Comme je sais qu’il y a des profs de petits sur seenthis et sans doute des parents de petits ou plus grands, je serais curieux de savoir comment ça s’est passé pour vous, comment vous avez traité ça, réagi etc., si vous avez un moment.
J’ai une classe de CP dans une banlieue populaire. Donc des élèves très jeunes dont une grande majorité, disons, "ne mangent pas de porc", pour reprendre la façon dont ils se définissent eux-mêmes. Si les communautés du quartier partagent la même mosquée, les "cultures d’Islam" y sont assez diverses (magrébins, kosovars, mahorais ou tchétchènes…).
Je suis contre (pour des raisons que je ne développe pas) les minutes de silence pour les enfants avant 9-10 ans. Je n’étais pas en majorité sur mon école, on l’a faite, et ça me conforte dans mon idée, comme le récit de la minute de silence de ma fille de 8 ans dans son école à elle.
Je suis très partagé sur la pertinence des débats en classe, sur ordre institutionnel, par des personnes non formée à ça, dans un moment d’émotion peu propice à la pensée, sur des sujets qu’on a du mal soi-même en tant qu’adulte averti à maîtriser, et dont il faudrait mettre en œuvre une transposition didactique dans sa classe, là, tout de suite… Je pense que ça peut faire plus de mal que de bien. Sur la forme. Sur le fond. Et des échos de mes collègues ou de ma grande fille collégienne me conforte également dans cette réticence.
Plus prosaïquement, debout face à mes élèves de six ans, la question "d’en parler" est complexe : quelle information leur est parvenue ? sous quelle forme ? qu’en ont-ils compris ? qu’en ont-ils absorbé ? d’angoisse ? de fascination ? Faut-il poser des mots ? Quelqu’un d’autre a-t-il pris la peine de le faire ? Se débrouillent-ils avec les images de la veille en boucle sur la télé de leur chambre qui sert de doudou à certains ? Mes mots vont-ils au contraire cristalliser une angoisse diffuse, exposer un enfant qui ne l’était pas ? Autant de réponses que de visages, pour ce que je sais de la vie de ceux qui me font face.
Ces dernières années à travailler sur le genre et le sexisme m’ont un peu appris à traiter les sujets sensibles en quittant les gros-sabots-du-maître-qui-sait alors je me dis que je peux tenter un temps de "parole partagée" en m’en tenant à des relances à niveau d’enfants par les enfants eux-mêmes. Alors je me suis lancé « Vous savez peut-être qu’hier, il s’est passé quelque chose dont tout le monde parle, est-ce que quelqu’un a vu ou entendu quelque chose dont il aimerait parler ? »
Première réponse "hors-sujet", sur une vidéo de dessin animé sur YouTube dont le contenu me reste obscur mais faisait visiblement peur.
Seconde réponse : « "Oui, Maître, y’a des clowns méchants qui ont tué des polices (sic) et cassé leur voiture avec des marteaux". Mes élèves disent toujours "des polices", jamais des policiers. Sans doute a-t-on toujours affaire à "la police" et jamais aux êtres humains que sont les policiers. Mes élèves depuis cet été ont peur des clowns, au point que ça n’a pas été évident d’aller voir un spectacle de clowns burlesques en octobre, à cause des clowns : "Ma mère a dit que si je voyais un clown avec un marteau je devais courir jusqu’à la maison parce qu’ils emmènent les enfants pour les tuer"… pas facile d’aller voir Bibeu&Humphrey après ça…
Bref, on est loin du compte, on passe donc un premier temps à remettre les faits dans l’ordre, on recoupe les infos disponibles, je complète un peu, je dis "assassins" plutôt que "terroristes". Puis la question de Dieu arrive. Mes élèves disent "le Dieu", "est-ce que le Dieu", "parce que le Dieu". Une élève précise que "le Dieu ne veut pas que les gens soient tués, jamais", je sens que la question a été traitée à la maison. Les élèves restent sur la question "du Dieu". Ils ont beaucoup de questions, mais peu de doutes. Ils en ont une vision utilitaire, de police de proximité en quelque sorte : "le Dieu voit tout", le Dieu demande obéissance, le Dieu donne une sorte de cadre, mieux vaut ne pas trop faire le malin. Un élève raconte qu’avec un cousin, cet été, ils se sont essayés au blasphème, en quelque sorte, une sorte d’interpellation et de doute pour ce que j’en comprends, et puis ils ont eu peur que le Dieu soit en colère, que le Dieu les fasse mourir. Mais il ne s’est rien passé note l’enfant. On est loin du sujet. Mais pas tant. J’applique mes techniques apprises pour parler du genre : je laisse les enfants parler, parfois se répondre, parfois simplement juxtaposer leur parole. Je me contente de pointer la diversité des réponses, la diversité des possibles, l’importance d’accepter cette diversité dans le respect de chacun.
Et puis, je mets fin à ce temps en annonçant la minute de silence souhaitée par les collègues.
Voilà, en espérant avoir répondu à la question de @moderne :)