BALLAST • Elsa Deck-Marsault : « Transformer notre rapport à la justice »
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Cette expression est tirée d’un article de Chi-Chi Shi intitulé « La souffrance individuelle (et collective) est-elle un critère politique ? », qui m’a beaucoup inspirée. L’autrice part du constat que le ressenti et la souffrance individuels sont aujourd’hui présentés comme le point de départ de nos luttes, c’est-à-dire l’endroit d’où on va pouvoir se rassembler. Politiquement, est-ce que ça nous permet de faire des liens entre les différents ressentis et souffrances que chacun et chacune peut avoir et exprimer ? On s’est retrouvé à centrer nos combats autour des individus et ça rend la construction de ponts impossible. On voit nos luttes davantage en termes de camps centrés autour de souffrances et de ressentis communs qu’en termes de front qu’il faut faire avancer face à un ennemi commun.
Lorsqu’on pense en termes de camps, qui fait partie du « nous » politique et du « eux » ? On s’est focalisé sur la traque des traîtres potentiels qui seraient dans le « nous » pour les exclure de nos espaces, faire en sorte que ces derniers soient de plus en plus safe, en partie pour qu’un confort individuel soit assuré au sein de nos luttes. Cette limite entre le « eux » et le « nous » me sert de point de départ pour parler de moralisme progressiste, c’est-à-dire la recherche exclusive de la perfection morale et la façon dont elle va s’incarner dans le fait d’assainir nos propres camps. On essaye de se retrouver entre bon·nes militant⋅es qui auraient tous les codes symboliques de la parole, sociaux, etc., en rejetant ce qu’on estime être des mauvais⋅es militant⋅es. On traque les gens qui feraient des erreurs discursives, des fautes dans leur comportement. On centre le problème sur des personnes, individuellement, plutôt que sur un système plus global. Résultat : on n’est plus capable de lutter et de militer ensemble. On en est venu à confondre nos « identités politiques » avec nos opinions et on a du mal à faire du lien entre nos conflits, à confronter nos points de vue contradictoires.