Je suis convaincue qu’on peut s’inspirer de politiques publiques d’ampleur qui ont fait changer les comportements sur d’autres sujets. Le parallèle est limité certes, parce qu’on parle de sujets peut-être moins ancrés, intimes (encore que) mais il peut être inspirant.
Regardons ce qu’on a fait sur la cigarette ou la sécurité routière. Les comportements et les mentalités ont radicalement changés en 20 ou 30 ans. Notamment par de l’éducation et de la prévention. Tous les enfants aujourd’hui sont conditionnés au code de la route. « Maman, t’es sûre que tu dépasses pas la limite de vitesse là ? », « maman, t’as mis ta ceinture ? ». Combien sommes-nous à avoir entendu ça dans la voiture, l’été, lors des départs en vacances ? Les enfants, depuis plusieurs décennies, apprennent le code de la route. Comme on leur apprend qu’on met pas les doigts dans la prise. On répète, on apprend.
En changeant les règles, en les répétant, on crée une nouvelle norme. Et avec cette norme, on génère de fait une forme de sanction sociale pour celles et ceux qui ne la respectent pas. Il y a 40 ans, quelqu’un qui se levait de table bourré et prenait ses clés, on lui disait « rentre bien » voire « allez, un dernier pour la route ». Aujourd’hui, on va souvent lui dire « attend, on te ramène » ou « dors ici ». Pression sociale.
Quand un homme qui racontera avoir forcé sa copine à faire ceci ou cela se prendra de la part de ses potes des remarques en mode « mais c’est un viol ça, tu peux pas, c’est dégueulasse » plutôt que des rires admiratifs, son comportement s’en trouvera affecté.
On pourrait créer cette nouvelle norme. Passer de la norme « une femme qui dit non, c’est un peu oui » ou « qui ne dit mot consent » à une norme qui fasse du respect et du consentement la règle.
On pourrait conditionner une population à ne pas violer. En apprenant, massivement, dès le plus jeune âge, à respecter l’autre, à la regarder ou le regarder comme une personne à égalité. En apprenant dès les premiers âges de la vie à respecter le corps, les souhaits et le consentement de l’autre. Sur les jeux, dès la crèche, on peut apprendre ça. « Non, elle ne veut pas jouer avec toi, je comprends que tu sois triste mais tu peux pas la taper, la forcer »
On pourrait lancer une vaste opération d’apprentissage du respect. A l’école, dans les entreprises, dans les médias, dans la société. On fait collectivement et individuellement lever le niveau d’exigence de non-violence. Pour rendre l’atteinte à la dignité et le non-respect du consentement insupportable socialement.
Lancer un plan d’éducation sexuelle
En parallèle, on lance un vaste programme d’éducation sexuelle. Valerie Rey-Robert le dit ici. Elle a raison. On ne luttera pas contre les violences sexuelles sans éducation sexuelle.
est ce qu’on peut poser qu’on ne fait pas de programme de prévention à la violence sexuelle sans ... éducation sexuelle ?
— Valerie Rey-Robert (@valerieCG)
January 25, 2021
© Valerie Rey-Robert
Le respect, le rapport au corps de l’autre, le consentement, ça s’apprend. Ce n’est pas inné. Et actuellement, notre société nous apprend plutôt l’inverse. Nous sommes conditionné·e·s à ne pas penser les femmes ou leurs sexualités à égalité d’humanité.
L’apprentissage de la sexualité n’est pas seulement explicite, il se fait de manière implicite, en particulier dans les représentations culturelles. Regardez attentivement dans les films, les jeux, les publicités, les discours publics ou les contes : nos propos, nos expressions, notre culture banalisent les violences voire parfois les encouragent. En repérant ces éléments constitutifs de la culture du viol, en les mettant en discussion, en les critiquant, en les refusant, on fait bouger les lignes.
Pendant des milliers d’années, la sexualité, le plaisir, le désir des femmes ont été ignorés. C’est encore très souvent le cas d’ailleurs. Dans la précédente édition du « Guide du Zizi Sexuel », le mot clitoris n’était même pas répertorié dans le glossaire final. Le clitoris y était d’ailleurs décrit comme « un mini zizi avec un urètre pour faire pipi » (????). On ne compte pas le nombre d’articles qui disent encore qu’il faut parfois « se forcer » pour préserver son couple (????) ou que c’est normal d’avoir mal (????).
Nous pourrions également changer la représentation de ce qu’est un rapport sexuel, notamment hétérosexuel pour les hommes. Cette représentation de la sexualité avec ses injonctions « quantitative », « qualitatives » doit être repensée.
Le sexe basé sur l’égalité et le respect, ça s’apprend. (Lisez Jouissance Club, de Jüne Pla, ou les chroniques de Maïa Mazaurette, ici dans Le Monde par exemple)
Pour faire en sorte que les hommes cessent de violer, il faut donc faire bouger les rapports de force.
Les rapports de force économiques et sociaux (collectifs) et les rapports de force intimes et individuels. On peut former les femmes, leur apprendre à dire oui ou non quand elles ont envie. On peut aussi, et ça sera sans doute beaucoup plus efficace, apprendre aux hommes à regarder, penser, considérer les femmes comme des êtres humains aussi importants qu’eux. Et à les respecter comme telles.