• « Plus haute #ZAD d’Europe » : faut-il encore aménager les #glaciers alpins ?

    Du 8 au 10 novembre, la France accueille le #One_Planet#Polar_Summit, premier sommet international consacré aux glaciers et aux pôles, pour appeler à une mobilisation exceptionnelle et concertée de la communauté internationale. Dans les #Alpes, les projets d’aménagements des glaciers à des fins touristiques ou sportives sont pourtant toujours en cours malgré leur disparition annoncée. C’est le cas par exemple dans le massif des Écrins (#Hautes-Alpes), sur le glacier de la #Girose où il est prévu d’implanter depuis 2017 le troisième tronçon du téléphérique de la #Grave.

    Du 7 au 13 octobre dernier, les #Soulèvements_de_la_Terre (#SLT) ont occupé le chantier afin d’en bloquer les travaux préparatoires. Ce nouvel aménagement a pour objectif de prolonger les deux tronçons existant, qui permettent depuis 1978 d’accéder au #col_des_Ruillans à 3 221 mètres et ainsi rallier à terme le #Dôme_de_La_Lauze à 3559 mètres. Porté par la #Société_d’aménagement_touristique_de_la_Grave (#SATG) et la municipalité, ce projet est estimé à 12 millions d’euros, investissement dont le bien fondé divise les habitants de #La_Grave depuis cinq ans.

    En jeu derrière ces désaccords, la direction à donner à la transition touristique face au changement climatique : renforcement ou bifurcation du modèle socio-économique existant en montagne ?

    Une #occupation surprise du glacier

    Partis du village de La Grave à 1 400 mètres dans la nuit du 6 au 7 octobre, une quinzaine de militants des SLT ont gravi 2 000 mètres de dénivelé avec des sacs à dos de 15 à 20 kg. Au terme de 12 heures d’ascension, ils ont atteint le haut d’un rognon rocheux émergeant du glacier de la Girose où doit être implanté un pylône du nouveau téléphérique. Ils y ont installé leur camp de base dans l’après-midi, avant d’annoncer sur les réseaux sociaux la création de « la plus haute zone à défendre (ZAD) d’Europe ».

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    Par cette mobilisation surprise, les SLT ont montré qu’ils pouvaient être présents sur des terrains où ils ne sont pas forcément attendus et que pour cela :

    - ils disposent de ressources logistiques permettant d’envisager une mobilisation de type occupationnelle de plusieurs jours à 3 400 mètres d’altitude

    - ils maîtrisent les techniques d’alpinisme et l’engagement physique qu’implique la haute montagne.

    Sur le glacier de la Girose, les conditions de vie imposées par le milieu n’ont en effet rien à voir avec celles des autres ZAD en France, y compris celles de La Clusaz (en novembre 2021 et octobre 2022), premières du type en montagne, dans le bois de la Colombière à 1 400 mètres d’altitude. Au cours de la semaine d’occupation, les températures étaient toutefois clémentes, oscillant entre -7° à 10 °C, du fait d’un automne anormalement chaud.
    Une communication bien rodée

    Très rapidement, cette occupation du glacier a donné un coup de projecteur national sur ce projet controversé d’aménagement local. Dès son annonce publique, les articles se sont succédés dans les médias nationaux à partir des éléments de communication (photographies, vidéos, communiqués de presse, live sur les réseaux sociaux) fournis par les SLT depuis le glacier de la Girose. Les militants présents disposaient en effet des compétences et du matériel nécessaires pour produire des contenus professionnels à 3400 mètres. Ils ont ainsi accordé une attention particulière à la mise en scène médiatique et à sa dimension esthétique.

    Bien qu’inédite par sa forme ainsi que les lieux et les moyens mobilisés, cette mobilisation s’inscrit dans une grammaire politique partagée faisant référence au bien commun ainsi qu’aux imaginaires et narratifs habituels des SLT, qu’elle actualise à partir de cette expérience en haute montagne. Elle est visible dans les stratégies de communication mobilisées : les références à la ZAD, à la stratégie du désarmement, l’apparition masquée des militants, les slogans tels que la « lutte des glaces », « nous sommes les glaciers qui se défendent » et « ça presse mais la SATArde ». Une fois déployée, cette grammaire de la mobilisation est aisément reconnaissable par les publics, qu’ils y soient favorables ou non.
    Une plante protégée sur le chantier

    Cette occupation du glacier a été imaginée dans l’urgence en quelques jours par les SLT pour répondre au début des travaux préliminaires entrepris par la SATG quelques jours auparavant. Son objectif était de stopper ces derniers suite à la décision du tribunal administratif de Marseille de rejeter, le 5 octobre, un référé liberté demandant leurs interruptions d’urgence. Déposé le 20 septembre par les associations locales et environnementales, ce dernier visait notamment à protéger l’androsace du Dauphiné présente sur le rognon rocheux.

    Cette plante protégée, dont la découverte formelle ne remonte qu’à 2021, a été identifiée le 11 juillet sur les lieux par deux scientifiques du Laboratoire d’écologie alpine (CNRS, Université Grenoble Alpes et Université Savoie Mont Blanc) et certifiée par l’Office français de la biodiversité (OFB). Leur rapport d’expertise écologique a été rendu public et remis aux autorités administratives le 18 juillet : il montre qu’il existe plusieurs spécimens de l’androsace du Dauphiné dans un rayon de moins de 50 mètres autour du projet d’implantation du pylône. Or, elle ne figure pas dans l’étude d’impact et le bureau d’étude qui l’a réalisée affirme l’avoir cherchée sans la trouver.

    Deux jours après le début de l’occupation, la SATG a demandé à la préfecture des Hautes-Alpes l’évacuation du campement des SLT afin de pouvoir reprendre au plus vite les travaux. Le 10 octobre, la gendarmerie s’est rendue sur le glacier pour notifier aux militants qu’un arrêté municipal interdisant le bivouac jusqu’au printemps avait été pris. Et que le campement était illégal, et donc passible de poursuites civiles et pénales.

    En réponse, un nouveau recours « référé-suspension » en justice a été déposé le lendemain par les associations locales et environnementales pour stopper les travaux… à nouveau rejeté le 30 octobre par le tribunal administratif de Marseille. Cette décision s’appuie sur l’avis de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et du préfet des Hautes-Alpes qui estiment que le risque d’atteinte à l’androsace du Dauphiné n’était pas suffisamment caractérisé. MW et LGA envisagent désormais de former un recours en cassation devant le Conseil d’État.

    Entre-temps, les SLT ont décidé de redescendre dans la vallée dès le 13 octobre, leur présence n’étant plus nécessaire pour empêcher le déroulement des travaux, puisque les conditions météorologiques rendent désormais leur reprise impossible avant le printemps 2024.

    https://twitter.com/lessoulevements/status/1712817279556084122

    Bien qu’illégale, cette occupation « à durée déterminée » du glacier pourrait permettre à la justice d’aboutir à un jugement de fond sur l’ensemble des points contestés par les associations locales et environnementales. En ce sens, cette occupation a permis de faire « gagner du temps » à Mountain Wilderness (MW) et à La Grave Autrement (LGA) engagées depuis cinq ans contre le projet. Leurs actions menées depuis le 3 avril dernier, date du permis de construire accordée par la mairie de la Grave à la SATG, n’ont jusqu’alors pas été en mesure d’empêcher le début des travaux… alors même que leurs recours juridiques sur le fond ne vont être étudiés par la justice que l’année prochaine et que les travaux auraient pu avoir lieu en amont.

    Cette mobilisation des SLT a aussi contraint les promoteurs du projet à sortir du silence et à prendre position publiquement. Ils ont ainsi dénoncé « quatorze hurluberlus qui ne font rien de leur vie et entravent ceux qui travaillent », ce à quoi la presse montagne a répondu « les glaciers disent merci aux hurluberlus ».
    Sanctuarisation et manque de « cohérence »

    En Europe, cette mobilisation des SLT en haute montagne est inédite dans l’histoire des contestations socio-environnementales du tourisme, et plus largement dans celles des mouvements sociaux. Cela lui confère une forte dimension symbolique, en même temps que le devenir des glaciers est lui-même devenu un symbole du changement climatique et que leur artificialisation à des fins touristiques ou sportives suscite de plus en plus de critiques dans les Alpes. Dernier exemple en date, le creusement d’une piste de ski dans un glacier suisse à l’aide de pelles mécaniques afin de permettre la tenue d’une épreuve de la coupe du monde de ski.

    Une telle situation où un engin de travaux publics brise de la glace pour l’aplanir et rendre possible la pratique du ski alpin a déjà été observée à la Grave en septembre 2020. L’objectif était alors de faire fonctionner le vieux téléski du glacier de la Girose, que le troisième tronçon du téléphérique entend remplacer à terme… sauf que l’objectif de ce dernier est d’accroître le nombre de skieurs alpins sur un glacier qui subit de plein fouet le réchauffement climatique, ce qui impliquera ensuite la mise en place d’une sécurisation des crevasses à l’aide de pelleteuses. Dans ce contexte, la question que pose la mobilisation des SLT peut donc se reformuler ainsi : ne faut-il pas désormais laisser le glacier de la Girose libre de tout moyen de transport pour en faire un avant-poste de la transition touristique pour expérimenter une nouvelle approche de la montagne ?

    Cette question résonne avec la position du gouvernement français au One Planet Summit sur la nécessaire sanctuarisation des écosystèmes que représentent les glaciers… dont le projet d’aménagement du glacier de la Girose représente « quelques accrocs à la cohérence », reconnaît Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, du fait d’un dossier complexe.
    Un dialogue à rouvrir pour avancer

    Au lendemain de la fin de l’occupation du glacier par les SLT, le 14 octobre, une manifestation a été organisée à l’initiative des Enseignes de La Meije (association des commerçants de la Grave) pour défendre l’aménagement du troisième tronçon du téléphérique. Pour eux, comme pour la SATG et la municipalité, l’existence de la station est en péril sans celui-ci, ce que conteste LGA dans son analyse des retombées économiques sur le territoire. Le bureau des guides de la Grave est lui aussi divisé sur le sujet. Le débat ne se résume donc pas à une opposition entre les amoureux du glacier, là-haut, et ceux du business, en bas ; entre ceux qui vivent sur le territoire à l’année et les autres qui n’y sont que quelques jours par an ; entre des « hurluberlus qui ne font rien de leur vie » et ceux qui travaillent, etc.

    Comme partout en montagne, le débat à la Grave est plus complexe qu’il n’y paraît et appelle à rouvrir le dialogue si l’on prend au sérieux l’inévitable bifurcation du modèle de développement montagnard face aux effets du changement climatique. Considérer qu’il n’y a pas aujourd’hui deux montagnes irréconciliables n’implique pas d’être d’accord sur tout avec tout le monde en amont. Les désaccords peuvent être féconds pour imaginer le devenir du territoire sans que l’artificialisation du glacier soit l’unique solution pour vivre et habiter à La Grave.

    Si les travaux du troisième tronçon du #téléphérique étaient amenés à reprendre au printemps prochain, les SLT ont d’ores et déjà annoncé qu’ils reviendront occuper le glacier de la Girose.

    https://theconversation.com/plus-haute-zad-deurope-faut-il-encore-amenager-les-glaciers-alpins-
    #tourisme #aménagement_du_territoire #résistance

    • Écologie : dans un village des Hautes-Alpes, le #téléphérique de la discorde

      À La Grave, dans les Hautes-Alpes, des habitants se mobilisent contre la construction d’un téléphérique, vu comme un levier de #tourisme_de_masse. Éleveurs, mais aussi artisan ou guide de haute montagne, ils défendent un mode de vie alternatif et adapté à la crise climatique.

      Comme tous les matins d’hiver, Agathe Margheriti descend à ski, avec précaution, le sentier enneigé et pentu qui sépare sa maison de la route. Son sac à dos est chargé d’une précieuse cargaison : les œufs de ses 200 poules, qu’elle vend au porte-à-porte, une fois par semaine, aux habitant·es de la vallée de la Romanche. Chaque jour, elle descend la ponte du jour et la stocke dans des boîtes isothermes dans sa camionnette qui stationne en bord de route, au pied du chemin.

      Il y a six ans, cette jeune femme a fait un choix de vie radical. Avec son compagnon Aurélien Routens, un ancien snowboardeur professionnel, elle a acheté un hameau en ruine, le #Puy_Golèfre, dans le village de La Grave (Hautes-Alpes). « Pour 140 000 euros, c’est tout ce que nous avons trouvé à la portée de nos moyens. Il n’y a ni eau ni électricité, et il faut 20 minutes pour monter à pied depuis la route, mais regardez cette vue ! », montre Agathe, rayonnante.

      La petite maison de pierre retapée par le couple, orientée plein sud, chauffée au bois et dotée d’énergie solaire, offre un panorama époustouflant sur la face nord de la Meije, la plus impressionnante montagne des Alpes françaises, toute de glace et de roche, qui culmine à 3 983 mètres.

      Son sommet occupe une place à part dans l’histoire de l’alpinisme : il n’a été atteint qu’en 1877, un siècle après le mont Blanc. L’autre originalité du lieu, à laquelle Agathe et Aurélien tiennent tant, c’est que La Grave est le seul village d’Europe à être doté d’un téléphérique dont la gare d’arrivée, à 3 200 mètres d’altitude, débouche sur un domaine skiable sauvage. Ni piste damée ni canon à neige, mais des vallons de neige vierge aux pentes vertigineuses, paradis des snowboardeurs freeride qui font leurs traces dans la poudreuse.

      Ce paradis, Agathe et Aurélien veulent le préserver à tout prix. Avec une poignée d’amis du village, ils luttent depuis trois ans contre un projet qu’ils jugent aussi inutile qu’anachronique : la construction d’un troisième tronçon de téléphérique par son exploitant, le groupe #SATA, qui permettrait de monter jusqu’au #dôme_de_la_Lauze, à 3 559 mètres. Ce nouvel équipement, d’un coût de 14 millions d’euros (dont 4 millions d’argent public), permettrait de skier sur le #glacier de la #Girose, actuellement doté d’un #téléski vieillissant, dont l’accès est devenu problématique en raison du réchauffement climatique.

      Un téléphérique sur un glacier, alors que les Alpes se réchauffent deux fois plus vite que le reste de la planète et que les scientifiques alertent sur la disparition de la moitié des glaciers de montagne d’ici à 2100 ?

      Pour tenter d’empêcher la réalisation de ce projet fou, des habitant·es de la Grave, constitué·es dans le collectif #La_Grave_autrement, luttent sur deux fronts : judiciaire et médiatique. Deux recours ont été déposés devant le tribunal administratif pour contrer le projet de la SATA, un groupe qui exploite aussi les domaines skiables de l’Alpe d’Huez et des Deux-Alpes, emploie 800 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros. Les jugements au fond n’interviendront pas avant le printemps 2024… Trop tard, peut-être, pour empêcher le démarrage des travaux.

      Alors, parallèlement, des militant·es se sont activé·es sur le terrain : en octobre, l’association #Mountain_Wilderness a déployé une banderole sur le glacier, puis #Les_Soulèvements_de_la_Terre ont symboliquement planté leurs tentes sur le rognon rocheux situé au milieu du glacier, sur lequel doit être édifié le pylône du téléphérique et où des botanistes ont découvert une plante rare et protégée, l’#androsace_du_Dauphiné.

      Enfin, en novembre, des habitant·es de La Grave, accompagné·es de la glaciologue Heidi Sevestre, ont symboliquement apporté un gros morceau de glace de la Girose à Paris, le jour de l’ouverture du One Planet-Polar Summit, et interpellé le gouvernement sur l’urgence de protéger les glaciers.

      Depuis, la neige est tombée en abondance sur la Meije et dans la vallée. À La Grave et dans le village voisin de Villar d’Arène, les opposant·es au projet prouvent, dans leur vie quotidienne, qu’une #alternative au tout-ski est possible et que la vallée peut se réinventer sans porter atteinte à ce milieu montagnard si menacé.

      Thierry Favre, porte-parole de La Grave autrement, vit dans une ancienne bergerie, au cœur du hameau des Hières, à 1 800 mètres d’altitude, qu’il a achetée il y a trente ans, après être tombé amoureux du site pour la qualité de sa neige et la verticalité de ses pentes. Après avoir travaillé dans l’industrie de la soierie à Lyon et à Florence, il a fondé ici sa propre entreprise de création d’étoffes, #Legend’Enhaut, qui fabrique des tissus haut de gamme pour des décorateurs. « Nous sommes bien situés, sur un grand axe de circulation entre Grenoble et Briançon. Nous avons l’immense chance de ne pas avoir vu notre cadre de vie massacré par les ensembles immobiliers qui défigurent les grandes stations de ski des Alpes. Mais il faut être vigilants. La Grave compte déjà 75 % de #résidences_secondaires. Et le projet de nouveau téléphérique s’accompagnera inévitablement de la construction d’une résidence de tourisme. Il y a urgence à proposer un autre modèle pour l’avenir. »

      À 60 ans, Thierry Favre s’applique à lui-même ce souci de sobriété dans son activité professionnelle. « Mon entreprise marchait bien mais j’ai volontairement mis le pied sur le frein. Je n’ai conservé que deux salariés et deux collaborateurs extérieurs, pour préserver ma qualité de vie et garder du temps pour militer. »

      À deux kilomètres de là, à la ferme de Molières, Céline Gaillard partage la même philosophie. Après avoir travaillé à l’office du tourisme de Serre-Chevalier et à celui de La Grave, cette mère de deux enfants s’est reconvertie dans l’élevage de chèvres. Elle et son mari Martin, moniteur de ski trois mois par an, exploitent un troupeau de 50 chèvres et fabriquent des fromages qu’ils vendent sur place. Pendant les six mois d’hiver, les bêtes vivent dans une vaste chèvrerie, où elles ont de l’espace pour bouger, et en été, elles paissent sur les alpages voisins. « Je ne veux pas en avoir plus de cinquante, par souci du bien-être animal. Nous pourrions produire plus de fromages, car la demande est forte. Mais le travail saisonnier de Martin nous apporte un complément de revenus qui nous suffit. »

      Avec les œufs de ses poules, Agathe fait le même constat : « Je pourrais en vendre dix fois plus. L’an dernier, nous avons planté de l’ail et des framboisiers : nous avons tout vendu très vite. Ce serait bien que d’autres éleveurs s’installent. Si nous avions une production locale plus fournie, nous pourrions ouvrir une épicerie coopérative au village. »

      Contrairement à Agathe qui milite dans le collectif La Grave autrement, Céline, la chevrière, ne s’oppose pas ouvertement au nouveau téléphérique. Mais elle n’est « pas d’accord pour se taire » : « Nous n’avons pas pu avoir un vrai débat sur le projet. Il faudrait un moratoire, le temps d’échanger avec la population. Je ne comprends pas cette volonté d’exploiter la montagne jusqu’à son dernier souffle. »

      Céline et Martin Gaillard ne sont pas seuls à pratiquer l’élevage autrement dans le village. Au hameau des #Cours, à #Villar_d’Arène, un autre jeune couple, originaire de l’ouest de la France, s’est installé en 2019. Sylvain et Julie Protière, parents d’un enfant de 4 ans, ont repris la ferme du Lautaret, dans laquelle ils élèvent 35 vaches d’Herens, une race alpine particulièrement adaptée à la rudesse du climat montagnard.

      Alors que la plupart des fermiers traditionnels de La Grave et de Villar d’Arène élèvent des génisses qu’ils revendent à l’âge de 3 ans et n’exploitent donc pas le lait, Sylvain et Julie traient leurs vaches et fabriquent le fromage à la ferme. Cela leur procure un meilleur revenu et leur permet de fournir en fromage les consommatrices et consommateurs locaux. « Nous vendons toute notre production aux restaurants, refuges et gîtes dans un rayon de 5 kilomètres, et nous n’en avons pas assez pour satisfaire la demande », témoigne Sylvain.

      À mesure que le combat des opposants et opposantes au nouveau téléphérique se médiatise et se radicalise, les tensions s’avivent au sein de la communauté villageoise. Les partisans du téléphérique accusent les opposants de vouloir la mort de l’économie de la vallée. Selon eux, sans le troisième tronçon, le téléphérique actuel n’est plus viable.

      Aucun·e des opposant·es que Mediapart a rencontré·es, pourtant, ne souhaite l’arrêt des remontées mécaniques. Benjamin Ribeyre, guide de haute montagne et cofondateur du collectif La Grave autrement, pense au contraire que l’actuel téléphérique pourrait servir de base à un développement touristique tourné vers la transition écologique. « L’actuelle plateforme d’arrivée, à 3 200 mètres, permet un accès facile au glacier de la Girose. C’est unique en France, bien mieux que la gare du Montenvers de Chamonix, d’où l’on ne voit de la mer de glace que des moraines grises. Ici, grâce au téléphérique, nous pourrions proposer des sorties d’éducation au climat, en particulier pour les enfants des écoles. Le réchauffement climatique bouleverse notre activité de guides de haute montagne. Nous devons d’urgence nous réinventer ! »

      Niels Martin, cofondateur de La Grave autrement, conteste, pour sa part, les calculs économiques des promoteurs du projet. Père de deux jeunes enfants, il partage sa vie entre La Grave et la Savoie, où il travaille dans une institution de la montagne. « Ce troisième tronçon n’est pas indispensable à la survie du téléphérique. Le fait que La Grave soit restée à l’écart des grands aménagements du plan neige des années 1970 doit devenir son principal attrait. » Au nom du collectif, Niels vient d’envoyer une lettre au préfet coordonnateur du massif des Alpes dans laquelle il propose que le village devienne en 2024 un site pilote des États généraux de la transition du tourisme en montagne, où se concoctent des solutions d’avenir pour faire face au réchauffement climatique dans les Alpes. Les Soulèvements de la Terre, eux, n’ont pas dit leur dernier mot. Dès la fonte des neiges, ils ont promis de remonter sur le glacier de la Girose.

      https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/251223/ecologie-dans-un-village-des-hautes-alpes-le-telepherique-de-la-discorde

    • #Guillaume_Gontard : Glacier de la #Girose - La #Grave :

      J’ai interrogé le ministre @Ecologie_Gouv sur l’avenir du glacier de la #Girose dans les #Alpes.
      Ce lieu unique est menacé par un projet de prolongation d’un téléphérique permettant de skier sur un glacier dont les jours sont comptés.

      https://twitter.com/GuillaumGontard/status/1740306452957348349

  • La fonte des barrières de #glace de l’#Antarctique occidental est désormais inévitable et irréversible

    La fonte qui glace. Ce processus ne peut pas être inversé et contribuera à la hausse du niveau de l’océan, même en limitant le réchauffement climatique, alerte une nouvelle étude.

    Les plateformes (ou barrières) de glace jouent un rôle stabilisateur essentiel et ralentissent la #fonte_des_glaciers dans l’#océan. Leur fonte dans l’#Antarctique_occidental va se poursuivre de manière inévitable, et ce dans tous les #scénarios de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Autrement dit, limiter le réchauffement à +1,5°C à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle, comme le prévoit l’#Accord_de_Paris, ne suffira pas à inverser la tendance. C’est à cette glaçante conclusion que sont parvenu·es les chercheur·ses du British antarctic survey (l’opérateur britannique de recherche en Antarctique) dans cette étude parue dans Nature climate change ce lundi : https://www.nature.com/articles/s41558-023-01818-x.

    « Nous constatons qu’un réchauffement rapide des #océans, environ trois fois plus rapide que le taux historique, est susceptible de se produire au cours du XXIème siècle », écrivent les scientifiques, qui ont modélisé la #mer_d’Amundsen, à l’ouest de l’Antarctique, pour mener l’analyse la plus complète du réchauffement dans la région à ce jour.

    La poursuite de la fonte des #barrières_de_glace dans l’Antarctique ouest pourrait entraîner la débâcle irréversible des #glaciers, de quoi élever le niveau de l’océan de cinq mètres, un processus aux conséquences potentiellement désastreuses pour la planète. « Notre étude n’est pas une bonne nouvelle : nous avons peut-être perdu le contrôle de la fonte de la #plateforme_glaciaire de l’Antarctique occidental au cours du XXIe siècle », a déclaré au Guardian Kaitlin Naughten, qui a dirigé les travaux.

    « Il s’agit d’un des effets du changement climatique auquel nous devrons probablement nous adapter, ce qui signifie très probablement que certaines communautés côtières devront soit construire [des défenses], soit être abandonnées », poursuit la chercheuse du British antarctic survey.

    Aujourd’hui, environ deux tiers de la population mondiale vit à moins de cent kilomètres d’une côte. De nombreuses mégalopoles mondiales, comme New York, Shanghai, Tokyo ou Bombay, sont situées sur le littoral et particulièrement vulnérables à la montée du niveau de la mer.

    https://vert.eco/articles/la-fonte-de-lantarctique-est-desormais-inevitable-et-irreversible
    #irréversibilité #inévitabilité #climat #changement_climatique

    • Unavoidable future increase in West Antarctic ice-shelf melting over the twenty-first century

      Ocean-driven melting of floating ice-shelves in the Amundsen Sea is currently the main process controlling Antarctica’s contribution to sea-level rise. Using a regional ocean model, we present a comprehensive suite of future projections of ice-shelf melting in the Amundsen Sea. We find that rapid ocean warming, at approximately triple the historical rate, is likely committed over the twenty-first century, with widespread increases in ice-shelf melting, including in regions crucial for ice-sheet stability. When internal climate variability is considered, there is no significant difference between mid-range emissions scenarios and the most ambitious targets of the Paris Agreement. These results suggest that mitigation of greenhouse gases now has limited power to prevent ocean warming that could lead to the collapse of the West Antarctic Ice Sheet.

      https://www.nature.com/articles/s41558-023-01818-x

  • Les glaciers pyrénéens fondent inexorablement, constate le glaciologue Pierre René
    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-biais-d-heidi-sevestre/les-glaciers-pyreneens-ont-perdu-90-de-leur-volume-depuis-1850-constate-

    [...]Trop tard pour sauver les glaciers des Pyrénées

    Il est trop tard pour sauver les glaciers des Pyrénées. Pierre vient tout juste de finir la campagne de mesure de l’automne 2023, et les déficits glaciaires sont extrêmes. Cette année, le glacier d’Ossoue connaît un record de fonte vertigineux avec -5m de glace, soit plus du double de la moyenne annuelle qui est de -2m par an !

    Malgré le travail exemplaire de l’association Moraine et de ses alertes répétées, ces glaciers vont tous disparaitre dans les prochaines décennies, voire peut-être dans les prochaines années. Voilà ce qu’il se passe lorsqu’on pense que les ressources terrestres sont infinies, que la technologie nous sauvera contre le péril du changement climatique et de la perte de la biodiversité, voilà ce qu’il se passe lorsque l’on n’écoute pas les scientifiques. Ce que l’on perd, c’est bien plus que des paysages de carte postale et leurs neiges éternelles. C’est une partie de nous, c’est notre fierté, notre identité.[...]

  • Dans les #Alpes, des #obsèques pour les #glaciers disparus

    L’#hécatombe se poursuit parmi les glaciers. Leur fonte s’accélère à une vitesse « hallucinante », alertent les experts. Celui de #Sarenne, en #Isère, vient de disparaître.

    Il a officiellement disparu. Le glacier de Sarenne, près de l’Alpe d’Huez (Isère), mesure désormais moins de 1 000 m2 pour 2 à 3 mètres d’épaisseur de glace. D’après les mesures des chercheurs de l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) de Grenoble, il a perdu plus d’1 mètre d’épaisseur entre le 19 septembre et le 16 octobre. Sa surface est devenue si dérisoire que l’IGE, qui l’étudie depuis soixante-quinze ans via l’observatoire Glacioclim, a décidé d’arrêter de le suivre.

    Cette disparition est une mauvaise nouvelle de plus dans une interminable liste noire. La Mer de glace, le plus grand glacier français accessible depuis Chamonix (Haute-Savoie), a perdu 16 mètres de hauteur en 2022. La même année, le glacier de Saint-Sorlin (Savoie), dans les Grandes Rousses, s’est coupé en deux sous l’effet de la canicule. Sa partie aval, réduite à des blocs de glace morte, est vouée à disparaître. Les glaciers Blanc et de la Girose dans les Écrins (Hautes-Alpes), celui de Taconnaz dans le massif du mont Blanc (Haute-Savoie) ou de la Grande Motte dans le massif de la Vanoise (Savoie)… tous fondent à vue d’œil.

    Les glaciers des Alpes françaises perdent de la masse depuis presque deux siècles, mais la fonte s’accélère de plus en plus sous l’effet du changement climatique. Ils reculaient d’1,50 mètre par an en moyenne la dernière décennie, contre 40 centimètres par an au siècle dernier. L’année 2022, marquée par une intense canicule, a marqué un tournant, avec 3,50 mètres perdus en moyenne. Le recul devrait être à peine moins marqué cette année : 2,50 mètres pour les gros glaciers.

    À ce rythme, les trois quarts des glaciers alpins auront disparu en 2050, d’après les estimations de l’IGE. Aucun glacier situé à moins de 3 400 mètres d’altitude ne devrait résister. D’ici la fin du siècle, 90 % de ces monuments de glace seront réduits à néant.
    Des hommages aux quatre coins de l’Europe

    Face à ce cataclysme, des montagnards crient leur tristesse et leur colère lors de rassemblements d’hommage. Plusieurs personnes se sont rassemblées le 2 septembre sous le glacier de Sarenne pour lui dire adieu. Parmi eux, le glaciologue à la retraite François Valla, 81 ans dont 30 passées à mesurer le glacier : « Quand j’ai commencé, jamais je n’aurais imaginé qu’il pourrait disparaître de mon vivant. »

    L’initiative n’est pas isolée. Trois jours après, en Autriche, des associatifs et des religieux enfouissaient un cercueil de glace près du sommet du Grossglockner, en hommage au glacier Pasterze voué à disparaître dans les prochaines années. En 2019 déjà, des Islandais se réunissaient pour célébrer les funérailles du glacier disparu Okjökull.

    « C’est une émotion extrêmement forte, confie le vice-président de l’association Mountain Wilderness Frédi Meignan, présent aux obsèques du glacier de Sarenne. Au-delà de l’émotion, il y a clairement de l’inquiétude. Les glaciers comme Sarenne n’étaient pas de petits glaciers. Deux photos circulent, l’une de 1906, où l’on voit un immense glacier millénaire, et l’autre de 2016, où il est microscopique et n’existe déjà quasiment plus. C’est hallucinant, cette rapidité. Les conséquences sur l’eau, les écosystèmes, vont être colossales. »

    Avec le glacier, c’est aussi tout l’âge d’or du ski de piste qui s’éteint. « Il y a le glacier de Sarenne, et il y a la mythique piste de la Sarenne de l’Alpe d’Huez, la plus longue piste noire d’Europe, rappelle à Benoît Chanas, vice-président de la Société internationale de glaciologie (IGS). De ce fait, sur le plan médiatique comme sur le plan psychologique, la station a beaucoup de mal à accepter la disparition du glacier. »

    https://reporterre.net/Dans-les-Alpes-des-obseques-pour-les-glaciers-disparus
    #disparition #glacier #montagne

  • #Inde : un expert juge que le débordement d’un lac himalayen, qui a fait des dizaines de victimes, était prévisible
    https://www.francetvinfo.fr/monde/inde/inde-un-expert-juge-que-le-debordement-d-un-lac-himalayen-qui-a-fait-de

    Selon Himanshu Thakkar, cet accident, l’un des plus graves de ce genre en Inde, aurait pu être évité, car le lac a été quasiment multiplié par dix en 50 ans à cause de la fonte des glaces qui le surplombent. « Ils auraient dû vider une partie du lac pour éviter la rupture du barrage », ajoute l’expert. Ce lac glaciaire, situé à plus de 5 000 mètres de hauteur s’est rompu et a relâché son eau contre le barrage de Teesta 3, en aval. La structure de béton de 60 mètres de haut a alors été éventrée, ce qui a inondé la vallée sur des dizaines de kilomètres.

    […]

    Selon Himanshu Thakkar, plusieurs dizaines de #barrages de l’#Himalaya sont menacés par la fonte des #glaciers.

    #incurie #climat

  • Sous les glaciers qui fondent, de nouveaux écosystèmes à défendre
    https://reporterre.net/Sous-les-glaciers-qui-fondent-de-nouveaux-ecosystemes-a-defendre

    Troisièmement, ces écosystèmes sont évidemment d’une grande valeur intrinsèque. La biodiversité qu’ils abritent est d’autant plus précieuse que celle-ci s’effondre un peu partout dans le monde. « Ces nouveaux #écosystèmes ont le privilège d’être intacts, n’ont encore jamais été modifiés par l’Homme, ce qui n’est quasiment plus le cas nulle part. Une forêt d’épicéas qui remplace un glacier alpin est au sens propre une forêt primaire. Les #retraits_glaciaires nous offrent en quelques sortes les derniers joyaux de la couronne. Il y a un intérêt écologique et une responsabilité éthique à préserver ces zones », plaide Jean-Baptiste Bosson.

    L’urgence de les protéger des convoitises

    Si les chercheurs insistent tant sur l’importance de les préserver, c’est que ces écosystèmes, à peine éclos, sont déjà menacés. « Il y a plein de tentations avec cette nouvelle ressource en eau : pour faire de la neige artificielle, la turbiner pour l’hydroélectricité, la récupérer pour l’agriculture… C’est d’autant plus dangereux qu’il y a un effet d’aubaine, explique Jean-Christophe Poupet, responsable du programme Alpes au WWF France. La fonte des #glaciers va augmenter temporairement le débit des cours d’eau, donnant l’illusion d’une abondance, mais qui n’est que temporaire. Cette #eau est un héritage, il ne faut pas la dilapider. »

    D’autant que si ces convoitises font craindre pour les futures ressources, les dégâts sont déjà perceptibles un peu partout dans le monde. « En Asie centrale, on exploite des mines en explosant des glaciers à la pelleteuse. Certains lacs au Pérou qui viennent de se former par le retrait des glaciers sont déjà contaminés par le cyanure et le mercure de mines illégales. Et les stations de ski françaises arasent les montagnes l’été pour optimiser les pistes, ce qui empêche la formation d’écosystème lorsque les glaciers disparaissent », illustre Jean-Baptiste Bosson.

    En conséquence, les acteurs du projet Ice & Life militent pour une meilleure protection juridique de ces glaciers et des écosystèmes qui leur succèdent. Dans le monde, moins de 50 % des surfaces glaciaires sont situées dans des aires protégées, s’inquiètent-ils. Si 96 % des glaciers de Nouvelle-Zélande sont dans des zones protégées, c’est le cas d’à peine 30 % des glaciers d’Europe centrale (notamment alpins) et de 12 % des glaciers d’Asie centrale (notamment himalayens), selon le recensement de l’étude.

    Créer des zones protégées sur les glaciers n’évitera pas leur fonte, reconnaissent les auteurs, mais limiterait au moins les dégâts liés au #tourisme ou aux activités minières. Stratégiquement, il est en l’espèce important d’agir au plus vite. « Une fois que les lacs et forêts se sont développés et font l’objet de convoitises, il est beaucoup plus compliqué de s’opposer aux intérêts économiques que si l’on protège le glacier aujourd’hui et sanctuarise ainsi le futur écosystème », estime Jean-Baptiste Bosso

    #extractivisme #écologie

  • Nécro(techno)logie : Claude Lorius n’a rien vu en Antarctique
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?article1831

    Toujours en librairie : Le Règne machinal (la crise sanitaire et au-delà). Voir ici

    Le glaciologue Claude Lorius est mort le 21 mars. Nous ne sommes pas du genre à gifler les cadavres, comme le firent les surréalistes à la mort d’Anatole France en 1924. Quoique la main vous démange à la lecture de la presse éplorée. Le Figaro salue le « pionnier de la climatologie moderne », Le Daubé le « lanceur d’alerte précoce », Libération le « géant des glaces », Le Monde le « héros légendaire ». Qu’a donc fait Claude Lorius (à part mourir) pour mériter de telles louanges ? Il a établi, en 1987, le lien entre la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère et l’évolution climatique. D’un point de vue scientifique, s’entend. Ses études ont vérifié les observations des montagnards : « ils ont détraqué les saisons ». Ce (...)

    #Nécrotechnologies
    https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/lorius_n_a_rien_vu.pdf

    • Lorius prétend nous livrer la cause du désastre en reprenant le terme d’Anthropocène, forgé au début des années 80 par le biologiste Eugène Stoermer. Celui-ci le popularise en 2002 dans un article de Nature corédigé avec Paul Crutzen, prix Nobel de Chimie 1995. Pardon de rabâcher, mais les nécrologies servent aussi à ça. Stoermer et Crutzen ne font pas remonter les causes du bouleversement géo-climatique à l’apparition de l’anthropos – à « l’ère des humains », comme le prétend Lorius - voici trois millions d’années, ni même à l’émergence du capitalisme. Ils situent le début de cette ère en 1784, année du perfectionnement de la machine à vapeur11 . C’est-à-dire le début de l’usage des énergies fossiles : la révolution thermo-industrielle. Leur terme englobant d’Anthropocène est abusif et commode pour dissimuler la vraie rupture, celle du Technocène. La société industrielle, motorisée par les progrès technoscientifiques, a détruit les équilibres climatiques et écologiques. Point.

      […]

      Remonter à la racine des maux signifie regarder en arrière. Les causes, par définition, sont dans le passé. Lorius le savait bien, qui lisait dans ses carottes de glaces polaires les différentes étapes des dégâts industriels sur notre biotope. Mais ses conclusions, 30 ans plus tard, étaient celles d’un aveugle : « Comment encourager la croissance qui est nécessaire, en respectant l’environnement ?14 »
      La croissance de quoi ? Des températures ? Du niveau des mers ? De la sécheresse ? Bref, Lorius n’avait rien vu dans l’Antarctique. C’était bien la peine d’aller si loin et de brûler tant de kérosène.
      Il est trop tard pour les glaciers. Et pour nous, simples anthropoïdes ?

      #anthropocène #capitalocène #technocène #climat #réchauffement_climatique #écologie #technocratie #Grenoble #science #recherche #Claude_Lorius #glaciers

    • Finalement, les héros légendaires sont des scientifiques comme les autres.

      Oui, et la connaissance de la nature ne garantit pas d’avoir des idées politiques particulièrement intéressantes.

      Qu’a donc fait Claude Lorius (à part mourir) pour mériter de telles louanges ? Il a établi, en 1987, le lien entre la teneur en gaz à effet de serre dans l’atmosphère et l’évolution climatique. D’un point de vue scientifique, s’entend. Ses études ont vérifié les observations des montagnards : « ils ont détraqué les saisons ». Ce que chacun constatait en levant le nez,

      D’un point de vue scientifique… Quel autre point de vue y aurait-il ? Le montagnard qui lève son nez a-t-il accès à des centaines de milliers d’années d’évolution du climat ? Renifle-t-il des concentrations de co2 ? Sa peau sent-elle des augmentations moyennes de température sur le globe ? Ses oreilles détectent-elles des changements d’orbite de la Terre ?

  • Au Svalbard, une expédition pour sauver la mémoire des glaciers
    https://lejournal.cnrs.fr/articles/au-svalbard-une-expedition-pour-sauver-la-memoire-des-glaciers

    « Nous sommes un peu comme le moine franciscain du Nom de la Rose, Guillaume de Baskerville, qui essaie de sauver quelques ouvrages dans une bibliothèque en feu  », confie Jérôme Chappellaz, président de la Fondation Ice Memory. Celle-ci ambitionne de sauvegarder des carottes des #glaciers du monde entier, qui contiennent la mémoire de l’environnement et des #climats passés. Le sanctuaire Ice Memory sera constitué en 2024-2025, près de la station franco-italienne Concordia, à 1 100 kilomètres à l’intérieur du continent #antarctique.

    Son principe est le suivant : il s’agit, à 3 200 mètres d’altitude, de creuser une cave à 10 mètres de profondeur puis de créer une arche en neige fraisée pour la recouvrir, en vue d’y stocker les carottes de glace du monde entier. « Cette #carothèque pour les générations futures » sera localisée là où l’on trouve «  le meilleur congélateur du monde », assure Jérôme Chappellaz. À la surface, la température moyenne est de -55 °C, n’atteignant que les -20 °C au plus chaud de l’été.

    [...] Alors que l’urgence devient criante de sauvegarder ces archives mondiales en voie de disparition, huit scientifiques s’apprêtent justement à installer leur camp de forage, durant la deuxième quinzaine du mois d’avril 2023, au sommet du glacier Holtedahlfonna, à 1 150 mètres d’altitude dans l’archipel norvégien du #Svalbard, à 40 kilomètres du village scientifique international Ny-Ålesund.

    [...] Avec le programme Sentinel, qui vise in fine à étudier l’impact de la disparition de la banquise sur les cycles climatiques et biogéochimiques de l’Atlantique Nord supérieur, les chercheurs n’étudient plus seulement les bulles d’air. Ils ont développé au cours des dix dernières années de nouvelles techniques d’investigation, notamment le séquençage du génome des micro-organismes de la glace, pour mieux comprendre comment ces #micro-organismes sont liés aux changements des conditions environnementales et comment ils peuvent être utilisés comme sentinelles pour mesurer l’impact de ces changements.

    #ice_core_science

  • Study: 15 million people live under threat of glacial floods | AP News
    https://apnews.com/article/floods-science-india-peru-pakistan-51368bb5eef49a240d3d466775e34ed6

    As #glaciers melt and pour massive amounts of water into nearby lakes, 15 million people across the globe live under the threat of a sudden and deadly outburst flood, a new study finds.

    More than half of those living in the shadow of the disaster called glacial lake outburst floods are in just four countries: India, Pakistan, Peru and China, according to a study in Tuesday’s Nature Communications. A second study, awaiting publication in a peer-reviewed journal, catalogs more than 150 glacial flood outbursts in history and recent times.

    It’s a threat Americans and Europeans rarely think about, but 1 million people live within just 6 miles (10 kilometers) of potentially unstable glacial-fed lakes, the study calculated.

    #source : Glacial lake outburst floods threaten millions globally | Nature Communications
    https://www.nature.com/articles/s41467-023-36033-x

    #inondations

  • Changement climatique : Les derniers glaciers du Kilimandjaro et d’Afrique disparaîtront d’ici 2050, selon l’ONU - BBC News Afrique
    https://www.bbc.com/afrique/articles/clwq8d72714o

    Selon un rapport de l’UNESCO, les glaciers d’un tiers des sites du patrimoine mondial des Nations unies vont fondre d’ici trois décennies.

    Les derniers glaciers du mont Kilimandjaro disparaîtront, tout comme ceux des Alpes et du parc national de Yosemite aux États-Unis.

    Selon les auteurs, ces sites fondront quelles que soient les mesures prises par le monde pour lutter contre le changement climatique.

    #eau #climat #glaciers

  • Après « une année de fonte record », ces deux glaciers des Pyrénées françaises ont été déclarés morts - Edition du soir Ouest-France - 24/11/2022
    https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-11-24/apres-une-annee-de-fonte-record-ces-deux-glaciers-des-pyrenees-francais

    Rayés de la liste ! Deux des neuf glaciers des Pyrénées françaises vont sortir de l’inventaire des glaciologues. L’hiver marqué par un déficit de neige, l’été précoce et caniculaire, les anomalies climatiques de l’automne et « les dépôts de sable du Sahara » augmentant les effets du rayonnement solaire ont eu raison des glaciers du Boum et du Portillon, près de Luchon (Haute-Garonne). « Leur mort est déclarée ! On ne les mesurera plus », annonce le glaciologue Pierre René qui les ausculte depuis vingt ans, à 2 800 m d’altitude.

    #climat

  • As Himalayan Glaciers Melt, a Water Crisis Looms in South Asia - Yale E360
    https://e360.yale.edu/features/himalayas-glaciers-climate-change

    More than a billion people depend on the Indus, Ganges, and Brahmaputra river systems, which are fed by snow and glacial melt from the Hindu Kush #Himalaya region, known as the world’s “Third Pole” because it contains so much ice.

    #glaciers #eau #climat

  • Major sea-level rise caused by melting of Greenland ice cap is ‘now inevitable’ | Sea level | The Guardian
    https://www.theguardian.com/environment/2022/aug/29/major-sea-level-rise-caused-by-melting-of-greenland-ice-cap-is-now-inev

    Major sea-level rise from the melting of the Greenland ice cap is now inevitable, scientists have found, even if the fossil fuel burning that is driving the climate crisis were to end overnight.

    The research shows the global heating to date will cause an absolute minimum sea-level rise of 27cm (10.6in) from Greenland alone as 110tn tonnes of ice melt. With continued carbon emissions, the melting of other ice caps and thermal expansion of the ocean, a multi-metre sea-level rise appears likely.

    #it_has_really_begun

  • REPORTAGE. « Si on a plusieurs étés comme ça, c’est la fin des glaciers » : dans le massif des Ecrins, les vagues de chaleur menacent les géants blancs
    https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/reportage-si-on-a-plusieurs-etes-comme-ca-c-est-la-fin-des-glaciers-dan

    Selon les scientifiques, la moitié de la surface des glaciers du massif des Ecrins a déjà disparu. Et les modélisations ne sont guère optimistes. « A l’échelle des Alpes, les climatologues prévoyaient une perte de 85 à 95% de ces glaciers à la fin du siècle, mais on se rend compte que ces estimations sont déjà caduques et que tout va plus vite, s’inquiète Ludovic Ravanel, directeur de recherche au CNRS à Chambéry et géomorphologue. A la fin du siècle, il n’y aura quasiment plus aucun glacier dans les Alpes. »

    Les glaciers, qui se composent d’une couche de neige sur une couche de glace, sont censés tenir l’été, et se régénérer chaque hiver grâce aux nouvelles chutes de neige. L’hiver dernier, la neige a été peu abondante, et les mois de mai et juin, anormalement chauds, l’ont fait fondre. « Le déneigement est arrivé très tôt, donc la période de fonte est très longue et les glaciers vivent au-delà de leurs réserves », détaille Ludovic Ravanel.

    https://www.francetvinfo.fr/pictures/5-YmQqHy3hK5UbA4LebINVgzpIQ/fit-in/540x/filters:format(webp)/2022/08/12/phpnHbjJm.jpg
    Légende des deux photographies :

    Deux clichés du glacier du Casset, pris en juillet 1980 et juillet 2018, témoignent de la fonte des glaciers dans le massif des Ecrins. (PARC NATIONAL DES ECRINS)

    #réchauffement_climatique #glaciers

  • Un premier atlas mondial pour estimer les volumes d’eau des glaciers
    https://theconversation.com/un-premier-atlas-mondial-pour-estimer-les-volumes-deau-des-glaciers

    L’évolution des glaciers de montagne est un enjeu majeur : ils servent dans de nombreux pays de réservoir d’eau potable, ont un impact économique via le tourisme notamment et participent à la montée du niveau des mers. Cette évolution était jusqu’à alors mal connue. Nous venons de publier un atlas mondial mesurant les vitesses d’écoulement et les épaisseurs de plus de 200 000 glaciers, ainsi qu’un article scientifique dans la revue Nature Geoscience.

    Malgré leur taille réduite (727 000 km²) face à celle cumulée des deux grandes calottes que sont l’Antarctique (14 millions de km²) et le Groenland (1,7 millions de km²), la fonte des glaciers de montagne a contribué à 30 % de l’élévation du niveau des mers depuis les années 1960.

    Au-delà de cet impact global, le rôle des glaciers et de leur évolution est primordial au niveau local, ainsi, leur devenir est une source de préoccupation grandissante pour les zones de montagne et leurs piémonts.

    #glaciers #eau_potable #réchauffement_climatique

  • An exceptional summer melted Mount Shasta’s snow and glaciers - The Washington Post
    https://www.washingtonpost.com/weather/2021/09/15/mount-shasta-snow-summer-2021

    Shasta’s glaciers have lost more than 50 percent of their volume and area in the 21st century, with 2021 as the largest year of volume loss


    #glaciers #climat #eau

  • L’animisme revisité par le philosophe Olivier Remaud. Conclusion : la #matière, objet d’étude des sciences dites « dures », n’est pas inerte. Et les populations en symbiose avec ces éléments dits « naturels » subissent une véritable #spoliation provoquée par les #dérèglements_climatiques.

    Récits à propos d’icebergs et autres glaciers :

    Trouble contre trouble : le glacier et l’être humain | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2021/08/18/trouble-contre-trouble-le-glacier-et-letre-humain-2

    Vivre avec le trouble : celui de l’anxiété qui nous ronge et qui nous pétrifie, devant la souffrance d’un continent auquel notre avenir, humains et non-humains réunis, est suspendu, mais aussi celui qui nous exalte et nous tonifie. Et si, pour nous tirer de l’alternative narcissique du spectaculaire et du tragique, nous pensions comme un iceberg ? En percevant l’empathie qui nous lie à ces êtres, des « choses » qui n’ont jamais été des « choses », c’est la Terre entière qui est invitée sur la scène du vivant. Rediffusion du 11 mars 2021

    Tout commence par une fissure mince et invisible. Puis un trait sombre apparaît. Un beau jour, c’est une ligne droite interminable qui entaille la glace. Lorsque les scientifiques la repèrent sur leurs images-satellites, elle s’est déjà mise à galoper vers la mer. Ils devinent que le sillon est une crevasse profonde masquant peut-être un réseau de rivières et que la plate-forme glaciaire Larsen C est en train de se disloquer. Ils scrutent les évolutions de cette grande coupure ainsi que toute la partie nord de la péninsule Antarctique. Au fil des semaines, le scénario d’une fracturation se précise. Jusqu’au mois de juillet 2017 où une masse se détache brusquement de son socle flottant. En entamant son voyage dans l’océan Atlantique sud, l’iceberg ne se doute pas qu’il devient le protagoniste d’une histoire à suspense.

    Il faut dire que ses proportions sont gigantesques et presque inégalées. La surface du bloc tabulaire côtoie les 5800 km2 tandis que son volume frise les 1500 km3. Très tôt, il se segmente en deux morceaux. Puis les morceaux se brisent en plusieurs autres. Les glaciologues de l’US National Ice Center attribuent à l’iceberg initial le nom de A68A et font de même avec chacun de ses fragments : A68B, A68C, A68D et ainsi de suite. Le classement alphanumérique leur rappelle que l’iceberg en question est le 68e (« d’une taille dépassant les 10 miles marins de longueur ») à quitter le secteur de l’Antarctique qui s’étend de la mer de Bellingshausen à la mer de Weddell, et qu’il est à l’origine d’une progéniture dispersée sur les flots.

    La communauté scientifique surveille de près les trajectoires erratiques de la petite famille. Lorsqu’elle s’aperçoit que A68A se rapproche d’une terre, elle retient son souffle. La nouvelle se diffuse, les médias s’agitent, l’inquiétude grandit. Tout le monde est persuadé que le « Béhémoth » dérivant s’apprête à finir sa course en percutant l’île de Géorgie du Sud. L’iceberg va s’ancrer sur les fonds côtiers et bloquer l’accès à la nourriture pour les manchots, les éléphants de mer, les otaries et les phoques. Sa quille aura labouré et détruit des écosystèmes marins. La collision est prévue pour la fin décembre 2020.

    Mais le sort en décide autrement et la catastrophe annoncée n’a pas lieu. Des eaux plus chaudes, des vents insistants et plusieurs frottements avec le plateau continental ont affaibli la structure de A68A. Non loin de l’île, l’iceberg se brise à nouveau. Aux nouvelles les plus récentes, il a perdu près de 70% de son volume initial. Désormais trop fin pour s’échouer, il remonte vers le nord, porté par les courants. Il ne heurtera jamais l’île de Géorgie du Sud, ni aucune autre terre.

    La menace n’aura été qu’une hypothèse démentie par les faits. Nul doute qu’un danger existait pour une partie de la faune insulaire et des fonds marins. Mais il ne s’agissait pas non plus de le prévenir. D’ailleurs, comment aurait-on pu y parvenir ? Il ne restait donc qu’à frissonner en suivant le flux des images venues du ciel. L’effet de mise en scène fut peut-être involontaire. Un monstre prédateur n’en devenait pas moins capable de tout massacrer sur son passage, à la manière d’une instance de mort archaïque. L’imaginaire des icebergs serait-il marqué à jamais par le syndrome du Titanic ? Considérons plutôt les causes de cet événement.

    La présence d’icebergs dans les océans n’a rien d’anormal. Mais aujourd’hui, le réchauffement climatique accélère le rythme des cassures. Plus les températures globales s’élèvent, moins les calottes résistent et plus les icebergs se multiplient. Nombre d’études montrent que la péninsule antarctique est devenue fragile. Des vents trop chauds naissent dans ses montagnes et dévalent les pentes. Le foehn altère la densité et la stabilité des plates-formes. Tandis que les grands froids sont censés revenir avec l’automne, les surfaces glaciaires se réduisent encore à cette période de l’année sous l’effet de la chaleur et leur neige perd de sa porosité. Les glaces se fracturent plus rapidement.

    Les scientifiques qui n’ignorent pas ces enjeux craignent que la séquence de A68A n’annonce la désintégration des plates-formes de l’Antarctique les unes après les autres. Le phénomène ne serait pas sans conséquences à l’échelle de la planète. Ces plates-formes sont alimentées par des glaciers dont elles retiennent les écoulements vers la mer. Si elles venaient à disparaître, le « bouchon » sauterait, les glaciers d’autres secteurs fonderaient à toute allure et le niveau des mers se relèverait mécaniquement. L’histoire de A68A raconte la souffrance d’un continent auquel notre avenir, humains et non-humains réunis, est suspendu.

    Comment répondre au « trouble » dans lequel nous plongent de tels événements ? Pouvons-nous réussir à « vivre avec » lui sans que l’anxiété nous ronge et nous empêche de réagir ? Est-il possible d’échapper au registre du spectaculaire sans s’abandonner à la conscience tragique ? Depuis des années, la philosophe Donna Haraway se pose ces questions. Elle nous invite à remiser nos émotions hollywoodiennes en même temps que nos désespoirs afin d’inventer les récits, les pratiques, les concepts et même d’autres troubles qui nous aideraient à mieux habiter ce monde cabossé. Dans un livre récent, j’ai, au fond, répondu à l’invitation en me demandant quelles histoires différentes nous racontent les mondes de glace.

    À y regarder de plus près, les glaciologues nous en offrent quelques-unes. Il suffit d’examiner leur vocabulaire. N’utilisent-ils pas le terme de « vêlage » (calving en anglais) pour désigner la rupture d’un glacier lâchant des icebergs ? Ce mot assimile le glacier à une vache, ou une baleine, et l’iceberg à un veau, ou un baleineau. Littéralement, les icebergs naissent. Les glaciologues parlent aussi de l’iceberg « mère » qui se brise à son tour en icebergs « filles » ou « sœurs », parfois « fils » ou « frères ». Ils tissent des liens de parenté et de filiation. Ne disent-ils pas enfin d’un glacier qu’il est « mort » lorsqu’il ne reste plus de lui qu’une fine couche de neige, supposant de cette manière qu’il a vécu ?

    Ce ne sont pas là de simples exercices poétiques. Les mots comptent. Ils expriment des sentiments que je qualifierais, avec le géographe Yi-Fu-Tuan, de « topophiliques ». Ils traduisent des expériences affectives, parfois même fusionnelles, avec des milieux et leurs personnages principaux : un glacier, un iceberg, telle portion de banquise, tel versant montagneux.

    Des mots aux réalités des écosystèmes, le pas est vite franchi. La biodiversité des milieux glaciaires n’a pas attendu que des humains frémissent devant des icebergs pour se développer et s’adapter. Confrontée à un A68A amaigri et crevassé, la faune de l’île de Géorgie du Sud aurait peut-être inventé des solutions pour trouver d’autres voies d’accès et s’alimenter. Si des blocs s’échouent, il arrive également qu’ils se dégagent un peu plus tard pour reprendre leur voyage. Par ailleurs, les icebergs perturbent les habitats sous-marins lorsqu’ils les raclent. Les spécialistes en écologie benthique nous apprennent qu’ils en emportent chaque fois quelques-uns pour les déposer dans d’autres zones. Ils reconfigurent les fonds aquatiques en les labourant.

    Continuellement, ils ensemencent les eaux profondes. Ils véhiculent des nutriments et des sels minéraux qui nourrissent le phytoplancton et constituent les premiers éléments de la chaîne trophique des milieux polaires – sous la banquise elle-même se nichent toutes sortes d’espèces, des vers nématodes, des anémones, des coraux de type alcyonaire, des isopodes, des étoiles et des concombres de mer, des oursons d’eau, des crevettes.
    Sans la multitude d’organismes micro-cellulaires qui s’accrochent aux parois immergées des icebergs, les êtres sur la planète respireraient moins bien, dont les manchots de l’île de Géorgie du Sud. Les blocs jouent un rôle crucial dans l’équilibre des écosystèmes marins. Ils confirment que les glaces sont les garantes du cycle de l’eau dont dépend le réseau global du vivant.

    Si les glaces sont bien des milieux de vie, pourquoi ne pas aller plus loin et reconnaître qu’elles sont « animées » ? Bien des populations autochtones en Arctique ont été déplacées, éliminées et oubliées au cours de l’Histoire. Elles n’en sont pas moins là et revendiquent aujourd’hui le droit d’habiter leurs terres. Mais les conséquences du réchauffement climatique se font dramatiquement sentir à ces latitudes. La raison en est simple : plus les températures augmentent et plus la capacité du manteau blanc de la Terre à réfracter vers l’espace les rayons du soleil diminue. L’affaiblissement de l’albédo enfonce ces régions dans la spirale négative de l’effet de serre qui s’auto-entretient. Cette dynamique infernale provoque ailleurs des épisodes de sécheresse sévère ou de débâcle furieuse – ainsi en va-t-il dans les vallées peuplées de la chaîne himalayenne.

    Les communautés n’ont pas le sentiment d’être responsables de cette situation mondiale. Mais les glaces sont une partie d’eux-mêmes et elles vivent leur fonte comme si on amputait leur propre corps. La militante écologiste Sheila Watt-Cloutier évoque un « droit au froid » pour rappeler combien la glace est nécessaire aux Inuit qui arpentent ces régions depuis des siècles. Ils en ont besoin pour exercer leurs droits fondamentaux.

    La banquise, les glaciers, les icebergs, ces « entités » font toujours partie de la vie quotidienne dans les zones arctiques. La division épistémique entre les « choses » et les « êtres » n’existe pas dans les cosmologies traditionnelles. Les glaciers réagissent aux actions humaines. Ils détiennent une autorité spéciale sur les communautés. Des normes organisent les relations. On s’y prendra à plusieurs reprises pour approcher un glacier sans jamais le regarder « dans les yeux » les premières fois ; on ne s’aventurera pas à cuisiner à proximité de ses parois froides et l’on s’abstiendra de disperser par inadvertance des gouttes de graisse sur le sol ; on ne construira surtout pas à son amont des barrages contredisant les équilibres de ses sols, sous peine de réveiller sa colère.

    Un glacier qui s’agace commence toujours par grommeler. Puis il vocifère et bondit hors de son lit comme un dragon enragé. Il se déverse sur les villages, les inonde, détruit leurs maisons et fait des victimes. En sanctionnant les erreurs commises par tel membre d’un clan, il oblige une communauté à reformuler ses règles de conduite à plus ou moins long terme. Face à un glacier, la prudence est requise. Si l’on ne respecte pas la norme d’une juste distance, il est impossible de cohabiter pacifiquement.

    Ces usages du monde font bouger les lignes de partage entre ce qui vivant et ce qui est mort. Ils nous réinscrivent dans une longue mémoire peuplée de figures insoupçonnées. Nous ne sommes plus les uniques acteurs. Ce sont des histoires de solidarité, tantôt heureuses et tantôt cruelles, des archives collectives sensibles. Il importe de les écouter. On entend les voix de « choses » qui n’ont jamais été des « choses ».

    Les tribus maories qui ont obtenu le 14 mars 2017 auprès du Parlement néo-zélandais le statut de « personnalité juridique » pour le fleuve Whanganui ont pu renouer des liens avec l’entité vivante et indivisible que le droit colonial avait découpé en rives et berges vendues à des propriétaires. Elles n’ont cessé de clamer qu’« elles sont la rivière » et que « la rivière est eux ».

    Toute personne qui habite à proximité d’un glacier, ou qui entretient une relation régulière avec lui, le perçoit pareillement comme un être vivant. Elle éprouve des émotions particulières. Tous les jours, elle l’écoute, l’observe, note ses variations chromatiques, se demande au réveil s’il a bien dormi. Elle s’insère dans son monde. Lui prend place dans sa vie, comme un membre lointain de sa famille. Les biographies s’entremêlent. Elle devient le glacier et le glacier devient elle. Au plus profond d’elle-même, elle désire qu’il ne fonde jamais.
    Lorsqu’elle constate que son volume diminue tandis qu’il fait partie d’un espace classé (c’est le cas du glacier de Saint-Sorlin dans le massif de l’Étendard des Grandes Rousses), elle pleure et refuse une telle absurdité. Elle veut que le glacier soit considéré pour lui-même et qu’il soit sauvé. De plus en plus, ces relations de familiarité intense entre humains et non-humains forment le terreau des demandes de justice climatique.

    Ne pas maintenir les mondes de glace et leurs histoires au loin, dans une altérité radicale, permet de mieux saisir leur importance. Après tout, les glaciers sont un peu comme des arbres et la banquise est un peu comme une forêt. Nous les aimons autant. Ils semblent immobiles. Pourtant ils se meuvent, les uns en suivant le mouvement de leur masse vers l’aval, les autres en faisant courir leurs racines sous la terre. Ils sont à la fois nos ancêtres et nos contemporains. Nous dépendons au même titre de l’oxygène qu’ils contribuent à fabriquer.

    C’est là notre autre trouble commun. Celui-ci ne nous attriste pas, il nous exalte. Il ne nous paralyse pas, il nous tonifie. Nous sommes ici troublés parce que nous percevons des affinités multiples avec des êtres non-humains si différents en apparence. Ces liens nous attirent irrésistiblement. Ils réveillent notre empathie et agissent comme un antidote joyeux. Ils ouvrent des horizons de vie nouvelle et nous extirpent de l’alternative narcissique du spectaculaire et du tragique.
    La Terre est un milieu de milieux où tout dépend de tout. Notre signature y est trop visible, nos empreintes y sont trop profondes. Nous le savons. Nous n’avons pourtant pas encore répondu collectivement à cette question : que gagnerions-nous à penser que la matière n’est pas inerte ?

    Nous y gagnerions une imagination incroyablement riche. Notre conscience du vivant s’élargirait vraiment. Nombre de nos préjugés se dissiperaient et nous pourrions reformuler quelques-uns de nos concepts classiques (pensons seulement à la notion de société). En substituant aux vieux outils des expériences partagées avec tous les êtres qui composent les écosystèmes et en racontant la vie sans limites, nous augmenterions les chances de fabriquer des outils neufs.

    Ce changement de perspectives nous aiderait à mutualiser les imaginations pour réorienter nos conduites. Nous obtiendrions un sens inédit de la connivence.
    S’intéresser aux êtres non-humains, y compris à ceux qui ne sont ni faune ni flore, c’est inviter la Terre entière sur la scène du vivant.

    https://aoc.media/auteur/olivier-remaud

    #philosophie #glaciers #icebergs #justice_climatique

  • Dans les Alpes, une « vision apocalyptique » du changement climatique

    Dans le massif du #Mont-Blanc, les #glaciers reculent à marche forcée, les écroulements de parois rocheuses se multiplient, l’#enneigement se réduit et la faune et la flore sont déboussolées.

    https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/02/01/dans-les-alpes-une-vision-apocalyptique-du-changement-climatique_6068319_324
    #changement_climatique #climat #Alpes #montagne #apocalypse

  • #Nouvelle_Zélande : le #tourisme_glaciaire face aux évolutions climatiques

    1La Nouvelle-Zélande est un pays bien connu dans la recherche concernant le tourisme glaciaire. Deux grands espaces touristiques existent à cette fin (figure 2) : le #Parc_National Aoraki-Mont Cook dont le glacier du Tasman fait partie (330 km depuis Christchurch, principal point d’entrée de l’Île du Sud ; lien vers la brochure touristique) et le Parc National Westland Tai Poutini qui inclue les glaciers de Fox et Franz Josef (400 km de Christchurch à Fox Glacier ; lien vers le site promotionnel). L’ensemble de ces #glaciers est aujourd’hui impacté par l’augmentation des températures en Nouvelle Zélande (Wratt et Mullan, 2016) qui pourrait les amener à perdre jusqu’à 80 % de leur volume de glace d’ici 2100 (Bosson et al., 2019).

    https://journals.openedition.org/rga/6824
    #tourisme #Aoraki-Mont Cook
    #Westland_Tai_Poutini #changement_climatique #climat

  • « Les glaciers des Pyrénées sont condamnés »

    Les glaciers pyrénéens et leur écosystème singulier sont entrés dans
    une inéluctable agonie sous l’effet du réchauffement climatique, avec
    pour horizon une disparition redoutée d’ici une trentaine d’années,
    selon les glaciologues qui en documentent le recul.

    « On ne peut pas donner de date précise, mais les glaciers pyrénéens
    sont condamnés », affirme Pierre René, le glaciologue de l’Association
    pyrénéenne de glaciologie Moraine, qui estime l’épilogue en 2050.

    https://www.ledevoir.com/societe/environnement/571124/les-glaciers-des-pyrenees-sont-condamnes