Sinon, une petite histoire sans fraude des professionnels pour illustrer la logique qui structure « la santé ». C’est l’histoire d’un type qui a un machin cassé et doit se faire opérer. C’est une opération banale pratiquée à grande échelle mais il n’a pas d’argent. Pour cette opération, il faut avant tout faire une radio, indispensable pour confirmer le diagnostic. Alors, même si c’est une image peu coûteuse, le patient doit trouver de quoi la payer.
Puisque ce n’est pas une urgence, à l’hôpital public il faudrait patienter deux mois avant d’être opéré, de disposer d’un temps de plateau chirurgical. Et la phase post-opératoire de rééducation intensive durera ensuite des semaines. Tout ce temps plus ou moins coincé, c’est pas pratique du tout.
Le patient se tourne alors vers les établissements privés où les rdv peuvent être plus rapides, avec parfois les mêmes chirurgiens. Pour faire face aux frais, une mutuelle serait indispensable. S’agirait d’en trouver une qui n’impose ni questionnaire médical, ni « durée de stage » avant ouverture des droits. Seule une #assurance réunit ces conditions. C’est pas donné mais il suffira de la payer le temps des soins. À la lecture du contrat, derrière les avantages recherchés, on découvre sans trop farfouiller quelques perles, les limites de la formule, à quel point des risques courants ne sont pas couverts. Par exemple cette assurance couvre deux semaines de remboursement en cas d’hospitalisation psychiatrique, pas plus, et pour toute la vie. On rigole. Heureusement que ce n’est pas le problème, car malgré le raccourcissement des durées d’hospitalisations pratiqué partout (de toute façon, en psychiatrie des dizaines de milliers de lits ont été supprimés, il y a certes plus d’ambulatoire mais surtout une palanquée de gens à la rue et en prison, de l’absence de soins), deux semaines de ce que ces services appellent « période d’observation », c’est déjà au moins une semaine qui manque en moyenne. L’assurance est faite pour couvrir des performants qui payent et assurer leur performance, pas autre chose. Et faite pour soutenir la médecine la plus scientifique, ou réputée telle, les lieux de soins à gros équipements techniques, et la production pharmaceutique.
À la clinique, réputée pour sa spécialisation, le chirurgien a son image et confirme le diagnostic que l’examen clinique a permis de poser. On programme l’intervention et en guise d’attention il est proposée de réaliser une IRM, parfaitement inutile ( « si vous voulez voir, on peut avoir une belle image ») et au bas mot dix à vingt fois plus chère que la radio déjà réalisée. Mais là ce serait gratuit. « Nous avons la machine sur place et une convention avec la sécurité sociale ». Il n’y a pourtant aucun moyen de justifier cette dépense, mais il semble que d’habitude ça passe. Refus du patient, sans trop savoir ce qu’en pense l’homme de l’art ("zut il va falloir patienter pour mes prochains enjoliveurs de 4X4" ?).
En rééduc, rebelote côté transports. Le patient a le droit à un véhicule sanitaire léger chaque jour, aller retour pour aller au centre de rééduc. Mais il préfère utiliser les transports en commun, histoire de faire un peu d’exercice en plus. Toujours fauché, il demande le financement par la sécu de l’abonnement aux transports. Refus de la caisse. Il lui faudra financer les trajets de sa poche.
La Sécu est une institution parfaitement bureaucratique, sans que les besoins qui la légitime ne puissent y être niés dans leur ensemble, ils ne sont pas la mesure de l’activité. Avec ou sans fraude, c’est un exemple flagrant de l’anti-production capitaliste. La prescription d’examens inutiles et coûteux, découle de relations soignés/soignants radicalement corrompus par un scientisme absurde. Faire tourner la bécane et les emplois qui y sont liés vient bien souvent avant toute logique de soin. Et les rapports sur les dépenses viennent pour leur part renforcer une approche comptable qui fait fi de toute approche qualitative.
Pour qui ne l’aurait pas lu,
Un métier idéal
de John Berger présente une tout autre vision (photos à l’appui) du rapport au corps, au soin, à partir du portrait en situation d’un médecin.