« La nouvelle droite continue de jouer un rôle déterminant au sein de l’extrême droite »

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  • Stéphane François, politiste : « La nouvelle droite continue de jouer un rôle déterminant au sein de l’extrême droite »
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    Le spécialiste des droites radicales analyse les liens entre le nazisme et ce courant de pensée, né à la fin des années 1960, qui conserve une influence au sein de Reconquête ! comme du Rassemblement national.
    Propos recueillis par Marc-Olivier Bherer

    Spécialiste des droites radicales et des contre-cultures, Stéphane François est professeur de science politique à l’université de Mons (Belgique). Il est également membre du laboratoire Groupe sociétés, religions, laïcités du CNRS. Il vient de faire paraître La Nouvelle Droite et le nazisme, une histoire sans fin (Le Bord de l’eau, 180 pages, 18 euros).

    Qu’est-ce que la nouvelle droite ? Pourquoi revenir sur son histoire aujourd’hui ?
    La nouvelle droite, apparue à la fin des années 1960, continue de jouer un rôle déterminant, puisqu’elle est à l’origine de l’idéologie #identitaire qui s’est répandue dans les partis d’#extrême_droite. Du Front national au Rassemblement national, mais aussi au sein du Bloc identitaire [un groupuscule d’extrême droite actif dans les années 2000 et rebaptisé « Les Identitaires » en 2016], du Mouvement national républicain [fondé en 1999 par Bruno Mégret] et de Reconquête !, partout, on trouve des anciens de la nouvelle droite ou de ses sympathisants.
    A travers ses idées, ce courant de pensée cherche à défendre une Europe blanche, sans mettre en avant une hiérarchie raciale. Il est moins raciste que racialiste. Pour lui, différentes races existent et peuvent vivre en paix si elles ne se mélangent pas. L’immigration ferait courir le risque d’un ethnocide en entraînant la disparition du peuple qui accueille des étrangers.

    L’histoire de la nouvelle droite débute lorsque d’anciens militants d’Europe-Action [un groupuscule raciste fondé en 1963 par Dominique Venner, proche d’anciens nazis tels que René Binet] fondent le Grece, le Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne, en 1969. Ce mouvement, qui réunit des écrivains, des journalistes et des universitaires, connaîtra bien des dissidences et a aujourd’hui périclité. Mais, dans les années 1970, le Grece voit certains de ses représentants être invités sur le plateau d’« Apostrophes ». D’autres participer à la fondation du Figaro Magazine, en 1978. Lors des années 1990 et 2000, ses idées commencent à se diffuser plus largement dans les partis. Le Grece disparaît vers 2013, mais la réflexion et la propagande idéologique se poursuivent toujours dans les écrits de son principal théoricien, Alain de Benoist, dans les colloques de l’Institut Iliade, les livres publiés par les Editions de La Nouvelle Librairie, la revue Eléments.

    Quels liens la nouvelle droite entretient-elle avec le national-socialisme ?
    Jusqu’au milieu des années 1980, d’anciens SS participent aux travaux de la nouvelle droite, dont Saint-Loup [nom de plume de Marc Augier (1908-1990)], Robert Dun [pseudonyme de Maurice Martin (1920-2002)] et Robert Blanc [né en 1923, mort après 2010]. Mais il n’y a pas une reprise en bloc de l’hitlérisme. Les auteurs néo-droitiers tentent de faire oublier qu’ils ont pu s’en inspirer en insistant davantage sur la révolution conservatrice allemande et sa tendance völkisch (de Volk, « peuple »), deux mouvements qui ont leur propre histoire mais qui ont été récupérés par le nazisme.
    La révolution conservatrice apparaît en Allemagne en 1918 et disparaît en 1933. Elle défend des idées antirépublicaines et antimodernes, inspirées par Nietzsche. Certains de ses représentants, comme le philosophe Oswald Spengler [1880-1936], critiquent le nazisme, ce que les idéologues de la nouvelle droite soulignent abondamment. Cette révolution conservatrice intègre des éléments de la tendance völkisch, un courant apparu à la fin du XIXe siècle, habité par la nostalgie d’une Allemagne païenne, une fascination pour la race blanche et ses prétendues origines scandinaves.

    Comment la nouvelle droite s’approprie-t-elle ces idées ?
    L’antisémitisme völkisch en donne l’illustration. Contrairement au nazisme, ce courant de pensée ne souhaite pas nécessairement la destruction des juifs. Ils sont certes considérés comme un corps étranger dangereux pour la nation, mais différents auteurs de cette tendance admirent leur capacité à préserver leur identité. C’est le rejet de l’assimilation qui est aujourd’hui récupéré par la nouvelle droite.
    Une des principales manifestations de cette proximité idéologique repose dans les liens d’amitié entre Alain de Benoist et Sigrid Hunke [1913-1999], militante nationaliste völkisch, proche de Heinrich Himmler [1900-1945], le chef de la SS. Lorsque la militante meurt en 1999, de Benoist écrit à propos de Sigrid Hunke qu’elle avait exhumé la « vraie religion de l’Europe », le paganisme. Elle est en effet violemment opposée au christianisme, dont l’ouverture à l’ensemble du genre humain menace, selon elle, les particularismes et les identités.

    Comment se définit l’Europe de la nouvelle droite ?
    Commençons par une évidence : ce n’est pas l’Union européenne. Mais ses contours varient d’un auteur à un autre. Elle peut s’étendre de l’Ecosse jusqu’à Vladivostok. Certains dissidents de la nouvelle droite estiment que l’Europe se trouve partout où il y a des descendants d’Européens blancs, c’est-à-dire également en Amérique, en Australie, etc. Mais l’Europe de la #nouvelle_droite, c’est avant tout un bloc civilisationnel qui repose sur le double héritage de la haute Antiquité gréco-romaine et de la culture celte et nordique. Elle se distingue par sa tolérance, elle ne cherche pas à convertir comme la « secte chrétienne », selon l’expression néodroitière. Aujourd’hui, cette vision de l’Europe se retrouve dans les discours de Jordan Bardella, qui assimile l’immigration à une « menace civilisationnelle ».