naturalfeature:cèze

  • Et zut alors, en voulant répondre à @philippe_de_jonckheere au sujet de ma grande et belle propriété en bord de mer, et comme c’est pas la « Côte d’Azur », j’ai dû googliser pas mal pour savoir comment se nomme la côte à #Montpellier-plages.

    Je te le donne Émile, parce que je suis sûr que tu le savais pas non plus : c’est la Côte d’améthyste
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Côte_d%27Améthyste

    Moins populaire, du coup, que la côte d’Azur, parce que personne ne se souvient comment ça s’écrit, et la plupart d’entre nous ne sait pas trop comment ça se prononce.

    #sérendipité, parce que sinon y’a aucun moyen que je sache une chose pareille. Et #merci_arno, parce qu’il est bon que tu le sachiasses.

  • http://www.desordre.net/favorite/sons/coltrane_my_favorite_things.mp3

    http://www.desordre.net/favorite/index.htm

    Tandis que Sarah et moi sucions des anguilles japonaises à une terrasse parisienne ensoleillée du mois de juin, chantonnant l’air de I Remember April in Paris, riant de concert à notre bonheur simple, sucer des anguilles parisiennes à une terrasse japonaise ensoleillée en juin, presque en avril, le téléphone de poche de Sarah vibra pour lui apporter une nouvelle tant attendue et heureuse, le genre de trucs top secrets dont elle ne devait parler à personne, pas même moi (surtout pas) avec qui elle suçait des anguilles de juin : on lui proposait en effet d’écrire une douzaine d’interprétations différentes d’un thème éculé, My Favorite Things, elle pouvait choisir chanteurs, chanteuses, musiciennes, musiciens, et traducteur japonais. Sarah avait l’air assez jouasse pour ne rien vous cacher, et si elle avait perdu toute contenance elle aurait volontiers repris des anguilles de terrasse. Il faisait beau. Nous étions à une terrasse de restaurant, un de nos endroits préférés, qui servait notre plat préféré, des anguilles de Paris à la japonaise, et m’est venue en tête la première phrase d’un texte « Mon My favorite things préféré c’est celui de Coltrane ». Mais je n’ai rien dit. Mais cette phrase, une petite heure plus tard, dans le métropolitain, je l’ai notée sur mon calepin, qui fait aussi office de téléphone de poche. Et le soir-même j’ouvrais un fichier de bloc-notes et je notais la suite de cette phrase restée en suspens, deux points ouvrez les guillemets : « … l’époque Atlantic, le moment même de la bascule ― j’aime les moments de bascule, ce sont ceux-là que je préfère, quand cela ne peut plus jamais être la même chose par la suite, qu’on ne peut plus faire comme avant, et après, même longtemps après, comprendre que c’est à tel ou tel moment que s’est faite la bascule, et pour Coltrane c’est à ce moment-là, un peu au moment où justement il essaye de nouvelles choses, notamment au soprano et, juste après, il bascule dans la période Impulse !, il change de galaxie, et j’aime assez quand on change de galaxie ―, dans mes choses vraiment préférées, il y a une odeur disparue, celle de ma fille Sarah bébé … » Et, à vrai dire, j’étais un peu lancé. Il me faut peu de choses des fois.

    Ce qui est amusant c’est que trois ou quatre jours plus tard je suis allé écouter Sarah (qui ignorait tout de cette manière un peu curieuse avec laquelle j’avais occupé mes derniers jours, à savoir : écrire une liste désordonnée des choses que je préfère dans la vie, des anguilles au chiffre 5 de Jasper Johns, en passant par le pélardon et d’autres trucs encore), en concert, avec le sextet de Sylvain Cathala (dans lequel joue Michel Foucault à la guitare) et comme je croisais Sarah avant qu’elle n’entre en scène, je lui confiais une enveloppe de papier kraft dans laquelle j’avais imprimé en hâte mon premier jet de ce qui était devenu My Favorite Favorite Things, tout en lui recommandant, prudemment, de n’ouvrir cette enveloppe que plus tard, quand elle serait rentrée chez elle, le soir, à tête reposée, comme on dit, comme si Sarah se reposait beaucoup la tête. Pendant ce temps-là je prenais place dans la salle de concert et mon téléphone de poche a vibré, c’était un message de Sarah, depuis les coulisses, qui n’avait pas pu s’empêcher de regarder le contenu de l’enveloppe, les cinquante pages de choses que je préfère dans la vie, dont le My Favorite Things de Coltrane, boire mon café devant la vallée de la Cèze dans les Cévennes, et le dossier M de Grégoire Bouillie que je n’avais pas encore commencé à le lire.

    Alors vous dire ce que je pense du film My Favorite Things que Sarah a fait avec Paul Ouazan, ce serait une exercice périlleux tant j’ai pu voir comment cela agitait de l’intérieur Sarah. Cela m’amusait d’ailleurs pas mal, je me suis dit virgule, elle est comme moi quand je suis en train d’écrire un roman, je suis incapable d’avoir un autre sujet de conversation qu’à propos du récit que je suis en train d’écrire. N’empêche douze interprétations d’un thème aussi ingrat en somme, fallait le faire, fallait les écrire, fallait le jouer, l’enregistrer et le filmer et le monter. Et elle l’a fait. Et il l’a fait. Et ils et elles l’ont fait.

    D’ailleurs c’est là : https://www.arte.tv/fr/videos/086299-001-A/les-sessions-d-arte-studio-my-favorite-things

    Sans vouloir divulgâcher le My Favorite Things de Sarah, à la fin il y a une petite fille qui saute à la corde de joie (et de fierté), je crois que c’est la première fois que je m’identifie à une petite fille qui saute à la corde, on peut rêver non ? Et oublier qu’on a mal aux genoux. D’ailleurs ma convalescence suite à mon opération de prothèse de genou n’a été que bonheur, calme et volupté en tissant tous les liens hypertextes de cette version en ligne de My Favorite Favorite Things, on a les loisirs qu’on peut et moi, ce que je préfère faire dans la vie, dans toute la vie, c’est faire de l’html. Point.

    Et pour tout avouer, en bon aficionado de Coltrane j’ignorais absolument tout que My Favorite Things fût une chanson dont les paroles sont une liste de choses que leurs auteurs, Richard Rodgers et Oscar Hammerstein II

    Raindrops on roses
    And whiskers on kittens
    Bright copper kettles and warm woolen mittens
    Brown paper packages tied up with strings
    These are a few of my favorite things
    Cream-colored ponies and crisp apple strudels
    Doorbells and sleigh bells
    And schnitzel with noodles
    Wild geese that fly with the moon on their wings
    These are a few of my favorite things
    Girls in white dresses with blue satin sashes
    Snowflakes that stay on my nose and eyelashes
    Silver-white winters that melt into springs
    These are a few of my favorite things
    When the dog bites
    When the bee stings
    When I’m feeling sad
    I simply remember my favorite things
    And then I don’t feel so bad
    Raindrops on roses and whiskers on kittens
    Bright copper kettles and warm woolen mittens
    Brown paper…

    Les gouttes de pluie sur des roses
    Et les moustaches de chat
    Les bouilloires en cuivre brillant
    Et des mitaines en laine chaude
    Les emballages de carton ramassés avec de la ficelle
    Ce sont mes choses préférées

    Les robes crème des poneys
    Et des strudels aux pommes croustillantes
    Les sonnettes et les grelots
    Et les escalopes pânées avec des nouilles
    Ce sont mes choses préférées.

    Les oies sauvages volant la Lune sur leurs ailes
    Les filles en robes blanches et rubans de satin bleu
    Les flocons qui collent au nez et aux cils
    Les hivers blanc argent qui se fondent dans le printemps
    Ce sont mes choses préférées.

    Quand le chien mord,
    Quand l’abeille pique,
    Quand je suis triste,
    Je me souviens de mes choses préférées,
    Et je ne me sens pas si mal

    Du coup, sans même connaître l’existence de ces paroles, il semble que j’avais vu juste dans leurs intentions en écrivant My Favorite Favorite Things

  • Cela arrive de plus en plus souvent et cela ne semble pas trouver de solutions. C’est un petit pro-blème, fort personnel en plus, mais je me demande s’il n’est pas la représentation de quelque pro-blématique plus vaste. De temps en temps, un peu plus souvent depuis la sortie d’Une fuite en Égypte, lorsque je participe à toutes sortes de manifestations, on me demande une biographie, ce qui semble aller de soi, ce qui ne devrait étonner personne et ce que je continue de ne pas comprendre. Et j’imagine que je ne peux pas le comprendre parce que je ne lis jamais de biographies. Je crois que la seule biographie, stricto sensu, que je n’ai jamais lue est celle de Marcel Proust par Harold Pinter et je l’ai lue juste après ma première lecture d’À la Recherche du temps perdu et je vois bien comment je tentais, par tous les moyens, de prolonger le plaisir de la lecture de La Recherche, avant d’affronter une autre lecture dont je pressentais qu’elle aurait du mal à faire le poids, d’autant que j’étais fort tenté de reprendre la lecture de La Recherche depuis le début, et finalement c’est la biographie de Proust qui a pu faire un trait d’union entre La Recherche et je ne sais plus quel livre - possiblement le Proust de Beckett, mais je n’en suis pas sûr, je ne me souviens plus. La biographie de Proust par Harold Pinter est plutôt un très bon livre qui, de fait, s’immisce dans les plis restés ouverts de la biographie fictive du Narrateur, ça peut fonctionner comme produit de substitution pour décrocher de la drogue pure de La Recherche. Un autre exemple qui lui montre que la biographie cela ne fonctionne pas pour moi, c’est celui de Beckett de Deidre Beir qui m’a instantanément laissé sur le côté, aucun intérêt. En fait dans le cas de Proust, il me semble que tout est dans le livre non ? Et dans Beckett, tout est dans les livres non ? Et le reste ne nous regarde pas, si ?

    Au siècle dernier, quand j’ai commencé à caresser l’idée de construire un site internet, dont l’idée de départ serait qu’il soit une sorte de portfolio de mon travail de photographe, je regardais ce que les collègues photographes avaient produit dans le genre et je dois dire que j’étais passablement déçu d’y trouver surreprésentée la forme dite de navigation par onglets - qui, dans son principe, continue d’être majoritaire - à savoir un onglet pour les travaux récents, un onglet pour les travaux les plus anciens, un onglet pour les expositions, un onglet pour la biographie, un onglet pour la bibliographie et un autre encore pour les coupures de presse. Et les quelques onglets de biographies que je consultais me donnaient une impression opaque d’ennui, peut-on vraiment s’intéresser à la liste des expositions de son prochain depuis qu’il ou elle est toute petite ? Et est-ce que cela ne relève pas plutôt du Curriculum Vitae ? Et qui peut trouver son content dans la lecture d’un C.V. ? En soi on ne sera pas surpris d’apprendre que la forme du site Désordre est une manière de réaction épidermique, un peu outrée, c’est vrai, au principe même de la biographie.

    À vrai dire ce que je devrais me contenter de répondre quand on me demande une biographie, c’est de répondre non, et plus poliment, que je n’en ai pas. Je pourrais même mentir et exagérer un peu, répondre à la personne qui me la demande que j’ai mené une existence à la fois ennuyeuse et vide et qu’il est impossible de lui donner le moindre relief rétrospectif, expliquer que, par ailleurs, je passe le plus clair de mon temps dans un open space ou dans les salles d’attente des différents intervenants thérapeutiques de mes enfants, ce ne serait pas mentir ni exagérer tant que cela. Et même quand je tente ce genre de réponses, vous seriez étonnés et étonnées de l’incompréhension de la personne demanderesse et de son incapacité à se contenter d’une telle réponse.

    Alors que me reste-t-il à faire ? Ce que je fais un peu tout le temps. Écrire ce qui me passe par la tête sur le sujet demandé. Je vous montre ce que cela donne :

    Philippe De Jonckheere (1964 - 2064)

    1944 Mon père voit passer un V1 dans le ciel à Lille
    1951 Robert Frank prend une fillette en photo à Paris. Ce sera ma mère
    Né le 1964ème anniversaire du massacre des innocents
    1986-91 Arts Déco et études à Chicago
    1990 Assistant de Robert Heineken, des miracles tous les jours
    1991 Retour, ça va mal
    1993 Mort de mon frère A.
    1991 Mai de la Photo à Reims, seule exposition d’envergure, censurée. Ça foire, toujours 1995-98 Exil à Portsmouth
    1999 Naissance de Madeleine
    2000 Désordre.net. Ça foire, m’entête
    2004 Naissance d’Adèle, Nathan diagnostiqué autiste et Papa opéré du cœur, le même jour
    2009 Manière de Voir : Internet, révolution culturelle
    2012 Robert Frank, dans les lignes de sa main
    2013 Rien
    2014 Rien
    2015 Frôle la catastrophe le 13 novembre. Apnées (PDJ, D. Pifarély, M. Rabbia)
    2016 Pas grand-chose
    2017 Une Fuite en Égypte
    2018 Raffut
    2019 Le Rapport sexuel existe
    2020 Élever des chèvres en open space
    2021 Frôlé par un V1
    2022 Les Anguilles les mains mouillées
    2024 Sur les genoux de Céline
    2025 - 2064 : étudie la contrebasse et rejoins la ZAD de la Cèze
    2064 Suicide.

    Vous aurez compris que c’est une version courte parce que naturellement mon premier jet était infiniment plus long et on m’a tout de suite fait comprendre que cela dépassait généralement les limites du genre. Ce que je n’ai pas toujours bien compris surtout quand la finalité c’était internet, médium pour lequel je ne comprends pas bien la notion de limite d’espace. En revanche pour ce qui est d’un imprimé, je peux comprendre qu’effectivement mon premier jet, un peu au-delà de 3000 signes, est excessif, je veux bien en rabattre un peu et d’ailleurs je trouve un certain plaisir dans cet exercice de sculpture textuelle presque, à savoir retirer des pans entiers de son existence, tel projet d’envergure mais dont je ne suis plus si fier, telle manifestation dont je pense que nous devions être dix ou vingt dans la salle pour le vernissage, et puis ensuite raboter et poncer les phrases une à une, tenter de gagner quelques misérables signes par ci par là - c’est d’ailleurs en travaillant à ce ponçage que je m’aperçois que Sur Les Genoux de Céline est, en fait, un bien meilleur titre que La Petite Fille qui sautait sur les genoux de Céline. Comme quoi, je suis nettement plus arrangeant qu’on ne croit et je ne néglige aucune piste.

    Des fois, quand on me demande de raccourcir, j’ai tellement le sentiment qu’on me demande de maigrir en somme, que je ne garde que ce qu’il y a de plus léger, c’est-à-dire la partie pour ainsi dire fictionnelle de ma biographie, dans laquelle tout est vrai, même les bouts qui sont inventés.

    Philippe De Jonckheere (1964 - 2064)

    1944 Mon père voit passer un V1 dans le ciel à Lille
    1951 Robert Frank prend une fillette en photo à Paris. Ce sera ma mère
    Né le 1964ème anniversaire du massacre des innocents
    1964 - 2012 pas grand-chose
    2013 Rien
    2014 Rien
    2015 Frôle la catastrophe le 13 novembre. Apnées (PDJ, D. Pifarély, M. Rabbia)
    2016 Pas grand-chose
    2017 Une Fuite en Égypte
    2018 Raffut
    2019 Le Rapport sexuel existe
    2020 Élever des chèvres en open space
    2021 Frôlé par un V1
    2022 Les Anguilles les mains mouillées
    2024 Sur Les Genoux de Céline
    2025 - 2064 : étudie la contrebasse et rejoins la ZAD de la Cèze
    2064 Suicide.

    Et parfois, même après de tels efforts, louables, de prendre moins de place, on trouve encore à redire, alors là, autant vous le dire tout de suite, je fais ma mauvaise tête et j’envoie la biographie définitive suivante :

    Philippe De Jonckheere (1964 - 2064)

    Et pour tout vous dire, c’est arrivé une fois, qu’on me cherche vraiment, à force d’insistance, j’ai fini par envoyer n’importe quoi, mon CV d’informaticien. Tête de la personne qui avait trop insisté (et qui ignorait, par ailleurs, que j’étais informaticien).

    Je n’ai aucune raison de me fâcher avec la dernière personne qui me demande ma biographie et qui est un peu embêtée avec mon premier, puis mon deuxième, envois, j’aime beaucoup cette personne et je lui dois beaucoup. De plus cette biographie doit rejoindre celle d’autres auteurs et auteures auxquelles a été demandée une participation textuelle à un très remarquable catalogue d’œuvres, contemporaines pour la plupart, la commande était passionnante, très libre, les conditions de rémunération à la fois généreuses et expéditives, je pense que c’est la première fois et sans doute la dernière que je sois payé AVANT le Bon-À-Tirer, autant vous dire mon embarras avec cette question de la biographie. D’autant que j’aimerais tellement contenter cette amie.

    Je tente de faire valoir que de reprendre une telle biographie ce serait comme de tenter de re-vivre une autre vie, que les items présents dans cette biographie appartiennent à un passé qui ne peut plus être altéré et croyez bien que pour certaines choses j’aimerais pouvoir changer le cours de certaines périodes de mon existence (et que me soit, par exemple, épargné les grandes douleurs de l’année 1993, si c’était si facile, aussi facile que la suppression d’une ligne dans une biographie), mais je vois bien que cet argument porte peu, on me soupçonne, peut-être pas à tort, d’avoir donné, par endroits, dans la fiction. Touché !

    Inventer du tout au tout - Il y a peu, dans un autre texte, Frôlé par un V1, dans lequel, pour les besoins de la narration, j’avais besoin de me composer une fausse biographie, j’avais écrit ceci :

    Philippe De Jonckheere, né en 1965 à Paris, de parents enseignants et syndica-listes, une enfance heureuse à Loos dans le Nord, puis une adolescence tumultueuse et accidentée à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), marquée par la toxicomanie. Après plusieurs cures de désintoxication, il reprend des études notamment au Lycée Autogéré de Paris et entre in extremis aux Arts Déco de Strasbourg en 1987 - bon dernier de sa promotion -, études qu’il abandonne vite, en 1988, pour partir en Allemagne fédérale, à Berlin, en grande partie pour fuir le service militaire et tenter de profiter des derniers soubresauts de l’école berlinoise de peinture, qu’en bon petit punk de banlieue il ido-lâtre. Il rencontre brièvement Nina Hagen qui l’encourage à rendre encore plus mau-vaise sa bad painting, qui ne s’encombrait déjà pas beaucoup d’élégance. La chute du mur de Berlin en 1989 le chasse, plus exactement l’ambiance de la ville devenue délétère, notamment ses loyers de plus en plus occidentaux, et il suit sa petite amie d’alors, une Allemande, Bettina, qui part chercher à Amsterdam une vie dans les marges, comparable à celle qui était la leur à Berlin. À Amsterdam, il s’intéresse de nouveau à la peinture, mais d’un point de vue historique, notamment, à la peinture flamande, mais surtout à Rembrandt (1606 - 1669) sur les autoportraits duquel il travaille, produisant notamment une très longue vidéo dans laquelle s’enchainent, en fondus très lents, les autoportraits de Rembrandt, donnant à voir, avec lenteur donc, le vieillissement du peintre. Avec l’arrivée du numérique dès le début des années nonante il propose une version programmatique de ce vieillissement, l’œuvre étant désormais ralentie à la vitesse réelle du vieillissement, le passage d’une image à l’autre, d’un autoportrait à l’autre, se faisant en autant de temps qu’il faut pour passer d’une date d’un autoportrait à l’autre. L’œuvre connait un retentissement singulier parce qu’elle est achetée par un collectionneur de renom à Los Angeles. Là où une voie toute tracée de plasticien s’ouvrait à lui, il décide de tourner le dos à cette célébrité qu’il juge à la fois frelatée et stérile - quel caractère ! - et de se consacrer désormais à des formes narratives dont la génération est partiellement conduite par des effets de programmation, reposant beaucoup sur le hasard - il prédéfinit des récits types et les organise en arborescences complexes au carrefour desquelles le hasard intervient de façon invisible. C’est une œuvre mal comprise, adulée par quelques fanatiques, notamment pour les traces qu’il existe de cette œuvre sur son site internet, Désordre, et qui lui valent, malgré tout - notamment le mauvais caractère -, de temps en temps de participer à des colloques à propos des nouvelles formes d’écriture, situation qu’il vit d’autant plus en imposture qu’il a désormais choisi de figer certains de ces récits numériquement générés et de les faire publier - chez Inculte -, citons Une fuite en Égypte, dont il reste des traces de code - les fameux points-virgules - et Raffut, qui est au contraire un récit dont la trame est avérée mais dont l’écriture a été confiée à un programme d’intelligence artificielle à partir de la déclaration de police qui figure en toutes lettres dans le texte. On perd sa trace en 2025, date à laquelle il semble rejoindre la résistance zadiste de la vallée de la Cèze dans les Cévennes. Sa date de décès est inconnue.

    Mais, en fait, qu’est-ce qui peut bien m’empêcher de composer une vraie biographie - Ne se-rait-ce que pour contenter cette amie que je suis peut-être en train de tourmenter inutilement, pensée qui m’est intolérable. Je pourrais indiquer que je suis né en 1964, que j’ai étudié aux Arts Déco puis à l’École de l’Art Institute de Chicago, que j’ai été l’assistant de Robert Heinecken et l’élève de Barbara Crane et qu’à partir de là tout a capoté et que je me suis retrouvé assis sur un siège à cinq roulettes dans un open space, que j’ai tenté de m’en sortir en construisant un œuvre sur Internet qui porte le nom de Désordre, qu’en dépit d’espoirs fous et d’un travail acharné, cela ne m’a pas libéré du siège à cinq roulettes, que j’ai écrit deux romans dont le dernier vient de sortir et on s’en tient à cela. En somme c’est un ratage - primo-romancier à 52 ans -, et je me demande si un peu d’orgueil n’est pas précisément ce qui me retient d’envoyer une véritable biographie, dans un fichier texte correctement calibré, à mon amie.

    Mais en fait non, ce n’est pas cela, c’est le caractère insignifiant d’une telle existence qui me retient, et finalement pas seulement de la mienne, de toutes nos existences, toutes insignifiantes, alors que je suis au contraire admiratif de nos réalisations qui elles ne sont pas insignifiantes, tant s’en faut. Et qu’il me semble justement qu’il y a là un enjeu d’émancipation. Il y a encore une dizaine d’années et un peu au-delà, j’étais, de temps en temps, invité à participer à des conférences à propos d’Internet, je disqualifiais souvent la chose en parlant de tables-rondes-derrière-une-table-rectangulaire, débats dans lesquels je tenais souvent le mauvais rôle, celui de l’envahisseur, du méchant internet qui allait faire mettre la clef sous la porte à toutes les maisons d’édition du royaume, et invariablement la question qu’on me posait systématiquement c’était de savoir quel était mon modèle économique ? Mon esprit d’escalier m’a souvent empêché de trouver la bonne réponse à cette question cocasse, à l’exception d’une fois où j’ai répondu, tandis que je partageais l’estrade avec deux éditeurs, que je répondrais à cette question, si et seulement si, les éditeurs répondaient à la question de savoir quel était leur modèle politique ? Tête des éditeurs.

    Avec l’âge, réalisant le caractère à la fois futile et passager d’une existence, la mienne, et celles de celles et ceux qui m’entourent d’une façon ou l’autre, je trouve de plus en plus dérisoire la question de la biographie, pour ne pas dire obscène et adverse, quand, au contraire, je trouve une beauté sans bords à nos inventions, nos œuvres et nos tentatives de modes de vie. Acculé, je me défends avec mes armes : la fiction.

    Inventons nos biographies à l’image de nos œuvres et de nos vies.

    #pendant_qu’il_est_trop_tard

  • Trois mises à jour dans le Désordre dans la même semaine, on se croirait au début des années 2000.

    http://www.desordre.net/photographie/numerique/quotidien/2014/index.htm

    Tous les jours , une chronique photographique de l’année précédente, une image chaque jour.

    http://www.desordre.net/bloc/vie/reprise/2015/01/index.htm

    La vie , autre chronique photographique du quotidien, ici c’est le mois de janvier qui crée son avalanche d’images.

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2015/index.htm

    Le journal de Février

    Du 121 au 151 Février, j’ai rêvé que j’étais une buse, une simple buse au-dessus de la vallée de la Cèze, j’ai chanté pour moi une vieille chanson de Crosby Stills and Nash, j’ai bouclé juste à l’heure, je ne fais pas aussi bien cette fois-ci, d’aucuns trouveront cela rassurant, j’ai fait de la compote de rhubarbe, j’ai joué avec les noms de mes fichiers, pendant que je fais cela au moins je ne fais pas de bêtises, j’ai retrouvé sur un canapé dans une devanture de magasin de meubles à Suresnes le motif décoratif de mes couvre-cahiers des années septante, ce genre d’occurrences me donne de plus en plus souvent l’envie de commencer à mettre de l’ordre dans mon plat de spaghetti , j’ai mangé des agrumes dans les Cévennes, plutôt que des pêches et d’autres fruits rouges, j’ai réussi à photographier quelque chose d’à peine visible, un voile de brume verdâtre sur la vallée de la Cèze, j’ai lu Chez soi de Mona Chollet dans lequel, insigne fierté, j’ai trouvé des bouts de Contre, j’ai connu mon quart d’heure warholien, je me suis interrogé, pour une fois sans m’impatienter à propos de l’utilisation des fameuses quatre photographies des Sonderkommandos à Birkenau à l’exposition de Jérôme Zonder à la Maison rouge, c’est quand même mieux quand je ne m’énerve pas, j’ai utilisé un livre de Pier Paolo Pasolini comme trépied et je m’y suis repris à cinq fois pour faire une image plutôt médiocre, en tout cas très éloignée de ce que je voulais faire, de ce que rêvais de faire, j’ai fait une partie de Patatras avec les filles et je suis parti en Chine, en Chine alémanique.

    #shameless_autopromo et toutes ces sortes de choses