• Danone investit dans Imagindairy pour les produits laitiers sans lait de vache Sharon Wrobel - Time of israel

    Le géant français des produits laitiers Danone a réalisé un investissement stratégique dans la start-up israélienne Imagindairy Ltd. qui pourrait ouvrir la voie à une collaboration sur le développement de produits laitiers sans produits d’origine animale pour les consommateurs en utilisant la technologie de la fermentation de précision.

    Le géant de l’agroalimentaire basé à Paris a rejoint Imagindairy en avril en tant qu’investisseur stratégique par l’intermédiaire de sa société de capital-risque Danone Manifesto Ventures (DMV). Les conditions financières de l’investissement n’ont pas été divulguées.


    Il s’agit du deuxième investissement de Danone dans une start-up israélienne de technologie alimentaire – ou FoodTech – en moins d’un mois. Début avril, la société française, qui produit le yaourt Activia, le lait maternisé Aptamil et l’eau Evian, a annoncé un investissement de 2 millions de dollars dans la start-up israélienne Wilk, qui développe une une technologie cellulaire pour produire du lait humain et animal cultivé.

    « C’est un très bel investissement qui nous aidera à aller de l’avant », a déclaré le Dr. Eyal Afergan, co-fondateur et PDG d’Imagindairy, au Times of Israel. « Il s’agit d’un partenariat à plusieurs niveaux, avec l’investissement d’un côté et des discussions pour établir une collaboration avec les équipes de R&D afin de développer des produits sans animaux, et éventuellement une fois que nous aurons le bon produit et que nous aurons tout mis en place, comme le coût, le prix et le goût, alors cela pourrait nous conduire à un accord commercial. »

    Fondée en 2020 par le Dr. Afergan, le Dr. Arie Abo et le Pr. Tamir Tuller, Imagindairy a développé une technologie de fermentation de précision qui apprend aux micro-organismes tels que la levure ou les champignons à produire des protéines laitières qui, selon la start-up, sont identiques à celles du lait de vache. Cette technologie, qui repose sur 15 années de recherche menées par Tuller, professeur à l’université de Tel Aviv, recrée des versions non animales des protéines de lactosérum et de caséine qui peuvent être utilisées pour reproduire n’importe quel type de lait.

    Les protéines de lactosérum sont les éléments de base pour développer une gamme complète de produits non laitiers qui imitent les produits laitiers avec la même quantité de protéines et de matières grasses que le lait de vache, mais sans cholestérol ni lactose.



    Eyal Afergan, co-fondateur et PDG d’Imagindairy. (Crédit : Tal Shahar/Imagindairy)

    La fermentation de précision est une technologie utilisée dans l’industrie alimentaire depuis plus de 40 ans, par exemple pour la production d’enzymes alimentaires. « Imagindairy l’utilise pour produire des protéines laitières sans produits d’origine animale de manière rentable », a déclaré le Dr. Afergan.

    « Notre technologie brevetée est une technologie très complète qui nous permet d’améliorer la productivité de nos organismes. C’est la différence entre une vache qui vous donne un litre de lait par jour ou 40 litres de lait par jour », a-t-il déclaré. Il s’agit essentiellement de champignons, de levures et de bio-ingénierie – à l’aide d’une technologie d’apprentissage automatique – pour nous aider à améliorer la production de protéines de manière beaucoup plus efficace et de bien meilleure qualité.

    Le Dr. Afergan a déclaré que l’investissement stratégique de Danone intervient alors que la start-up est en train de se transformer en entreprise industrielle et vise le lancement de son premier produit aux États-Unis d’ici la fin de l’année, en collaboration avec un producteur laitier dont le nom n’a pas été dévoilé.

    « Nous fournissons la protéine elle-même et ils développent le produit », a déclaré le Dr. Afergan. « La première étape consiste à atteindre la production commerciale et à obtenir l’approbation réglementaire aux États-Unis, puis dans d’autres régions. »

    La start-up située à Yokneam est composée d’une équipe multidisciplinaire de 30 experts en microbiologie, en systèmes informatiques et en biotechnologie, avec le soutien de The Kitchen FoodTech hub, basé en Israël. À ce jour, Imagindairy a levé 28 millions de dollars en fonds de démarrage auprès d’investisseurs tels que Target Global, Strauss Group, Emerald Technology Ventures, Green Circle Foodtech Ventures, Collaborative Fund et New Climate Ventures.

    Un certain nombre d’entreprises opèrent dans le secteur des produits laitiers de substitution pour les protéines de lait en utilisant la technologie de fermentation de précision, comme la start-up israélienne Remilk, qui affirme avoir mis au point des protéines de lait chimiquement identiques à celles du lait et des produits laitiers produits par les vaches.

    La semaine dernière, le ministère de la santé a accordé à Remilk la première autorisation réglementaire de ce type pour commercialiser et vendre des produits laitiers fabriqués avec les protéines non animales de la start-up, qui sont exemptes de lactose, de cholestérol, d’antibiotiques et d’hormones de croissance. Pigmentum est une autre entreprise qui a mis au point une technologie végétale génétiquement modifiée pour créer des protéines laitières à partir de laitue, qui peuvent être utilisées pour fabriquer du fromage.

    « L’approbation réglementaire est une bonne nouvelle pour l’industrie, car une fois que la première entreprise obtient l’approbation, il est plus facile pour les deuxième et troisième entreprises d’obtenir leur approbation, ce qui nous permet de développer le marché plus efficacement », a déclaré le Dr. Afergan. « Nous avons conclu un accord de développement conjoint avec le groupe Strauss et nous prévoyons de lancer des produits ensemble en Israël. »

    En 2022, le gouvernement a déclaré que la FoodTech était l’une des cinq nouvelles priorités nationales pour lesquelles des investissements importants seront réalisés au cours des cinq prochaines années. Au début de l’année, l’Autorité de l’Innovation israélienne (IIA) a lancé un appel à propositions pour la construction d’installations de recherche et de développement utilisant la technologie de fermentation de précision pour le développement de protéines alternatives, afin de maintenir l’avance du pays dans ce domaine. Le budget total pour toutes les propositions approuvées s’élèvera à 50 millions de shekels.

    « J’espère qu’il s’agira d’un premier pas vers la construction d’installations de production en Israël », a déclaré le Dr. Afergan.

    L’année dernière, Israël s’est classé deuxième après les États-Unis en matière d’investissements dans les protéines alternatives, les start-ups locales dans ce domaine ayant levé quelque 454 millions de dollars de capitaux, selon un rapport du Good Food Institute (GFI) Israël, une organisation à but non lucratif qui cherche à promouvoir la recherche et l’innovation dans la FoodTech.

    #Lait #FoodTech #danone #Imagindairy #dmv #activia #aptamil #Evian #wilk #technologie_cellulaire #R&D #remilk #protéines alternatives #vaches #ersatz #alimentation #capitalisme

    Source : https://fr.timesofisrael.com/danone-investit-dans-imagindairy-pour-les-produits-laitiers-sans-l

  • Lakhdar Bentobbal, le combattant algérien qui rêvait d’une révolution agraire
    https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/lakhdar-bentobbal-le-combattant-algerien-qui-revait-d-une-revolution-agr

    Lakdar Bentobbal est un nom ignoré des Algériens d’aujourd’hui. Il fut pourtant en 1956-1957 un chef tout-puissant des maquis du Nord constantinois avant de devenir le troisième personnage du stratégique Comité de guerre avec Krim Belkacem et Abdelhamid Boussouf, pour disparaitre de la vie politique du pays après l’indépendance. C’est le seul des grands acteurs de la révolution algérienne à s’être entretenu durant cinq ans, entre 1980 et 1985, avec Daho Djerbal, alors jeune historien en quête de témoignages des héros de l’époque, et d’un de ses proches, Mahfoud Bennoun, disparu en 2004. Le livre devait être publié en 1985, mais pendant près de quarante ans, sa publication a été bloquée.

    #révolution_agraire #Lakdar_Bentobbal #évian #décolonisation #socialisme_agraire #algérie

  • 1938 : le monde ferme ses portes aux réfugiés

    Des réfugiés qui fuient en masse le nazisme, des gouvernements qui leur barrent l’accès à leur territoire, des exilés contraints d’embarquer clandestinement sur des bateaux de fortune, une diplomatie prête à donner des gages aux pires dictatures et néanmoins impuissante, comme l’atteste l’échec prévisible de la conférence d’Évian en 1938 : les analogies sont décidément troublantes entre l’attitude des États à l’égard des Juifs dans les années 1930 et celle qu’ils adoptent aujourd’hui à l’égard des réfugiés.

    Les États européens, obsédés par le « risque migratoire », mettent depuis de longues années toute leur énergie à tenir à distance les flux de migrants, demandeurs d’asile inclus, et à leur interdire l’accès à leurs territoires. Cette tendance a été poussée à son paroxysme au moment de la « crise migratoire » de 2015, face à l’afflux de réfugiés venus de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan ou d’Érythrée. Au point que plusieurs observateurs n’ont pu s’empêcher de faire le parallèle avec l’attitude qui fut celle des États, dans les années précédant la Seconde Guerre mondiale, à l’égard des Juifs fuyant le nazisme [1].

    Ce parallèle non seulement n’a rien de scabreux, mais il s’impose. Il n’a rien de scabreux car si les Juifs, à l’époque, sont persécutés, spoliés, humiliés, pourchassés, physiquement agressés, personne ne peut alors anticiper la « solution finale ». Il s’impose tant les analogies sont frappantes : la fermeture de plus en plus hermétique des frontières à mesure que la persécution s’aggrave et que les flux d’exilés augmentent ; des réfugiés contraints à embarquer clandestinement sur des bateaux de fortune avec l’espoir, souvent déçu, qu’on les laissera débarquer quelque part ; en guise de justification, la situation économique et le chômage, d’un côté, l’état de l’opinion dont il ne faut pas attiser les tendances xénophobes et antisémites, de l’autre ; le fantasme, hier, de la « cinquième colonne » – agitateurs communistes, espions nazis –, aujourd’hui de la menace terroriste ; et finalement une diplomatie qui n’hésite pas à pactiser avec les pires dictatures, hier pour tenter de sauver la paix (on sait ce qu’il en est advenu), aujourd’hui pour tenter d’endiguer les flux de réfugiés.

    L’évocation du passé donne, hélas, le sentiment que l’histoire bégaie : car la Realpolitik qui prenait hier le pas sur les préoccupations humanitaires continue aujourd’hui à dicter l’attitude des États, alors même qu’ils ont collectivement décidé d’accorder au droit d’asile une place éminente parmi les droits de l’Homme et se sont engagés à le respecter.

    Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la communauté internationale, inquiète des risques de déstabilisation engendrés par les masses de réfugiés qui, par centaines de milliers, fuient les guerres civiles, les dictatures, les persécutions, décide de se saisir du problème.

    Mais l’action diplomatique en faveur des réfugiés reste subordonnée à la défense par les États de leurs intérêts propres et de leurs prérogatives souveraines. Entre 1922 et 1928, une multitude d’« arrangements » sont passés sous l’égide de la Société des Nations, visant à accorder un minimum de protection aux réfugiés. C’est notamment le fameux « passeport Nansen » qui leur confère, à eux qui ne sont plus reconnus ni protégés par leur pays d’origine, un minimum d’existence juridique. Mais la portée de ces textes, applicables au départ aux réfugiés russes, puis aux Arméniens, puis aux Assyro-Chaldéens, est très limitée, tant par la faiblesse des garanties qu’ils confèrent que par leur absence de caractère obligatoire. Avec l’aggravation de la situation économique consécutive à la crise de 1929, les États n’hésitent pas à refouler ou expulser les réfugiés, considérés comme un fardeau. À l’approche de la guerre, viendront s’ajouter à ces considérations économiques des considérations de police et de sécurité.

    Des arrangements sans contrainte

    C’est dans ce contexte que les États vont être confrontés à la question des réfugiés provenant d’Allemagne puis, après l’Anschluss, d’Autriche. La diplomatie s’active timidement : un « arrangement provisoire intergouvernemental concernant le statut des réfugiés venant d’Allemagne » est signé le 4 juillet 1936, dont les dispositions sont reprises dans la convention du 10 février 1938 : les États s’engagent à délivrer aux réfugiés un titre de voyage ou un document tenant lieu de passeport ; lorsqu’ils les ont autorisés à séjourner, ils ne peuvent les expulser ou les refouler qu’en cas de risque pour la sécurité nationale ou l’ordre public, et, en aucun cas, vers l’Allemagne sauf « s’ils ont de mauvaise foi refusé de prendre les dispositions nécessaires pour se rendre dans un autre territoire ». Mais la convention n’est signée que par sept pays : la Belgique, la Grande-Bretagne, le Danemark, l’Espagne, la France, la Norvège et les Pays-Bas, et elle n’aura guère le temps, de toute façon, de produire des effets avant le déclenchement de la guerre.

    Ayant juridiquement toute latitude pour agir à leur guise, les États n’ont aucun scrupule à fermer leurs frontières. Les États-Unis s’en tiennent à la politique adoptée depuis l’Immigration Act de 1924 et à un quota annuel de 27 370 immigrants pour l’Allemagne et l’Autriche. Après l’Anschluss, le ministre de l’intérieur britannique, s’adressant à la Chambre de communes, affirme que le pays maintient sa tradition d’asile, mais qu’il faut « éviter de donner l’impression que la porte est ouverte aux immigrants de toutes sortes. Car alors de prétendus émigrants se présenteraient dans les ports en si grand nombre qu’il serait impossible de les admettre tous ; les services d’immigration auraient de grandes difficultés à décider qui devrait être admis et d’inutiles épreuves seraient imposées à ceux qui effectueraient un infructueux périple à travers l’Europe [2] ». Pour les Britanniques, au demeurant, la question centrale reste celle de la Palestine : depuis l’arrivée de Hitler au pouvoir, l’immigration est passée de 9 500 personnes par an à 30 000 en 1933 et à près de 62 000 en 1935. Alors que ce territoire apparaît comme le seul lieu de refuge potentiel pour les Juifs, la Grande-Bretagne, confrontée à l’hostilité des Arabes, remet en question son engagement en faveur de l’établissement d’un Foyer national juif : le Livre blanc du printemps 1939 limite le quota annuel d’immigrants vers la Palestine à 10 000 personnes par an pour les cinq années suivantes. Des navires de la Royal Navy patrouillent pour empêcher les réfugiés d’accoster. S’ils n’ont pas de certificat ils sont refoulés ou bien internés à Chypre, sur l’île Maurice ou en Palestine même.

    En France, en 1933, les premiers réfugiés passent facilement la frontière. Mais, très vite, les pouvoirs publics s’inquiètent de cet afflux des exilés et, dès la fin de l’année, l’attitude change : nombre de candidats à l’entrée sont refoulés et ceux qui, ayant réussi à entrer, ne sont pas en règle sont expulsés. L’arrivée au pouvoir du Front populaire marque une accalmie temporaire, mais la situation des réfugiés, considérés comme une menace pour la sécurité, voire comme une porte d’entrée pour les espions et les agitateurs, se dégrade à nouveau sous le gouvernement Daladier. En aucun cas, dit le ministre de l’intérieur de l’époque ,« la France ne saurait consentir à ouvrir ses frontières inconditionnellement et sans limitation à des individus par le fait seul qu’ils se prévaudraient de leur qualité de réfugiés. En effet l’état de saturation auquel nous sommes arrivés en matière d’immigration étrangère ne nous permet plus d’adopter une politique aussi libérale [3] ».

    La Suisse entrouvre sa porte aux réfugiés allemands en 1933 – mais ne peuvent se revendiquer de cette qualité que les personnes menacées pour leurs activités politiques. Une directive du Département fédéral de justice et police dit très explicitement que seuls les « hauts fonctionnaires, les dirigeants des partis de gauche et les écrivains célèbres » doivent être considérés comme réfugiés [4]. Les Juifs, eux, sont considérés comme de simples étrangers en transit et se voient reconnaître au mieux un droit de résidence temporaire, sans possibilité de travailler. Après l’Anschluss, le gouvernement décide la fermeture des frontières à tous ceux qui ne sont pas formellement habilités à entrer et l’expulsion de ceux qui sont en situation irrégulière. Pour faciliter le travail des autorités suisses amenées à faire le tri parmi les ressortissants du Reich, une négociation s’engage avec les autorités nazies pour que soit apposé un cachet spécial sur les passeports des Juifs – un grand J rouge de trois centimètres de hauteur – qui permet de repérer ceux qui doivent demander une autorisation spéciale pour entrer dans le pays [5].

    « Un seul serait déjà trop »

    Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que la #conférence_d’Évian, réunie en juillet 1938 pour chercher des solutions concrètes au problème des réfugiés juifs allemands et autrichiens, se solde par un échec [6]. Face à la détérioration de la situation et à la pression exercée par une partie de l’opinion publique, mais désireux aussi d’éviter un brusque afflux de réfugiés aux États-Unis, Roosevelt a en effet pris l’initiative de réunir une conférence internationale qui se tient à Évian du 6 au 15 juillet.

    Les représentants des 32 États présents, tout en affirmant leur implication dans le règlement de la question des réfugiés, se retranchent derrière des considérations économiques et politiques pour justifier la fermeture de leurs pays à l’immigration et le refus d’accueillir des réfugiés juifs.

    Les pays d’Europe occidentale se disent tous « saturés » : la Grande-Bretagne, la France, la Belgique, le Danemark, la Suède, la Suisse se déclarent les uns après les autres dans l’incapacité d’accueillir des réfugiés et n’envisagent d’accorder que des visas de transit. Le représentant de l’Australie déclare sans complexe que : « N’ayant aucun réel problème racial en Australie, nous ne sommes pas désireux d’en importer en encourageant une large immigration étrangère. » Et le délégué canadien, interrogé sur le nombre de réfugiés que son gouvernement pourrait envisager d’accueillir, répond : « Un seul serait déjà trop. »

    Même les pays d’Amérique du Sud, terres traditionnelles d’immigration, font part de leurs réserves : les uns invoquent la crise économique, les autres craignent de déplaire à l’Allemagne à laquelle les lient des accords commerciaux. La Colombie dit pouvoir accepter des travailleurs agricoles, l’Uruguay également, à condition qu’ils possèdent quelques ressources. Seule la République dominicaine de Trujillo offre d’accueillir 100 000 réfugiés juifs autrichiens et allemands, pour des raisons qui ont peu à voir avec la compassion humanitaire : c’est une occasion de « blanchir » une population jugée trop noire ; et cette offre généreuse vise aussi à redresser l’image d’un pays ternie par le massacre, en octobre 1937, à l’instigation des autorités, de milliers de Haïtiens travaillant dans les plantations.

    La conférence d’Évian se conclut donc sur un constat d’impuissance de la communauté internationale. Ce qui permet au journal allemand Reichswart d’ironiser : « Juifs à céder à bas prix – Qui en veut ? Personne !? » Hitler en effet peut triompher : personne ne veut accueillir ses Juifs.

    Impuissante, cette diplomatie est également sans scrupule, prête à toutes les concessions face à Hitler si tel est le prix à payer pour sauver la paix. Les orateurs à la tribune se bornent à exprimer le vœu d’« obtenir la collaboration du pays d’origine », pays jamais nommé et jamais stigmatisé pour ses agissements ; à aucun moment il n’est fait ouvertement mention du fait que ces réfugiés sont juifs, pour ne pas fournir un argument supplémentaire à la campagne fasciste contre les démocraties « enjuivées ». Dans la résolution finale, purgée de toute appréciation morale sur les persécutions, les termes « réfugiés politiques » sont remplacés par « immigrants involontaires » pour éviter de froisser le Troisième Reich.

    Le seul résultat concret de la conférence est la création d’un Comité intergouvernemental d’aide aux réfugiés allemands et autrichiens qui aura pour mission d’entreprendre « des négociations en vue d’améliorer l’état des choses actuel et de substituer à un exode une émigration ordonnée ». Aux yeux des pays occidentaux, en effet, de la même façon que la voie de la paix doit être recherchée en discutant avec Hitler, le problème des réfugiés ne peut être résolu qu’en accord avec les nazis.

    Les « petits bateaux de la mort »

    Visas refusés, frontières closes : les réfugiés sont acculés, en désespoir de cause, à prendre la mer, le plus souvent clandestinement. À la veille de la guerre, des dizaines, des centaines de bateaux, parfois des paquebots de ligne, souvent des bâtiments de fortune ou de contrebande qui ont pris leurs passagers en charge frauduleusement, naviguent sur les océans à la recherche d’un port où ils seront autorisés à débarquer : le Cairo part le 22 avril 1939 de Hambourg pour Alexandrie ; l’Usaramo pour Shanghai ; l’Orbita pour le Panama en juin 1939 ; l’Orinoco, vers Cuba [7]

    D’autres restent bloqués pendant des semaines ou des mois dans les ports roumains de la mer Noire ou sur le Danube. D’autres encore errent en Méditerranée, avec l’espoir vain de pouvoir accoster en Palestine. La presse française se fait l’écho de ces « vaisseaux fantômes » voguant de port en port sans qu’on laisse leurs passagers débarquer, ne serait-ce qu’en transit, transportant par milliers « ces hommes, ces femmes, ces enfants dont personne ne veut », qui sillonnent les mers en se heurtant à l’inhospitalité des côtes [8].

    Même ceux qui ont des papiers d’immigration en règle ne sont pas assurés d’être admis, comme le montre l’histoire cruelle du Saint-Louis. Ce paquebot transatlantique quitte Hambourg le 13 mai 1939 en direction de La Havane. Ses 937 passagers, presque tous des Juifs fuyant le Troisième Reich, sont en possession de certificats de débarquement émis par le directeur général de l’immigration de Cuba. Mais, dans l’intervalle, le président cubain a invalidé ces certificats. On interdit donc aux passagers de débarquer. Le bateau repart, et lorsqu’il passe le long des côtes de Floride une demande est adressée au président des États-Unis afin qu’il leur accorde l’asile – elle ne reçoit pas de réponse. Le 6 juin 1939, le Saint Louis reprend sa route vers l’Europe. In extremis, avant que le bateau ne soit contraint de revenir en Allemagne, le Jewish Joint Commitee réussit à négocier avec les gouvernements européens une répartition des passagers entre la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et les Pays-Bas qui n’acceptèrent de les accueillir qu’à condition qu’il ne s’agisse que d’un transit dans l’attente d’une émigration définitive vers une autre destination. Temporairement sauvés, une majorité d’entre eux connaîtra le sort réservé aux Juifs dans les pays occupés par l’Allemagne.

    Les embarquements clandestins se poursuivent une fois la guerre déclenchée, les réfugiés prenant des risques croissants pour tenter de rejoindre clandestinement la Palestine depuis les ports de la mer Noire, à travers le Bosphore, les Dardanelles et la mer Égée. Un gigantesque marché noir s’organise, avec la bénédiction des nazis qui, avant la programmation de la « solution finale », y voient une façon de débarrasser l’Europe de ses Juifs. Beaucoup de ces « bateaux cercueils », comme on les a appelés, font naufrage, d’autres sont victimes des mines ou des sous-marins allemands, et les épidémies déciment ceux qui ont réussi à survivre [9]. Lorsque, ayant surmonté tous ces obstacles, y compris percé le blocus britannique, ils arrivent à Haïfa ou Tel-Aviv, ils sont, dans le meilleur des cas, arrêtés et incarcérés, sinon refoulés et contraints de reprendre la route vers la Bulgarie ou la Roumanie.

    On voit ici, comme un clin d’œil de l’histoire, la place géographiquement stratégique, déjà à l’époque, de la Turquie, qui contrôle la route empruntée par les réfugiés obligés de traverser les détroits du Bosphore et des Dardanelles. La Turquie interdit l’accès à son territoire aux réfugiés qui ne détiennent pas de visa pour la Palestine et, sous la pression de la Grande-Bretagne, ne laisse pas les bateaux faire escale dans ses ports, ce qui provoquera la catastrophe du #Struma (voir encadré). Décidément, on a parfois l’impression que l’histoire bégaie.
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    Le Struma

    Le 12 décembre 1941, 767 réfugiés juifs originaires de Bucovine et de Bessarabie – où sévissent les Einsatzgruppen – embarquent sur le Struma, un navire bulgare vétuste, prévu pour une centaine de passagers. Le navire part du port roumain de Constanza, sur la mer Noire, en direction d’Istanbul où les réfugiés espèrent pouvoir déposer des demandes de visa pour la Palestine. Le 16 décembre le bateau arrive dans un port turc au nord du Bosphore, mais la Grande-Bretagne fait pression sur la Turquie pour qu’elle l’empêche de poursuivre sa route. Le Struma reste ainsi bloqué 70 jours, pendant l’hiver 1941-1942, sur le Bosphore. Les réfugiés souffrent de la faim, de l’entassement. Ils finissent par être ravitaillés grâce aux dons des associations juives et avec l’aide de la Croix-Rouge. Les autorités turques décident de le refouler vers la mer Noire et le 23 février 1942 le bateau reçoit l’ordre d’appareiller : ce sont finalement les garde-côtes turcs qui doivent remorquer le Struma, hors d’état de naviguer. Quelques heures plus tard, il est touché par erreur par une torpille soviétique et coule rapidement. Il n’y aura qu’un seul survivant.)


    https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2016-4-p-39.htm
    #fermeture_des_frontières #asile #migrations #réfugiés #juifs #histoire #Evian

  • Would You Hide a Jew From the Nazis?

    WHEN representatives from the United States and other countries gathered in #Evian, France, in 1938 to discuss the Jewish refugee crisis caused by the Nazis, they exuded sympathy for Jews — and excuses about why they couldn’t admit them. Unto the breach stepped a 33-year-old woman from Massachusetts named Martha Sharp.


    http://www.nytimes.com/2016/09/18/opinion/sunday/would-you-hide-a-jew-from-the-nazis.html?_r=0
    #délit_de_solidarité #histoire #asile #juifs #migrations #réfugiés

  • Refugee rhetoric echoes 1938 summit before Holocaust, UN official warns | World news | The Guardian

    http://www.theguardian.com/global-development/2015/oct/14/refugee-rhetoric-echoes-1938-summit-before-holocaust-un-official-warns

    The dehumanising language used by UK and other European politicians to debate the refugee crisis has echoes of the pre-second world war rhetoric with which the world effectively turned its back on German and Austrian Jews and helped pave the way for the Holocaust, the UN’s most senior human rights official has warned.
    UN human rights chief denounces Sun over Katie Hopkins ’cockroach’ column
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    Zeid Ra’ad Al Hussein, the UN high commissioner for human rights, described Europe’s response to the crisis as amnesiac and “bewildering”. Although he did not mention any British politicians by name, he said the use of terms such as “swarms of refugees” were deeply regrettable.

    #migrations #asile #réfugiés #seconde_guerre_mondiale #histoire

  • Mediapart | Bruxelles 2015 – #Evian 1938 : de sinistres résonances

    « Décidément l’histoire bégaie », c’est la conclusion de #Claire_Rodier membre du Gisti et vice-présidente du réseau Migreurop, et #Danièle_Lochak professeure émérite de droit de l’université Paris Ouest-Nanterre et membre du Gisti qui mettent en parallèle deux dates de l’histoire : Bruxelles 2015 et Evian 1938.

    http://www.asile.ch/vivre-ensemble/2015/05/03/mediapart-bruxelles-2015-evian-1938-de-sinistres-resonances

    #réfugiés #asile #migration #histoire #juifs

  • Bruxelles 2015 – Evian 1938 : de sinistres résonances

    Bruxelles 2015 – Evian 1938 : de sinistres résonances
    1/5/15 Claire Rodier - Danièle Lochak

    « Décidément l’histoire bégaie », c’est la conclusion de Claire Rodier membre du Gisti et vice-présidente du réseau Migreurop, et Danièle Lochak professeure émérite de droit de l’université Paris Ouest-Nanterre et membre du Gisti qui mettent en parallèle deux dates de l’histoire : Bruxelles 2015 et Evian 1938.

    Bruxelles, avril 2015

    Un sommet européen extraordinaire est consacré aux « pressions migratoires en Méditerranée ». Après avoir observé une minute de silence en hommage aux victimes des naufrages qui, en quelques jours, ont provoqué la mort de plus de 1000 personnes en quête de protection en Europe, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne décident... de ne rien faire pour mettre fin à cette hécatombe. Pire : en renforçant les moyens de l’agence Frontex – dont la mission est de surveiller les frontières et de dissuader l’immigration irrégulière, pas de faire du sauvetage – et en annonçant qu’ils vont s’attaquer à la principale « source » du problème – l’incontrôlable Libye – pour bloquer les tentatives de départ, les 28 Etats membres de l’UE ont choisi de rendre encore plus difficile la traversée, de renchérir le prix du passage et de renvoyer des réfugiés dans les mains de leurs persécuteurs. Et ce, malgré les exhortations venant de toutes parts, notamment du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés qui les invite depuis quatre ans à faire preuve de solidarité en accueillant des réfugiés. Le sommet se conclut sans aucun engagement ferme d’accueil des exilés dans les pays européens.

    Evian, juillet 1938

    L’adoption des lois raciales de Nuremberg en 1935 puis l’annexion de l’Autriche par Hitler précipitent plusieurs centaines de milliers de juifs dans les ambassades pour y demander des visas d’émigration. En vain... malgré les alertes du Haut-Commissaire pour les réfugiés (l’ancêtre du HCR d’aujourd’hui). A l’initiative de Roosevelt, désireux d’éviter un afflux massif de réfugiés aux Etats Unis, une conférence internationale réunit au mois de juillet 1938 les représentants de 31 pays à Evian pour discuter de l’installation dans des pays d’accueil des personnes persécutées en raison de leur race ou de leur religion. Après avoir évoqué avec beaucoup d’émotion le problème des réfugiés, les délégations abordent la question de leur éventuelle répartition dans leurs pays respectifs. À l’issue de neuf jours de discussion, il apparaît que les États ne sont pas prêts à leur ouvrir leurs portes. L’Angleterre n’a accepté de participer à la conférence qu’à la condition que n’y soit pas évoquée la possibilité d’émigrer en Palestine, alors sous mandat britannique. Les Etats Unis n’augmenteront pas leurs quota annuel d’immigrants - une trentaine de milliers toutes nationalités confondues. Quelques pays d’Amérique du Sud consentent à accepter des travailleurs agricoles. L’Australie, qui ne connaît pas de « problème racial réel » chez elle, juge inutile « d’en créer un » en accueillant des juifs (sic). La France n’en prendra pas : elle en est, selon le chef de sa délégation, « au point de saturation qui ne permet plus d’accueillir de nouveaux réfugiés sans une rupture d’équilibre de son corps social ».

    Dans la résolution finale de la conférence d’Evian, où les termes « réfugiés politiques » ont été remplacés par « immigrants involontaires » pour éviter de froisser le troisième Reich, aucun engagement n’est pris. Les centaines de milliers de juifs traqués par la violence nazie en Allemagne et en Autriche devront se contenter de l’annonce de la création d’un comité intergouvernemental « chargé d’entreprendre des négociations en vue d’améliorer l’état des choses actuel et de substituer à un exode une émigration ordonnée, en rapport avec les pays d’asile et d’établissement ».

    Décidément l’histoire bégaie.

    http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/010515/bruxelles-2015-evian-1938-de-sinistres-resonances

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