarge le théâtre Liberté. Cette « La Culture » se déploie selon un processus de médiation complexe associant air du temps, appropriation, neutralisation, légitimation, valorisation, en prise directe avec les préoccupations sociétales des classes moyennes supérieures qui constituent son ferment …beaucoup moins avec les précarités sociales qui échappent aux mêmes classes moyennes supérieures. L’institution culturelle sera beaucoup plus prompte à s’emparer des questions de genre que du mouvement des Gilets jaunes, par exemple. [...]

    De “la Culture” comme concept hors-sol – Créons nos utopies
    https://www.apc-creonsnosutopies.org/2021/04/12/de-la-culture-comme-concept-hors-sol

    #OccuponsPartout #culture

  • Sauver Noël, quoi qu’il en coûte – Créons nos utopies
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    Les mesures dites « sanitaires » du gouvernement, à l’approche de l’automne, ont plus à voir avec la coercition que le soin. Ce n’est pas une nouveauté. On nous dit qu’il s’agit de préserver les rythmes hospitaliers. On nous dit qu’il s’agit de sauver des vies. Mais ceux qui nous gouvernent et se font soigner en clinique privée ont, semble-t-il, une fâcheuse tendance à confondre les mots « vie » et « économie ».
    [...] Nous aurions tort de considérer que le gouvernement cherche à délibérément opposer les jeunes aux vieux ou la campagne à la ville. Et il ne faut pas s’interroger trop longtemps sur l’apparente contradiction à laisser se remplir les quais de métro tandis qu’on vide les salles de spectacle en mesurant les quatre mètres carrés de rigueur. Le seul objectif du gouvernement est en effet de préserver la production, quitte à délester les gens d’un certain nombre d’activités considérées comme annexes, secondaires ou superflues, même si elles correspondent à ce que nous appelons, nous, la « qualité de la vie ».
    [...] La propagande assortie consiste à détourner l’attention vers la responsabilité individuelle et, comme d’habitude, la culpabilisation des victimes. Le gouvernement table accessoirement sur la sidération de la population autant que sur ses mesures restrictives en matière de regroupements pour éviter la contestation et toute réorganisation conséquente du mouvement social.

    https://www.apc-creonsnosutopies.org/2020/10/19/sauver-noel-quoi-quil-en-coute

  • Comment l’idée du travail est venue à ceux qui l’imposent aux autres – Créons nos utopies
    https://www.apc-creonsnosutopies.org/2020/09/11/comment-lidee-du-travail-est-venue-a-ceux-qui-limposent-aux-au

    Cet article s’intéresse à l’évolution de la représentation du travail, comme activité contraignante effectuée en contrepartie d’une rémunération ou d’une commodité quelconque : comment il a pu « passer du dernier rang, de la situation la plus méprisée, à la place d’honneur, et devenir la mieux considérée des activités humaines ». La tentation est forte, à gauche, de vouloir faire dire autre chose au travail, de le « réhabiliter » en affirmant après Marx que la notion a été dévoyée par les capitalistes et que toute activité productive ou reproductive devrait être qualifiée comme tel, avec pour drôle d’effet de revendiquer parfois l’extension du domaine du salaire tout en militant pour l’abolition du salariat et la fin de « l’aliénation au travail ». Va comprendre. Cette vision positive du travail entretient une ambiguïté finalement très utile à ceux qui entendent exercer leur domination sur les autres, car même si la perception que nous en avons a bien évolué au fil du temps, le travail reste et restera l’instrument du pouvoir.

  • Le travail, à l’intersection de toutes nos colères – Créons nos utopies
    https://www.apc-creonsnosutopies.org/2020/08/29/le-travail-a-lintersection-de-toutes-nos-coleres

    Un pouvoir satellisé, une contestation qui hurle en silence, un rapport de force à la ramasse, un obscurantisme décomplexé, les ultra-réacs en embuscade.
    Il devient urgent de penser l’avenir, sans peur ni aquabonisme. L’avenir, ce n’est pas réclamer un partage plus égalitaire du gâteau, c’est changer complètement de recette.
    Pas d’alternative sans vraie critique du travail et du mode de production, par toutes les composantes des luttes émancipatrices.

  • Flux & turbulences - Contrebandes
    http://www.contrebandes.net/spip.php?article456

    Si la librairie dite indépendante, à l’image de la grande surface, doit se résumer à un espace marchand sélectionnant sa camelote sur seul critère de « profitabilité économique », quel égard spécifique mérite-t-elle ? Pourquoi la considérer davantage que la boutique de fringues d’à côté qui, elle, choisit ses collections avec soin ? Parce que les vêtements margent mieux ? Parce qu’il faut préserver le petit commerce du centre-ville ? Parce que « le Livre » ?

    #librairie #édition