Le droit de parler pour nous-mêmes

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  • Le droit de parler pour nous-mêmes, Mohammed El-Kurd
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    Permettez-moi de vous raconter une histoire. L’année dernière, le 11 mai, je me suis réveillé, comme beaucoup d’autres personnes dans le monde, en apprenant que la bien-aimée journaliste de télévision palestinienne Shireen Abu Akleh avait été abattue par les forces d’occupation israéliennes lors d’un raid dans le camp de réfugié-e-s de Jénine, en Cisjordanie occupée. Quelques minutes après l’annonce de la nouvelle, j’ai trouvé dans ma boîte de réception un courriel anonyme contenant un conseil. L’e-mail se lisait comme suit : « Très urgent et nécessaire, veuillez annoncer sur Twitter et Facebook que Shireen Abu Akleh est une citoyenne américaine. C’est un fait, pas une rumeur. Les Israélien-ne-s ont tué une journaliste américaine ». Bien entendu, je ne l’ai pas annoncé. Et lorsque j’ai écrit sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh, j’ai veillé à ne pas la qualifier de citoyenne américaine, mais plutôt de détentrice d’un passeport américain. Mais cela n’a pas eu d’importance. Dans les heures qui ont suivi, on a appris que Shireen était américaine, et sa prétendue américanité l’a soudain rendue humaine.

    Cette anecdote est l’occasion de se poser trois questions : Dans l’esprit occidental dominant, qui est considéré comme endeuillable ? Qui est humanisé ? Et qui prend le micro ?

    [...]Regardez autour de vous – il y a environ 7 000 flics ici. Il y a eu de nombreux articles, déclarations et tracts protestant contre cette conférence avant même qu’elle ne commence. Je suis dangereux, apparemment.

    Alors, si je ne peux pas toujours obtenir le micro, qui le peut ? La personne que nous honorons aujourd’hui, Edward Saïd, l’un des intellectuels publics les plus célèbres de notre époque, peut certainement obtenir le micro. Eh bien, même Edward Saïd – une personne de sa stature, de sa renommée – n’a pas eu le micro à un moment donné. En 2000, Edward Saïd s’est rendu au Liban. Il a jeté, selon ses propres termes, « un caillou » sur un poste de garde israélien à la frontière. Tout le monde s’est mis en colère. Edward Saïd n’était plus humain. Il ne pouvait plus parler leur langue. Le titre d’un article du Columbia Daily Spectator à son sujet était le suivant : « Edward Saïd accusé de lapidation au Sud-Liban ». La Société Freud de Vienne a annulé une conférence qu’il devait donner. Le Washington Post a publié un article qui commençait par dire que Saïd était « un peu trop corpulent, un peu trop distingué pour lancer des pierres en direction des soldat-e-s israélien-ne-s…. ». Se pourrait-il qu’Edward Saïd ait rejoint les rangs des lanceurs-euses de pierres palestinien-ne-s ? Cet article est très accablant, mais d’autres personnes ont estimé qu’il ne l’était pas assez. Deux auteurs ont réagi dans le Daily Spectator : « La première phrase nous dérange, car elle semble impliquer que l’acte de lancer des pierres à travers une frontière internationale sur des civil-e-s et des soldat-e-s inconnu-e-s d’un pays voisin serait acceptable ou au moins compréhensible s’il était entrepris par des individus ordinaires plus jeunes, moins corpulents ou plus distingués ». Ils ont qualifié son acte d’ »acte gratuit de violence aléatoire ».

    Alors, si quelqu’un comme Edward Saïd ne peut pas toujours obtenir le micro, quel-le-s Palestinien-ne-s ont le droit de raconter ? Les Israélien-ne-s ! (...)

    #Palestiniens #Israël