#authenticité

  • #Douarnenez : ni volets fermés, ni ghettos dorés

    Habiter une ville touristique, une vue sur mer pour les précaires (Éditions du commun) est le résultat de plusieurs années d’enquête du collectif Droit à la ville Douarnenez sur la « #touristification » de la petite ville bretonne. De quoi questionner la #gentrification de nos territoires et ouvrir des pistes de #résistance. Entretien avec deux de ses auteurs.

    Dans quelle ville voulons-nous vivre ? Au profit de qui se transforme-t-elle ? Depuis 2018, le collectif Droit à la ville Douarnenez cherche à répondre à ces questions1. Galères de logement, modelage de l’espace aux goûts supposés des touristes, luxueux projets immobiliers inaccessibles aux locaux… Ses membres ont voulu comprendre comment le port finistérien en est arrivé là, tout en proposant des pistes pour un #littoral réellement accueillant. Le résultat ? Une riche enquête de terrain parue en avril dernier aux Éditions du commun : Habiter une ville touristique, une vue sur mer pour les précaires. Rencontre avec Charlotte et Guillaume, membres du collectif, dans un bistrot du port du Rosmeur.

    Comment est né ce projet de « recherche-action » autour de la gentrification à Douarnenez ?

    Charlotte : « En 2018, on a organisé une réunion publique à propos d’un projet de “pôle d’arts numériques” porté par l’avocate d’affaires Stéphanie Stein et censé prendre place dans l’ancien abri du marin de Douarnenez2. Ça nous a paru complètement hors-sol et révélateur d’une #spéculation croissante. À la suite de ces échanges, on a eu envie de s’organiser pour penser les évolutions récentes de la ville : d’un côté de nouveaux projets immobiliers, de l’autre de plus en plus de galères pour se loger. Des rencontres avec différents collectifs ont eu lieu au Local, un espace associatif autogéré. Sauf qu’en déballant ça sur la place publique, on s’est vus accusés de créer une mauvaise ambiance dans la ville, de ne pas être objectifs… On s’est dit que ce serait une manière de récolter de la matière dans de bonnes conditions, avec l’aide financière de la fondation Un monde par tous et en se faisant accompagner par l’association Appuii3, mobilisée sur ces problèmes de logement. »

    Guillaume : « Pour nous, la recherche-action est une recherche qui vient de la base : elle est conduite par les gens qui font partie de l’objet d’étude. Cela n’empêche pas d’avoir le soutien du milieu universitaire, mais on ne peut pas comprendre ce qu’il se passe à Douarnenez sans laisser place à l’émotionnel et au ressenti. Les données froides, les indicateurs, comme le nombre d’habitants, ou de Airbnb n’en rendront jamais compte de manière satisfaisante. C’est aussi un travail au long cours avec une volonté de transformer le réel. Notre objectif est de décrire ce qu’il se passe, mais aussi d’agir, en organisant des actions, des manifs ou de la solidarité concrète. »

    Le livre aborde différentes facettes de Douarnenez à travers une mosaïque de portraits et d’entretiens : un couple d’habitués des bistrots, une « néo-douarneniste » ou un vieux militant… Vous présentez aussi plusieurs lieux, par exemple Luzin4, un bâtiment assez emblématique de Douarnenez. Comment est venue cette manière d’écrire la ville ?

    C. : « De l’envie d’avoir un format hybride, composé de plein de petites cartes postales. Dans le collectif, chacun et chacune a pu travailler sur sa petite lubie. “T’as envie d’aller fouiller aux archives ? Super !” Moi, par exemple, j’étais au Conseil d’administration du festival du cinéma de la ville, du coup j’ai interrogé des personnes de l’association. On retrouve ainsi dans le livre des plumes et des points de vue différents, même si l’ensemble est lissé par le travail en commun. »

    Vous décrivez notamment l’impact du modelage du territoire au profit du tourisme et des résidents secondaires…

    C. : « En 2021, Douarn’ a été lauréate du dispositif “Petites villes de demain5”, ce qui lui a permis de financer la construction d’une promenade longeant le front de mer, un des attributs typiques des stations touristiques. Ils ont aussi produit une carte de la ville, soi-disant destinée aux habitantes et habitants. Mais Pouldavid et Ploaré, des quartiers un peu éloignés du centre-ville et de l’activité touristique, n’y figurent pas ! À côté de ça, cela fait des années que les habitants de Pouldavid demandent à la municipalité d’intervenir contre la dégradation de la cité HLM, et tout ce qu’on leur répond c’est “Désolé, c’est pas prioritaire, on trouve pas les sous”. »

    G. : « C’est une erreur de penser qu’avant Douarnenez c’était la pêche, et que maintenant c’est le tourisme. Il y a du tourisme depuis très longtemps. La question est de savoir ce qu’il produit sur le territoire. » Il y a un paradoxe dans cette « touristification » : elle détruit « l’authenticité » qu’elle vend aux visiteurs…

    C. : « Lors de la rénovation du port du Rosmeur, les Bâtiments de France6 ont imposé le blanc pour les ravalements de façades afin de produire une uniformité sur l’ensemble des ports de Cornouaille7. Alors que beaucoup des façades anciennes de Douarnenez sont peintes avec des restes de peinture de bateau. Et puis ce port, il est censé servir à quoi ? La promenade des touristes et la consommation dans les cafés ? Quitte à interdire la baignade et la pêche sur la cale – comme c’est le cas depuis 2019 – parce que ça fait sale ? »

    G. : « Il y a aussi le paradoxe du résident secondaire qui vient dans une ville qu’il espère vivante, alors qu’il contribue à l’étouffer. On a cette anecdote croustillante d’une personne nous racontant qu’elle a vendu sa résidence secondaire dans le Golfe du Morbihan “parce que là-bas c’est complètement mort”, pour en acheter une ici, “parce que la ville est vivante” ! »
    Quand ils sont interpellés sur les problèmes de logements, les élus des communes littorales se réfugient souvent derrière une indomptable « loi du marché ». Quel est leur rôle dans ces évolutions à Douarnenez ?

    C. : « Il y a quelques années, la municipalité se targuait de posséder pas mal de bâtis. Mais elle en a depuis vendu une bonne partie à des promoteurs immobiliers, parfois au détriment de projets collectifs ou associatifs. La majorité municipale de droite le justifie par une volonté de produire de la “mixité sociale par le haut”. Ces politiques ne sont pas menées pour les habitantes et habitants à l’année, mais pour favoriser les usages de résidents et résidentes secondaires, et pour des personnes qui ne sont pas encore sur le territoire. Elles se tournent vers un habitant hypothétique, dans une logique d’attractivité creuse. »

    Vous écrivez : « Nous ne sommes pas un collectif opposé au tourisme […] Nous sommes en revanche opposé·es au devenir touristique de la ville »…

    G. : « On a envie de défendre les vacances. Mais ce qui est important, c’est comment on décide collectivement de la juste place accordée au développement touristique. Comment accueillir plus de monde, sans artificialisation des sols, et en laissant de la place pour les gens qui souhaitent vivre ici à l’année ? »

    C. : « Il n’y a pas de solution simple, le livre n’est pas un manuel qui donne une liste d’actions à faire. Il invite juste à penser les choses dans leur complexité. Comme de se rendre compte que, contrairement à ce qu’il se dit, la moitié des résidents secondaires ne sont pas parisiens, mais bretons ! »

    https://cqfd-journal.org/Douarnenez-ni-volets-fermes-ni

    #Bretagne #droit_à_la_ville #tourisme #urbanisme #TRUST #Master_TRUST #logement #recherche-action #émotionnel #ressenti #données_froides #petites_villes_de_demain #Pouldavid #Ploaré #authenticité #résidences_secondaires #mixité_sociale_par_le_haut #aménagement_du_territoire #attractivité

    • Habiter une ville touristique. Une vue sur mer pour les précaires

      Dans quelle ville voulons-nous vivre ? C’est par cette question que commence le travail du collectif Droit à la ville Douarnenez. La ville bretonne connaît depuis quelques années un boom de l’immobilier. Les prix et le nombre de résidences secondaires augmentent et les habitant·es ont de plus en plus de mal à se loger. La ville se transforme, mais pour qui ?

      Ouvrage inédit, qui s’attache à décrire les mécanismes de touristification des villes côtières, cet essai montre comment ceux-ci mettent au ban une partie importante et précarisée des populations locales. À partir de l’exemple de la ville de Douarnenez, le collectif a mené une riche enquête dont ce livre restitue les principaux éléments. Analyses, entretiens et focus historiques, c’est par un travail fourni et protéiforme que le collectif produit la critique de ce processus déjà à l’œuvre dans de nombreuses villes européennes et mondiales.

      Par sa faculté à renouveler nos perceptions de l’habiter au sein des villes touristiques, et ce depuis la situation de celles et ceux qui en subissent les évolutions, ce texte constitue un outil important pour penser le droit à la ville, le droit au logement et le tourisme de manière générale.

      https://www.editionsducommun.org/products/habiter-une-ville-touristique-droit-a-la-ville-douarnenez
      #livre

      –-> déjà signalé par @simplicissimus ici :
      https://seenthis.net/messages/999762#message999764

  • Collectors Universe Expands Into Video Game Authentication & Grading with Acquisition of Wata Games | Business Wire
    https://www.businesswire.com/news/home/20210714005598/en/Collectors-Universe-Expands-Into-Video-Game-Authentication-Grading-wit

    SANTA ANA, Calif.—(BUSINESS WIRE)—Collectors Universe, a leading provider of value-added authentication and grading services, announces it is expanding into the collectible video game industry with the acquisition of Wata Games.

    Wata Games is the trusted pioneer in the video game collectibles industry. As the foremost video game grading service, Wata elevated the collectible video game market with its focus on accuracy and objectivity and enabled the industry to grow quickly. The company’s grading process ensures complete transparency and integrity with detailed grading on a scale of 1-10. As the gold standard in video game authentication, games graded by Wata regularly sell for record prices. In addition to the $1.56 million Super Mario 64 sale, other Wata-graded games that have set records include a 1987 early production copy of The Legend of Zelda, which sold for $870,000 as well as a copy of Super Mario Bros. for NES, which sold for $660,000.

    #jeu_vidéo #jeux_vidéo #culture #collectors_universe #wata_games #business #super_mario_64 #mario #super_mario_bros #the_legend_of_zelda #zelda #jeu_vidéo_super_mario_64 #jeu_vidéo_mario #super_mario_bros #jeu_vidéo_the_legend_of_zelda #jeu_vidéo_zelda #évaluation #préservation #archivage #authenticité #confiance

  • « C’est désormais dans l’intime que les femmes cherchent leur dignité », Eva Illouz
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/01/c-est-desormais-dans-l-intime-que-les-femmes-cherchent-leur-dignite_6064989_

    Eva Illouz analyse, dans un entretien au « Monde », l’émergence progressive d’une sphère de l’intime, aujourd’hui devenue, selon elle, l’endroit où se concentrent « une grande partie des problèmes sociaux », et donc un enjeu politique.

    Directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, Eva Illouz est une sociologue des émotions, qui a notamment publié Les Sentiments du capitalisme (Seuil, 2006) et La Fin de l’amour : enquête sur un désarroi contemporain (Seuil, 416 pages, 22,90 euros). Intellectuelle engagée dans les combats sociaux et politiques de son temps, elle analyse comment l’intime est devenu une question politique.

    Qu’est-ce que l’intime ?

    Pour bien comprendre ce qu’est l’intime, il faut le replacer dans le contexte de l’évolution du mariage. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, un mariage paysan ou bourgeois est une union dans laquelle on n’exprime ni son moi individuel ni ses émotions comme expression de sa singularité.

    Le mariage n’est pas non plus le lieu de l’épanouissement des individus, c’est plutôt une institution sociale qui a pour vocation de mettre en œuvre les normes, les codes, les valeurs et les attentes de la société. Il peut y avoir de l’affection, mais dans ce type de mariage, les hommes et les femmes exécutent des rôles, sont différenciés, chacun cantonné dans sa sphère d’action – même si, dans les ménages paysans, les hommes et les femmes peuvent travailler ensemble.

    Chacun connaît sa place et sait y rester. Le mariage est le miroir des hiérarchies sociales, il est même fondé sur une sorte d’apartheid domestique : en se mariant, les femmes sont dépossédées de leurs droits. En Angleterre par exemple, la femme vit sous le régime de la coverture, une doctrine juridique selon laquelle le couple marié ne forme qu’une seule entité : la personnalité juridique de la femme est suspendue et déléguée à son mari.

    A cette époque, la vocation de l’homme marié consiste principalement à créer de la valeur économique et celle de la femme à assurer la reproduction biologique et sociale de la famille. Le mariage est moins fait pour les individus que pour la société. C’est pour cette raison que dans certains Etats américains, au XIXe siècle, les célibataires doivent demander une dérogation spéciale pour habiter dans des villages ou des petites villes.

    L’apparition du mariage d’amour et les grandes transformations politiques et culturelles du XXe siècle ne vont-elles pas changer notre rapport à l’intimité ?

    Au XXe siècle, le mariage commence à assumer une vocation émotionnelle, il devient l’expression de l’individualité unique et irréductible de deux personnes entrant dans une union qui va reposer sur un contrat implicite : elle ne perdurera qu’autant qu’elle satisfera les besoins émotionnels des deux parties.

    La catégorie de l’intime émerge quand on autonomise les sentiments, quand on leur donne une vie propre et quand on en fait la justification ultime des liens. Ceci est rendu possible par l’émergence du freudisme (qui met en avant l’intériorité comme moteur de l’action) et par la transformation de la famille qui devient ce que l’historien John Demos appelle une « serre émotionnelle », une famille de taille beaucoup plus petite, dont les membres expriment avec intensité les émotions qui les attachent.

    L’intime se développe alors comme un nouvel idéal conjugal, mais va progressivement se détacher de l’institution. Pour les mariés, il ne s’agit plus de jouer des rôles dont la partition est connue à l’avance, d’obéir à des normes sociales, mais plutôt de construire ensemble et de façon égalitaire un monde commun, fait du face-à-face continu entre deux subjectivités. L’intime a donc trois caractéristiques : il est égalitaire, puisqu’il n’est pas fondé sur l’institution mais sur la subjectivité ; il est attribué au domaine du féminin, puisqu’il est domestique ; et il est le lieu où l’on peut exprimer son moi profond et authentique.

    L’idéal moderne de l’authenticité est inséparable de l’émergence de l’intime comme nouvelle sphère d’interaction sociale. Créer un lien stable à partir de la subjectivité émotionnelle de deux individus est sociologiquement très complexe. L’intime devient un lieu paradoxal où les impératifs contradictoires de l’autonomie et de l’attachement doivent se conjuguer harmonieusement au travers de négociations incessantes. C’est pour cela qu’à partir des années 1970, la communication devient aussi centrale dans le couple.

    Dans ce sens, je dirais que l’intime est une des façons les plus intéressantes de poser l’une des questions centrales de la sociologie, à savoir : qu’est-ce que la modernité, qu’est-ce qu’un individu moderne ?

    Comment la crise due au Covid-19 a-t-elle mis notre intimité à l’épreuve ?

    La crise sanitaire nous a assignés à la sphère du domestique, nous forçant à vivre de façon continue avec les membres de notre famille. Or, la première chose dont on s’est très vite aperçu, c’est que la plupart des appartements conçus par les planificateurs urbains, depuis les années 1960, n’étaient pas aménagés pour faire coexister les familles pendant des périodes prolongées.

    Nous sommes de plus en plus individualisés et singularisés, mais l’architecture moderne et l’inflation immobilière ne nous permettent pas d’avoir des espaces individualisés puisqu’on vit, dans la plupart des appartements, dans une proximité constante des corps : salle de bains, cuisine et salon y sont partagés.

    Cette intimité n’est supportable que si elle alterne avec la sphère publique, c’est-à-dire avec la possibilité de sortir de l’intime. Les femmes en savent quelque chose : pendant les périodes des fêtes, les violences conjugales augmentent. L’intimité intensifie les relations de pouvoir et n’est pas, pour beaucoup de femmes, un refuge doux et chaleureux, mais au contraire un espace social dangereux car coupé des autres. A Hubei [en Chine], il y a eu un nombre record de divorces après le premier confinement. Cela révèle que la proximité continue n’est pas viable dans l’intime.

    La littérature abonde d’exemples de cette implosion de l’intimité : dès qu’ils se retrouvent en face-à-face, le couple formé par Anna Karenine et Alexis Vronski [dans le roman de Tolstoï], ou Solal et Ariane [dans Belle du Seigneur, d’Albert Cohen], se décomposent. Avec le confinement, l’intimité est devenue un huis clos. Et la pièce de Sartre, précisément appelée Huis clos, est aussi une façon de montrer que des gens condamnés à vivre dans l’intimité constante de leurs désirs entrent dans un système de torture mutuelle. L’intime n’est vivable que lorsqu’il est sous-tendu par la sociabilité et la sphère publique, ce que Hannah Arendt appelait le « monde des apparences ».

    En quoi l’amour est-il devenu une question politique ?

    Il n’a jamais cessé d’être une question politique. L’amour courtois, par exemple, est un copier-coller de la relation que le vassal entretient avec le suzerain : l’amant qui s’agenouille devant sa dame imite l’hommage qu’il a par ailleurs rendu au seigneur. L’amour est toujours pris dans des relations de pouvoir et seule une mythologie puissante nous permet d’être aveugles à ses significations politiques et sociales.

    Aujourd’hui, l’intimité devrait être un sujet brûlant pour l’Etat, parce qu’une grande partie des problèmes sociaux viennent de cette sphère chaotique, traversée de violence, de conflits et de contradictions.

    L’autre raison est démographique : les naissances – qui sont fondamentales à l’économie – restent tributaires de ce que j’appellerais l’intimité organisée (notamment par le couple). Or, celles-ci tendent à diminuer en Occident, même s’il est plus facile de faire des enfants seul que par le passé. Quand l’intime est désorganisé – ce qui est le cas aujourd’hui –, la reproduction de la société est remise en cause. L’intime est donc la cellule élémentaire de l’organisme social.

    Comment les femmes se sont-elles saisies de l’intime ?

    Elles en ont fait une catégorie politique, car c’est désormais dans l’intime que les femmes cherchent leur dignité. L’accent mis sur le consentement, par exemple, est une façon de s’assurer que le libre arbitre de la femme est respecté à tout instant, parce qu’un être qui n’est pas libre perd sa dignité. C’est le troisième âge de la révolution féministe qui est encore très mal compris parce que, pour beaucoup, il semble exiger des comportements plus policés.

    Or, à chaque fois qu’un groupe a acquis des droits et a été investi d’une dignité nouvelle, le comportement de ceux qui avaient du pouvoir sur lui s’en est trouvé contraint. Seul le féminisme peut réaliser la vraie promesse de bonheur contenue dans l’utopie de l’intime, qui repose sur le dépassement du pouvoir d’un sujet sur un autre. Et cela fait un siècle que les femmes invitent les hommes à se joindre à cette grande utopie.

    #Intime #relations_de_pouvoir #famille #freudisme #authenticité #femmes #féminisme #Eva_Illouz

    • « Les femmes exigent une profonde transformation “par le bas”, fait sans précédent dans l’histoire », Eva Illouz, 16 octobre 2020

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/16/eva-illouz-les-femmes-exigent-une-profonde-transformation-par-le-bas-fait-sa
      TRIBUNE

      Eva Illouz fait un parallèle entre christianisme et féminisme, deux concepts qui portent l’ambition de changer radicalement les comportements, croyances et liens de domination dans les sociétés.

      Tribune. Signe de sa force croissante ou du rejet d’une nouvelle greffe par le corps social, le néoféminisme est de plus en plus attaqué. Passés les premiers moments de stupeur après les révélations des viols et pratiques d’intimidation et de harcèlement par Harvey Weinstein et Jeffrey Epstein, les représentants de l’ordre reprennent leur place. De quoi donc est accusé le « néoféminisme » – mal nommé, puisqu’il s’appuie sur des apports théoriques vieux d’au moins quarante ans ?

      Les accusations sont diverses mais peuvent se résumer ainsi : un mouvement qui avait commencé comme un combat pour la justice est désormais dominé par le ressentiment ; il foule aux pieds l’universalisme de la première heure et se réfugie dans une conception identitaire et victimaire du féminisme ; il incarne une nouvelle morale puritaine qui détruit le caractère ludique et spontané de la sexualité et donne au féminisme un caractère punitif, moralisateur et disciplinaire ; il réintroduit de la violence dans les relations hétérosexuelles et promeut le misandrisme. Plus récemment dans ces pages, ce nouveau féminisme a été mis au ban pour être devenu ennuyeux et prévisible [référence à une tribune de Mazarine Pingeot, publiée le 28 juillet] . Une critique trop paresseuse et condescendante pour qu’on s’y attarde.

      Il y a sans doute beaucoup à blâmer dans un mouvement aussi vaste et profond que le féminisme, mais le néoféminisme, loin de trahir le féminisme originel et ses vaillantes pionnières, continue à en porter le flambeau.

      Le féminisme est souvent compris comme un « mouvement social » ou un « mouvement de revendication ». Il s’agit là d’une erreur majeure. Le féminisme n’est pas un « mouvement », mais rien de moins que la deuxième grande étape du processus de démocratisation des sociétés européennes, qui commença au XVIIIe siècle. Aussi longtemps que les femmes en étaient exclues, la démocratie était restée un projet inachevé, incohérent et tronqué, crée par des hommes pour des hommes qui ne s’étaient même pas aperçus qu’ils en avaient écarté la moitié de l’humanité.

      Processus historique

      En 1776, John Adams, un des leaders de la révolution américaine – qui donnerait au monde une de ses plus grandes démocraties – et futur deuxième président des Etats-Unis (1797-1801), répondit à sa femme, Abigail, qui le suppliait de « se souvenir des femmes » que sa requête l’avait « fait bien rire » : « Tu peux être sûre que nous saurons faire mieux que détruire nos systèmes Masculins. » John Adams avait raison. Le système masculin tint bon, autant qu’il le put, et les revendications d’égalité des femmes firent longtemps rire beaucoup d’hommes.
      Le mouvement des suffragettes, pour le droit de vote des femmes en Angleterre, n’obtint gain de cause qu’après que les femmes eurent recours au terrorisme à compter de 1912 (en utilisant des bombes et démarrant des incendies pour se faire entendre). Le féminisme est donc bien plus qu’un simple mouvement social. Il constitue la deuxième grande étape du processus historique de démocratisation, étape pendant laquelle les femmes durent se battre contre l’ensemble de la société, dans ce qu’elle avait de plus puissant et de plus intime.

      Or, une fois le droit de vote gagné et les droits civils acquis (processus qui prit jusqu’aux années 1980 dans plusieurs pays Occidentaux), les femmes ont été forcées de constater qu’elles continuaient à faire ce qu’elles avaient toujours fait : être responsable des travaux ménagers et des enfants, se définir par leurs qualités domestiques et leur élégance vestimentaire, être exclues de la sphère publique, jouer un rôle subalterne dans la production des richesses, être l’objet de prédations sexuelles et de violence. Malgré leur accès aux droits civils, les femmes restèrent fondamentalement dévalorisées dans leur existence sociale (invisibilisées ; exclues de la direction des affaires économiques et publiques ; reléguées a des tâches inférieures ; réduites à leur apparence sexuelle ; moquées ou adulées pour leur corps, violentées, etc.).

      Mouvement d’émancipation démocratique

      Si la dévalorisation demeurait l’expérience centrale de la femme, cela voulait dire qu’un mécanisme plus puissant que le droit formel était à l’œuvre dans les inégalités entre les sexes : pour que les femmes réalisent pleinement leurs droits, il fallait une réforme de l’inconscient culturel qui garantissait leur exclusion. La famille – lieu mythique et idyllique des sociétés bourgeoises – s’avéra être le lieu privilégié de la production et du maintien de la domination masculine. L’amour, la famille, le corps, la sexualité, la galanterie, toutes ces interactions qui faisaient des rapports hétérosexuels une source de plaisir, se révélaient être les courroies de transmission de l’exclusion de la femme de la sphère publique.

      Le féminisme se mit donc dans une position qui n’a presque aucun antécédent historique : celui de changer les agissements, dogmes et habitudes ancestrales du groupe qui les dominait. Seule la chrétienté avait tenté un changement aussi total et radical des comportements, des croyances, des formes du désir et du rapport au corps. Mais la chrétienté, du moins à partir du IVe siècle, pouvait le faire « par le haut », en créant l’Eglise, en mobilisant la puissance de l’Etat et ses armées. Les femmes exigent, elles, une transformation non moins profonde mais « par le bas », fait sans précédent dans l’histoire.

      Reformer le langage, les contenus, les images, les gestes, les intentions, les désirs constituent les objectifs du projet de démocratisation féministe. Nous n’avons aucun exemple historique d’une transformation d’une telle ampleur qui se soit faite par un groupe qui ne contrôle aucune des grandes institutions politiques, culturelles, et économiques. C’est sans doute la raison essentielle pour laquelle le féminisme, mouvement d’émancipation démocratique par excellence, est décrié : précisément à cause du décalage entre la profondeur des changements qu’il exige de la classe qui le domine et la faiblesse de ses moyens et de l’appareil institutionnel qui le soutient.

      C’est là que les réseaux sociaux entrent en scène et représentent une aubaine inespérée pour les femmes, qui s’étaient habituées à l’indifférence généralisée de la police, des médias, des tribunaux et des parlements devant leurs problèmes – le viol, le harcèlement, la violence conjugale. Si les voies traditionnelles de la justice leur étaient fermées, n’était-il pas naturel qu’elles empruntent le chemin – certes moins réglementé, mais plus efficace – des réseaux sociaux ?

      Néoféminisme et religion

      Ce pari réussit de façon éclatante. Il va sans dire que les réseaux sociaux mènent parfois à des dérives graves (délation, lynchage, bafouage de la présomption d’innocence), mais, grâce à leur utilisation, pour la première fois, des hommes puissants ont été contraints de restreindre leur accès direct au corps des femmes. C’est la capacité de l’homme à « se servir » quand cela lui chante et à le faire impunément que le néoféminisme est en train de transformer. S’il prend parfois l’aspect de croisades puristes et de justice sommaire, c’est à cause de la faiblesse des moyens institutionnels dont disposent les femmes pour transformer les comportements au cœur de la domination.

      Le néoféminisme a des aspects éminemment critiquables, notamment sa tendance au purisme, à confondre le trivial et le criminel. Plus problématique encore est son indécision sur la question de l’universalisme. En tant que franco-israelienne, je ne peux ne pas témoigner des tentatives, toujours plus réussies, de la part des partis politiques ultraorthodoxes israéliens d’interdire et de régimenter l’existence des femmes dans la sphère publique. Selon ces partis ou organisations ultraorthodoxes, des photos de femmes, même habillées de pied en cap, ne peuvent être publiées sur des journaux religieux (ils avaient par exemple effacé Angela Merkel de la photo des leaders du monde défilant après les attentats de 2015 contre Charlie Hebdo). Aucun parti religieux ne compte de femme ; elles n’ont pas le droit de parler dans une assemblée publique ou à la radio et, plus prosaïquement, ne peuvent s’asseoir à côté d’un homme dans une cérémonie officielle.

      Une telle religion (et elle est loin d’être la seule) est incompatible avec le principe démocratique d’égalité entre les hommes et les femmes. Prétendre l’inverse au nom d’une soi-disant tolérance pour les minorités religieuses, c’est faire preuve d’une compromission veule à l’égard des femmes, toujours les premières à être sacrifiées à d’autres causes. Le néoféminisme n’a donc pas réglé son problème avec la religion, mais c’est parce que cette question est restée elle-même en suspens et non résolue dans l’ensemble de la démocratie.

      L’universalisme – à condition qu’il ne soit ni naïf, ni arrogant, ni conquérant – a été et demeure le socle sur lequel s’est bâti le féminisme en tant que mouvement qui parachève et approfondit la révolution démocratique.

      Je terminerai avec une très belle citation de la féministe Shane Phelan : « Si nous transformons [la politique d’identité] en une exigence de pureté à chaque niveau de notre vie, nous nions les vies pour lesquelles nous avons commencé notre lutte. Si nous devons être libres, il nous faut apprendre à embrasser le paradoxe et l’incertitude ; en bref, il nous faut embrasser la politique. La politique d’identité doit être fondée, non pas seulement sur l’identité, mais sur un goût pour la politique comme art du vivre-ensemble. La politique qui ignore nos identités, qui en fait des choses “privées”, est inutile ; mais des identités non négociables nous asserviront, qu’elles nous soient imposées de l’intérieur ou de l’extérieur. » La politique comme l’art du vivre ensemble entre hommes et femmes sera la troisième grande étape de la démocratisation de nos sociétés. Pour cela, il faudra que les hommes partagent leur immense pouvoir avec les femmes.

      #égalité

  • #We_Are_One. L’école nouvelle génération pour #jeunes à haut potentiel humain
    – Armer les #jeunes_générations pour inventer demain -

    Notre RAISON D’ÊTRE
    Constat

    Nous vivons dans un monde de plus en plus fracturé, en particulier aux niveaux écologique, social et politique.

    ‍Vision

    ‍Nous sommes convaincus que les jeunes générations ont un rôle crucial à jouer pour façonner un monde durable et inclusif, pour réparer ces #fractures.

    ‍Mission

    ‍‍Notre mission est d’armer les jeunes générations pour inventer demain.

    ‍Actions

    ‍Nous agissons à trois échelles complémentaires :

    - à l’échelle macro, en accompagnant l’#Alliance_U7+ réunissant 50 #universités et impactant plus de 2 millions d’étudiants à travers le monde dans la réalisation de ses missions
    - à l’échelle méso, en aidant nos #clients - #entreprises et #écoles - à former des #leaders pour demain et à se transformer elles-mêmes
    - à l’échelle micro, en développant nos propres programmes d’#accompagnement pour jeunes à #haut_potentiel_humain.

    https://www.weareone.eu.com
    #courage #authenticité #inclusion #audace #WAO

    ping @isskein @karine4 @cede

  • Faut-il reconstruire les #monuments détruits ? - YouTube
    https://www.youtube.com/watch?time_continue=255&v=2cILvxB70Bs

    Approuvé en 2017, le projet de reconstruction de la flèche et de la tour nord de la basilique Saint-Denis, disparues depuis 150 ans, ravive la question de l’authenticité des monuments anciens. Les reconstruire, est-ce respecter leur histoire ou la bafouer ?

    #restauration #architecture #authenticité

  • TEL - Thèses en ligne - Fabriquer les peuples du Nord dans les films soviétiques : acteurs, pratiques et représentations
    Caroline Damiens
    CREE EA 4513 - Centre de recherches Europes-Eurasie

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01699245/document

    Résumé : Cette thèse porte sur les représentations des peuples autochtones du Nord forgées par les films et téléfilms soviétiques de fiction. Mobilisant plusieurs approches — l’analyse filmique, l’histoire culturelle du cinéma, l’histoire des représentations et l’histoire politique soviétique —, elle confronte les films à des sources non-films (presse, archives papier, entretiens), afin de mettre en lumière la construction d’une subjectivité et d’un regard. Il s’agit également de décortiquer la fabrication des représentations, dans ses dimensions à la fois les plus concrètes et les plus symboliques. En ce sens, la question de la participation ou de la non-participation des autochtones à la création de leur image filmique, que ce soit devant ou derrière la caméra, constitue une autre interrogation centrale. Les représentations filmiques des peuples du Nord, tiraillées en permanence entre visions du « progrès » et de l’« authenticité », opèrent à l’écran comme autant d’images qui permettent à l’Union soviétique d’évaluer sa propre perception de la modernité. Des années 1920 aux années 1980, les figures cinématographiques autochtones circulent entre deux pôles d’un continuum, qui va de l’incarnation d’une arriération à éliminer au nom de la soviétisation à celle d’une harmonie avec la nature, désormais perdue ou menacée. Par ailleurs, en prenant en compte la question de la contribution des autochtones à la création de leur propre image, cette thèse s’attache à montrer que le film constitue un espace complexe, où plusieurs lectures et usages sont possibles selon la position des participants.

    (note : c’est moi qui graisse)

    Comme le nom du site l’indique, la thèse est en ligne, en pdf.

  • Avec #Rousseau sur la « Thrill Walk »

    Dans les #Alpes, tout nouveau projet de pont suspendu ou de plateforme panoramique se voit aussitôt reprocher d’utiliser la montagne à des fins événementielles ou de la brader à l’industrie du divertissement. Pourtant, les investissements techniques sont indissociables du tourisme et même les pionniers de la découverte des Alpes étaient en quête de sensations fortes.

    Il ne doit pas obligatoirement s’agir d’une piste de ski desservant directement une chapelle, d’un zoo pour pingouins sur un sommet à 2500 mètres ou du plus grand escalier au monde : même des projets passés quasi inaperçus suscitent l’indignation. L’été dernier, l’organisation #Rigi_Plus, qui réunit 24 entreprises touristiques, a présenté son projet phare : deux cents pages où il est question de l’« espace de vie » du #Rigi et de son « positionnement durable ». L’idée est de proposer aux touristes des activités plus attrayantes sur ce traditionnel sommet panoramique et d’offrir aux prestataires de meilleures perspectives économiques. Par exemple un nouveau site web, un système de réservation pour toutes les destinations de la région, une identité visuelle uniforme.

    Mais ce n’est pas tout. « Aujourd’hui, monter au sommet, profiter de la vue plongeante et du panorama ne suffit plus », explique Stefan Otz, directeur des Rigi Bahnen, la plus grande entreprise du Rigi. On est venu le chercher à Interlaken où il était directeur du tourisme. Il est à présent chargé de donner un nouvel élan au Rigi. Il parle d’« installations de #divertissement », d’un hôtel de cabanes dans les arbres, d’une tour panoramique en forme de pomme de pin et d’un chalet avec une fromagerie ouverte au public et une distillerie d’eau-de-vie.

    Il précise qu’il n’est pas question d’ouvrir des lieux préservés au #tourisme_de_masse et que les projets devront s’intégrer à l’environnement. Il n’a cependant pas réussi à éviter l’orage qui s’est déclenché peu après, d’abord dans les courriers des lecteurs, puis au sein d’un public plus large : des défenseurs des Alpes, politiciens, architectes, entrepreneurs, scientifiques et personnalités comme l’humoriste Emil Steinberger se sont opposés dans une pétition en ligne à une transformation néfaste du Rigi, qui en ferait un « Disneyland accueillant plus d’un million de touristes par an ». Aujourd’hui, 750 000 passagers empruntent chaque année les #Rigi_Bahnen. Les pétitionnaires ne voulaient pas d’attractions artificielles signant la vente du Rigi à prix cassé.

    « Un afflux massif de touristes »

    S’agit-il vraiment de brader le Rigi ? Peut-on brader une montagne utilisée à des fins touristiques depuis si longtemps déjà ? Cela fait deux cents ans que le Rigi est devenu une destination prisée. Dès 1816, on y a un construit un point de vue abrité, puis un belvédère en 1820 et enfin le premier train à crémaillère d’Europe en 1871. La « reine des montagnes », comme on l’appelle, a été prise d’assaut par les touristes dès le XIXe siècle, époque pourtant supposée paisible. L’« Écho du Rigi » relate un afflux véritablement massif de touristes lors de la première saison du train de montagne et raconte que des visiteurs auraient même passé la nuit dans les couloirs de l’hôtel qui comptait alors un peu plus de mille lits. Trois ans plus tard, plus de 100 000 visiteurs empruntaient le train pour gravir la montagne.

    #Mark_Twain a décrit ce qu’il se passe au sommet : non seulement le légendaire lever de soleil, mais aussi le non moins légendaire attroupement de touristes venus profiter de ce spectacle. Lorsqu’en 1879, il fait l’ascension du Rigi à pied au départ de Weggis, l’écrivain américain entend pour la première fois le célèbre jodel des Alpes dans son environnement traditionnel : la nature sauvage de la montagne. Mais son plaisir est gâché, car il croise alors toutes les dix minutes un jodleur qui lui tend son chapeau pour quelques pièces en échange de sa prestation. Après le quatrième, cinquième, sixième jodleur, il achète le silence des suivants en leur donnant un franc. Il trouve que dans ces conditions, on arrive vite à saturation.
    Sensations fortes en montagne

    Il est légitime de se demander jusqu’où l’on vend la montagne et à partir de quand on la brade. Pour les détracteurs du projet phare du Rigi, il faut s’arrêter lorsque les attractions deviennent artificielles et transforment la montagne en « Disneyland ». Ce terme sert d’épouvantail pour dénoncer les créations factices et interchangeables de l’industrie du divertissement dans les Alpes. Et cela ne concerne pas que le Rigi. On a aussi dénoncé les dégâts de la #disneylandisation lors de la construction du plus haut #pont_suspendu d’Europe sur le #Titlis et du premier pont suspendu entre deux sommets aux #Diablerets. Il en a été de même lorsque la #Schilthornbahn a inauguré la « #Thrill_Walk » au-dessous de la station intermédiaire : une passerelle métallique à flanc de paroi composée d’une partie grillagée et d’un pont en verre sous lequel s’ouvre un vide de deux cents mètres. La publicité vante des sensations fortes et authentiques. Si les destinations touristiques gagnent en notoriété et se distinguent de leurs concurrents avec de telles inventions, les organisations de protection déplorent la transformation des Alpes en parc d’attractions. Fondée par des alpinistes engagés, l’association Mountain Wilderness demande plus de calme et de tranquillité dans les montagnes, plus d’espace pour des expériences naturelles et l’arrêt du développement des capacités touristiques.

    Mais on peut se demander ce qu’est une expérience naturelle en montagne. D’autant plus que les promoteurs de nouveaux ponts suspendus, plateformes panoramiques, passerelles, parcs d’accrobranche, descentes à VTT, tyroliennes ou luges d’été parlent exactement de la même chose et veulent aussi de l’« authentique » (Stefan Otz, Rigibahnen) et de l’« exceptionnel » (Christoph Egger, Schilthornbahn).

    #Haller et #Rousseau, les premiers incitateurs

    Dans la lutte pour l’« #authenticité » en #montagne, on oublie bien vite que dès les débuts innocents du tourisme, des infrastructures, des installations de divertissement payantes, des supports artificiels pour vivre des expériences ont donné lieu aux aventures apparemment les plus naturelles, qui étaient alors aussi controversées qu’aujourd’hui.

    C’était l’époque des chaussures cloutées, des malles-poste et des randonnées sous ombrelle. Et de la Suisse connue pour la beauté de ses montagnes préservées de la civilisation et peuplées de bergers et paysans vertueux. C’est en tout cas ainsi qu’#Albrecht_von_Haller (dans son poème « Les Alpes » en 1729) et que #Jean-Jacques_Rousseau (dans son roman « Julie ou La Nouvelle Héloise » en 1761) les ont décrites. Ces deux penseurs et poètes sont à l’origine de l’enthousiasme international pour la Suisse et ses montagnes : les visiteurs furent attirés par la promesse d’un état originel de la nature et des hommes. Ils étaient en quête d’authenticité.

    Néanmoins, un curiste du nord de l’Allemagne dénonça déjà peu après la recherche du profit dans l’économie du tourisme et une réalité inondée par des objets de souvenir en toc. Il n’y avait pas encore de cartes postales à l’époque de Biedermeier, mais ce curiste raconte avoir reçu plus de trente représentations (dessins, gravures, aquarelles) d’une « seule région de l’Oberland bernois ». Il imagine qu’il doit en exister encore plus d’autres sites célèbres et admirés, et qu’il sera donc sans doute bientôt nécessaire que la nature créer de nouvelles montagnes ou en détruise d’anciennes pour renouveler les sources d’inspiration des peintres paysagers et des graveurs sur cuivre. Selon lui, on ne cherche plus à faire découvrir le pays, mais uniquement des sensations artificielles sur le pays !

    C’était en 1812. Cet Allemand n’était certes que le héros et narrateur à la première personne du roman « Die Molkenkur » d’#Ulrich_Hegner, homme politique et écrivain de Winterthour, dont la satire de la « nature et des créations artistiques helvétiques » s’inscrit dans un contexte réel : le malaise généralisé provoqué par l’aspect artificiel des expériences touristiques.

    Par ailleurs, tout le monde n’a pas le talent de Rousseau ou de Haller pour éprouver des émotions romantiques. Ils y parviennent d’ailleurs aussi grâce aux organismes touristiques qui ont commencé très tôt à installer des dispositifs techniques en montagne : sentiers, bancs, terrasses, balustrades, tables d’orientation, qualifiés par l’historien Daniel Speich d’« aides à l’observation ». Ce sont des installations qui orientent le regard du visiteur sur le paysage et ses attractions de façon à ce qu’il voie ce qu’il s’attend à voir. Ainsi, même une simple observation des montagnes devient une expérience calculée et standardisée, et par conséquent « artificielle », mais néanmoins aucunement altérée.
    Les montagnes en peinture

    « On pourrait dire que tout est nature dans les Alpes. Mais la possibilité de voir cette nature est toujours liée à une infrastructure », déclare Bernhard Tschofen, spécialiste en sciences culturelles. Il a participé à l’exposition « La beauté des montagnes » à travers laquelle le Musée alpin de Berne présente actuellement l’image typique des Alpes suisses vue par les peintres. C’est un idéal, un cliché populaire qui magnifie les Alpes en tant qu’espace préservé de la civilisation moderne. Selon Bernhard Tschofen, l’essor des constructions de trains à crémaillère a été systématiquement suivi d’un boom des peintures de montagne. Les artistes ont précisément banni de leurs représentations tout équipement technique grâce auquel ils pouvaient embrasser du regard les montagnes.

    À l’instar de Ferdinand Hodler. Ce peintre, dont on célèbre cette année le centenaire de sa mort, a passé régulièrement ses vacances dans l’Oberland bernois dès 1879. C’est là qu’il a peint un grand nombre de ses paysages alpins ; en utilisant souvent les mêmes routes et les mêmes points de vue que les touristes. Il a par exemple exploré la région d’Interlaken avec les nouveaux moyens de transport de l’époque. Le train à crémaillère de Schynige Platte l’a conduit aux points de vue sur les lacs de Thoune et de Brienz. Inauguré en 1891, le chemin de fer à crémaillère de Lauterbrunnen à Mürren a offert non seulement une nouvelle attraction aux touristes, mais aussi le motif de carte postale « La Jungfrau » au peintre. Il s’y est rendu pour la première fois en 1895, puis de nouveau durant les étés de 1911 et 1914. Il a peint au total treize variantes du massif de la Jungfrau, présentant évidemment des nuances de couleurs, de contrastes, de textures, d’atmosphère. Mais ces treize variantes ont toutes un point commun : Ferdinand Hodler se trouvait là où étaient les touristes et a peint les différents points de vue depuis différentes gares. Il a pris le train pour observer la Jungfrau comme il le souhaitait.

    C’est le paradoxe qui définit tant les peintures de montagne que le tourisme depuis ses débuts : promettre des expériences uniques tout en les transformant inévitablement en des installations de divertissement reposant sur des moyens techniques. Il est donc difficile d’établir une distinction entre les expériences « naturelles » et « artificielles », même si celle-ci est au cœur des débats actuels animés sur les nouvelles attractions en montagne.

    De nos jours, le divertissement et les frissons n’ont pas bonne presse. C’est pourtant précisément ce que les Alpes offrent depuis les prémices de l’engouement pour la montagne : des sensations fortes. Peu après 1700, le journaliste Joseph Addison a entrepris un voyage en Europe. Lorsqu’il a séjourné au lac Léman face aux gigantesques montagnes, un univers de roche et de glace, il a été saisi par la sensation qui a joué ensuite un rôle décisif dans la commercialisation du tourisme : le grand frisson, une sorte d’effroi agréable face à la force de la nature.

    Enfin Jean-Jacques Rousseau, connu pour avoir prôné le retour à la nature et qui est devenu une référence pour les expériences naturelles et spirituelles en montagne, raconte en 1781 dans ses « Confessions » une randonnée remarquable dans les Alpes savoyardes : « Au-dessous du grand chemin taillé dans le roc, à l’endroit appelé Chailles, court et bouillonne dans des gouffres affreux une petite rivière qui paraît avoir mis à les creuser des milliers de siècles. » Le chemin lui-même est moderne et a été bordé « d’un parapet, pour prévenir les malheurs ». Le philosophe est alors épris exactement du même désir que le public d’aujourd’hui sur la paroi à pic du Schilthorn : frissonner en plongeant son regard dans le précipice. Il écrit : « Cela faisait que je pouvais contempler au fond, et gagner des vertiges tout à mon aise. » Le chemin de Rousseau est une « Thrill Walk ». Et le parapet est la prothèse qui rend possible son aventure sensationnelle, confortablement et sans le moindre risque : « Et j’aime beaucoup ce tournoiement, pourvu que je sois en sûreté. »


    https://www.revue.ch/fr/editions/2018/04/detail/news/detail/News/avec-rousseau-sur-la-thrill-walk
    #montagne #Suisse #tourisme #représentations #géographie_culturelle #histoire

  • Pourquoi partir à l’étranger pour chercher de « l’authenticité » ne sert à rien
    https://www.vice.com/fr/article/a3dqk8/authenticite-voyage-mythe
    Alors que l’on oppose souvent le touriste au voyageur, on oublie que ce dernier est avant tout un consommateur de clichés.

    Dans ces temps où chacun a l’arrogance d’être plus malin que les autres, il est de bon ton, en matière de voyage, de mépriser « les touristes ». Dans les petits jeux de distinction où s’ébroue l’individu qui croit exister quand il rabaisse autrui, il importe de distinguer le touriste du voyageur. Au touriste, le goût grégaire de choix sans originalité, le besoin de sécurité dans une consommation « conformiste » qui ne laisse aucune place à la rencontre hors transaction marchande ; au voyageur, la singularité d’improviser son parcours au gré des rencontres et des envies. Au touriste, le camping, le Club Med, les offres « all inclusive » et les resorts – soit l’artificialité d’un imaginaire vulgaire de paradis en toc, construit par la publicité ; au voyageur, la « quête de l’authentique », la prétention à toucher l’altérité – comme s’il était possible d’y parvenir lors d’un parcours de quelques semaines, ou de quelques mois. Comme si, d’ailleurs, les autochtones n’avaient pas compris quel bénéfice ils pouvaient retirer à tromper le désir d’authentique d’un voyageur-pas-touriste qui, quoi qu’il en dise, reste d’abord un consommateur – et notamment, un « consommateur de clichés », comme l’écrit Paul Ariès.

    #exotisme @mona (ps : je savais pas que c’était un de vos collègues, sorry)

    • Cette dialectique entre un individualisme libéral et une nostalgie diffuse pour un idéal placé dans un ailleurs fantasmé est, selon nous, le résultat même de la mondialisation. Elle prend d’ailleurs divers visages. Le jihadiste qui assassine au nom d’Allah, le Français juif qui émigre en Israël, le nationaliste qui aspire à débarrasser son pays des impurs, les sympathiques « voyageurs de l’authentique » disposés à monnayer une séance de chamanisme : tous disent, d’une façon très diverse, la grande détresse de sens de l’individu dans une société qui se refuse à produire et affirmer de la valeur, de reconnaître comme fertiles ses « gisements culturels », comme les nommait Cornélius Castoriadis.

      #anomie

  • Un produit agricole « affiné » en objet culturel

    Dans quelle mesure la fabrication de l’authenticité encourage-t-elle la #patrimonialisation d’un produit alimentaire comme le fromage #beaufort ? Cet article montre que les différentes conceptions de l’authenticité par les acteurs impliqués sont porteuses d’idéologie et productrices de valeur, notamment de valeur patrimoniale. Dans cette perspective, il apparaît que la valeur culturelle ainsi dégagée contribue à légitimer le prix du beaufort, permettant d’articuler valeur patrimoniale et valeur marchande. La publicisation des éléments constituants de l’#authenticité conduirait à repenser la patrimonialisation à la fois comme produit de cette mise en valeur et moteur de l’emblématisation d’objets et d’actes significatifs.

    http://terrain.revues.org/2703
    #fromage #patrimoine

  • Depuis 24 heures, grosse #polémique dans le petit monde de la #sociologie universitaire française, avec un clash sur #facebook entre Didier #Eribon (qui a l’air d’avoir un sacré melon) et Jean-Louis #Fabiani, qui prenait la défense de #Boltanski accusé par Eribon d’être un « idéologue catholique ».
    Gros #bordel, mais il n’est pas inintéressant de voir jusqu’où mène l’appropriation (pas si ancienne que ça dans les sciences sociales) par des #universitaires des réseaux sociaux : vers une publicité des clashs et des invectives qui restaient jusque là dans les salles de séminaires.

    REMARQUES SUR LA PENSÉE RÉACTIONNAIRE ET SUR LES OPÉRATIONS DE RECHRISTIANISATION DE LA VIE INTELLECTUELLE
    http://didiereribon.blogspot.fr/2014/01/remarques-sur-la-pensee-reactionnaire.html

    On me raconte que, pour défendre son maître Boltanski, un certain Jean-Louis Fabiani (?) m’attaque sur sa page Facebook en me reprochant de n’avoir « jamais fait » de sociologie. Il s’indigne même qu’on ait pu me donner une « chaire » dans l’université française !
    Est-ce le même Fabiani que celui qui a publié un livre pathétiquement mauvais sur l’histoire de la philosophie en France, il y a quelque chose comme 25 ans, et qui, sans doute devenu conscient de ses limites après cela, n’a plus jamais rien fait depuis ?
    Et qui, bien sûr, siège (il a tout le temps pour ça) dans toutes les instances de contrôle (le CNU) de ce qu’il considère comme « sa » discipline ?
    Si c’est le cas, je suis fier de n’avoir jamais fait de « sociologie » au sens où il l’entend, et l’on comprendra aisément pourquoi je suis favorable à la suppression du CNU : pour que de telles nullités intellectuelles ne soient plus en mesure d’exercer leur faculté de nuisance et de reproduction éternelle de leur médiocrité.

    Jean-Louis Fabiani
    https://www.facebook.com/jeanlouis.fabiani?fref=ts

    Je voudrais rappeler à ceux qui, honte à eux, osent me traiter d’homophobe que je suis le seul universitaire français à avoir accepté de diriger la thèse de Geoffroy Daniel de Lagasnerie, au nom de la liberté d’expression, sans partager un seul de ses points de vue ?

    • D’ailleurs, comme lien vers les articles ou commentaires, il faudrait essayer de trouver les vrais liens y amenant directement et non le flux général, car une semaine, une mois, un an plus tard, ce ne sera plus pareil. Souvent ces liens sont sur les dates ou horaires (twitter, facebook, seenthis, etc). Par exemple là le vrai lien c’est :
      https://www.facebook.com/jeanlouis.fabiani/posts/10152112650029651

    • C’est vrai, mais la solution supérieure serait sans doute de réussir à intégrer le message lui-même dans le corps du billet, ce qui faciliterait la lecture et permettrait de le conserver même s’il est effacé.
      Je pense notamment au système des articles sur lemonde.fr, qui réussit à intégrer le post facebook ou twitter et sa mise en forme au corps de l’article. Mais j’avoue que je n’ai aucune idée de comment ils font…

    • C’est avec #Oembed, de la même manière que pour les vidéos ou images ici : on donne l’URL uniquement, et le système sait afficher le contenu distant en interne.

      Pour Twitter, ça pourrait être ajouté à @seenthis, car on sait que c’est court, mais si chaque lien FB (je parle du vrai lien du post) était intégré en entier, ça pourrait être énorme (sans parler des droits), sauf si on force la citation en n’affichant que les premiers N caractères.

    • J’ai une petite question, je ne suis pas sur moi même : pensez-vous qu’il st intéressant de donner autant de visibilité à ces querelles microcosmique ? Je n’ai pas trop l’impression ici qu’on soit dans une critique constructive utile, qui fait avancer le schmilblick (si je puis dire), mais je m trompe peut-être, l’alternative est que ce soit un stupide règlement de compte auquel cas l’intérêt pour le public est à peu près proche de zéro.

      Mais bon, je ne sais pas trop comment interpréter cela.

      #dubitatif

    • Le sociologue Luc Boltanski a écrit des pièces de théâtre en versets claudéliens, pas nulles d’ailleurs, mais qui rejoignent clairement des positions anti-IVG dans un style catholico-mystique assez fumeux. Vu le contexte ("Manif pour Tous", interdiction de l’avortement en Espagne, etc), Didier Eribon fait son boulot en le signalant. Non ?

    • @rastapopoulos, ok, merci beaucoup, mais quels problèmes de droits ça pourrait créer, si (comme en l’occurrence) le post est public ? Tu veux dire que c’est facebook que ça pourrait gêner ?
      @reka, Effectivement vu le tour que ça prend je suis en train d’être de plus en plus dubitatif moi-même. Cela dit, à la base, c’était plutôt parce que ça permet d’identifier un certain nombre de fractures et de chapelles différentes dans le milieu, ce qui n’est pas sans influence sur le contenu des travaux. Ce n’est pas vraiment le cas ici, mais en général je trouve que ça donne un arrière-texte intéressant à avoir en tête quand on lit certaines productions (notamment des articles ou des comptes-rendus critiques), que seuls quelques habitués des séminaires (dont je ne suis pas) peuvent vraiment contextualiser au sein du paysage universitaire.

    • En effet, pas simple, oui Irène et oui Alexandre. Je signale qu’en Norvège, puisqu’on parle de régression, la droite et l’extrême droite (coalition au pouvoir) proposent un projet de loi qui permettraient aux médecins de refuser de procéder à des avortements. La Norvège aussi, donc...

    • @cie813 Peut-être, mais pour le coup je n’ai pas l’impression que ça réponde à une grande nécessité du moment, et franchement (vu le ton) ça m’a plutôt l’air d’un réglement de comptes pour des motifs extérieurs de la part d’Eribon. Je n’ai pas particulièrement entendu Boltanski ces derniers temps, et je ne vois donc pas vraiment de raison de convoquer sa personne et ses écrits passés sur le débat, d’autant que c’est assez sévèrement ad hominem :

      ce pauvre Boltanski se situait du côté de la pensée critique quand ça lui semblait être payant (il était un disciple de Bourdieu), puis a dénoncé la pensée critique quand il est devenu payant de se rattacher à la révolution néo-conservatrice (rejoignant les cénacles chrétiens et insultant Bourdieu, et jusqu’au jour de sa mort), et il est fort probable qu’il cherche désormais à récupérer la « critique » qu’il a pratiquée puis dénoncée (ou de faire croire qu’il la récupère, tout en maintenant ses options idéologiques spiritualistes en assimilant notamment la sociologie critique à une théorie paranoïaque du complot - vieux discours de la droite, vieille rengaine de la pensée bourgeoise), puisque cela redevient peut-être payant...

      Enfin, je suis un poil sceptique sur la notion de « boulot » pour un sociologue dénonçant des sociologues, surtout qu’en l’occurrence l’ironie est qu’Eribon passe son temps à se lâcher sur « les flics de la pensée »

    • @alexandre, par défaut, sans licence explicitant autre chose, un texte appartient à son auteur, et seul lui peut décider où il veut le publier. Si tu le mets autre part, tu ne peux en mettre que des petits bouts : c’est le « droit de citation ». Mais pas plus. Un texte publié (donc public) ne veut pas dire qu’il est dans le « domaine public » !

      Avec tes références au « monde universitaire », j’eus cru que tu savais cela. :)

    • @rastapopoulos Je comprends, mais en l’occurrence c’est la notion de « texte » qui me paraît problématique : un post facebook aurait ce statut et pas un tweet ? Parce que lemonde.fr (pour y revenir) ne se gêne pas pour intégrer des tweets, y compris (me semble-t-il mais je ne suis plus certain tout à coup) anciens voire effacés par leurs auteurs.
      A partir de là, j’ai supposé (sans doute abusivement) que la différence était que la publicité du message sur twitter permettait de contourner ça.
      Donc par curiosité, tu sais si c’est la licence de twitter qui permet ça, ou si c’est juste le statut journalistique du monde.fr qui fait qu’ils ne s’encombrent pas de ça en disant qu’ils ne font que rapporter des infos ?

      Mais je suis loin d’être tout-terrain sur le « monde universitaire », d’autant que (comme on le voit un peu), quand il se transfère sur le numérique ça fait un beau bordel à tous points de vue ;)

    • C’est différent suivant plusieurs critères : la longueur du texte de base, et le but et l’auteur de la citation. Lorsqu’il s’agit pour un journal de « rendre compte de l’actualité », il peut être permis de citer un texte en entier, par exemple.

      De plus Twitter c’est une phrase ou fort peu de phrases, donc à mon avis ça revient à citer une parole de quelqu’un à l’oral, qu’il aurait prononcé à la radio ou à la télé. Quand ça devient un texte de plusieurs paragraphes, ce n’est pas forcément de la même nature.

    • @cie813, entendu dire (…) que Boltanski ayant changé de femme, il a moins de goût pour le catholicisme (réac), avec la réussite de sa carrière, cela irait jusqu’à "expliquer" son retour à des thèses plus critiques (?). Mais si on ne s’en tient pas qu’à cet aspect, on lira une recension critique de son livre phare Le Nouvel Esprit du Capitalisme dont le conservatisme des thèses de Boltanski ne sortent guère indemnes :

      La thèse qui court tout au long du « Le nouvel esprit du #capitalisme » est la suivante : la #critique_artiste (fondée sur, et revendiquant la liberté, l’autonomie et l’#authenticité) et la #critique_sociale (fondée sur, et revendiquant la solidarité, la sécurité et l’#égalité) « sont le plus souvent portées par des groupes distincts » et sont « incompatibles ».[1] Le flambeau de la critique artiste, transmis par les artistes aux étudiants de #mai_68, aurait été repris par la suite par les gens « branchés » qui travaillent dans les médias, la finance, le show business, la mode, Internet, etc., c’est-à-dire, les « créatifs » du « haut de la hiérarchie socioculturelle ». La critique sociale, par contre, portée par les ouvriers de 68, aurait été reprise par les petits gens, les subordonnés, les exclus du libéralisme. Critique artiste et critique sociale sont donc « largement incompatibles ».

      La « critique artiste » suscite un malaise chez les auteurs, voir un certain mépris, qu’ils ont du mal à cacher. De leur point de vue, cela se comprend aisément, puisque la « critique artiste […] n’est pas spontanément égalitaire ; elle court même toujours le risque d’être réinterprétée dans un sens aristocratique » et « non tempérée par les considérations d’égalité et de solidarité de la critique sociale peut très rapidement faire le jeu d’un libéralisme particulièrement destructeur comme nous l’ont montré les dernières années ». D’ailleurs, la critique artiste n’est « pas en soi nécessaire à la mise en cause efficace du capitalisme comme le montrent les succès antérieurs du mouvement ouvrier sans les renforts de la critique artiste. Mai 68 était, de ce point de vue, exceptionnel ». A la lecture, on sent aussi que le livre est parcouru par un ressentiment contre mai 68 qui, depuis quelques années, traverse les élites intellectuelles françaises, et dont font les frais, ici aussi, comme chez l’ancien ministre de l’Education Nationale, Michel #Foucault, Gilles #Deleuze et Félix #Guattari, qui, en tant que maîtres de la pensée 68, auraient déposés des germes de libéralisme dans les têtes de gens sans y prendre garde.

      Donc non seulement la critique artiste n’est pas nécessaire, sinon à « modérer le trop d’égalité de la critique sociale » qui risque de « faire fi à la liberté » (sic), mais en plus elle joue le cheval de Troie du libéralisme, à qui elle est apparenté par le goût aristocratique de la liberté, de l’autonomie et de l’authenticité que les artistes auraient transmis d’abord aux « étudiants », et qui aurait ensuite transité chez les « bobos ». Boltanski et Chiapello nous rejouent ici l’opposition de la liberté et de l’égalité , de l’autonomie et de la sécurité, d’une autre époque, sur laquelle d’ailleurs se sont cassés les dents aussi bien le socialisme et le communisme,.

      extrait de Les malheurs de la « critique artiste » et de l’emploi culturel
      http://eipcp.net/transversal/0207/lazzarato/fr

      @alexandre, quand même, Didier Eribon, entre son Retour à Reims et son D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, où les #socialistes sont de façon tout à fait argumentée vigoureusement étrillés, c’est un des rares académiques dont les travaux relèvent au moins pour partie de la question de l’émancipation, non ?

      #Maurizio_Lazzarato

    • @colporteur, pour être très honnête je n’ai pas lu Eribon, mais j’ai lu et entendu pas mal de choses intéressantes sur ces deux livres qui m’ont effectivement plutôt donné envie de me rattraper, encore qu’il me semble que tout cela n’a un rapport qu’assez lointain avec une démarche et une méthode sociologique. Ce n’est pas un mal, et peut-être qu’une lecture détaillée montrerait que je me trompe, mais puisque toute cette histoire est partie de là (et que c’est à cause de ça qu’Eribon a pris le bourdon)…

      Cela dit, ça n’était franchement pas mon propos (d’ailleurs je n’avais pas de propos à la base, je signalais juste le truc), mais simplement ça me paraît curieux cette mentalité mi-cour de récré, mi-ubu roi, où la situation au final c’est un type qui traite la terre entière (et notamment des universitaires qui ne sont pas tout à fait insignifiants) d’intégristes cathos, de nains de la pensée et de flics universitaires, et des réactions qui se centrent autour du fait qu’il écrit des bons bouquins à côté (ce qui me paraît un peu à côté du souci du moment).

      Au final, un propos qui a quand même fini par mûrir, c’est que voir comme ça les conflits d’égos éclater en place publique numérique, ça permet de mesurer la relativité d’une certaine pondération/nuance qu’on attend généralement des chercheurs, et de se rappeler qu’un bon paquet d’entre eux attendent essentiellement de s’engueuler comme des poissonniers (c’est juste qu’on le voit).
      Et, accessoirement, qu’il me paraît vraiment très discutable de convoquer des notions de « boulot » pour une sorte de veille documentaire intellectuelle des idées de la terre entière (btw, @cie813, Eribon a sauté dessus et a repris la chose sur sa page facebook) - mais c’est discutable, et ça peut faire partie de l’éthique d’engagement de certains. Je suis loin de supporter les anti-IVG et leurs soutiens idéologiques, mais enfin Boltanski a quand même le droit de penser et d’écrire ce qu’il veut (surtout quand c’est aussi dépourvu d’intention militante que ce qu’on convoque là) sans qu’on le rabatte sur un débat où il n’a pas voulu se pointer (à ma connaissance), pour lui faire porter une responsabilité indirecte sur une bande d’allumés.

  • Réminiscence cinématographique éternelle pour Jean Epstein

    Le Tempestaire (1947) Trouver le guérisseur de vent pour faire revenir l’être aimé parti en mer.

    Partie1
    http://www.youtube.com/watch?v=49lYid9jXn8

    Une analyse du film par #Elodie_Dulac
    http://www.cadrage.net/films/tempestaire.htm

    De prime abord, cette fiction #manifeste un aspect #documentaire. Afin de rendre l’#authenticité de la région, le #réalisateur prend pour interprètes les seuls habitants du lieu, Belle-île en mer. Familiarisé à leur manière d’être par une longue coopération et une confiance totale, il leur demande de participer à la confection du #court-métrage, en réinterprétant au besoin des aspects révélateurs de leur existence. La préparation à la pêche en est un exemple caractéristique. Dans cette scène, les #non-acteurs ne font que répéter des déplacements machinaux pratiqués régulièrement : ils jettent les rets et les casiers dans les barques. Ce moment quotidien des #marins semble avoir été enregistré comme pris sur le vif et ancre l’histoire dans le #réel. Il en est de même lorsque la grand-mère file le rouet de façon mécanique. Pris dans leur vérité première, ces #hommes et ces #femmes apparaissent comme dépouillés et plus justes que des acteurs professionnels : ils ne jouent pas, ils vivent l’action. Ce choix de prendre les îliens et des décors naturels est expliqué par Epstein :

    « Aucun #décor, aucun #costume n’auront l’allure, le pli, de la #vérité. Aucun #faux-professionel n’aura les admirables #gestes #techniques du gabier ou du #pêcheur. Un sourire de bonté, un cri de colère sont aussi difficiles à imiter qu’une aurore au #ciel, que l’#océan démonté » (3)

    L’intention du cinéaste est bien de filmer non seulement les occupants, mais aussi l’atmosphère de la Bretagne à l’état brut, sans l’invasion des touristes. À travers sa caméra, il contemple la lande et la brise qui la traverse, la mer calme, l’#écume déposée sur le sable, les falaises et les rochers déchiquetés. Sa motivation est de montrer l’animation de ces paysages : il les personnifie et les rend tumultueux. Il aurait pu simuler un ouragan grâce à des effets spéciaux, tels que l’assombrissement pour marquer un ciel en colère, la présence sonore extrêmement forte du vent et des plans fixes des rouleaux éclatés contre les récifs, par exemple. Mais Epstein profita d’une réelle tempête qui confère à l’œuvre un climat d’authenticité.

    « Le vent est tombé, la mer est belle, regarde il n y a pas de quoi avoir peur »

    Partie 2
    http://www.youtube.com/watch?v=6SvqG_bvwkM

    Les conditions de #tournage devaient être pénibles. On imagine le réalisateur poser son appareil de #tournage et chercher en permanence un lieu différent et toujours plus beau pour saisir la #violence de la perturbation. Malheureusement, il n’a aucun pouvoir sur les éléments ; il doit attendre les moments propices sur le qui-vive, être patient pour bénéficier des éclairages souhaités. Si les circonstances s’y prêtent, alors seulement la maîtrise de la beauté du plan est possible. Le contrôle n’est vraiment total qu’au #montage.

    Cette grande difficulté présente un avantage : elle génère un certain « défi » entre la tourmente et le cinéaste qui désire en enregistrer son plus bel aspect. L’enjeu du réalisateur est d’avoir l’emprise sur un
    #élément naturel qu’il ne peut pourtant contrôler. Cet antagonisme entre la #nature et la #technique suscite un sentiment de pure #vérité et singularise la #plastique du #film. L’inquiétude de la jeune fille pour son fiancé parti « à la sardine » en est représentatif. De nombreux plans de la mer légèrement agitée sont intercalés parmi ceux du visage de l’héroïne. L’un d’eux est une plongée sur le sable où s’échouent les vagues jusqu’aux deux tiers du cadre. Au milieu du cadre, glisse une écume blanche, très visible. La disposition de la caméra et l’échelle du plan ont été parfaitement maîtrisées mais le passage de la mousse est dû au hasard. Il est très probable qu’Epstein ait gardé ce #plan en raison de l’union d’une #esthétique précise et d’un aléa. En approfondissant l’analyse, l’écume représente la #métaphore visuelle du #bateau du #fiancé #perdu au large et bousculé par des rouleaux gigantesques. Cette rencontre avec le #réel engendre un sentiment de vérité et renforce la narration.

    L’inoubliable scène de Coeur Fidéle (1923)
    http://www.youtube.com/watch?v=9kboFmyQnl4

    A Propos de Jean Epstein
    http://cinema.encyclopedie.personnalites.bifi.fr/index.php?pk=13898

    Plus connu comme #théoricien du cinéma que pour une #oeuvre en partie perdue, #Jean_Epstein est pourtant un des grands noms de l’avant-garde française des #années_20. Son premier film est un documentaire sur #Pasteur (1922), exercice pratique qui lui vaut d’être engagé chez Pathé. Il y réalise L’Auberge rouge (1923), d’après #Balzac, qui se distingue par une grande #originalité de #construction et un sens inédit du #découpage et du #montage. Ses recherches se poursuivent avec #Coeur_fidèle (1923) qui, d’un strict point de vue formel, est considéré comme son premier #chef-d'oeuvre. On loue l’intense #poésie avec laquelle il rend compte de l’atmosphère sordide des #ports et des #bouges, et un #langage cinématographique #novateur qui trouve un point culminant dans une scène de fête foraine. Il poursuit la mise en pratique de ses réflexions avec La Belle Nivernaise (1923), inspiré de Daudet, puis réalise par nécessité des mélodrames où surgissent quelques séquences expérimentales (L’Affiche, 1924, Le Double Amour, (1925), Les Aventures de Robert Macaire, (id.), Mauprat, 1926). La Glace à trois faces (1927) et La_Chute_de_la_maison Usher (1928) marquent chacun à leur manière un retour à l’avant-garde. Le premier est construit sans souci d’ordre chronologique, tandis que le second #modernise l’#expressionnisme_allemand en s’attachant à la poésie des #choses et de l’insolite. L’usage qu’il y fait du ralenti est abondamment commenté. #Finis_terrae (1928), documentaire à peine romancé qui rend compte de la vie des pêcheurs et des paysans de l’île d’Ouessant, est son dernier film muet. Ce très beau poème visuel trouve sa suite dans Mor-Vran (1930) et L’Or des mers (1931), avant que le cinéaste ne réalise plusieurs films commerciaux d’un intérêt mineur. Malgré une fin de vie passée dans l’oubli, Jean Epstein signe un film magistral, #Le_Tempestaire (1947), nouveau regard sur la mer qui semble faire la synthèse de ses recherches audiovisuelles.

    #Cinéma #Film #Experimental #Avant-garde #Jean_Epstein #Vidéo

  • Découvrons la vie merveilleuse des #winners | The Socialite FamilyThe Socialite Family
    http://www.thesocialitefamily.com

    Les vieilles valeurs reviennent en force et celles de la famille en particulier. Jeunes parents, nous avons tous pour mission de transmettre une éducation juste et sincère à nos enfants. Sans pour autant oublier d’enseigner le goût des jolies choses, comme tout bon épicurien qui se respecte.

    #photo #indécence

  • “Le Grand entretien” avec Pierre-Henri Tavoillot (France Inter, François Busnel, le 21 décembre 2012)
    http://www.franceinter.fr/emission-le-grand-entretien-pierre-henri-tavoillot

    Notre société vit sur deux impératifs moraux qui sont en fait quand on y réfléchit des folies furieuses. Il faut être soi-même et être […] toujours plus que soi-même. Et voyez : c’est une ambivalence qui est délirante. D’abord, qu’est-ce que ça veut dire “être soi-même” ? Est-ce qu’on dit aux enfants “mais soit toi-même” ? Et en même temps, on lui dit “mais soit toi-même mais quand même si tu es paresseux faudrait quand même un peu bosser”. Et donc on est dans ce clivage là qui est très inquiétant parce que être soi-même, y’a rien de plus angoissant. Et si j’étais rien ? Et si au fond de moi y’avait du vide ? […] Voilà l’angoisse de l’individu contemporain. Et donc, à côté de ça, il faut le culte de la performance. Si vous voulez : authenticité d’un côté et performance de l’autre. Et donc, effectivement, on va échouer. Mais forcément on va échouer. Ça ne peut pas marcher. On ne peut jamais être soi-même, on ne peut jamais être plus que soi-même. Donc nous sommes dans une structure déceptive. Nous sommes forcément déçu par rapport à des objectifs délirants que nous nous mettons. Par rapport à ces objectifs délirants, il faut retrouver un tout petit peu de bon sens. […] La performance et l’authenticité demande à être critiquées et limitées.

    #authenticité #performance