Bifurquer : Bernard Stiegler et le collectif Internation pour des « territoirs existentiels »
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Bifurquer est un ouvrage collectivement rédigé par un ensemble de chercheurs issus de différentes disciplines (le collectif Internation 1), sous la direction du philosophe Bernard Stiegler. Cet ouvrage analyse les effets toxiques de l’ère Anthropocène, qui se caractérise aujourd’hui par un capitalisme planétarisé réduisant la pensée humaine au calcul et à la raison algorithmique, et propose un ensemble de pistes pour amorcer une bifurcation vers de nouveaux modèles économiques et technologiques porteurs d’avenir.
Le point de départ des thèses défendues dans ce livre consiste à soutenir que l’Anthropocène correspond à une augmentation massive des taux d’entropie, aux niveaux physique (changement climatique, dissipation de l’énergie et épuisement des ressources), biologique (destruction des écosystèmes et perte de biodiversité) mais aussi psycho-social (l’ère post-vérité et la data economy peuvent être comprises comme des facteurs d’augmentation de l’entropie informationnelle, à travers la destruction des différents types de savoirs). Dans ce contexte, le collectif soutient qu’une nouvelle forme d’économie est requise, visant à valoriser la production d’anti-entropie à ces trois niveaux, en tirant parti des technologies numériques. Le livre vise à expliciter les hypothèses théoriques sous-jacentes à ces analyses et à fournir des méthodes permettant d’expérimenter de manière concrète et localisée les hypothèses ainsi présentées.
Concernant les hypothèses fondamentales, il s’agit de montrer que le modèle macro-économique dominant, à l’origine de l’Anthropocène, se fonde sur des bases épistémologiques obsolètes, dans la mesure où il ne prend pas en compte la théorie de l’entropie, en particulier ses conséquences en termes de biologie 2, notamment en ce qui concerne la vie technique qui caractérise les sociétés humaines. Comme l’explique le biologiste Alfred Lotka dès 1945, et comme l’avaient déjà souligné des philosophes comme Karl Marx ou Henri Bergson, l’évolution des sociétés humaines se caractérise par un phénomène d’exosomatisation, c’est-à-dire, par la production d’organes artificiels ou techniques, dont le rythme d’évolution ne cesse de s’accélérer.
En s’inspirant des analyses du mathématicien Alfred Lotka, les auteurs du livre soutiennent que le développement technologique est intrinsèquement ambivalent. Il contribue toujours et inévitablement à une accélération de la tendance entropique qui caractérise l’évolution physique de l’univers : en reproduisant leurs conditions matérielles d’existence, les vivants techniques exploitent des ressources et dissipent de l’énergie, « précipitant [ainsi] une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive 3 ». Néanmoins, s’ils adoptent leurs milieux techniques à travers la pratique de savoirs de toutes sortes, et en se reliant collectivement au sein d’organisations sociales, les vivants techniques peuvent différer localement cette tendance entropique globale, en produisant de la diversité (culturelle, scientifique, spirituelle) et de la nouveauté (à travers la transformation des savoirs faire, des savoirs vivre, des savoirs théoriques).