« Transformer notre rapport à la justice »

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  • BALLAST • Elsa Deck-Marsault : « Transformer notre rapport à la justice »
    https://www.revue-ballast.fr/elsa-deck-marsault-transformer-notre-rapport-a-la-justice

    Cette expres­sion est tirée d’un article de Chi-Chi Shi inti­tu­lé « La souf­france indi­vi­duelle (et col­lec­tive) est-elle un cri­tère poli­tique ? », qui m’a beau­coup ins­pi­rée. L’autrice part du constat que le res­sen­ti et la souf­france indi­vi­duels sont aujourd’hui pré­sen­tés comme le point de départ de nos luttes, c’est-à-dire l’endroit d’où on va pou­voir se ras­sem­bler. Politiquement, est-ce que ça nous per­met de faire des liens entre les dif­fé­rents res­sen­tis et souf­frances que cha­cun et cha­cune peut avoir et expri­mer ? On s’est retrou­vé à cen­trer nos com­bats autour des indi­vi­dus et ça rend la construc­tion de ponts impos­sible. On voit nos luttes davan­tage en termes de camps cen­trés autour de souf­frances et de res­sen­tis com­muns qu’en termes de front qu’il faut faire avan­cer face à un enne­mi commun.

    Lorsqu’on pense en termes de camps, qui fait par­tie du « nous » poli­tique et du « eux » ? On s’est foca­li­sé sur la traque des traîtres poten­tiels qui seraient dans le « nous » pour les exclure de nos espaces, faire en sorte que ces der­niers soient de plus en plus safe, en par­tie pour qu’un confort indi­vi­duel soit assu­ré au sein de nos luttes. Cette limite entre le « eux » et le « nous » me sert de point de départ pour par­ler de mora­lisme pro­gres­siste, c’est-à-dire la recherche exclu­sive de la per­fec­tion morale et la façon dont elle va s’incarner dans le fait d’assainir nos propres camps. On essaye de se retrou­ver entre bon·nes militant⋅es qui auraient tous les codes sym­bo­liques de la parole, sociaux, etc., en reje­tant ce qu’on estime être des mauvais⋅es militant⋅es. On traque les gens qui feraient des erreurs dis­cur­sives, des fautes dans leur com­por­te­ment. On centre le pro­blème sur des per­sonnes, indi­vi­duel­le­ment, plu­tôt que sur un sys­tème plus glo­bal. Résultat : on n’est plus capable de lut­ter et de mili­ter ensemble. On en est venu à confondre nos « iden­ti­tés poli­tiques » avec nos opi­nions et on a du mal à faire du lien entre nos conflits, à confron­ter nos points de vue contradictoires.

    #justice #justice_transformatrice #militantisme

    • Les pratiques punitives nous enseignent qu’on est toujours sur la sellette. Quand on milite depuis dix ans dans un milieu et qu’on sait qu’on peut en être exclu d’une minute à l’autre parce qu’on aura fait ou dit telle chose, qui serait considérée comme inacceptable de la part de nos pairs, ça nous pousse à nous investir à demi — un pied dedans et un pied dehors.

      […]

      Beaucoup de gens réagissent davantage par peur d’être vus comme mauvais⋅es allié⋅es ou militant⋅es que parce qu’ils sont vraiment d’accord avec la position prise. On en vient à se demander « comment faire pour montrer que moi, personnellement, je suis du bon côté de la barrière ? » Alors que les questions devraient être « qu’est-il juste de faire ? avec quoi je suis en accord politiquement et éthiquement ? » C’est une sorte de performativité qui utilise chaque nouvelle histoire pour montrer qu’on est le bon ou la bonne militant⋅e, qu’on a bien pris position. D’où ma référence au moralisme, qui invite à montrer qu’on a la bonne morale, qu’on est sur la bonne voie. Alors qu’au fond, c’est vide de sens.