• Serge D., grièvement blessé à Sainte-Soline : le récit d’une faillite des autorités

      https://www.mediapart.fr/journal/france/290323/serge-d-grievement-blesse-sainte-soline-le-recit-d-une-faillite-des-autori

      Ce manifestant de 32 ans, touché à la tête lors de la manifestation anti-bassine du 25 mars, se trouve toujours entre la vie et la mort. Mediapart a pu reconstituer son itinéraire et son évacuation tardive par les secours, sur la base des témoignages de ceux qui l’ont pris en charge et des éléments rendus publics par les autorités.

      Sarah Brethes, Caroline Coq-Chodorge, Jade Lindgaard et Camille Polloni

      29 mars 2023 à 20h25

      MercrediMercredi 29 mars, les parents de Serge D., 32 ans, grièvement blessé à Sainte-Soline quatre jours plus tôt et toujours hospitalisé entre la vie et la mort, ont porté plainte pour « tentative de meurtre » et « entrave aux secours », ainsi que pour la divulgation publique d’informations sur leur fils, tirées des fichiers de police. Le parquet de Rennes, compétent en matière militaire, est chargé de l’enquête.

      Dans un communiqué, répondant à certains articles de presse alimentés par ces fuites policières, ses parents confirment que Serge D. est fiché S, « comme des milliers de militants dans la France d’aujourd’hui », et qu’il a déjà eu affaire à la justice, « comme la plupart des gens qui se battent contre l’ordre établi ». Ils ajoutent qu’il « a participé à de nombreux rassemblements anticapitalistes » et que loin de « salir » leur fils, « ces actes sont tout à son honneur ». Ils rappellent que son pronostic vital est engagé.

      Les récits croisés de plusieurs témoins directs des faits, joints par Mediapart, les éléments horodatés rendus publics par les autorités, ainsi que l’enregistrement d’un appel au Samu donnent un premier aperçu sur le déroulé des événements et les retards dans sa prise en charge médicale.

      À plusieurs reprises, des manifestants et soignants présents sur place supplient les secours d’intervenir pour sauver ce blessé. Au téléphone, les agents de régulation du Samu et les pompiers, soumis aux impératifs du maintien de l’ordre, sont contraints d’admettre leur impuissance.

      Alors que les manifestants se dirigent vers la bassine de Sainte-Soline, samedi 25 mars, Serge D. est blessé entre 13 h 30 et 13 h 45. Selon ses parents et les organisateurs de la manifestation, il a été touché à l’arrière de la tête par une grenade GM2L, à double effet lacrymogène et assourdissant, classée parmi les armes de guerre.

      Une grenade « sur la tête »

      Quatre membres du cortège qui se trouvaient à proximité immédiate de Serge D., Tom*, Faouzy*, Maxime* et Camille*, sont convaincus qu’il a été blessé par une grenade lancée à la main, par-dessus la banderole brandie par la première ligne de manifestants. Faouzy se reproche d’avoir « fui comme un égoïste » quand il a entendu crier « grenade ». Tom a vu celle-ci tomber et exploser « sur la tête » de Serge D., équipé d’un masque de protection, comme celui que portent les peintres, et d’un casque blanc qui a « éclaté » sous le choc.

      Quand Faouzy se retourne, Serge D. est « par terre ». Camille reste marqué par le sang qui coulait « du nez, des oreilles ». Maxime se souvient de son regard « tétanisé » et des « tremblements » qui agitaient son corps. « Tout le monde criait : cette personne va mourir. » Tom et Faouzy font partie des premières personnes à avoir porté Serge D. à l’écart.

      La famille de Serge D. a été prévenue que ces quatre manifestants allaient livrer à Mediapart des témoignages difficiles. Elle ne s’y oppose pas. S’il est important de documenter la gravité de ses blessures, nous avons cependant décidé de ne pas publier certains détails.

      Éloïse, manifestante et infirmière diplômée venue de Bretagne, aperçoit cet « homme d’une trentaine d’années à terre, inconscient » et entend deux medics (secouriste bénévole) crier « urgence vitale ». Quand elle s’approche du blessé, elle voit « deux personnes au téléphone avec le Samu, une jeune femme et un garçon ».

      Un premier appel aux pompiers à 13 h 49

      Dans son rapport, rendu public mardi 28 mars, la préfète des Deux-Sèvres note un premier appel aux pompiers, passé par une femme, à 13 h 49. Puis un appel au Samu, une minute plus tard : une « ancienne infirmière » signale ce blessé « inconscient suite grenade ». Mediapart s’est entretenu avec cette ancienne infirmière, Caro. Elle indique avoir appelé le Samu à 13 h 49, alors qu’un medic venait lui-même de raccrocher avec le 112 (le numéro d’urgence européen).

      D’après la préfecture, le Samu parvient à géolocaliser le numéro de cette requérante à 13 h 54. Le Smur de Ruffec, le plus proche du lieu de rassemblement, « est enclenché » à 14 h 01. Leur véhicule parcourt rapidement les 25 km qui les séparent du « point de rassemblement des victimes (PRV) de Clussais-la-Pommeraie », où il arrive à 14 h 23. De manière inexplicable, le Smur reste à cet endroit jusqu’à 14 h 45, alors que Serge D. ne s’y trouve pas, puis repart jusqu’à l’entrée de Sainte-Soline avec une escorte de gendarmerie.

      Le véhicule du Smur progresse ensuite « sans escorte » en direction du blessé car, selon la préfecture, « la seule vue des motards de la gendarmerie générait un accroissement de l’hostilité des manifestants regroupés sur le chemin ». Toujours selon ce rapport, le Smur a dû « s’arrêter à plusieurs reprises sur son parcours » parce qu’il était sollicité par des blessés moins prioritaires.

      Interrogé par Mediapart, le Dr Farnam Faranpour, chef du Samu-Smur de Niort qui se trouvait au poste de commandement, confirme ces aléas. Il reconnaît aussi une « perte de temps » entre 13 h 50 et 15 h 15, due à « des informations discordantes ». Selon lui, une fois sur zone, le Smur de Ruffec a eu du mal à trouver l’endroit précis où attendait Serge.
      Plus d’une heure à attendre l’ambulance

      Pendant tout ce temps, sur place, les manifestants et medics qui entourent le blessé sont livrés à eux-mêmes. Certains, dont Benoît*, équipés de boucliers de fortune, de banderoles renforcées et de parapluies, se positionnent en cercle et tentent de le protéger.

      En raison des grenades qui continuent à tomber, ils sont contraints de le déplacer à deux reprises : une première fois de quelques mètres, puis une deuxième fois pour le ramener plus loin vers l’arrière, à travers les gaz lacrymogènes, jusqu’au bord d’une petite route. Ils crient aux manifestants de dégager l’accès pour permettre le passage des secours, mais désespèrent de voir une ambulance arriver.

      Tous sont conscients de la gravité de son état, qui semble même se dégrader, mais ils ne disposent pas du matériel de réanimation nécessaire. Ces intervenants, restés plus d’une heure au chevet du blessé, semblent traumatisés. « Ce qui m’a choqué c’est l’impuissance des medics qui disaient : “Il va mourir devant nous” », témoigne l’une d’entre eux. Un autre évoque même son sentiment de « déréalisation ». Une médecin urgentiste, Agathe, a témoigné de ces minutes décisives auprès de Reporterre. Elle aussi tente de convaincre le Samu qu’il faut venir au plus vite, sans succès.

      Caro a assisté à cet appel sur haut-parleur. Lionel Brun-Valicon, secrétaire général adjoint de la LDH et à ce titre observateur dans la manifestation, également. Ils ont tous les deux entendu l’opérateur du Samu expliquer que l’ambulance était bloquée par les forces de l’ordre. Lionel Brun-Valicon ajoute s’être adressé à des pompiers, stationnés à proximité, alors qu’il repartait : « On leur a demandé : est-ce que les gendarmes vous empêchent de passer ? Ils nous l’ont confirmé. »

      Cette impossibilité d’intervenir paraît d’autant moins compréhensible que le rapport du directeur général de la gendarmerie nationale, publié mardi 28 mars, note un « retour relatif au calme » et un « repli de l’adversaire » à partir de 14 h 20. Les manifestants interrogés estiment quant à eux que les affrontements ont cessé dès 14 heures.

      Pourtant, la préfète des Deux-Sèvres, ancienne directrice de cabinet adjointe de Gérald Darmanin, soutient dans son rapport que Serge D. se trouvait « en zone d’affrontement » et que ce « climat hostile » explique l’impossibilité de laisser passer les secours, faute de pouvoir assurer leur sécurité.

      À distance aussi, on essaie d’alerter les secours. À 14 h 30, selon la préfecture, un homme se présentant comme un médecin relance le Samu au sujet des blessés graves, dont Serge. Cet appel semble correspondre à l’enregistrement publié par Mediapart le 28 mars. Dans cette conversation, le requérant indique au Samu que la situation « est calme depuis trente minutes » et qu’il est « possible d’intervenir » pour porter secours au blessé. « Je suis d’accord avec vous, vous n’êtes pas le premier à nous le dire », répond son interlocuteur du Samu. « Le problème c’est que c’est à l’appréciation des forces de l’ordre », ajoute-t-il, avant d’indiquer que les médecins militaires présents sur place « sont là pour les forces de l’ordre ».

      Un médecin militaire dans le van des medics

      Sur place, en désespoir de cause, Caro rapporte avoir « couru vers les gendarmes qui protégeaient la bassine, alors que ça s’était calmé depuis une bonne demi-heure », pour leur dire « qu’un jeune homme était en train de mourir à cent mètres d’eux et qu’ils bloquaient l’ambulance ». Lionel Brun-Valicon, de la LDH, confirme avoir vu cette scène. Caro poursuit : « Ils m’ont dit qu’ils ne savaient pas et ont prévenu leur chef. Le chef m’a dit “on va certainement provoquer une sortie”. Au même moment, un homme en salopette bleue, qui était au téléphone, a crié vers les gendarmes “c’est bon, on a l’autorisation de la préfète”. »

      À 14 h 35 selon le rapport de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), à 14 h 51 selon celui de la préfecture – c’est-à-dire, dans cette deuxième hypothèse, plus d’une heure après la blessure de Serge D. –, la gendarmerie décide finalement d’envoyer un médecin militaire à son chevet en attendant l’arrivée des secours. Caro, Lionel Brun-Valicon et Agathe, l’urgentiste, ainsi que deux autres manifestantes jointes par Mediapart, ont vu arriver deux soignants de la gendarmerie.

      À ce stade, Serge D. vient d’être installé par les medics dans un van, utilisé comme ambulance de fortune. Faute de mieux, ils s’apprêtent à le transporter eux-mêmes. C’est dans ce véhicule que les médecins militaires lui posent une perfusion et lui prodiguent les premiers soins.

      La préfète Emmanuelle Dubée ajoute qu’après avoir aidé Serge, le médecin de la gendarmerie « déclare avoir été victime de jets de pierres » sur le chemin du retour. De son côté, le directeur général de la gendarmerie nationale écrit que ce médecin « a dû se déplacer à pied au sein d’une foule hostile au péril de son intégrité physique, harcelé par des black blocs alors même qu’il venait de prodiguer des soins au blessé ».

      16 h 34 : l’hélicoptère décolle

      Selon la préfecture, le véhicule du Smur arrive au contact de la victime à 14 h 57 et prend aussitôt le relais des gendarmes. Lionel Brun-Valicon, de la LDH, indique qu’il « ne confirme pas ces horaires », laissant entendre que le véhicule serait arrivé plus tard, mais ne souhaite pas préciser davantage.

      En tout état de cause, les urgentistes du Smur demandent l’évacuation de Serge D. vers un service de neurochirurgie. Malgré son état instable, ils doivent d’abord le conduire en ambulance sur plusieurs kilomètres, jusqu’au point de rassemblement des victimes de Clussais-la-Pommeraie.

      « L’hélicoptère ne pouvait pas se poser dans une zone d’attroupement », explique le Dr Farnam Faranpour. « Une zone délimitée d’atterrissage » a donc été créée sur le point de rassemblement. Il faudra attendre 16 h 34 – selon l’horaire indiqué par la préfecture – pour que l’hélicoptère du Smur 86 décolle en direction du CHU de Poitiers. Après avoir patienté au moins une heure et quart aux mains de bénévoles, Serge D. est donc blessé depuis trois heures au moment où il est évacué par hélicoptère. Un délai encore inexpliqué.

      Sarah Brethes, Caroline Coq-Chodorge, Jade Lindgaard et Camille Polloni

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      Boîte noire

      * Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.

    • faut pas louper la presse-gendarmes ci-dessus : « l’échec enregistré pourraient constituer le terreau d’une radicalisation encore plus importante ».

      d’ailleurs pour poser le pied quelque part, avec tous ces gens qui ne sont rien qui s’accumoncèlent sur le trajet avec des pancartes, faut un hélico, c’est dire


      la presse général en chef, donc :

      #média

    • et en même temps, Manu ne dit pas faux ; oui, des milliers de gens étaient venus pour faire la guerre ; précisément 3200 personnes : les fonctionnaires du maintient de l’ordre, sur ordre du chef.