naturalfeature:la manche

  • #Refus_d’entrée : criminaliser la solidarité

    En France, deux petites victoires ont été remportées contre les tentatives du gouvernement Français de criminaliser la solidarité envers les migrant·e·s. Un tribunal administratif a annulé deux ordres de la police française d’interdire de territoire des citoyen·ne·s européen·ne·s en raison de leur soutien aux migrant·e·s à Calais. L’interdiction ordonnée par la police a été déclarée illégale. Cette victoire au tribunal pourrait affecter des dizaines d’autres personnes placées sur des listes d’interdiction et dans les bases de données de surveillance par la police française.

    La liste des #interdictions_de_territoire

    En mars 2017, D. était à la gare de St Pancras à Londres pour prendre l’Eurostar en direction de Calais. Il s’y rendait pour participer à une réunion publique sur le rôle des sociétés privées impliquées à hauteur de plusieurs millions d’euros dans la sécurisation de la frontière Franco-Anglaise. Mais avant de monter dans le train, il est arrêté au contrôle des passeports, puis emmené dans une petite pièce par la Police aux Frontières française (#PAF). Après un moment d’entretien au téléphone, les agent·e·s de la PAF impriment un “Refus d’entrée”, document officiel l’informant qu’il lui est interdit d’entrer en France.
    Ce type de traitement n’est que trop courant envers les voyageurs et voyageuses non-européen·ne·s. Mais D. est titulaire d’un passeport européen. Le document qui lui a été remis stipulait qu’il figurait dans une base de donnée de la police française regroupant les personnes fichées comme « Danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale ». En outre, la police lui annonce qu’il va également « avoir des problèmes » pour voyager dans d’autres pays, puisque son nom était dorénavant signalé sur la base de données du Système d’Information Schengen (SIS) utilisée par les polices aux frontières dans toute l’Europe.
    Le cas de D. n’est pas un incident isolé. Ainsi, en mars 2017 X. se rendait en Belgique en bus et a été arrêté·e par la PAF au port de Douvres. Après environ une heure d’attente, on informe X. que l’entrée en France lui est refusée et iel reçoit un papier notifiant simplement qu’iel est un « danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale ».
    Ce n’était pas la première fois que X. a eu des problèmes pour entrer en France. En Octobre 2016, X. est arrêté·e à son arrivée à Calais et constate que les agent·e·s consultent une liste de trois pages avec des noms et des photographies. La police désigne à X. une photo d’iel prise en 2010 (date devinée grâce à la couleur de ses cheveux !) figurant en page 3 du document.
    On informe X. qu’en cas d’arrestation à Calais, iel serait interdit·e de présence sur le territoire français. Iel n’a pas été arrêté·e, malgré cela, l’entrée en France lui fut refusée la fois suivante.

    En examinant et recoupant l’enchaînement de ces incidents avec d’autres, il semble probable que la police ait établi une « liste de personnes interdites du territoire » juste avant l’expulsion de la jungle en octobre 2016.

    Nous savons que d’autres personnes ont reçu ces interdictions.
    D. et X., plutôt chanceux·se·s d’avoir pu le faire dans le délai imparti de deux mois, ont décidé de contester cette interdiction devant les tribunaux français. Iels ont été soutenu·e·s dans cette action par le réseau Calais Migrant Solidarity et par l’association française Anafé qui travaille avec les étrangers et étrangères empêché·e·s d’entrer en France. Nous pensons qu’il s’agit de l’une des premières fois qu’un refus d’entrée est contesté en France. La plupart des personnes à qui sont imposés ces refus d’entrée sont des migrant·e·s non-européen·ne·s, déporté·e·s loin de France et qui ont peu de chance de les contester.

    La #fiche_S

    Le ministère français de l’Intérieur a défendu l’interdiction devant la cour, arguant que D. et X. étaient bel et bien un “danger” pour la France. Mais de quel danger parle-t-on ? L’État français a tiré cet argument de son fichier consacré à D. et X. – une des tristement célèbres « fiche S » constituées par la police politique française sur de supposé·e·s fauteurs et fauteuses de troubles.

    Cette “fiche S” comportait deux parties. Tout d’abord, D. et X. sont identifié·e·s comme « membre de la mouvance anarcho-autonome d’ultra gauche (« no border ») susceptible de se livrer à des actions violentes dans les perspectives du démantèlement du camp de migrants de Calais ». L’État, dans ses pièces, ne mentionnait aucune violence de ce type, mais citait plutôt plusieurs articles de presse français traitant de la prétendue “violence” des “No Borders”.

    En fait, les assertions de ces médias étaient entièrement fondées sur des citations de sources policières, souvent anonymes. Ainsi, en un cercle parfait, la police a communiqué à la presse des affirmations sans fondements, puis a utilisé ces même citations de presse dans leurs propres “preuves”. Ni D., ni X., ni personne d’autre n’a jamais été poursuivi·e pour les prétendues “violences” mentionnées dans ces rapports, et encore moins reconnu·e coupable.

    La deuxième partie de la fiche S donne quelques exemples plus précis des activités de D. Par exemple, il est arrêté en 2010 dans une “occupation illégale” – c’est-à-dire qu’il était simplement présent dans l’Africa House, squat où habitaient environ 100 personnes venant principalement du Soudan, d’Érythrée et d’Éthiopie. Il a également été repéré par la police lors d’une manifestation de migrant·e·s à Calais en 2014. Le dossier de X. mentionnait que « du 5 au 7 février 2010, des activistes No Border, y compris X., ont illégalement occupé un hangar de la rue Kronstadt à Calais et ont accueilli des migrant·e·s, les forces de l’ordre devant expulser les lieux », et qu’en 2010, des activistes No Border, y compris X. ont déployé une banderole “solidarité avec les sans papiers” sur la façade du beffroi de la mairie de Calais.
    Comme l’a convenu la cour, tout ceci n’avait rien de bien sérieux, était inexact ou ancien, et que rien ne suggérait une menace imminente contre la nation française.

    Il y avait aussi des éléments issus de dossiers de la police britannique. Encore une fois, ceux-ci mentionnent simplement que D et X sont allé·e·s à des manifestations, et que X a été arrêté·e lors de l’une d’elle, mais jamais poursuivi·e.

    Ce que tout cela montre également est comment les polices britannique et française échangent de vagues « renseignements », des rumeurs policières et des soupçons, sur les personnes qu’ils identifient comme politiquement actives. Cette “intelligence” est ensuite utilisée comme une base pour bloquer les mouvements transfrontaliers des personnes, notamment en les ajoutant aux listes de surveillance internationales comme le Système d’Information Schengen.

    #No_Borders” : la menace fantôme

    En bref, la seule accusation réelle contre D et X était qu’iels appartenaient à une « violente » organisation « anarcho-autonome » appelée « No Borders ». Mais quelle est cette prétendue organisation ?

    Bien sûr, certaines personnes solidaires des migrant·e·s de Calais se considèrent anarchistes. Et certaines, anarchistes ou « ultra-gauchistes » ou non, s’identifient à l’idée de « No Borders ». Ces deux mots ont pu être compris différemment selon les personnes : un slogan, une demande, un défi, un rêve. En revanche ce qu’ils ne signifient absolument pas est l’appartenance à une organisation qui organiserait le soulèvement des migrant·e·s à Calais.

    C’est un fantôme créé par la police française et les journalistes qui alimentent des histoires en buvant quelques verres. Il n’existe tout simplement pas. Les journalistes des deux côtés de la Manche ont diffusé d’innombrables histoires de « No Borders » incitant à des émeutes, incendiant la jungle, alimentant des réseaux de passeurs, etc. Aucunes de ces affirmations n’ont jamais été étayées par des preuves ou des enquêtes, ni jamais justifiées devant un tribunal.

    Par ailleurs, les migrant·e·s à Calais sont généralement des personnes plutôt débrouillardes. Beaucoup ont vécu des guerres et des dictatures, des révolutions, traversé des mers et des déserts. Iels n’ont pas besoin d’aide pour être en colère, ni pour s’organiser pour franchir les frontières et passer à l’action.

    Lutter pour la solidarité

    Pour nous, cette contestation en justice ne concernait pas seulement deux individu·e·s . Il s’agissait de contester une arme largement utilisée par la police pour bloquer la libre circulation des personnes en toute impunité. C’était une petite participation à la résistance contre les gouvernements qui s’échinent à mettre fin aux mouvements de solidarité entre citoyen·ne·s et migrant·e·s.

    Au cours des dernières années, des milliers d’Européen·ne·s ont réagi au passage des réfugié·e·s avec soutien et solidarité, depuis les plages de Grèce en passant par les cols des Alpes jusqu’aux “Jungles” de Calais. Cela dérange les politicien·ne·s et les médias qui s’affairent à vouloir faire paniquer la population au sujet d’ « invasions de migrant·e·s ». Leur but est de semer la peur et la division, essayant d’empêcher les gens de s’unir contre les élites capitalistes qui sont nos ennemis communs. La solidarité concrète et pratique, quand les personnes avec et sans papiers résistent côte à côte, est une réelle menace pour leur projet de « diviser pour mieux régner ».

    C’est pourquoi les États répondent en diabolisant et en criminalisant la solidarité. À Lesbos ou à Lampedusa, des volontaires sont emprisonné·e·s ou harcelé·e·s pour avoir sauvé quelques-unes des milliers de personnes qui se noient en mer. A Calais, la police arrête et interdit de territoire arbitrairement quiconque qu’elle aura étiqueté comme « No Borders ». Iels espèrent ainsi effrayer les citoyen·ne·s et isoler les migrant·e·s. L’État et les médias peuvent ainsi discréditer et attaquer leurs boucs émissaires en toute liberté.

    Cette victoire judiciaire est une petite partie de la lutte contre cette guerre lancée contre la solidarité. Ce qui est primordial est que nous ne nous laissions pas effrayer et que nous continuions à combattre nos vrais ennemis qui traînent dans les halls de commerce et dans les lieux de pouvoir. Français·e·s ou Britanniques, Européen·ne·s ou Africain·e·s, nous avons les mêmes ennemis, ne les laissons pas nous diviser.

    #Calais #délit_de_solidarité #solidarité #asile #migrations #réfugiés #victoire #France

  • Les profiteurs de la frontière – Juin 2019 – Corporate Watch

    La maire de Calais essaye de changer l’image de Calais, souhaitant en faire une « ville fleurie ». Mais comme des locaux ont confié à Corporate Watch le mois dernier, « #ville_barbelée » serait un label plus approprié. Du port ferry jusqu’au tunnel à Coquelles, la périphérie de la ville est un paysage cauchemardesque de #clôtures surmontées de #barbelés à lames rasoir, de #caméras et #détecteurs_de_mouvement, de #terrassements, #tranchées et #terrains_inondés, tous destinés à arrêter les « damné·e·s de la terre » entreprenant cette traversée du détroit de la Manche, si évidente et acquise pour un·e citoyen·ne européen·ne.

    Tout cela implique de l’#argent pour financer les compagnies de construction et de sécurité qui fournissent et édifient l’#infrastructure de la frontière. En 2016, Calais Research a commencé à lister et décrire les #entreprises impliquées dans le marché de la frontière. Voici une rapide mise à jour sur quelques points marquants apparus depuis.

    Le #Centre_Conjoint_d’Information_et_de_Coordination_franco-britannique à Coquelles

    Il y a deux points principaux de passage de la frontière à Calais : le #port, près du centre historique de la ville, et le tunnel sous la Manche, à quelques kilomètres de la ville, à #Coquelles. Près de l’entrée du tunnel se trouve un énorme centre commercial, la Cité Europe, fréquentée par des locaux comme par des Britanniques de passage renflouant leur stock d’alcool bon marché.

    Juste à côté se tient un complexe abritant l’infrastructure policière française anti-migrant : la base principale de la #PAF (Police aux Frontières) et des #CRS, un tribunal où sont entendus les migrants, et le #Centre_de_Rétention_Administrative (#CRA).

    En novembre 2018, un nouveau bâtiment est ajouté au complexe déjà existant : le #CCIC – Centre Conjoint d’Information et de Coordination franco-britannique.

    Selon l’Agence France Presse, le centre est financé par le gouvernement de Grande Bretagne, il est « notamment équipé de #drones », et sert de poste de commande pour les forces de police françaises et britanniques. Celles-ci incluent côté français la PAF, les #douanes et les #gendarmes, et pour l’outre-Manche la police aux frontières (UK border force), la #police du #Kent ainsi que le service national de lutte contre la criminalité (#National_Crime_Agency#NCA).

    Le jour où nous sommes passé·e·s jeter un œil, nous n’avons vu aucun drone décollant du toit. Sur le parking se trouvaient plus de voitures banalisées que de véhicules de police officiels, dont plusieurs immatriculées outre-Manche. Il y avait encore un affichage à l’extérieur du centre (cf. photo) nommant les entrepreneurs impliqués dans sa construction et son équipement. Il indique un coût de 1,844 million d’euros pour ces travaux.

    Les compagnies identifiées incluent : #Villesange_Masson (Architectes locaux) ; #Groupe_Qualiconsult (consultant·e·s pour les projets de construction) ; #Verdi ; #Cougnaud_construction (spécialisé en construction modulaire industrialisée) ; #Ramery_Batiment ; #Eiffage_énergie (grosse société d’ingénierie française) ; #Satelec (électricien·ne·s) ; #Resipelec (électricien·ne·s) ; #Pylones_du_Littoral ; #Majencia (mobilier de bureau) ; #Covage_DGL_Networks (installateur de fibre optique) ; #Econocom.

    Extension du centre de Rétention

    Juste en face du CCIS se trouve le CRA de Coquelles. Actuellement, il permet d’enfermer 79 hommes, mais l’État français veut augmenter le nombre de places. Fin mars 2019, il annonçait un projet d’extension de 480 mètres carrés. L’agence d’architectes #COAST supervise les travaux, et travaille avec #BD_engineering.

    Douanes et tranchées

    En dehors de Coquelles, on voit d’importants travaux de chaque côté de la voie rapide menant au tunnel. Ce sont de grands #bunkers, chacun avec plusieurs quais destinés à la fouille des camions. Ce ne sont pas des mesures prioritairement anti-migrants, il s’agit en fait de nouveaux parking poids-lourds et de postes de douane, construits à la hâte par #Eurotunnel, en prévision de nouveaux contrôles sur les marchandises après le Brexit.

    Cependant, ces projets participent à renforcer les mesures de sécurité exceptionnelles auxquelles on doit ce changement d’atmosphère autour de Calais. Les bunkers sont protégés par des #tranchées et de nouvelles clôtures – canaux et lacs artificiels creusés et remplis d’eau comme une autre mesure contre ces humains dont on ne veut pas. Ceci fait suite aux modèles de #déforestation et d’#inondation initiés par Eurotunnel en 2016.

    Contrôles aux frontières privatisés au parking poids-lourd #Polley

    Une petite industrie s’est développée grâce à la « crise migratoire » : le #parking_poids-lourd sécurisé. Le gouvernement britannique inflige une contravention aux entreprises de transport de marchandises si des personnes sont trouvées dans leurs véhicules sans les documents administratifs adéquats. Dans les faits, cela se traduit par l’#externalisation des contrôles frontaliers vers les camionneurs eux-même, soucieux de ne pas être surpris avec des passager·e·s clandestin·e·s. Et l’entreprise de transport va payer des emplacements sécurisés pour marquer un arrêt avant de traverser la Manche.

    À #Dunkerque, #DK_Secure_Truck_Park dispose de 250 emplacements entourés de clôtures et surveillés par « 40 #caméras_de_surveillance haute-définition ». À Calais, la plus grosse société est #Polley_Secured_Lorry_Park, dirigée par un homme d’affaire local, #Francois_Polley. Ce site de 10 hectares se targue d’être protégé par des grilles hautes de 2,40 mètres et d’être surveillé 24h/24 et 7j/7.

    Récemment, nous avons entendu parler d’une nouvelle niche dans ce business. Les cars de transport de passagers opérés par #Flixbus profitent également des services de sécurité de Polley. Les cars en route vers la Grande Bretagne passent par le parking Polley avant de se diriger vers le tunnel. Là, un des agents de sécurité privés du parking va procéder à une première fouille du véhicule, cherchant d’éventuel·le·s clandestin·e·s dans la soute à bagages. Ceci, en plus des deux contrôles qui seront effectués par les autorités françaises et britanniques une fois au tunnel.

    Flixbus et Polley fournissent peu d’information publique sur cette #fouille supplémentaire. Il y n’y en a qu’une vague référence sur le site de Flixbus, où elle est simplement mentionnée comme « un #contrôle_pré-Royaume-Uni ».

    Hôtel de police…

    Notre dernier arrêt sur notre tour des infrastructures de la frontière s’est trouvé en plein cœur de la ville de Calais. On avait entendu dire que l’ancienne pratique de constamment arrêter et harceler les personnes pouvant être des migrant·e·s dans le centre ville est progressivement devenue marginale. On se demandait donc pourquoi on continuait de voir les camionnettes de CRS patrouiller les rues principales entre la mairie et le théâtre.

    Nous avons réalisé que leur activité principale consistait à déposer et passer prendre de costauds hommes blancs en civil à la porte du #Brit_Hotel. Des locaux nous expliquent alors que ce bâtiment hôtelier a été inoccupé pendant des années, avant de rouvrir sous ce nouveau nom en 2016. Sa clientèle semble être composée presque exclusivement de CRS et de gendarmes – mais si vous rêvez de dormir à côté d’un CRS bien bâti, vous pouvez réserver une chambre pour environ 50 euros la nuit.

    Brit Hôtel est une chaîne hôtelière répandue dans tout la France.

    #business #migrations #frontières #Calais #France #profit #complexe_militaro-industriel #militarisation_des_frontières #privatisation #externalisation_des_frontières

    ping @karine4 @isskein

  • Sur l’#Europe_forteresse, quelques #critiques...

    Extrait d’un entretien avec #Sandro_Mezzadra :

    Vous réfutez la vision d’une Europe forteresse. Réfutez-vous aussi le durcissement des politiques migratoires mises en œuvre par les États membres de l’UE ?

    Je critique la vision unilatérale des frontières les réduisant à leur fonction de mur. Les #frontières excluent, séparent, c’est un fait. Mais elles ne sont pas que cela. Je ne cherche pas à nier la #violence qui s’exerce aux frontières, la manière dont des vies sont exploitées, enlevées. Mais il me semble qu’il faut changer de point de vue afin de retrouver un angle d’attaque plus efficace. Le concept d’Europe forteresse a été inventé dans les années 1990 pour dénoncer les politiques migratoires européennes. La référence de cette métaphore est militaire, puisque l’Europe forteresse désignait les fortifications nazies bordant les rivages de l’Atlantique. Cette image n’est pas inutile. Mais, au cours des dernières années, elle a été récupérée par les institutions européennes elles-mêmes, notamment par Frontex. À trop l’utiliser, on risque de faire le jeu des politiques qu’elle est censée combattre.
    Pour répondre à votre question, il n’existe pas de politique européenne migratoire commune. Mais il existe un cadre global, à travers la mise en place de règles minimales, l’identification de supposées “bonnes pratiques”, le déroulement de négociations informelles ou encore l’établissement de relations bilatérales. Ce cadre global tend à instaurer une politique de sélection inclusive. Le but des politiques migratoires européennes n’est pas de barrer la route aux migrants. Ça, c’est le spectacle. Des centaines de milliers de personnes entrent et s’installent légalement – mais aussi illégalement – chaque année dans l’Union européenne. Les États membres ne s’en plaignent pas. Au contraire, ils en ont besoin, pour des raisons économiques et démographiques identifiées depuis longtemps par Bruxelles. L’Europe vieillit, l’Europe a besoin de main-d’œuvre. Les systèmes de migrations saisonnières, de migrations circulaires, les systèmes à point sont appréciés. Ces dispositifs sélectifs sont compatibles avec la flexibilité exigée par les économies de marché.
    Les dirigeants et experts européens débattent du “management de l’immigration” et de “just-in-time” ou “to-the-point migrations”. Ils ont cru, un temps, comme en Italie, que les quotas étaient une solution adéquate. Or ceux-ci se sont avérés particulièrement rigides, donc inadaptés aux besoins des entreprises. Ce management a à voir avec une gestion entrepreneuriale. L’objectif est de diversifier les compétences des migrants. La figure du migrant peu qualifié, recruté comme OS dans l’industrie automobile, est dépassée en tant que point de référence normatif pour les politiques et expériences migratoires. La figure du migrant est multiple. Les statuts, les expériences des migrants sont plurielles. De même que la figure du citoyen et du travailleur s’est fragmentée, celle du migrant a explosé.

    https://editionsasymetrie.org/frontieres/2019/05/21/interview-mezzadra

    #Forteresse_Europe #Mezzadra #critique #migrations #réfugiés #récupération #vocabulaire #terminologie #mots

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    « La “forteresse”, une image dramatiquement fausse. Un article de @isskein

    Tous ces aspects vont à l’encontre du syntagme figé de “forteresse Europe”, dont le succès est grand dans les mouvements altermondialistes. Parfois utile pour mobiliser, il est calamiteux pour l’analyse et l’action. D’abord parce qu’il focalise sur la répression : si l’Europe mène une guerre aux migrants, dont les morts se comptent par milliers, du détroit de Gibraltar aux côtes maltaises et siciliennes, du tunnel sous la Manche à la frontière gréco-turque, on oublie trop souvent que la politique européenne est aussi fondée sur l’utilitarisme : “Nous avons besoin des immigrés, mais ils devront être choisis, contrôlés et placés” déclare Romano Prodi (11 sept 2000, dépêche Ansa). On oublie surtout que la fermeture et le contrôle des frontières sont mis en échec chaque jour : selon Europol chaque année près de 500.000 personnes réussissent à franchir “illégalement” les frontières de l’UE.
    Cette vision victimaire, paternaliste, strictement humanitaire, fait des migrants les victimes d’inévitables catastrophes dues à la globalisation néolibérale, des corps soumis voués à l’invisibilité, à l’errance et à l’attente, alors que, comme le font remarquer Étienne Balibar et Edward Saïd, ils ne sont ni “une masse fluctuante indifférenciée”, ni “d’innombrables troupeaux d’innocents relevant d’une aide internationale d’urgence”.
    Appliquée aux camps, l’image de la forteresse est tout aussi dramatiquement fausse. Ceux que l’on y enferme ne sont pas, comme le voudraient les différents corps policiers, administratifs et humanitaires qui les gèrent, des catégories (“clandestins”, “irréguliers”), mais des femmes et des hommes.
    Il y a une autonomie des migrations, qui les rend irréductibles aux lois internationales de l’offre et de la demande (le « push-pull » des théories classiques), car c’est un mouvement social autonome. Et les migrants sont des sujets, des femmes et des hommes qui, en exerçant quotidiennement leur droit de fuite et de fugue, mettent en question les frontières et la citoyenneté européenne.
    Il ne s’agit pas là de céder au romantisme de l’exil et du nomadisme, ou de considérer que la migration est en elle-même porteuse d’émancipation, mais de placer au premier plan la résistance et la dignité de sujets. »

    https://www.cairn.info/revue-multitudes-2004-5-page-61.htm

    ping @isskein @karine4

  • #Deûlémont : un commerçant de bateaux incarcéré pour avoir vendu des embarcations à des migrants

    Un #concessionnaire de bateaux basé à Deûlémont dans la métropole lilloise a été placé en #détention, dans l’attente de son jugement le 2 mai prochain, pour avoir vendu des embarcations à des migrants. Dans ce même dossier, un #chauffeur_de_taxi est également incarcéré.

    Le gérant d’une société de commerce de bateaux de Deûlémont a été placé en détention vendredi 22 mars, sur décision du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, dans l’attente de son jugement le 2 mai prochain pour « aide aux migrants en bande organisée ». Une information de La Voix du Nord confirmée par le parquet de Boulogne et par l’avocat du prévenu, Me Mathieu Masse.

    Il est reproché à l’entrepreneur d’avoir depuis début octobre vendu plusieurs #bateaux_pneumatiques (semi-rigides, d’une valeur d’une dizaine de milliers d’euros) à des réseaux de migrants en vue de traverser la #Manche.

    Mesure « extrêmement coercitive »

    Me Masse a d’ores et déjà fait une demande de remise en liberté de son client, jugeant son incarcération « extrêmmement coercitive et complètement injustifiée ».

    « Le fait d’avoir vendu des bateaux ne fait pas de lui quelqu’un qui a aidé les migrants à traverser la Manche. Il fait juste du commerce et ça le met dans une situation catastrophique », plaide l’avocat. « On ne peut pas poursuivre un concessionnaire de voitures pour avoir vendu un bolide qui plus tard servirait à du trafic de drogues », poursuit-il.

    Dans ce dossier, un chauffeur de taxi a également été placé sous mandat de dépôt, accusé d’avoir transporté des migrants sur les plages d’où sont parties des embarcations pour l’Angleterre. Me Masse conteste par ailleurs la qualification de « #bande_organisée » : « En réalité ce sont deux personnes qui sont prévenues, un chauffeur de taxi et un vendeur de pneumatiques, mais il n’y a ni migrant, ni passeur. Pourquoi il n’y a que deux personnes ? » s’interroge-t-il.

    Selon lui, le parquet de Boulogne avait requis à l’encontre du patron de Fluvyalis un simple placement sous contrôle judiciaire dans l’attente de l’audience qui a été reportée à début mai.

    https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille-metropole/deulemont-commercant-bateaux-incarcere-avoir-vendu-emba
    #commerce #bateaux #migrations #réfugiés #frontières #criminalisation #France #justice #passeurs
    #it_has_begun

    via @isskein

  • Derrière la privatisation d’Aéroports de Paris, le contrôle d’un patrimoine immobilier qui vaut de l’or
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/19/derriere-la-privatisation-d-adp-le-controle-d-un-pactole-immobilier_5438180_

    C’est l’un des points sensibles de la privatisation du Groupe #ADP : l’acquéreur des 50,63 % de l’Etat dans les plates-formes de Roissy, d’Orly et du Bourget prendra aussi le contrôle d’un des plus beaux patrimoines fonciers d’Ile-de-France. Le groupe possède près de 6 700 hectares autour de Paris. Des terrains consacrés à l’activité aéroportuaire pour l’essentiel, mais pas tous : pas moins de 1 242 hectares, autant que les 18e et 19e arrondissements de Paris réunis, sont réservés à des opérations immobilières. Des emplacements qui valent de l’or, à proximité immédiate des aéroports et dans un Grand Paris engagé dans une croissance à marche forcée.

    « Ce portefeuille foncier est un aspect qui différencie ADP des autres groupes aéroportuaires », souligne Yan Derocles, spécialiste de l’entreprise chez l’analyste financier Oddo. En cas de privatisation, l’Etat récupérera, au terme d’une concession de soixante-dix ans, « l’intégralité du foncier » et de ce qui aura été bâti dessus, assure le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Sans apaiser une double inquiétude : que la sous-valorisation de ce patrimoine offre un magnifique cadeau de bienvenue aux acheteurs, et que la puissance publique perde toute possibilité d’orienter le développement de ces territoires stratégiquement situés.

    « Alors que la métropole du Grand Paris est confrontée à des défis d’aménagement pour lesquels la maîtrise foncière est un élément-clé, alors que la question des mobilités non polluantes va être essentielle dans les décennies qui viennent, l’Etat se prive d’un levier d’action direct sur l’usage des sols », regrette le géographe Michel Lussault, directeur de l’Ecole urbaine de Lyon et théoricien de ces « hyper-lieux » de la mondialisation dont font partie les aéroports. Lors de la privatisation des aéroports de Lyon et de Nice, l’Etat avait d’ailleurs conservé la propriété du foncier.

    A proximité immédiate des emprises d’ADP, des collectivités et l’Etat mènent leurs propres projets de développement – dont le controversé complexe de commerces et de loisirs Europacity –, projetant parcs d’affaires et zone…

    #paywall

    • sur le site du Groupe ADP

      Immobilier hors terminaux
      https://www.parisaeroport.fr/entreprises/immobilier/immobilier-hors-terminaux/presentation

      Le domaine foncier utilisable pour l’activité immobilière
      Le Groupe ADP est propriétaire de l’ensemble de son domaine foncier qui s’étend sur 6 686 hectares, dont 4 601 hectares réservés pour les activités aéronautiques, 775 hectares de surfaces non exploitables et 1 310 hectares dédiés aux activités immobilières.

      Sur les 381 hectares de réserve foncière disponible, 181 hectares sont situés à Paris-Charles de Gaulle, 136 hectares à Paris-Orly, 64 hectares à Paris-Le Bourget et sur les aérodromes d’aviation générale.

    • Le groupe possède près de 6700 hectares dans des territoires stratégiquement situés autour de Paris, un des plus beaux capitaux fonciers d’Ile-de-France.

      C’est l’un des points sensibles de la privatisation du Groupe ADP : l’acquéreur des 50,63 % de l’Etat dans les plates-formes de Roissy, d’Orly et du Bourget prendra aussi le contrôle d’un des plus beaux patrimoines fonciers d’Ile-de-France. Le groupe possède près de 6 700 hectares autour de Paris. Des terrains consacrés à l’activité aéroportuaire pour l’essentiel, mais pas tous : pas moins de 1 242 hectares, autant que les 18e et 19e arrondissements de Paris réunis, sont réservés à des opérations immobilières. Des emplacements qui valent de l’or, à proximité immédiate des aéroports et dans un Grand Paris engagé dans une croissance à marche forcée.

      Lire l’éditorial : Groupe ADP : une privatisation contestable
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/19/groupe-adp-une-privatisation-contestable_5438217_3232.html
      « Ce portefeuille foncier est un aspect qui différencie ADP des autres groupes aéroportuaires », souligne Yan Derocles, spécialiste de l’entreprise chez l’analyste financier Oddo. En cas de privatisation, l’Etat récupérera, au terme d’une concession de soixante-dix ans, « l’intégralité du foncier » et de ce qui aura été bâti dessus, assure le ministre de l’économie, Bruno Le Maire. Sans apaiser une double inquiétude : que la sous-valorisation de ce patrimoine offre un magnifique cadeau de bienvenue aux acheteurs, et que la puissance publique perde toute possibilité d’orienter le développement de ces territoires stratégiquement situés.

      Lire aussi Les enjeux de la privatisation d’Aéroports de Paris en 6 questions
      https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/03/13/loi-pacte-les-enjeux-de-la-privatisation-d-aeroports-de-paris-en-six-questio
      « Villes aéroportuaires »
      « Alors que la métropole du Grand Paris est confrontée à des défis d’aménagement pour lesquels la maîtrise foncière est un élément-clé, alors que la question des mobilités non polluantes va être essentielle dans les décennies qui viennent, l’Etat se prive d’un levier d’action direct sur l’usage des sols », regrette le géographe Michel Lussault, directeur de l’Ecole urbaine de Lyon et théoricien de ces « hyper-lieux » de la mondialisation dont font partie les aéroports. Lors de la privatisation des aéroports de Lyon et de Nice, l’Etat avait d’ailleurs conservé la propriété du foncier.

      A proximité immédiate des emprises d’ADP, des collectivités et l’Etat mènent leurs propres projets de développement – dont le controversé complexe de commerces et de loisirs Europacity –, projetant parcs d’affaires et zones commerciales. Des plans qu’un nouvel actionnaire d’ADP pourrait venir perturber en développant une offre concurrente.

      « Le nouvel opérateur va forcément accélérer le développement immobilier, qui n’a pas été très rapide ces dernières années : ADP a optimisé son patrimoine, l’a dépoussiéré, mais a finalement peu construit », estime M. Derocles.

      Le groupe a pourtant fait du développement de véritables « villes aéroportuaires » autour de ses plates-formes un de ses axes de croissance. Des campus de bureaux et des hôtels autour des terminaux sont ainsi bâtis sur des terrains ADP, moyennant un loyer, mais aussi le centre commercial Aéroville d’Unibail-Rodamco-Westfield, à côté de Roissy.

      Du centre d’affaires de Roissypole au quartier tertiaire de Cœur d’Orly, non seulement ADP aménage les terrains, mais joue de plus en plus le rôle d’investisseur et de développeur, restant propriétaire des immeubles qu’il loue à leurs utilisateurs. Le groupe commercialise ainsi 500 000 mètres carrés de bâtiments sans rapport direct avec le transport aérien. Au total, l’immobilier a généré pour ADP un chiffre d’affaires de 265 millions d’euros en 2018, en hausse de 6 %. Cette activité représente 5,9 % de ses recettes et 7,5 % de son excédent brut d’exploitation.

      « Machine à cash »

      Mais les réserves foncières d’ADP seront, pour le futur acquéreur, l’un des actifs les plus faciles à transformer en « machine à cash » pour rentabiliser son investissement. Un gros quart de ces terrains à vocation immobilière sont encore vierges de toute construction : 20 hectares pour des activités liées aux aéroports (entrepôts de fret…) et 335 hectares – deux fois la superficie du quartier d’affaires de la Défense – qui n’attendent que des projets de bureaux, d’hôtels, de commerces pour transformer ces prairies à lapins en lucratifs placements immobiliers et rentes locatives.

      L’arrivée, entre 2024 et 2030, du CDG Express et du Grand Paris Express devrait accélérer l’urbanisation des terrains et faire exploser leur valeur
      Dans ses objectifs stratégiques pour la période 2014-2020, ADP prévoyait une croissance de ses loyers immobiliers comprise entre 10 % et 15 %. Nul doute que les perspectives pour la période suivante, qui seront détaillées aux investisseurs le 5 avril, comprendront un important volet immobilier. L’arrivée, entre 2024 et 2030, du CDG Express, un train direct reliant Roissy au centre de Paris, et du Grand Paris Express, dont quatre gares desserviront les terrains d’ADP, devrait accélérer leur urbanisation et faire exploser leur valeur.
      « Pour l’instant, le manque de transports limitait la demande en bureaux, mais un nouvel opérateur va devoir aller vite pour maximiser sa rentabilité avant d’être dépossédé dans soixante-dix ans », observe l’analyste de Oddo. Comment donner une valeur à ces champs de pissenlits dans l’opération de privatisation ? « C’est très compliqué : nous sommes arrivés à un chiffre de 1,4 milliard d’euros, mais cela dépend énormément de ce qu’on y construit et à quel rythme, on peut facilement multiplier cette estimation par quatre », reconnaît Yan Derocles. Chez les candidats au rachat des parts de l’Etat, évaluées entre 8 et 10 milliards d’euros, les calculettes chauffent.

      La cession d’Aéroports de Paris, une bonne affaire pour l’Etat ?, Philippe Jacqué et Guy Dutheil
      Le gouvernement a tenté de désamorcer les critiques sur la cession d’Aéroports de Paris, débattue jeudi à l’Assemblée nationale.

      C’est la question à 10 milliards d’euros. Si l’Etat cède ses 50,6 % dans Aéroports de Paris (ADP), transformée en concession de soixante-dix ans, fera-t-il une bonne affaire en récupérant de 8 à 10 milliards d’euros, la valorisation de cette participation en Bourse ces derniers mois ?

      Pour le gouvernement, c’est tout vu. « Si l’actif est aujourd’hui relativement rentable, confirme Martin Vial, le commissaire aux participations de l’Etat, son taux de rendement en termes de dividendes a toujours été faible du fait de l’augmentation du prix de l’action. Sur dix ans, son rendement moyen a toujours été plus faible que le reste du portefeuille. »

      Autrement dit, le dividende que rapporte ADP à l’Etat (130 millions d’euros en 2017, plus de 173 millions en 2018), reste trop faible par rapport à l’importance de l’actif dans le portefeuille de l’Etat. Il vaudrait donc mieux le céder et toucher aujourd’hui 8 à 10 milliards d’euros. Cette somme réduira le déficit 2019 et permettra également de limiter la dérive de la dette. De quoi la contenir sous la barre des 100 % de PIB, l’un des objectifs de Bercy.

      Garde-fous
      « D’un point de vue financier, la cession de ses actions n’a d’intérêt pour l’Etat que si le produit de cette cession est supérieur à la somme actualisée des dividendes qu’il pourrait toucher » pendant soixante-dix ans, indique pour sa part François Ecalle, de l’association Fipeco. Aujourd’hui, la capitalisation boursière d’Aéroports de Paris (16,5 milliards d’euros pour l’ensemble) intègre en grande partie le rendement attendu par les actionnaires d’ADP, qu’il s’agisse des dividendes ou des bénéfices à venir. Le futur acquéreur devra donc proposer mieux que la valorisation actuelle de la Bourse s’il acquiert la totalité des parts de l’Etat.

      « A court terme, c’est une bonne affaire pour l’Etat de céder sa participation car il obtient de l’argent immédiatement », indique Estelle Malavolti, professeure à l’ENAC à Toulouse, chercheuse associée à la Toulouse School of Economics. En revanche, il s’agirait selon elle d’une « stratégie court-termiste » pour une société actuellement bien gérée.

      « A moyen terme, assure-t-elle, les perspectives de croissance des investissements déjà financés par l’Etat, comme l’extension de Roissy ou les travaux d’agrandissement et de modernisation à Orly, devraient encore accroître la rentabilité d’ADP. Si l’Etat vend, ces investissements bénéficieront au prochain propriétaire. »

      Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La privatisation d’ADP introduit un nouvel acteur qui sera opposé à toute évolution des politiques environnementales »
      Au-delà du prix, tout le monde garde en tête le fiasco de la concession des autoroutes. Les 15 milliards d’euros touchés par l’Etat en 2006 lors de leur cession sont apparus trop faibles au fil des ans par rapport au rendement obtenu ensuite par les sociétés privées d’autoroutes avec la hausse des péages.
      Pour éviter ces dérapages, le gouvernement prévoit cette fois-ci des garde-fous. Bercy assure ainsi que « tous les 5 ans, l’Etat et la société qui gérera ADP fixeront ensemble l’évolution des tarifs en fonction des investissements et de la rémunération du capital ».
      D’autres outils existent pour éviter que le privé lèse l’Etat en reprenant ADP. Eric Woerth, le président (LR) de la commission des finances, défend dans un amendement la mise en place dans le cahier des charges d’une « clause de complément de prix » en cas de « gains liés à une surperformance d’ADP » ces prochaines années.

      Il est également possible d’inscrire des clauses de partage des bénéfices, au-delà d’un certain niveau de profit annuel. « Tout peut se faire, confirme Stéphane Saussier, économiste spécialisé sur les partenariats public-privé, mais si un partage des bénéfices est prévu, cela fera baisser pour l’Etat le prix de la cession de l’aéroport. Rien n’est gratuit ! »

      Enfin, « tout le monde pense qu’ADP connaîtra un avenir radieux et que ses revenus ne feront qu’augmenter, ajoute M. Saussier. Mais soixante-dix ans, c’est long. La fiscalisation du kérosène des avions peut intervenir, tout comme l’irruption rapide de modes alternatifs de transport, et ainsi toucher le secteur. Il existe donc une part de risque. »

      « La privatisation d’ADP introduit un nouvel acteur qui sera opposé à toute évolution des politiques environnementales », Bruno Deffains, Professeur d’éco à l’université Panthéon-Assas,
      Thomas Perroud, Professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas, 26 février 2019

      Dans une tribune au « Monde », l’économiste Bruno Deffains et le juriste Thomas Perroud expliquent que la situation de monopole d’Aéroports de Paris devrait suffire à stopper le projet de privatisation.

      « Il n’est même plus possible aujourd’hui de mettre en œuvre la gratuité des péages pour les transports d’intérêt général comme le SAMU ! Est-ce cela que l’on veut pour Aéroports de Paris ? »
      Tribune. L’ingénieur Paul-Adrien Hyppolite, dans Le Monde du 8 février, avance des arguments en faveur de la privatisation d’Aéroports de Paris. Cette tribune marque, en un sens, le ralliement des grands corps techniques de l’Etat à la privatisation d’un service public… alors même que ces corps ont jadis constitué le secteur public et son succès.

      C’est désormais du passé. En même temps, un article du Monde du 16 février affirme que, malgré de très bons résultats financiers, ADP ne baissera pas les redevances pour les usagers. Quel meilleur indice de l’avenir qui se profilera : des aéroports qui ne travaillent plus pour les usagers, la privatisation devant servir les intérêts des nouveaux managers et des actionnaires.

      Les arguments avancés en faveur de la privatisation nous semblent dans ces conditions mériter une discussion plus approfondie. La rentabilité de l’entreprise qui sera cédée est-elle de 7 % ou de 1,6 % ? Cette querelle oppose deux façons d’évaluer la rentabilité d’une entreprise, la rentabilité financière, qui intéresse le propriétaire, et la rentabilité économique qui mesure la performance de la mise en œuvre des capitaux, indépendamment de leur mode de financement.
      Autrement dit, la rentabilité économique d’une entreprise a pour fonction de mesurer sa capacité à être rentable dans l’exploitation de ses affaires en dehors de toute considération de dettes et de charges financières. On comprend que les propriétaires ou les actionnaires s’intéressent surtout à la rentabilité financière, car c’est la rentabilité des capitaux qu’ils ont placés dans l’entreprise.

      Comment évaluer la valeur d’un aéroport ?

      Maintenant, si l’on considère l’intérêt de la collectivité et pas uniquement des actionnaires, ce point de vue se discute fortement. Non seulement l’intérêt financier de l’Etat à l’opération à moyen et long terme est plus que douteux, mais en outre l’intérêt de la collectivité se trouve posé au regard de la rentabilité économique d’ADP. Or, c’est d’une approche globale de l’intérêt de l’opération dont nous avons besoin.
      Non seulement l’intérêt financier de l’Etat à l’opération à moyen et long terme est plus que douteux, mais en outre l’intérêt de la collectivité se trouve posé au regard de la rentabilité économique d’ADP

      Justement, l’évaluation de l’intérêt de la vente pour la société est loin d’être simple. Car comment évaluer la valeur d’un aéroport ? On n’évoque généralement qu’une seule méthode, celle de la somme des flux futurs actualisés, utilisée couramment lorsque l’on souhaite vendre une entreprise du secteur commercial. Or, cette méthode n’est pas la seule, elle est fortement dépendante des prévisions économiques et elle présente également une certaine part d’arbitraire. Pour que l’opinion publique puisse juger de la valeur d’ADP, il faudrait une évaluation reposant sur l’ensemble des méthodes disponibles. Or, ces chiffres n’ont pas été fournis.

      La méthode des flux futurs actualisés a déjà été utilisée pour l’évaluation des autoroutes. On en mesure aujourd’hui le succès. Désormais, les compagnies privées ont fini de rembourser ce qu’elles avaient payé. Les automobilistes sont captifs et l’Etat se prive tous les ans d’un argent qu’il aurait pu investir dans la construction d’autres infrastructures.
      De surcroît, l’Etat perd la main sur un élément essentiel de la politique de transport. Comment peut-on croire une seconde que le cahier des charges qui sera signé pourra prévoir sur 70 ans les politiques à mener ? Faudra-t-il indemniser l’opérateur à chaque fois qu’il sera souhaitable de réformer le transport aérien ?

      Exemples à l’étranger

      La privatisation des autoroutes et d’ADP introduit un nouvel acteur dans le jeu politique qui sera farouchement opposé à toute évolution des politiques environnementales qui pourraient réduire sa rentabilité, alors même que la politique des transports doit être en harmonie avec ces politiques. Il n’est même plus possible aujourd’hui de mettre en œuvre la gratuité des péages pour les transports d’intérêt général comme le SAMU ! Est-ce cela que l’on veut pour Aéroports de Paris ?

      Il est tout aussi pertinent de s’interroger sur l’indemnité préalable qui sera versée à ADP en avance de son hypothétique renationalisation. Là encore, le contribuable risque fort de faire une mauvaise affaire. Lorsque la loi de 2005 a donné la propriété des biens à ADP, les actionnaires ont acheté des parts d’une société qui détient des biens à perpétuité. La loi actuelle ramène cette durée à soixante-dix ans. Il faudrait donc logiquement indemniser la différence entre la perpétuité et soixante-dix ans…

      Est-il bien sérieux d’imaginer qu’un investisseur privé fasse une différence réelle entre les deux ? Les investisseurs privés ont structurellement un biais pour le court terme comme le suggèrent la plupart des analyses en économie comportementale. Les signes d’un court-termisme grandissant sont visibles partout. Dès lors, le préjudice allégué a tout l’air d’un préjudice fantôme, complètement abstrait pour la plupart des investisseurs.

      Peut-on prendre exemple des privatisations à l’étranger ? Il y a en effet, sur le papier, des privatisations réussies, si l’on prend comme indice le flux de passagers. Par exemple, Heathrow, le principal aéroport de Londres a été privatisé, mais il ne faut pas passer sous silence les problèmes de concurrence que cette privatisation a générés.

      Caractère idéologique du projet

      La Commission de la concurrence britannique a en effet, en 2009, estimé que l’opérateur privé gérant l’ensemble des aéroports de Londres devait vendre Stansted et Gatwick, car l’opérateur était en monopole ! N’est-ce pas la situation dans laquelle va se trouver l’opérateur qui achètera ADP ? C’est d’ailleurs Vinci qui a bénéficié de la vente de Gatwick et qui est en passe d’acquérir un monopole de ce côté-ci de la Manche. Aucune évaluation sérieuse de l’impact concurrentiel n’a été établie avant la mise en vente d’ADP, ce qui prouve bien le caractère plutôt idéologique de ce projet.

      La Constitution s’oppose-t-elle à la privatisation ? Les partisans de la privatisation d’ADP prennent argument de l’avis que le Conseil d’Etat vient de rendre sur la privatisation. Dans cet avis le Conseil réitère un critère qu’il avait lui-même dégagé dans l’affaire Bayrou, en 2006, dans laquelle il avait validé la privatisation des autoroutes ! Il prend prétexte de ce que ADP est… régional.

      Absurde quand on sait que ADP est la porte d’entrée de notre pays pour 80 % des dizaines de millions de visiteurs étrangers – 95 % de non Européens – qui arrivent dans notre pays par avion. Autrement dit, l’interprétation du Conseil d’Etat repose en réalité sur une interprétation erronée de la situation d’ADP eu égard aux obligations constitutionnelles qui découlent du préambule.

      Tout montre qu’ADP est bien en position de monopole, comme l’entreprise qui détenait les aéroports londoniens… En somme, et contrairement aux arguments mis en avant, la défense de la privatisation est basée sur des considérations qui ne sont ni précises ni justes.

      Bruno Deffains et Thomas Perroud sont les auteurs de « La privatisation d’Aéroports de Paris et l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946 : Aéroports de Paris est un monopole de fait ! »

  • #Calais et ses « #jungles » : toponymies en questions

    Calais est un nom qui évoque certainement beaucoup de choses. Le nord de la France, la frontière britannique, le Tunnel sous la Manche, le passage clandestin vers le Royaume-Uni… C’est un espace, devenu sujet d’études sous de nombreux aspects, notamment dans les travaux de l’anthropologue Michel Agier. Il est pourtant un angle d’analyse qui n’ait pas encore été complètement exploré aujourd’hui : celui de sa toponymie.

    Et pourtant, voilà une approche intéressante en ce qu’elle révèle le rapport des individus avec les lieux. Un rapport tout à la fois culturel et pratique. Calais, ville portuaire aux multiples visages, abrite en effet toute une série de lieux à une échelle relativement petite, humaine. Ces lieux où l’on dort, où l’on se cache, où l’on mange, où l’on se lave près d’un point d’eau où dans un canal pollué, où l’on court, la nuit, derrière des camions de marchandises en partance pour la Grande-Bretagne. Ces lieux sont investis par un large nombre de personnes, de différentes nationalités, et sont également tenus par des réseaux de trafiquants qui se partagent le territoire et le défendent coûte que coûte (Frayer-Laleix, 2015, p. 230). Les groupes d’appartenance nationale ou ethnique nomment et renomment ces espaces selon différentes modalités : la discrétion (utiliser une langue que d’autres ne comprendront pas), la culture (un endroit qui s’appelle de telle manière dans sa langue natale sera appelé de même à Calais), l’existence d’une culture orale relative au lieu (un nom de lieu propre à un endroit en particulier, qui traverse les années sans que l’on se souvienne précisément de la raison d’avoir nommé ce lieu de ainsi).

    Comme le relève le quotidien français La Croix, le terme de jungle, employé depuis plus d’une décennie pour désigner les lieux d’habitat précaire des personnes en situation irrégulière transitant sur le territoire européen, a une histoire étymologique intéressante.

    « Les Afghans, déjà les plus nombreux parmi les réfugiés de l’époque [2003], parlaient de leur « jangal » – « bois » en pachtoune – dans lequel ils s’étaient repliés, à la consonance fort proche de la « jungle » anglaise.

    Rien de très étonnant à cette affinité linguistique puisque l’anglais a adapté le terme hindoustani « jangal » en « jungle » en 1777, précise le Dictionnaire historique de la langue française. Thomas Howel qui fit une expédition en Inde au XVIIIe siècle explique que « jungle est un mot dont on se sert dans l’Inde qui signifie bosquet ou bouquet de bois », dans son Voyage en retour de l’Inde par terre et par une route en partie inconnue jusqu’ici, publié en 1791 et traduit en français en 1796.

    C’est d’ailleurs au cours de cette même année 1796 que le français emprunte à l’anglais le mot « jungle ». Le sens de « territoire inhabité » se meut en « territoire couvert d’une végétation impénétrable », ajoute le Dictionnaire historique, et se confond avec le « lieu sauvage » qu’évoque le terme sanskrit « jangala ». Le Livre de la jungle de Rudyard Kipling (1899) se chargera plus tard d’assurer la postérité du mot.

    C’est donc là, dans le petit bois Dubrulle – dit aussi bois des Garennes –, qu’est née d’un quiproquo linguistique « la jungle de Calais ». »

    Bien que dérivé d’un terme pachtoune, le mot jungle est aujourd’hui très largement utilisé parmi les différentes communautés occupant les camps de fortune dispersés sur le territoire des Hauts-de-France (anciennement Nord-Pas-de-Calais). Aussi bien Érythréens qu’Éthiopiens, Soudanais, Somaliens, Iraniens ou encore Pakistanais, l’utilisent couramment. Le terme désigne tous les camps informels, et non pas un seul. Ainsi, il serait en vérité plus adéquat de parler des jungles, au pluriel. Cependant, quelques spécificités dans la nomination existent, selon la communauté concernée ou pour des questions purement pratiques. Ainsi, la Jungle de Calais, ce bidonville à l’extérieur de Calais qui avait abrité, entre 2015 et 2016, quelques 10’000 personnes dans des constructions précaires ou de simples tentes de camping, est désormais appelée « Old jungle », par les habitants des nouveaux campements de fortune dispersés dans la ville de Calais et aux alentours. On entend parfois aussi « Big jungle », mais c’est plus rare tant cette dénomination risquerait de créer la confusion entre le bidonville démantelé en 2016 par les autorités françaises et le plus grand campement informel existant actuellement dans la zone industrielle calaisienne. Ainsi, « Big jungle » fait aujourd’hui référence à un ensemble de tentes situé dans une petite forêt aux alentours de la ville. Les personnes exilées parlent aussi de « Little jungle », ou de « Eritrean jungle » en référence à un groupe de jeunes Érythréens qui occupe une autre petite forêt plus proche du centre-ville. Pour désigner ce même espace, les Érythréens eux-mêmes emploient plutôt les termes « Little forest ». Ces appellations n’ont pas la même valeur. Certaines sont vernaculaires, d’autres véhiculaires. Les termes « Little jungle » et « Eritrean jungle » sont compris au-delà du groupe d’Érythréens qui l’occupe, tandis que « Little forest » est plutôt réservé à un usage interne.

    Les noms vernaculaires sont aussi plus éphémères car basés sur une situation qui peu changer à tout moment. Par exemple, si la communauté érythréenne, pour une raison ou une autre, finit par ne plus occuper la forêt qu’elle appelle « Little forest », cette appellation disparaîtra d’elle-même, ou sera associée à un autre espace.

    Prenons un autre exemple. À partir de l’été 2017 et jusqu’à l’hiver de la même année, une communauté ethnique éthiopienne, les Oromos, ont investi les abords d’un canal en plein centre-ville de Calais. Ils dormaient et vivaient sous un pont, se lavaient ainsi que leurs vêtements dans l’eau stagnante du canal au bord duquel ils jouaient ensuite au football. Cet endroit était alors appelé « dildila », ce mot signifiant « pont » en oromique. En dehors de leur groupe linguistique, personne n’employait ni ne comprenait ce terme. Après que ce pont n’a finalement plus fait l’objet d’une occupation récurrente, le terme a disparu. Les membres de ce même groupe, pour éviter que l’on ne les comprenne en dehors de celui-ci, utilisaient le terme « ganda harre » pour désigner le commissariat de police de la ville. Cette précaution était surtout prise pour que les forces de l’ordre ne puissent pas les comprendre, plus que pour se protéger d’un autre groupe de personnes exilées. Enfin, tandis que les membres du groupe de personnes amhariques (également originaires d’Éthiopie) appelaient et appellent encore toujours la « Big jungle » citée plus haut « tchaka », qui signifie simplement « forêt » en amharique, les Oromos utilisent bien plus souvent le terme « bosona » : « forêt » en oromique. Ces derniers comprennent et utilisent tout de même aussi, moins souvent, le mot amharique, liant ainsi les différents groupes en une communauté nationale partageant des termes communs pour désigner les mêmes espaces. Le mot « tchaka » est alors moins éphémère que le mot « bosona » puisqu’il est plus largement compris et employé par différents groupes. Mais le jour où plus aucun ressortissant éthiopien ne vivra à cet endroit, l’appellation disparaîtra très certainement.

    Nous pouvons affirmer ici que les appellations sont étroitement liées aux personnes qui les inventent et les emploient. Un membre de tel groupe dira comme ceci, tandis qu’un membre de tel autre dira plutôt comme cela. Mais cela n’est pas une règle absolue. Comme il est déjà possible de le constater avec le terme « jungle », très largement employé depuis des années, certaines dénominations s’imposent à travers le temps et/ou les groupes.

    Un exemple frappant de cette réalité est celui d’une partie de la forêt, relativement éloignée du centre-ville calaisien, dénommée « Khairo Jungle » par la communauté afghane principalement. Selon d’anciens habitants de ces campements de fortune aux alentours de la ville, originaires d’Éthiopie et d’Érythrée, ce terme est assez peu connu. Un seul Éthiopien sur les quatre interviewés avait entendu le terme auparavant. Celui-ci explique par ailleurs que c’est un Afghan qui lui a expliqué la raison de cette appellation, dont il a des souvenirs assez vagues. Selon lui, cette petite forêt s’appelle ainsi en hommage à un chef de mafia afghan qui vivait sur les lieux il y a une dizaine d’années, et qui y aurait été assassiné par la police française. La version en question paraît assez peu crédible, étant donné que le meurtre d’un ressortissant afghan, même en situation irrégulière sur le territoire français, par les forces de l’ordre se serait très certainement su assez rapidement. Or, il n’y a aucune trace d’un meurtre commis par un ou plusieurs officier(s) de police dans les médias français. Une interview avec un jeune Afghan apporte un éclairage différent à l’affaire : celui-ci explique plutôt que le nom Khairo était bien celui d’un Afghan vivant là il y a une décennie, que celui-ci était bien membre d’un réseau mafieux de trafic d’êtres humains de la France vers la Grande-Bretagne, mais qu’il a été tué par d’autres membres de ce même réseau en raison de sa trop grande flexibilité professionnelle. En effet, l’interviewé affirme que Khairo acceptait souvent de faire passer des personnes exilées sans compensation financière, ou à moindre coût. De plus, celui-ci était réputé pour offrir ses services indépendamment de la nationalité de ses clients – or, le marché de ce trafic est normalement réputé extrêmement compartimenté en fonction des appartenances nationales et ethniques des clients/victimes. Pour ces raisons, l’interviewé explique que Khairo, faisant perdre trop d’argent à son réseau, aurait fini par être assassiné dans la forêt qui, depuis lors, porte son nom au sein de la communauté afghane. Il conclut en précisant que son corps aurait par la suite été rapatrié en Afghanistan, détail qui rend sa version bien plus crédible.

    Ce qui est particulièrement intéressant par rapport à cet exemple, c’est que le nom de Khairo n’est aujourd’hui plus lié à une connaissance personnelle des faits ou de la personne. Plus aucun membre de du groupe d’Afghans actuellement à Calais n’a connu cet homme ni la ou les personne(s) responsables de son décès. Les évènements sont peu à peu devenus légende et, suite à l’entretien avec le jeune Afghan, il paraît clair que le personnage de Khairo est devenu une sorte de héros mythifié. Son nom est ainsi resté malgré le fait que plus personne ne sache ce qui s’est réellement passé ni la chronologie exacte des évènements. Par ailleurs, cette appellation semble se cantonner à un usage interne, même si quelques rares membres d’autres groupes nationaux ou linguistiques ont pu entendre parler de cela lors de leur passage à Calais.

    Dans ce sens, un autre fait est certainement intéressant à relever. À Calais, les principaux points de passage clandestin sont des parkings où les poids lourds se garent le temps de la pause ou de la sieste de leur chauffeur. C’est un moment particulièrement propice étant donné l’inattention du conducteur, et également un lieu idéal en raison de sa relative excentration par rapport à la ville et du fait de l’immobilité totale des véhicules convoités par les candidats au départ (il est beaucoup moins dangereux de monter dans un camion à l’arrêt que de chercher à le faire alors qu’il roule sur l’autoroute). Sans surprise, les réseaux de trafic se sont depuis longtemps emparés de ces lieux stratégiques pour en faire leur source de revenus. L’un de ces parkings, nombreux dans la région au vu du nombre de poids lourds y transitant chaque année, est largement connu sous le nom de « Sheitan parking » ou « Sheitan park ». Le terme « Sheitan » est la version arabe de « satan ». Sans exception, les personnes interviewées ont reconnu employer ce terme pour désigner un seul et même endroit aux alentours de la ville de Calais, et ce indépendamment de leur nationalité et de la langue qu’elles parlent. Par ailleurs, celles-ci invoquent toutes la même raison de cette appellation : l’extrême dangerosité des lieux. Selon elles, s’y risquer revient littéralement à mettre sa vie en jeu, en raison des membres du réseau de trafic qui s’en est emparé et qui le défend de façon virulente. Cette virulence est décrite comme pouvant aller jusqu’à menacer de mort les personnes exilées n’étant pas les bienvenues (car n’ayant pas payé ou n’étant pas de la bonne nationalité) avec des armes.

    En conclusion, il semble clair que les divers espaces investis par les personnes exilées le sont notamment d’un point de vue symbolique. Les appellations relèvent de faits divers, difficilement vérifiables, de la culture – notamment linguistique – propre aux personnes les employant, etc. Cette toponymie reste jusqu’à aujourd’hui totalement invisible. Elle reflète pourtant une véritable culture orale de l’occupation précaire de certains lieux.


    https://neotopo.hypotheses.org/1938
    #toponymie #vocabulaire #terminologie #mots #migrations #asile #réfugiés #jungle #cpa_camps #toponymie_migrante

  • BIS communes nouvelles 2019_9 - bis_130_2.pdf
    https://www.collectivites-locales.gouv.fr/files/files/statistiques/brochures/bis_130_2.pdf

    Entre 2010 et 2019, 2 508 #communes se sont regroupées pour créer 774 #communes_ nouvelles. Ces créations se sont fortement accélérées depuis 2016. En conséquence, au 1er janvier 2019, on compte 34 970 communes en France, soit 5 % de moins qu’au 1er janvier 2010. Ces 774 communes nouvelles sont plus nombreuses dans le quart Nord-Ouest de la France et plus particulièrement dans le Calvados, l’Eure, le Maine-et-Loire et la Manche. Elles sont plus peuplées que la moyenne des communes françaises.

    #collectivités_territoriales #géographie_administrative

  • La colère des douaniers de Calais et Dunkerque prend de l’ampleur
    https://lemediapresse.fr/actualites/la-colere-des-douaniers-de-calais-et-dunkerque-prend-de-lampleur

    Depuis ce lundi, des kilomètres de bouchons se forment à l’entrée du tunnel sous la Manche ; des centaines de poids lourds se retrouvent à l’arrêt ou ralentis sur l’A16. Trois cents douaniers regroupés dans la zone de Calais (Pas-de-Calais) et soixante-dix dans celle de Dunkerque renforcent les contrôles à proximité de la frontière, provoquant […]

  • Préoccupation majeure des Français, la santé s’impose dans le grand débat, François Béguin
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/02/27/la-france-malade-de-ses-deserts-medicaux_5428733_3224.html
    Banderole protestant contre la fermeture du centre hospitalier Louis-Jaillon de Saint-Claude (Jura), à Chassal, le 30 janvier. RAPHAEL HELLE

    Alors que la santé ne figurait pas parmi les thèmes choisis par Emmanuel Macron, la question de l’#accès_aux_soins s’est imposée dans le grand débat national.

    Aucune des trente-cinq questions posées par le chef de l’Etat aux Français dans sa lettre publiée le 13 janvier n’abordait le sujet. Aucun des quatre principaux thèmes fixés par le gouvernement pour cadrer le grand débat ne le mentionnait explicitement. Et pourtant… De réunion publique en réunion publique, la question du juste accès au système de #santé est apparue ces dernières semaines comme une préoccupation majeure des Français.

    « L’une des constantes des remontées, c’est le besoin exprimé par nos concitoyens d’une plus grande présence dans les territoires de certains de nos services publics, en premier lieu la question de l’école, de la santé et des mobilités », a déclaré, mercredi 20 février, le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.

    Patients sans médecin traitant, délais d’attente pour accéder à certains spécialistes, urgences débordées… Les situations décrites sont venues conforter la plupart des diagnostics – sévères – récemment portés sur l’état du système de soins français.

    Sentiment de relégation

    Celui-ci traverserait une « crise » d’une « extrême gravité », selon la commission d’enquête sur l’égal accès aux soins des Français menée par des députés en 2018. Son « explosion » serait même « programmée », selon le titre du livre publié en 2018 aux Editions de l’Observatoire par le docteur Patrick Bouet, président de l’Ordre des médecins.

    Une situation qui contribue à alimenter un sentiment de relégation.

    Dans une étude réalisée en mars 2017 pour Le Monde, le géographe de la santé Emmanuel Vigneron avait établi que 3,9 millions de Français vivaient dans des territoires à la situation alarmante en matière d’accès à des professionnels de santé et que 4,8 millions se trouvaient dans des territoires délaissés.

    Facteur aggravant, « les difficultés en termes de densité médicale viennent le plus souvent s’agréger à d’autres facteurs de fragilité territoriale », a souligné l’Ordre des médecins, lors de la parution de son atlas de la démographie médicale en décembre 2018. « Ces territoires sont souvent les territoires ne bénéficiant que partiellement d’une couverture Internet mobile, ou encore ceux dont les habitants souffrent d’un accès difficile aux équipements de la gamme intermédiaire (collèges, supermarchés, stations-service…). »

    « Surenchère entre les territoires »

    Une France à « deux vitesses » dont les débats locaux se sont fait l’écho. « Deux à trois fois par mois, je suis interpellé par des habitants dont les parents âgés sont sans médecin traitant et qui me demandent ce que je fais pour y remédier », a raconté Henri Valès, le maire (divers gauche) de La Charité-sur-Loire (Nièvre), lors d’un débat à la salle des fêtes de sa commune, vendredi 15 février, en présence de la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, et de la ministre de la cohésion des territoires, Jacqueline Gourault.

    « On a construit une maison de santé et, malgré tous nos efforts, les médecins ne viennent pas. On a pu en faire venir un sur les quatre prévus. Résultat : c’est la surenchère entre les territoires, c’est à qui déroulera le meilleur tapis rouge, c’est totalement ubuesque », a lancé l’élu sous les applaudissements.

    Dans cette France périphérique des « déserts médicaux » où les installations de jeunes médecins sont loin de compenser les départs à la retraite (avec 6 460 généralistes de moins en France entre 2010 et 2018), les médecins hospitaliers manquent également à l’appel.
    Les taux de vacance de postes à l’hôpital public sont proches de 30 % en moyenne. Pour faire face, les directeurs doivent recourir à des médecins titulaires de diplômes étrangers. A l’hôpital de Nevers, par exemple, en mai 2017, plus de la moitié (55 %) des 143 praticiens en poste étaient nés et avaient passé leur diplôme initial de médecine hors de France.

    Médecins intérimaires à prix d’or

    Les établissements de santé doivent aussi se résoudre à recourir à des médecins intérimaires payés à prix d’or, parfois de manière quasi exclusive. Un recours excessif qui peut conduire les agences régionales de santé à fermer pour des raisons de sécurité certains services et maternités, comme cela a été récemment le cas au Blanc (Indre) ou à Saint-Claude (Jura).

    Conséquence : l’incompréhension, l’inquiétude et la colère des populations concernées, qui font valoir que « la proximité est la première des sécurités ». Selon la direction statistiques du ministère de la santé (Drees), 326 000 femmes en âge de procréer vivent aujourd’hui à plus de 45 minutes de la maternité la plus proche.
    « Vous avez déjà fermé notre maternité, vous allez fermer la chirurgie conventionnelle à partir du 1er juillet. Où allez-vous arrêter la fermeture de ces services publics ? », a demandé, le 15 février, un habitant de Decize, une petite ville de la Nièvre. « On assiste à un démantèlement des services publics, je suis extrêmement inquiète », a ajouté Justine Guyot, la maire de la commune.

    « Il n’y a pas une solution toute faite qui permettrait demain de résorber les déserts qui vont nécessairement se creuser pendant dix ans », a récemment déclaré Olivier Véran, député LRM

    Point commun à toutes ces situations : le manque de médecins, dont un nombre insuffisant a été formé entre 1990 et 2005. Même si – paradoxalement – la France n’a jamais compté autant de médecins en activité (226 000 au 1er janvier 2018), en termes de démographie médicale, la période la plus critique est attendue entre 2021 et 2025.
    « Il n’y a pas de martingale, il n’y a pas une solution toute faite qui permettrait demain de résorber les déserts qui vont nécessairement se creuser pendant dix ans », a récemment déclaré Olivier Véran, député (La République en marche, LRM) de l’Isère et rapporteur général de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. « On a dix années extrêmement compliquées à tenir », a souligné Mme Buzyn à La Charité-sur-Loire.

    Cette question des déserts médicaux est pourtant sur la table depuis longtemps. « Dans nos petites villes, nous commençons à être confrontés au manque de généralistes et de spécialistes. Dans l’agglomération cherbourgeoise, nous n’arrivons plus à recruter », alertait, dès 2001, dans Le Monde le docteur Frédéric Bastian, alors président de SOS-Médecins. « Dans la Manche, le pire est à venir », prédisait le docteur Jean-Claude Lemoine, alors député (RPR) de Saint-Lô. Il assurait : « Régionaliser le numerus clausus ne suffira pas, il faut le repenser. »

    « Casser le lobby médical »

    Dix-huit ans plus tard, où en est-on ? Les nombreuses propositions de loi portées par des parlementaires ruraux visant à contraindre ou à réguler l’installation des médecins ont échoué les unes après les autres. « Arrêtez de faire croire que la coercition marche, on vous fait croire des sornettes, ça ne marche pas, c’est de la démagogie pure et simple », a lancé Agnès Buzyn le 15 février aux élus nivernais qui lui réclamaient de « casser le lobby médical » et d’instaurer un « minimum de contraintes » pour les futurs médecins.

    Les ministres de la santé de gauche comme de droite ont donc opté pour la méthode douce. Ils ont multiplié les dispositifs incitatifs et les statuts avantageux : prime à l’installation de 50 000 euros, dispositifs garantissant un certain niveau de revenus, etc. Ils ont aussi beaucoup misé sur le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles.

    Des moyens importants qui n’ont pas donné des résultats à la hauteur des attentes.

    Signe que la question du juste accès aux soins de proximité est désormais devenue cruciale, c’est le chef de l’Etat lui-même, qui, en septembre 2018, a lancé depuis l’Elysée une vaste réforme du système de santé. Ce plan ambitieux, qui ne figurait pourtant pas en tant que tel dans son programme de campagne, a pour l’instant été plutôt bien accueilli par les différents représentants du monde de la santé. Il prévoit notamment un fort desserrement du numerus clausus, qui devrait d’ici à dix ans permettre de former 20 % de médecins supplémentaires. Il prévoit également que les médecins libéraux s’organisent à l’échelle d’un territoire pour mieux répondre aux besoins de la population.

    « Non à l’abattage en médecine générale »

    Les projets du gouvernement suscitent toutefois quelques inquiétudes. Alors que l’examen du projet de loi santé doit démarrer le 12 mars à l’Assemblée nationale, des maires de petites villes ont fait part de leur crainte de voir leur hôpital être contraint de fermer leur service de chirurgie ou d’obstétrique. « Ce sont les hôpitaux qui choisiront, chaque hôpital verra ce qu’il veut garder comme activité », a promis Mme Buzyn le 15 février.

    Les médecins libéraux, eux, s’inquiètent des contreparties demandées par l’Assurance-maladie en échange du financement de 4 000 assistants médicaux, destinés à leur libérer du temps médical. « Non à l’abattage en médecine générale », ont demandé des généralistes dans une pétition – signée par plus de 8 000 médecins mercredi 27 février en fin de matinée –, après avoir compris que la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) leur demandait de voir six patients par heure pour pouvoir prétendre à un assistant.

    Reste désormais à savoir si d’éventuelles propositions en matière d’accès aux soins issues du grand débat pourront venir compléter une réforme déjà bien engagée.

    • Les grands débats des précaires, l’envie d’une société plus solidaire et durable , Isabelle Rey-Lefebvre
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/04/les-grands-debats-des-precaires-l-envie-d-une-societe-plus-solidaire-et-dura

      Ces rencontres, organisées dans toute la France par des associations caritatives, ont suscité une affluence inattendue.

      Le grand débat lancé par le président de la République est l’occasion, pour plusieurs associations dont le Secours catholique, le Samusocial de Paris ou Emmaüs Solidarité, d’organiser des rencontres et faire aussi entendre la voix des pauvres, des précaires.

      « Ils ont beaucoup de choses à dire et nous avons été surpris par l’affluence, 3 000 participants aux 150 réunions que nous avons organisées, dans toute la France, entre janvier et mi-février, raconte Véronique Fayet, présidente du Secours catholique. Ils vont beaucoup plus loin que les politiques, jusqu’à avancer des solutions ambitieuses et généreuses sur les questions de surconsommation, de transition écologique, d’égalité fiscale. Cela pousse notre association à réfléchir sur ces sujets que nous traitions peu auparavant. »

      Emmaüs Solidarité a dû, à Paris, pousser les murs pour accueillir, le 28 février, au débat annoncé à peine quelques jours auparavant, les 400 participants, dont la moitié de migrants, venus de centres d’hébergement et d’accueil de jour ou rencontrés au cours des maraudes : « Chez les migrants, il y a un fort désir de prendre la parole pour affirmer que, contrairement à ce qu’ils entendent dans certains discours politiques ou au guichet des préfectures, ils ne sont pas là pour profiter de quoi que ce soit, de la protection sociale ou de la solidarité nationale, et qu’ils veulent travailler, contribuer à la vie de la société », rapporte Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité.

      La fracture numérique

      Le Secours catholique a tenu le registre de ses débats, 800 pages de témoignages spontanés qui racontent l’état d’esprit des #pauvres, en France. Des personnes dans la #précarité ont expliqué dans le détail leurs fins de mois difficiles, le poids des dépenses contraintes qui oblige à des sacrifices et des choix impossibles entre se nourrir, se chauffer, se déplacer ou se soigner. Paroles entendues : « Mon fils dort sur un matelas gonflable », « je ne me chauffe pas, je ne chauffe que la chambre des petits ». Des seniors aux retraites comptées regrettent de ne plus aller voir leurs enfants, car le transport revient trop cher.

      Chez les actifs, c’est l’emploi morcelé, précaire, intérimaire qui est dénoncé : « Ma fille est auxiliaire de vie, ses frais de déplacement augmentent mais ne sont pas compensés », « mes enfants travaillent mais ne s’en sortent pas », « l’emploi stable n’existe plus », « notre grand malheur, c’est que tout est retombé dans la finance », « on est des numéros, les actionnaires sont les patrons », « ce sont les multinationales qui dirigent le monde, pas le gouvernement », « ce ne sont pas nos représentants qui décident mais des sociétés privées », « la République a été vendue. »

      Les services publics ne sont plus perçus comme « au service du public » : « Dans les bureaux, il n’y a plus personne pour nous écouter », « les dossiers ne sont jamais complets et quand ils perdent les dossiers, c’est nous qui perdons nos droits », « il y a de la maltraitance administrative ». La dématérialisation des démarches est en cause : « Si tu sais pas faire sur Internet, tu peux aller te faire cuire un œuf. »

      Véronique Fayet le reconnaît : « Nous avons pris conscience de l’ampleur de la fracture numérique. Ce n’est pas qu’une question de zones mal desservies ou de compétence en informatique : posséder un ordinateur connecté à Internet coûte cher. Les pouvoirs publics ont prétendu que le numérique permettrait de dégager du temps pour les travailleurs sociaux et les administrations afin d’être plus à l’écoute, mais c’est l’inverse qui se produit : les administrations sont de plus en plus inhumaines », juge-t-elle.

      Petites phrases du président

      Les participants au débat pointent aussi un Etat qui se désengage au profit du privé, en prenant l’exemple des autoroutes, des Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et des transports collectifs : « Il n’y a plus de bus pour amener les enfants à l’école », « on est à la campagne, j’ai une vieille voiture : si elle lâche, je ne sais pas ce que je vais faire ».

      L’accès à la santé est source d’angoisse : « Les médecins ne se déplacent plus », « pour me faire soigner, il faut que je fasse de l’auto-stop ». Bruno Morel confirme : « Parmi les migrants, beaucoup de bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat se heurtent au refus de médecins, de dentistes de leur accorder un rendez-vous. »

      Certaines petites phrases du président de la République ont fait mal : « Nous, retraités, on a l’impression de manger le pain de ceux qui travaillent », « aujourd’hui, les gens qui ont peu de moyens ne sont pas respectés », « on nous prend pour des idiots », « c’est la “richocratie” : un riche, élu par les riches », résume un participant.
      A noter : alors que la liberté de sujets était totale, aucun débat, aucune prise de parole n’a porté sur l’immigration, la laïcité ou la réforme institutionnelle.

      « C’est un regard pessimiste, commente Véronique Fayet, mais lorsqu’on aborde les solutions, on entend un appel à une société plus fraternelle et généreuse, à sortir de l’hyperconsommation, à lutter contre le gaspillage, prôner le recyclage, le réemploi, le covoiturage, à combattre la précarité énergétique et à remettre l’Etat au service de tous, dans un esprit de justice sociale. ». « La confiance dans les associations nous oblige à porter cette parole », affirme Bruno Morel. « Tout ce qui a été dit doit remonter », appuie Mme Fayet qui s’apprête à remettre les 800 pages de doléances et de propositions au premier ministre.

  • Calais et ses « jungles » : toponymies en questions – NEOTOPONYMIE
    https://neotopo.hypotheses.org/1938

    Calais est un nom qui évoque certainement beaucoup de choses. Le nord de la France, la frontière britannique, le Tunnel sous la Manche, le passage clandestin vers le Royaume-Uni… C’est un espace, devenu sujet d’études sous de nombreux aspects, notamment dans les travaux de l’anthropologue Michel Agier. Il est pourtant un angle d’analyse qui n’ait pas encore été complètement exploré aujourd’hui : celui de sa toponymie.

    #Calais

  • Et zut alors, en voulant répondre à @philippe_de_jonckheere au sujet de ma grande et belle propriété en bord de mer, et comme c’est pas la « Côte d’Azur », j’ai dû googliser pas mal pour savoir comment se nomme la côte à #Montpellier-plages.

    Je te le donne Émile, parce que je suis sûr que tu le savais pas non plus : c’est la Côte d’améthyste
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Côte_d%27Améthyste

    Moins populaire, du coup, que la côte d’Azur, parce que personne ne se souvient comment ça s’écrit, et la plupart d’entre nous ne sait pas trop comment ça se prononce.

    #sérendipité, parce que sinon y’a aucun moyen que je sache une chose pareille. Et #merci_arno, parce qu’il est bon que tu le sachiasses.

  • #ComPol en cours ? Réhabilitation des « Forces de l’ordre » et, en même temps, condamnation-criminalisation des manifestations...

    – hier les gendarmes dans le froid contre les passeurs de #migrants
    – ce matin le RAID qui pose & explose la porte de #gilets_jaunes
    – tout à l’heure #Castaner qui condamne prédictivement les manifestant-e-s...

    Hier, un reportage de Julia Pavesi et des (très belles) photos de Philippe Huguen pour l’AFP, a été publié par Le Point nommé, alors que l’image des forces de l’ordre se dégrade chaque jour un peu plus... Faut l’avouer, ce serait très adroit (et très à droite) de passer par la côte et le #trafic_humain pour contrer le désamour galopant, s’il s’agit bien d’une #communication_politique.

    Traversées de la Manche : dans les dunes, sur les traces des passeurs de migrants

    Restes de couverture de survie ou matériel nautique abandonné dans les dunes : près de Calais, les patrouilles de gendarmes se relaient, dans le froid et la nuit, pour repérer des passeurs de migrants...qui ont souvent un temps d’avance

    https://twitter.com/afpfr/status/1083365594630639617

    « Il y a deux jours, on a trouvé un campement, avec des sacs d’alimentation non entamés, il n’y avait plus personne bien sûr, » raconte Christophe - qui taira son nom de famille - adjudant-chef et adjoint au commandant d’unité du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (Psig) de Wizernes.

    https://www.lepoint.fr/societe/traversees-de-la-manche-dans-les-dunes-sur-les-traces-des-passeurs-de-migran

    Si hier en voyant l’article, je me suis posé la question d’une sorte de #publireportage ou d’une commande publiée au bon moment, ce matin, j’ai plutôt eut la sensation d’une confirmation devant l’opération « Images d’Épinal » des hommes du #RAID en train d’arrêter l’un des #giletsjaunes à Pont-à-Mousson :
    https://www.estrepublicain.fr/edition-de-pont-a-mousson/2019/01/10/pont-a-mousson-6-h-du-matin-le-raid-defonce-la-porte-d-un-gilet-jaune
    https://seenthis.net/messages/751087

    Bon en plus, la lumière jaune, la file noire et la touche de jaune dans les chaussures me renvoient au logo jaune-noir de Génération Identitaire, ou au drapeau jaune-noir du pseudo « anarchisme capitaliste »... bref !

    /1/ Edit : hé oui, il semble bien que #Christophe_Castaner ait lancé une opération « Nos forces de l’ordre sont fantastiques et vous êtes trop trop trop méchant-e-s ». Ça a commencé hier soir :

    Fier de nos forces. Ceux qui sauvent et font l’admiration du monde entier sont aussi ceux que l’on violente le samedi.

    https://twitter.com/CCastaner/status/1083443075173752835

    Ce à quoi un pompier a parfaitement répondu (avec la photo que j’estime être LE symbole de 2018) :

    Toujours autant indécente, votre com. En tant que pompier, je dépends de votre ministère et je suis fier de ce que je fais. Que cela serve de caution aux violences gratuites perpétrées par d’autres personnes dépendant aussi de ce ministère me dégoute. Vous êtes un être détestable

    https://twitter.com/Mimas87/status/1083725462986207232

    Et ça continue aujourd’hui :

    En France, il n’y pas de policiers qu’on peut étreindre le 11 janvier et brutaliser à la fin d’une manifestation. Il n’y a pas de gendarmes qu’on peut acclamer le vendredi et outrager le dimanche. Tous défendent la République. Tous risquent leur vie pour la patrie.

    https://twitter.com/CCastaner/status/1083640378903982080

    Puis en interview pour Brut, en mode manifester = complicité de méchanceté :

    Christophe Castaner déclare que tous ceux qui participeront aux rassemblements des #giletsjaunes samedi seront considérés comme complices des violences. Depuis quand un ministre de l’intérieur a le droit d’exercer ce type de pression sur les citoyens ?

    https://twitter.com/JeanHugon3/status/1083729915558723584

    Mention spéciale pour le choix de capture d’écran de Brut :

    #migration #gendarmerie #forces_de_l_ordre #migration #exils #criminalisation #no_borders #manifestation #droit #criminalisation

  • Bruno Latour : « Faisons revivre les cahiers de doléances » paru le 10 janvier 2019 dans Le Monde

    Passer de la plainte à la doléance exige donc deux épreuves particulièrement pénibles aux Français : pour le « peuple », trouver quelque chose à dire de pertinent sur une situation totalement neuve ; pour le « gouvernement », savoir écouter ce qui sera dit pour refonder l’Etat !

    #paywall #giletsjaunes #debatnational

    Article complet ici :

    Leur rédaction doit permettre aux citoyens d’enquêter sur eux-mêmes pour identifier les injustices qu’ils subissent, analyse le philosophe Bruno Latour dans une tribune au « Monde ». Bruno Latour

    Tribune. Pour l’instant, on ne peut guère espérer d’effet politique de la consultation nationale. Il faudrait supposer d’abord que les « gens du peuple » ainsi convoqués aient quelque chose de pertinent à dire sur la situation présente sous prétexte qu’ils la vivent ; mais il faudrait aussi, chose encore plus improbable, que l’administration soit en mesure d’écouter ce qui est dit et d’en tirer quelque parti.

    En temps normal, bien sûr, il n’est jamais mauvais de recueillir les suggestions des intéressés par le truchement d’une boîte à idées, cela se fait couramment dans les entreprises aussi bien que dans les familles pour améliorer l’ordinaire. Or, la situation actuelle dite des « gilets jaunes » n’est en rien ordinaire. Personne, pas plus les occupants des ronds-points que les experts des ministères ou les cadres des entreprises, n’a d’idée précise sur ce qu’il faut faire pour affronter la crise généralisée du mode de production qui exige de définir à nouveaux frais tous les détails de l’existence matérielle et à toutes les échelles.

    « Les suggestions proposées par ce mouvement aussi bien que les réponses avancées par l’Etat, ne peuvent que répéter les solutions d’avant la crise planétaire »

    Si l’on pouvait attendre du « peuple » et des « experts » qu’ils proposent spontanément des idées sur l’ancien état de choses, nous sommes tous, il faut bien l’admettre, également démunis devant le nouveau régime climatique. Parvenir à lier les injustices sociales et les nouvelles injustices écologiques, c’est une tâche nouvelle qui n’a pas plus de précédent que la crise planétaire qui bouleverse toutes les formes de politique.

    En ce sens, les « gilets jaunes » sont bien les précurseurs des batailles de l’avenir - et c’est tout à l’honneur des Français d’avoir repris, encore une fois, ce rôle historique de précurseurs. Mais on voit bien, en même temps, que les suggestions proposées par ce mouvement aussi bien que les réponses avancées par l’Etat, ne peuvent que répéter les solutions d’avant la crise planétaire et imiter les attitudes, les gestes, les symboles des émeutes ou des répressions de l’ancien temps, ce temps où la question de changer de régime climatique ne se posait pas.

    Une situation totalement inédite

    Penser que, sans enquête préalable, sans analyse méticuleuse de ce qui lie chacun d’entre nous à ses conditions matérielles d’existence, le « peuple » dans sa grande sagesse, spontanément, pourrait se tirer de l’impasse dans laquelle la modernité l’a placé, c’est faire trop confiance à Rousseau. D’autant qu’un « peuple » qui doit soudain se préoccuper de l’énergie, de l’approvisionnement, de la circulation, des façons de bâtir et de se vêtir, du climat comme des maladies, des sols comme des arbres, c’est précisément un « peuple » auquel la politique ne s’est jamais intéressée - et ce n’est plus du tout le même que celui qui prenait la Bastille ou le Palais d’été. C’est un peuple lourdement entravé, tenu, paralysé, par des décisions multiples faites depuis deux siècles et qui ne peut pas aussi facilement « se libérer » que celui de 1789.

    La Grande Révolution pouvait changer radicalement la société, parce qu’elle n’avait pas à changer aussi son infrastructure matérielle. Aujourd’hui, guillotiner le roi ne modifierait pas d’un hectolitre le circuit du pétrole. Les vagues parallèles avec 1789 prouvent assez le décalage complet entre les réflexes conditionnés de la politique à l’ancienne et l’impuissance où nous sommes pour nous extirper de la situation présente.

    « Il ne faut rien attendre d’un simple recueil des opinions »

    L’affaire du Brexit offre une magnifique illustration de ce décalage : il a fallu deux ans au peuple britannique pour passer de la plainte inarticulée sur l’autonomie et l’indépendance, à la réalisation progressive des innombrables liens qui participent, de fait, à son bien-être. Que de temps passé pour dresser la liste, article de loi par article de loi, circuit de production par circuit de production, de tout ce dont les Britanniques dépendent pour prospérer...

    Il a fallu deux années pour que le ministre, pourtant chargé du Brexit, confesse en plein Parlement qu’il n’avait jamais soupçonné que, pour approvisionner les usines anglaises, il fallait que des camions franchissent la Manche ! Deux ans de psychodrames pour commencer à passer des plaintes sur l’identité à la réalisation des attachements qu’ils doivent aujourd’hui apprendre à trier. Comment imaginer que, spontanément, par la simple ouverture d’une boîte à idées dans les mairies, le peuple français, mis devant une situation totalement inédite, trouve d’un coup la solution à cette intrication des économies et des écologies ?

    Description méticuleuse

    Si l’expression de « cahier de doléances » a un sens, c’est justement parce que, en 1789, le roi avait fait appel à ce qui n’était pas encore le « peuple » français en avouant assez naïvement sa complète ignorance des solutions. Et si ce « peuple » s’est mis en effet à exister grâce au formidable travail d’écriture de ces fameux cahiers, c’est parce qu’ils obligeaient, dans chaque commune, à une description méticuleuse des conditions matérielles en lien avec les injustices auxquelles il fallait remédier. Il ne s’agissait pas d’une enquête faite « sur » les communes par des experts, mais d’une enquête « par » les citoyens sur eux-mêmes.

    « La dernière chose à faire est de vouloir limiter les thèmes à débattre et se contenter d’ouvrir une page blanche »

    Il faut lire ces cahiers (en tout cas ceux du Tiers Etat) pour se rendre compte de l’originalité d’une description des territoires qui détaille aussi les injustices commises sur ces mêmes territoires autant que les changements à faire subir à l’assiette des impôts. L’obligation d’un vote à l’unanimité sur chacun des cahiers obligeait à fouiller de plus en plus l’analyse et à aller jusqu’au bout de la confrontation des points de vue. C’est parce qu’une telle description est bien plus difficile aujourd’hui qu’il ne faut rien attendre d’un simple recueil des opinions - et cela vaut pour l’Etat autant que pour le « peuple ».

    Devant une situation où tout le monde est également démuni, la dernière chose à faire est de vouloir limiter les thèmes à débattre et se contenter d’ouvrir une page blanche. Il s’agit plutôt d’accélérer un processus d’autodescription qui ne peut pas être moins conflictuel, moins équipé que le Brexit pour les Britanniques.

    Passer de la plainte à la doléance dans une situation de crise matérielle sans précédent ne peut pas être simplifié. D’autant que ce qui vaut pour chaque citoyen vaut encore plus pour l’administration. Equipée vaille que vaille pour répondre aux anciennes situations de développement économique, elle est totalement perdue pour s’ajuster au nouveau régime climatique.

    Passer de la plainte à la doléance exige donc deux épreuves particulièrement pénibles aux Français : pour le « peuple », trouver quelque chose à dire de pertinent sur une situation totalement neuve ; pour le « gouvernement », savoir écouter ce qui sera dit pour refonder l’Etat !

  • Mouchard, Joffrin, Le Pen. Par Bertrand Rothé
    https://www.les-crises.fr/mouchard-joffrin-le-pen-par-bertrand-rothe

    Laurent Joffrin passe pour un homme de lettres. Nous pardonnera-t-il ce petit exercice de style tout Oulipien ? Nous avons tout respecté : la forme, le style, les expressions, la construction, les mots, tout y est. Mais aussi le fond : l’amalgame, la mauvaise foi, vous n’y trouverez ni mensonge, encore moins de fake news, […]

  • Comment la France multiplie les déchets nucléaires dangereux
    https://reporterre.net/Comment-la-France-multiplie-les-dechets-nucleaires-dangereux

    Selon la communication officielle, le retraitement ne génère pas de contamination, seulement des « rejets autorisés ». Ils sont crachés par les cheminées, déversés au bout d’un tuyau enfoui dans la Manche. En réalité, selon l’expert indépendant Mycle Schneider, « l’usine est autorisée à rejeter 20.000 fois plus de gaz rares radioactifs et plus de 500 fois la quantité de tritium liquide qu’un seul des réacteurs de Flamanville situés à 15 km de là ». Elle contribue pour « près de la moitié à l’impact radiologique de toutes les installations nucléaires civiles en Europe ».

    #nucléaire

    • C’est ce qui a été dénoncé depuis longtemps par la Criirad, le « retraitement » n’est qu’un faux-nez qui sert avant tout à récupérer du plutonium à usage militaire.
      Le second sous-produit, le fameux MOX étant censé assuré une valorisation des combustibles usés...
      En réalité ce cycle de « recyclage » produit encore plus de déchets, qui plus est bien plus toxiques que les déchets initiaux.
      Et puis le Mox presque personne n’en veux...
      Mais bon on vous le dit et vous le répète la France est championne du monde dans ce domaine. Position prochainement incontestable puisque seule concurente !

  • La BnF et la British Library mettent en ligne 800 manuscrits médiévaux enluminés
    https://culturebox.francetvinfo.fr/patrimoine/la-bnf-et-la-british-library-mettent-en-ligne-800-manuscrits

    La Bibliothèque nationale de France et la British Library, son équivalent britannique, ont mis en ligne 800 manuscrits de la période du VIIIe au XIIe siècle qui illustrent le foisonnement culturel et les échanges entre la France et l’Angleterre en cette période troublée de la conquête normande.
    […]
    Deux sites internet ont été créés. Le site français, intitulé « France-Angleterre 700-1200 : manuscrits médiévaux de la BnF et de la British Library », rassemble 800 manuscrits enluminés anglo-saxons et normands, conservés pour moitié de chaque côté de la Manche et sélectionnés en fonction de « leur importance pour l’histoire des relations franco-anglaises au Moyen-Age, leur intérêt artistique, historique ou littéraire », indique la BnF.

    Quant au site britannique, destiné à un large public, il propose aussi des clips vidéo sur divers sujets comme les connaissances médicales au haut Moyen-Age ou les techniques de création d’un manuscrit enluminé.


    Psautier de Canterbury, vers 1200, BnF, département des manuscrits, Latin 8846 : Scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament © -

    site français :
    https://manuscrits-france-angleterre.org/polonsky/fr/content/accueil-fr

    site britannique :
    https://www.bl.uk/medieval-english-french-manuscripts

  • Dans la Manche, un réfugié acquitté d’un viol car il n’avait pas « les codes culturels »
    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/11/23/01016-20181123ARTFIG00310-acquitte-d-un-viol-car-il-n-avait-pas-les-codes-c

    C’est un verdict qui choque, embrase les réseaux sociaux et agite les politiques. Le 21 novembre, la cour d’assises de la Manche a acquitté un jeune réfugié d’origine bangladaise du viol d’une lycéenne de 15 ans à Saint-Lô, dans la Manche, fin 2015. Ce dernier a en revanche été condamné à deux ans de prison avec sursis assortis d’une mise à l’épreuve pour l’agression sexuelle d’une autre jeune fille mineure, à quelques semaines d’intervalle, dans son logement au foyer des jeunes travailleurs de Saint-Lô. Le parquet peut encore faire appel de cette décision.

    Au procès, l’avocate de la défense a invoqué des difficultés d’interprétation de son client qui « n’avait pas les codes culturels » pour prendre conscience qu’il imposait une relation par crainte ou par surprise, selon un article de La Manche libre qui relate l’affaire.



    Le journal évoque aussi le témoignage du capitaine de police de la sûreté départementale de Saint-Lô devant la cour. « Lors de l’audition de l’accusé en garde à vue, il a dû placer un brigadier entre l’interprète et le mis en cause car ce dernier tentait de lui peloter les cuisses. Selon lui, l’accusé “considère les femmes françaises comme des p****, il a un comportement de prédateur” », rapporte l’article.

    Quant aux experts, ils auraient décrit le réfugié comme « narcissique et égocentré » et empreint de la culture masculine de son pays d’origine où « les femmes sont reléguées au statut d’objet sexuel ».

    L’avocat de la plaignante qui affirme avoir subi un viol confirme l’exactitude de ce compte rendu. Mais non sans y apporter des précisions non négligeables. « L’origine de l’accusé n’a pas été un élément déterminant mais un élément parmi d’autres. Les débats ont tourné autour de la notion de consentement. Les jurés ont estimé que l’auteur n’avait pas pris conscience de l’absence de consentement de la victime au moment des faits, précise-t-il au Figaro. Après le verdict, le président de la cour d’assises a dit à ma cliente qu’on la croyait mais que la cour a considéré que les faits n’étaient pas suffisamment établis pour constituer l’infraction ».

    Selon le Code pénal, l’existence de la violence, contrainte, menace ou surprise sont nécessaires pour caractériser le viol. Or l’adolescente aurait exprimé par oral son refus mais, « en état de sidération », ne se serait pas opposée à l’acte. Dans un premier temps, sa plainte avait été classée sans suite. L’enquête a été rouverte lorsqu’une deuxième jeune fille a signalé une agression sexuelle. « Il aurait fallu d’autres investigations dès le début. Son dossier n’a pas été traité comme il aurait dû l’être », pointe son avocat.

    Reste que l’affaire a pris des airs de scandale à la veille de la marche du 24 novembre contre les violences sexistes et sexuelles, portée par le mot d’ordre « Nous toutes ». « Allons-nous laisser admettre qu’il existe une culture qui permet aux hommes de violer les femmes ? » s’est indignée la députée LR Valérie Boyer dans une lettre adressée au premier ministre. « Un migrant viole deux mineures et ressort libre, le tribunal considérant les “codes culturels” du criminel comme circonstance atténuante. Laxisme criminel d’une justice qui n’en a que le nom. Le silence des féministes toujours aussi assourdissant ! », s’est insurgé sur Twitter Nicolas Bay, député européen du Rassemblement national. « Hallucinant », a également réagi Muriel Salmona, de l’association Mémoire traumatique : « Les femmes sont reléguées au statut d’objet sexuel mais ce n’est pas grave c’est juste culturel. »

    l’adolescente aurait exprimé par oral son refus mais, « en état de sidération », ne se serait pas opposée à l’acte. Dans un premier temps, sa plainte avait été classée sans suite. L’enquête a été rouverte lorsqu’une deuxième jeune fille a signalé une agression sexuelle. « Il aurait fallu d’autres investigations dès le début.


    EXPRIMER SON REFU A L’ORAL C’EST S’OPPOSE A L’ACTE ! On en est encore à punir les filles et femmes qui ont survécu au viol qu’on leur a infligé.

    #violophilie #culture_du_viol #fraternité #viol

    • Procès pour viol sur mineure dans la Manche : une enquête mal menée ?
      https://www.lamanchelibre.fr/actualite-619701-proces-pour-viol-sur-mineure-dans-la-manche-une-enque

      Mardi 20 novembre 2018 s’est déroulé devant la cour d’assises de la Manche à Coutances le deuxième jour du procès d’un jeune homme accusé de viol et d’agression sexuelle sur deux mineures. Les policiers ayant mené l’enquête ont été auditionnés.

      Mardi 20 novembre 2018 s’est tenu devant la cour d’assises de la Manche à Coutances le deuxième jour du procès d’un jeune homme accusé de viol et d’agression sexuelle sur deux lycéennes.

      Les 29 septembre et 10 décembre 2015, le mis en cause a entraîné deux jeunes filles de 15 et 16 ans dans son logement au Foyer des Jeunes Travailleurs de Saint-Lô. Il est accusé d’avoir agressé sexuellement l’une d’entre elles qui a réussi à prendre la fuite et d’avoir violé l’autre. Il maintient que les deux étaient consentantes. Il encourt quinze ans de prison.
      Des manques dans l’enquête ?

      Le capitaine de police de la sûreté départementale de Saint-Lô qui a enquêté sur la plainte de la première victime est celui qui a fait le lien entre cette affaire et la plainte pour viol de la deuxième victime qui avait été classée sans suite. Il révèle à la cour que lors de l’audition de l’accusé en garde à vue, il a dû placer un brigadier entre l’interprète et le mis en cause car ce dernier tentait de lui peloter les cuisses. Selon lui, l’accusé, « considère les femmes françaises comme des p****, il a un comportement de prédateur. »

      Interrogé sur la raison du délai de quatre mois entre la première plainte et la mise en examen de l’accusé, le policier admet qu’il y a eu des carences dans les enquêtes. Il ajoute que parfois, une affaire se révèle par la multiplicité des faits.

      Le brigadier-chef qui a entendu la plainte de la deuxième plaignante est tellement embarrassé à la barre qu’il fait un malaise. Après avoir repris ses esprits lors d’une suspension de séance, il admet que les propos de la victime retranscrits dans le procès-verbal étaient des réponses à des questions fermées et que cela pouvait modifier l’impression générale. Selon lui, l’absence de consentement n’était pas exprimée ce qui a justifié le classement sans suite.

      Le président déplore un dossier où « on est un peu orphelin d’un certain nombre de diligences ». Il cite l’absence de confrontation, l’absence de perquisition et de saisie du téléphone et de l’ordinateur de l’accusé et une levée de garde à vue après seulement 39 minutes d’audition.
      « Des objets sexuels »

      Les experts qui ont examiné l’accusé s’accordent tous pour le décrire comme narcissique et égocentré et que dans la culture masculine du Bangladesh, son pays d’origine, « les femmes sont reléguées au statut d’objet sexuel ».

      L’avocat général requiert six ans de prison. Le verdict devrait tomber mercredi dans la journée.

    • Le #mirage anglais : la #désillusion des migrants

      Après la périlleuse traversée de la Manche, 
des migrants déchantent au Royaume-Uni.

      Depuis plus de vingt ans et l’ouverture du tunnel sous la Manche, les camps d’infortune baptisés « jungles » se succèdent à Calais et aux alentours. Y survivent des Irakiens, des Afghans, des Érythréens, des Soudanais et des ressortissants de bien d’autres nationalités, en fonction des aléas géopolitiques, tous aimantés par cet Eldorado britannique qu’ils fantasment et aperçoivent depuis la plage, à une trentaine de kilomètres.

      D’infimes falaises obsédantes derrière les vagues grises agitées : ce paysage tempétueux est l’une des frontières européennes les plus difficiles à franchir, rendue prétendument étanche grâce aux millions d’euros versés chaque année par la Grande-Bretagne.

      Les infrastructures du port et de l’Eurotunnel, ultimes étapes avant leur escale finale – l’Angleterre – sont gardées comme des forteresses à grand renfort de barbelés, scanners, policiers...

      Les exilés tentent de passer cette lisière seuls, ou avec l’aide des cellules de passeurs souvent kurdes, implantées sur le littoral. En Grande-Bretagne, pensent-ils séduits, leur asile sera accepté, ils trouveront du travail, ou encore ils ne seront pas expulsés vers le premier pays d’Europe, responsable de leur demande d’asile, selon le règlement Dublin III.

      Une fois la Manche franchie, les migrants s’évanouissent dans la nature, s’expriment peu, par crainte d’être ennuyés par les autorités. Ils tentent de se construire une vie, dans l’anonymat. Le soi-disant Eldorado ne comble pas toujours leurs attentes.

      La majorité des demandeurs à l’asile – 30 603 en 2016, selon le Home Office (ndlr : équivalent du ministère de l’Intérieur) – sont Iraniens, puis Pakistanais, Irakiens, Afghans, Bangladais…

      Et au final, « 34 % des demandes sont acceptées, soit un taux moins élevé qu’en France – 40 % », souligne Magali Lambert, de La Cimade. Quant au règlement Dublin III, « il est appliqué comme en France. Tout migrant peut être renvoyé vers le premier pays responsable de sa demande d’asile ».

      Wira et Barzan (Kurdes irakiens)

      Le soleil transperce les nuages gris, illumine les docks.

      Le cri des mouettes couvre la respiration de la marée grise. Il est midi à Liverpool, les pintes de bières règnent sur les tables d’un pub cerné d’entrepôts de briques. Les Britanniques à l’accent scouse, typique de ce grand port du nord-ouest du Royaume-Uni, trinquent sur les quais.

      Devant leurs verres d’eau gazeuse, les Kurdes irakiens Barzan et Wira (prénoms modifiés à leur demande), eux, n’ont pas le goût à la détente. « La décision du Home Office est tombée il y a deux mois. On m’a rejeté, on ne veut pas de moi ».

      Barzan, 26 ans, détaille les justifications des autorités britanniques avec mépris.

      lls m’ont dit que maintenant je pouvais retourner en Irak, que ce n’était plus dangereux, que je pouvais être avec ma famille là-bas.

      Barzan, un Kurde irakien de 26 ans

      Son ami Wira, 36 ans, tente de le consoler, mais a peu d’arguments. « Je suis venu en Grande-Bretagne il y a quatorze ans, ma demande d’asile et mon appel ont été rejetés. Depuis, j’ai fait plus de douze demandes de réexamen [il n’y a pas de limites pour ces requêtes, il faut apporter de nouveaux éléments au dossier, ndlr]. C’est toujours non ».

      Wira est dans une zone grise : sommé de quitter le pays, il ne compte plus les années à errer, anonyme, entre les villes de Leicester, Wrexham et Liverpool.

      Wira et Barzan viennent d’Erbil et de Souleimaniye, dans la région autonome du Kurdistan irakien. L’Angleterre, ils l’ont fantasmée à plus d’une décennie d’écart. Le premier y a posé le pied en 2002, le second en 2016. « Ici, on pouvait gagner notre vie, la construire, du moins c’est ce que je pensais », résume Barzan.

      Son regard vert glacial se fait encore plus froid quand il repense au chemin parcouru. « Je suis venu par la Turquie, la Grèce, la route des Balkans en 2015 ». Il tente d’abord une première demande d’asile en Allemagne en 2015. Puis « neuf mois sans nouvelles », alors il se « reporte » sur la Grande-Bretagne.

      « Je suis resté des mois bloqué à Grande-Synthe (à 30 km de Calais) avant de réussir à passer, après une dizaine de tentatives, avec 24 autres personnes dans un camion de lots de shampoing ». Barzan se souvient : « Ce n’était pas la vie normale. Le temps était long. Tu ne savais pas combien de temps tu allais rester, ce que tu allais devenir ».

      En 2002, « tout était plus simple : ni contrôles ni policiers ni barbelés », lui répond Wira, qui a franchi la frontière à cette date. « Je suis resté trois jours à Calais et j’ai réussi dès le premier coup à passer dans un camion ». Les souvenirs de Wira sont légers et flous, ceux de Barzan tenaces et amers.

      Les deux hommes montrent leurs mains rouges et desséchées. S’ils n’ont toujours pas de statut de réfugié, ils ont un travail, l’une de leurs motivations pour venir en Grande-Bretagne.

      « On lave des voitures », explique Barzan. « Si tu es réfugié, en Angleterre, tu dois passer par le “car-wash” même si ça abime les mains, plaisante Wira, c’est dans une société de lavage de voitures que nous nous sommes rencontrés, beaucoup de Kurdes y travaillent, on trouve toujours. Au début on gagne 39 euros puis avec l’expérience 56 euros par semaine. Je travaille dans ce secteur depuis quatorze ans ».

      Et toujours non déclaré. « Trouver un job au noir, c’est facile en Grande-Bretagne, je ne me suis jamais fait prendre par les autorités. Il paraît que quelques patrons se prennent des amendes. Mais personnellement, je n’ai jamais vu aucun directeur avoir des problèmes ».

      Dans ce pays à l’économie libérale, le travail au noir représente près de 9,4 % du PIB en 2017, selon le magazine américain Forbes.

      On ne compte pas nos heures, on travaille six jours sur sept.

      Barzan, un Kurde irakien de 26 ans

      « Mais je crois qu’en fait c’est la norme, comme un cercle vicieux sans fin, analyse Wira. La Grande-Bretagne a besoin de nous, de main d’œuvre, pour les petits boulots. Mais en même temps, nous sommes rejetés, nous n’avons pas de droits ».

      Les compères remontent l’artère commerçante de Liverpool où se succèdent les magasins des grandes chaînes de prêt-à-porter. « C’est une très belle ville, mais je suis effrayé par le racisme, avoue Barzan. Tu le sens, le raciste, c’est celui qui te regarde comme quelqu’un d’inférieur ». Ils rejoignent un restaurant kurde aux murs blancs.

      Barzan déprime devant sa soupe de lentilles rouges. « Je suis perdu, je veux gagner ma vie mais dans une usine ou en tant que chauffeur de taxi, pas dans un “car-wash”, au noir ». Il songe au retour et évoque cet ami kurde qui lui « n’en pouvait plus d’attendre ». « Il est parti en Allemagne pour tenter de demander l’asile là-bas ».

      Comme lui, en 2017, quelque 966 personnes ont franchi irrégulièrement la frontière entre l’Angleterre et la France, selon l’Ocriest (Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titre). Souvent dissimulés dans les camions, ils ont finalement re-traversé la Manche en sens inverse, lassés de la dureté de ce pays dont ils avaient trop rêvé.

      Lire aussi : L’abandon des enfants migrants en France
      Ridire (Bédouin apatride)

      Ridire exhibe tout sourires ses cartes. « Ma première carte d’identité, ma première carte de crédit ». Des sésames dont il est fier et grâce auxquels il bénéficie d’une reconnaissance après un long passage à vide. « Dans tous les pays que j’ai traversés, j’étais considéré comme quelqu’un d’illégal, un terroriste, parce que j’étais un migrant ».

      Cet homme brun au teint hâlé traîne ses longues jambes sur un marché bouillonnant de Birmingham, sa commune d’adoption. « C’est une bonne localité pour recommencer une nouvelle vie, trouver un bon travail ». Entre les étals, les langues anglaise mais aussi pakistanaise, arabe ou chinoise se mêlent dans cette deuxième ville d’Angleterre qui abrite de nombreux réfugiés.

      Bédouin, Ridire est né sans papiers au Koweït.

      « Nous sommes bidoune [sans papiers, ndlr] et persécutés, le pays ne veut pas de nous ». Formant une famille d’apatrides avec sa mère et ses petits frère et sœur, ils prennent en 2010 le chemin de Damas, en Syrie, où Ridire travaille dans un hôtel.

      La guerre arrive, la fuite au Liban s’impose, dans un camp de réfugiés où l’attente devient interminable. Ils décident alors de rejoindre leur oncle, installé depuis des années en Grande-Bretagne.

      Son frère et sa sœur, mineurs, bénéficient d’un regroupement familial. Ridire emprunte la voie illégale : traversée de la Turquie, la Grèce, la route des Balkans, à l’été 2015.

      « J’ai rarement ressenti d’humanité, insiste Ridire. La seule fois c’était à Lesbos, avec des bénévoles qui m’ont parlé comme à quelqu’un de normal ». Une inhumanité qui s’accentue, d’après lui, lorsqu’il débarque à Grande-Synthe.

      « Je suis arrivé de nuit, avec ma mère. D’autres migrants nous ont dit de nous installer dans une tente. Le lendemain, à la lumière du jour, j’ai découvert le cauchemar : les rats, la boue... » Ridire est alors au camp du #Barosch de #Grande-Synthe, aux côtés de 2 000 migrants. Il y découvre le système des passeurs.

      « Des trafiquants sont venus me voir, m’ont dit “comme tu es Koweïtien, tu es riche, un passage te coûtera 2 500 euros” ». Dans le nord de la France, les trafiquants appliquent les tarifs de leurs « prestations » souterraines au faciès.

      Pour passer la Manche caché dans un camion, un ressortissant érythréen, réputé pauvre, paiera moitié moins cher qu’un Syrien, réputé riche, indique Ridire écœuré. Lui n’a pas d’argent. Les saisons passent à Grande-Synthe. Sa mère tombe malade, il parvient à la faire passer légalement en Grande-Bretagne, mi-2016.

      Seul, Ridire déchante. « Je pensais que j’allais mourir à Grande-Synthe. Un passeur qui me voyait dépérir m’a aidé. Un soir il m’a dit, “ok tu montes gratuit” dans un camion qui contenait des télévisions, de la farine, des pots en céramique… ».

      Sur le trajet, il pleure de joie. « Je me disais, je vais enfin avoir des droits. Le poids lourd s’est arrêté dans un village du centre, je suis sorti sous les yeux médusés du chauffeur – un Roumain je crois – en courant, trop heureux. Il n’a rien dit. J’ai appelé ma famille à Birmingham qui m’a envoyé un taxi ».

      Au bout d’un an, Ridire obtient son statut, le Koweït est jugé dangereux pour lui « il y a un risque d’extinction de la communauté (des Bédouins) à cause du mauvais traitement que nous subissons : pas de services, pas d’accès à l’éducation ni à la santé », justifie Ridire.

      Il peut aujourd’hui avoir accès au système de santé, étudie les mathématiques à la faculté, vit dans une maison avec sa mère. Les 42 euros hebdomadaires que lui verse le gouvernement l’aident à se nourrir.

      « D’ici quelques années, je travaillerai dans l’industrie du pétrole, je n’ai pas honte de dire que j’ai envie de bien gagner ma vie. L’Angleterre pour moi, c’est le business, c’est très différent de la France, où j’ai le sentiment que les gens sont plus amicaux ». Le pays réputé individualiste « casse quelques traditions et valeurs familiales, avoue-t-il. En ce mois de juin, c’est le ramadan, or mes frère et sœur n’ont pas le temps de venir dîner, ils disent qu’ils travaillent trop. Alors on s’appelle, mais on ne reste plus ensemble, comme au Koweït. S’il nous arrive une broutille, personne ne se déplace pour l’autre. Trop de travail, c’est souvent l’excuse ».

      Maintenant, Ridire espère obtenir d’autres droits. « J’aimerais pouvoir voter. Si j’avais eu ce droit, je n’aurais surtout pas voté pour le Brexit, qui ­m’inquiète et va nous isoler ».
      Henok (Érythréen)

      Henok chante des airs de rap en marchant sur les trottoirs bondés de Londres. Il slalome ce jour de juin entre les passants, près de la gare internationale de Saint-Pancras. Parmi la foule d’anonymes, personne ne s’attarde sur la bouille ronde du jeune Érythréen, cheveux en bataille, survêtement noir et petite sacoche.

      Sur le chemin de l’exil, Henok devait fuir les regards, « On me dévisageait alors que je voulais être discret, dit l’adolescent de 18 ans. Il était l’étranger. Aujourd’hui, je me sens libre ». Il avance serein entonnant des paroles sur Calais, qu’il a composées lui-même. La ville, jamais loin, le hante toujours. Car avec Tripoli, en Libye, Calais est l’escale de son ­parcours qui l’a le plus « choqué ».

      Parti seul d’un village près d’Asmara à 14 ans, il fuit le service militaire à vie de ce pays d’Afrique de l’Est sous la coupe du dictateur Isaias Afwerki.

      Pendant deux ans, Henok ne songe qu’à traverser les frontières. « Je voulais venir en Grande-Bretagne dès le départ. J’avais entendu par des amis déjà sur place qu’on trouvait du travail plus facilement en Angleterre qu’en Italie ou en France ».

      Son itinéraire se dessine : Soudan, Libye, Italie, France. Des milliers d’autres migrants l’ont fait avant lui, cela lui donne espoir, les photos de proches en Grande-Bretagne le soutiennent pendant son périple. Sans argent, il ne passe pas toujours avec des passeurs de frontières, « je me cachais seul dans les camions ».

      Lire aussi : Plus de cent soudanais renvoyés dans l’enfer libyen

      Henok insiste sur deux étapes qui l’ont traumatisé.

      À Tripoli en Libye et à Calais, j’ai lutté pour ma survie. Je pensais souvent à la mort.

      Henok, Érythréen de 18 ans

      Malgré sa jeunesse, elle est omniprésente dans la vie de l’adolescent. « En Libye, je suis resté bloqué à Tripoli, pendant trois mois, dans une maison de torture [les migrants nomment généralement ces bâtisses des connexions houses, surveillées par les passeurs, ndlr] ».

      Enfoncé dans le fauteuil d’un café cosy londonien, Henok exhibe une blessure sur sa main. « Ceux qui me gardaient me brûlaient, ils voulaient appeler mes parents pour avoir de l’argent contre ma liberté, mais mes parents n’ont pas de téléphone dans leur village ! ».

      Il perd la notion du temps, finit par embarquer pour l’Italie « Un jour de printemps 2015, dit-il évasif. J’avais trop peur, mais il fallait rejoindre l’Italie. C’était la mort en Libye, la mort dans l’eau ou l’Italie, pas d’autres options ». Il navigue sur la Méditerranée centrale dans un bateau en bois où s’entassent 383 personnes, avant d’être tiré des flots par un navire italien. « Le plus beau jour de ma vie, mais je n’arrive pas à le décrire, c’était trop fort ». Il marque un silence et sourit.

      Après cette frontière traumatisante, il reste à Henok une autre mer à traverser : la Manche. Et un second traumatisme, Calais. « Je suis passé facilement de l’Italie à la France par les Alpes, caché dans un camion, contre 30 euros. Calais, finalement, ça paraissait simple à franchir : la Manche est petite comparée à la Méditerranée ».

      Mais, bloqué dans la ville de la dentelle pendant un mois et deux semaines, il partage l’errance d’un sans-domicile avec d’autres Érythréens près du port de la ville, nourris par les ONG.

      Puis Henok découvre la traque, dit-il, de ceux dont tous les migrants connaissent l’acronyme à Calais : les CRS. « Presque chaque nuit, je tentais de me cacher dans des camions, avec des amis, sans passeur, les policiers n’étaient jamais loin. Au bout de quelques semaines, je me suis fabriqué un faux garrot pour faire croire que j’étais blessé et qu’ils me laissent tranquille ».

      Son ton s’accélère, il raconte nerveusement. « J’essayais de me glisser sous les châssis des camions, ou de rentrer dans les cargaisons dès que je voyais des poids lourds à l’arrêt. Je ne comptais pas les tentatives. Je me faisais prendre par les policiers, je recommençais le lendemain ».

      Cela devient un défi pour l’adolescent. « Je n’avais pas peur, je pensais à l’Angleterre toute la journée. La nuit, lors de mes passages, mes vêtements étaient déchirés à force de courir et tomber sur les routes ». Sa crainte principale : « Les chiens (renifleurs) du port qui finissaient toujours par me trouver planqué dans les camions alors que j’étais près du but ».

      Henok parvient à sauter dans un train de poids lourds qui file vers l’Eurotunnel.

      Quand j’ai compris que j’étais sous le tunnel, l’émotion était intense pas autant qu’en mer en Libye, mais presque.

      Henok, Érythréen de 18 ans

      Henok dépose sa demande d’asile dans les minutes qui suivent son arrivée à Douvres à l’automne 2015, dans un commissariat de la ville-frontière du sud de l’Angleterre.

      Le mineur est transféré vers Londres, où il est logé avec des travailleurs sociaux par le Home Office. Il obtient son statut de réfugié au bout d’un an, aidé par sa minorité car un retour en Érythrée est bien trop dangereux. « J’ai ce que je voulais, la sécurité et les études. Je veux devenir électricien et continuer le rap ».

      Mais après cette longue quête, une autre commence pour lui. « Je cherche mes parents et mon frère, dont je n’ai jamais eu de nouvelles depuis mon départ. Ils n’ont ni adresse ni Internet. Je pense à eux, ça me rend triste, je voudrais les faire venir, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus et eux non plus ne savent rien de ma vie ».


      https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/les-mirages-de-leldorado-britannique

      #dessins de #Elisa_Perrigueur

    • Arrivés en Angleterre illégalement, de nombreux mineurs isolés sont victimes des trafiquants

      Refoulés par le Home Office après des mois passés à Calais, de nombreux mineurs ont tout de même décidé d’atteindre l’Angleterre de manière illégale. Beaucoup ont disparu dans la nature et sont tombés aux mains des réseaux de trafiquants.

      Selon le quotidien britannique The Independent, de nombreux migrants mineurs dont le dossier a été refusé par le Home Office - le ministère anglais de l’intérieur - au moment du démantèlement de la « jungle » de Calais ont traversé la Manche par leurs propres moyens et sont tombés entre les mains de trafiquants au Royaume-Uni.

      Lors de la signature de l’amendement Dubs en mars 2016, le Royaume-Uni s’était engagé auprès de la France à accueillir 480 mineurs isolés présents à Calais et désireux de rejoindre l’Angleterre. Mais en octobre 2016, date du démantèlement de la « jungle », des centaines de mineurs non accompagnés ont vu leur demande déboutée par le Home Office.

      L’association Social workers without borders - qui avait mené une série d’évaluations sur plusieurs enfants de la « jungle » avant son démantèlement - rappelle que sur les 42 enfants signalés « dans le besoin », aucun d’entre eux n’a eu l’autorisation de rejoindre l’Angleterre.

      >> À lire sur InfoMigrants : Au Royaume-Uni, un migrant peut croupir des années en centre de rétention

      Bon nombre de migrants refoulés par les autorités britanniques ont donc tenté leur chance par la voie illégale. Beaucoup d’entre eux se sont ainsi retrouvés piégés dans des réseaux de trafiquants.

      Selon les dernières données du Centre d’information sur la traite des enfants (CTAC), sur les 293 jeunes arrivés en Angleterre clandestinement depuis mi 2016, seulement 103 personnes ont été localisées. Les autres - les 190 autres restants - ont tout simplement disparu dans la nature. À titre d’exemple, sur les 42 mineurs identifiés par Social workers without borders, neuf ont atteint le Royaume-Uni par leurs propres moyens et 14 sont toujours « introuvables ».

      « Quand ils n’ont pas d’argent, leur corps ou le trafic de drogue deviennent des monnaies d’échange »

      Selon le quotidien britannique, un adolescent soudanais placé dans une famille d’accueil a disparu quelques mois après son arrivée en Angleterre, en décembre 2016. « Je lui ai envoyé un message mais je n’ai pas eu de réponse », déclare à The Independent Sue Clayton, une universitaire qui lui avait rendu visite. « Il était clair que les choses ne se passaient pas bien pour lui en Angleterre. Il est probable qu’il travaillait pour le compte d’un trafiquant (…). Il m’a dit que sa mère était très malade et que sa famille avait besoin d’argent ».

      The Independent met également en avant le cas d’un garçon de 16 ans qui a été « pris en otage » par des trafiquants une fois arrivé au Royaume-Uni. Les malfaiteurs le retenaient car son père, installé en Angleterre, n’avait pas les moyens de payer les passeurs de son fils. Le jeune homme a pu être libéré grâce à l’intervention de la police.

      Swati Pande, membre du CTAC, estime qu’il est fréquent que les enfants ayant traversé la Manche disparaissent ou ne soient jamais retrouvés au Royaume-Uni. « Rien n’est gratuit. Ces jeunes ont fait un si long voyage, ils doivent toujours de l’argent à quelqu’un », explique-t-elle au journal anglais. « Au cours de leurs voyages, nous savons qu’il peut y avoir des abus. Quelle est la monnaie d’échange de ces enfants ? Quand ils n’ont pas d’argent, leur corps ou le trafic de drogues deviennent des monnaies d’échange », continue-t-elle.

      Pour la députée anglaise Sarah Jones cité par The Independent, le gouvernement britannique a « tourné le dos aux enfants réfugiés de la ‘jungle’ et continue de le faire ». « Cette année marque le 80ème anniversaire du Kindertransport, quand notre pays a sauvé 10 000 enfants du régime nazi. C’est une honte que le sentiment anti-migrant de notre gouvernement s’étende même aux enfants les plus jeunes et les plus vulnérables », a-t-elle ajouté.
      Une critique injustifiée selon un porte-parole du Home Office qui rappelle que « l’an dernier, le Royaume-Uni a assuré la protection de 6 000 enfants et a également délivré 5 218 visas de regroupement familial, dont plus de la moitié était destiné à des enfants ». Reste que seuls 220 enfants ont été transférés en Angleterre depuis fin 2016, sur les 480 prévus par l’amendement Dubs.


      http://www.infomigrants.net/fr/post/13286/arrives-en-angleterre-illegalement-de-nombreux-mineurs-isoles-sont-vic

  • The UK Border Regime

    Throughout history, human beings have migrated. To escape war, oppression and poverty, to make a better life, to follow their own dreams. But since the start of the 20th century, modern governments have found ever more vicious ways to stop people moving freely.

    The UK border regime includes the razor wire fences at #Calais, the limbo of the asylum system, and the open #violence of raids and deportations. Alongside the #Home_Office, it includes the companies running databases and detention centres, the media pushing hate speech, and the politicians posturing to win votes. It keeps on escalating, through Tony Blair’s war on refugees to Theresa May’s “#hostile_environment”, spreading fear and division.

    This book describes and analyses the UK’s system of immigration controls. It looks at how it has developed through recent history, the different actors involved, and how people resist. The aim is to help understand the border regime, and ask how we can fight it effectively.


    https://corporatewatch.org/new-book-the-uk-border-regime
    #livre #frontières #régime_frontalier #UK #Angleterre #limbe #barrières_frontalières #externalisation #France #renvois #expulsions #déportations #résistance #migrations #asile #réfugiés #détention_administrative #rétention #privatisation

    • France – Royaume-Uni : le plan d’action de lutte

      L’externalisation du contrôle de la frontière britannique sur le sol français est jalonnée de traités, arrangements, accords, déclarations conjointes. Dans la novlangue du nouveau monde, nous avons le « plan d’action de lutte contre l’activité des migrants dans la Manche ». Avec un nouveau chèque britannique.

      D’un côté de la Manche, le brexit qui prend l’eau. De l’autre un pouvoir ébranlé par la contestation des gilets jaunes. Entre les deux des exilé-e-s qui tentent de passer la frontière et d’accéder au territoire britannique.

      Les tentatives de passage de la frontière dans de petites embarcations ne sont pas nouvelles, mais étaient exceptionnelles, ou alors avec la complicité de plaisanciers ou de pêcheurs qui se faisaient de l’argent en faisant passer des exilé-e-s. Il y avait eu en 2016 plusieurs tentatives du département de la Manche vers les îles anglo-normandes (voir ici et là), et rarement du littoral du Nord et du Pas-de-Calais. Ce sont souvent des exilé-e-s iranien-ne-s qui sont impliqué-e-s dans ces tentatives.

      Depuis un an, elles se multiplient - le "plan d’action de lutte" mentionne 44 départ évités du côté français (ce qui ne comprend pas a priori les bateaux interceptés en mer) concernant 267 "individus". Elles rencontrent un certain écho médiatique, surtout au Royaume-Uni. Les gouvernements doivent donc montrer qu’ils font quelque chose. Et comme le phénomène dure déjà un peu, qu’ils ont aussi déjà fait quelque chose. Et puis c’est l’occasion de montrer que brexit ou pas la coopération sécuritaire entre les deux pays continue - contre "une menace à l’encontre des systèmes de contrôle aux frontières en France et au Royaume-Uni, dont l’intégrité est indispensable à la lutte contre la criminalité et le terrorisme" dit le texte - la doctrine est donc qu’il faut fermer les frontières de manière étanche pour se protéger.

      Mais sous le titre hyperbolique de "plan d’action de lutte" il n’y a à vrai dire pas grand-chose. Les patrouilles maritimes et aériennes, et terrestres du côté français, ont déjà été renforcées. Les mesures activées dans les accords précédents, qui eux-mêmes reprenaient largement des mesures plus anciennes, sont actives. Un financement de 7 millions d’euros est annoncé, mais près de la moitié provient d’un fonds déjà existant, la partie britannique n’apporte en fait que 3,6 millions supplémentaires. Une partie indéterminée de cet argent ira à un secteur économique qui vit sous perfusion d’agent public : la vidéosurveillance. Des caméras seront installées dans les ports et sur les plages.

      https://blogs.mediapart.fr/philippe-wannesson/blog/250119/france-royaume-uni-le-plan-d-action-de-lutte

  • Usine hydrolienne : à peine ouverte, déjà fermée
    Mis à jour le 29/07/2018
    https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/usine-hydrolienne-a-peine-ouverte-deja-fermee_2872613.html

    C’est une usine toute neuve : 5 500 m2 inaugurés il y a un peu plus d’un mois. L’entreprise située à Cherbourg, dans la Manche, devait produire une vingtaine d’hydroliennes par an. Des machines qui sont posées au fond de la mer, et qui produisent de l’électricité avec la force des marées. Ce projet industriel, lancé par François Hollande, ne verra pas le jour. Il n’est pas assez rentable, selon l’État. L’institution ne veut pas payer une électricité hydrolienne trois fois plus cher que celle issue des éoliennes standard.(...)

    • La pensée industrielle française se résume désormais à un pois chiche sur lequel on a gravé le mot « startup ».
      L’activité économique, la vraie, c’est la startup dans laquelle les « gens » bossent gratos, 20h par jour, sur des sujets disruptifs, c’est à dire destructrice de l’activité économique réelle, et tout cela dans de vieux locaux industriels dans lesquels on a mis un ou deux babyfoots.

    • Visiblement, ce n’est pas le boulot du « privé » (Naval Group (État français, 62,49%) ou EdF (État français, 85,6%)) de financer le développement d’énergies nouvelles…

      Parler de transition énergétique, on sait faire (tiens, ça fait combien de temps qu’on a vu N. Hulot ?) ; le financer, c’est autre chose (clairement, ce n’est pas rentable pour le moment,…)

      Naval Energies. La société arrête ses investissements dans l’hydrolien - France - LeTelegramme.fr
      https://www.letelegramme.fr/france/naval-energies-la-societe-arrete-ses-investissements-dans-l-hydrolien-2

      Naval Energies, filiale du constructeur naval français Naval Group (ex DCNS) a annoncé, jeudi, qu’elle mettait fin à ses investissements dans l’hydrolien, en fermant son usine de Cherbourg. L‘entreprise avait déjà stoppé, en novembre 2017, son cycle d’expérimentation, avec EDF, d’hydroliennes devant Paimpol-Bréhat.

      Un mois et demi seulement après avoir inauguré sa première usine de fabrication d’hydroliennes, à Cherbourg, Naval Energies annonce son retrait de l’hydrolien. « Naval Energies vient de décider, lors de son conseil d’administration extraordinaire du 25 juillet, de mettre fin à ses investissements dans le domaine des hydroliennes », a déclaré le groupe dans un communiqué, invoquant un manque de perspectives sur le marché de l’hydrolien.

      Un nouveau revers pour la filiale du constructeur français Naval Group (ex DCNS), qui avait déjà abandonné son projet d’expérimentation, avec EDF, de l’hydrolienne OpenHydro sur le site de Paimpol-Bréhat, en novembre 2017. L’expérimentation s’était alors achevée brutalement, actant la fin la phase de tests démarrée en Bretagne, en 2011. La décision était intervenue après un ensemble de turbulences au sein de la filiale énergie de Naval Group, notamment un changement de directeur à la mi-octobre.

      Naval Energies justifie la fin de ses investissements dans l’hydrolien par un « décalage entre l’offre technologique et la demande du marché » et dénonce « le système de subventions qui n’apporte pas d’aides directes aux constructeurs pendant les phases de développement », ne permettant pas à l’industrie de « financer seule » le développement de ce secteur.

      « L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) n’a prévu que 100 à 150 MW installés d’ici 2028, soit 50 turbines de 2 MW dans dix ans », a indiqué le groupe. OpenHydro, la start-up irlandaise en charge spécifiquement de l’hydrolien pour Naval Energies, a été placée en redressement judiciaire. Navale Energies, entreprise spécialisée dans les énergies marines renouvelables, est détenue à 60 % par Naval Group (ex DCNS) et à 34 % par le fonds SPI de Bpifrance.

  • L’affaire Benalla, une revanche pour « l’ancien monde »

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/07/28/l-affaire-benalla-une-revanche-pour-l-ancien-monde_5336968_823448.html

    Relégués, ringardisés et parfois méprisés par la jeune majorité LRM depuis un an, les représentants de l’opposition se délectent aujourd’hui des difficultés du pouvoir.

    Une atmosphère électrique. Le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, déroule ses arguments, point par point, depuis plus de deux heures et demie. Dans les sous-sols du Sénat, la climatisation fonctionne mais les esprits s’échauffent. L’audition du bras droit du président de la République, jeudi 26 juillet, est l’une des plus attendues de la commission d’enquête sénatoriale sur l’affaire Benalla, qui empoisonne l’exécutif depuis plus d’une semaine.

    Fatigué, les mains jointes devant le visage, Alexis Kohler tente de créer un moment de complicité avec le président de la commission, Philippe Bas. Le sénateur Les Républicains (LR) de la Manche est l’un de ses lointains prédécesseurs à l’Elysée. C’était sous Jacques Chirac. Une éternité. « Vous avez occupé la fonction que j’ai l’honneur d’occuper… », commence l’actuel secrétaire général de l’Elysée. La réponse tombe, cinglante : « C’était la préhistoire et l’ancien monde. Je veux bien reconnaître qu’il y ait des différences… »

    Dans la salle Clemenceau du Sénat, où se succèdent les auditions de la commission d’enquête, un ange passe… « La démocratie, c’est le pouvoir des poux de manger des lions », philosophait le Tigre. Aujourd’hui, les « poux » se régalent des déboires de ceux qui jouent aux « lions » depuis plus d’un an.

    En 2017, les jeunes fauves ont brutalement supplanté et ringardisé les partis politiques traditionnels et les élus de tout bord, qu’ils ont eu tôt fait de reléguer sous le vocable peu flatteur d’« ancien monde ». Multipliant les leçons d’exemplarité, La République en marche (LRM) a assommé, désorienté, et rendu inaudibles les tenants de l’ordre d’avant. En quelques jours, l’affaire Benalla a permis à ces derniers de se refaire une santé. Députés de l’opposition, anciens ministres, parlementaires déchus se délectent aujourd’hui des petites et grandes misères de la Macronie, tout en pensant tenir une forme de revanche.

    Le Sénat, « the place to be »

    Le retour en grâce du Sénat en est une illustration. Réputée poussiéreuse, inutile, cette chambre qui travaille dans l’ombre est le refuge des vieux élus et l’incarnation de l’art consommé du compromis politique. D’habitude désertée par les journalistes, c’est aujourd’hui « the place to be ». Là que se déroulent les auditions les plus attendues, celles qui ont été refusées par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, contrôlée par LRM. Ici que sont entendus les piliers du régime, Alexis Kohler ou encore Christophe Castaner, le délégué général de LRM.

    Ici encore que, de l’avis général, le travail est le plus appliqué, le plus serein. Au point même que certains députés viennent en prendre de la graine. Jeudi matin, Marine Le Pen y joue ainsi les invités surprise, assise en tribune, dans le public, pour écouter M. Kohler. Même La France insoumise (LFI) est prise en flagrant délit de défense de la vieille chambre. « Je suis sous le choc, je défends des institutions bourgeoises et parlementaires de la Ve République alors que je suis trotskiste ! », a ironisé la députée (LFI) de Paris Danièle Obono. « Pour le Sénat, c’est inespéré », glisse un député LR pas tout à fait « nouveau monde ».

    Inespéré aussi le sursaut à l’Assemblée nationale, où les groupes de l’opposition retrouvent des couleurs. Un petit livre rouge et bleu est devenu le symbole de leur revanche : le règlement de l’Assemblée nationale. C’est grâce à cet objet, brandi dans l’Hémicycle 298 fois en quatre jours pour signaler un « rappel au règlement », que les députés de droite et de gauche ont pu paralyser les débats plusieurs jours d’affilée. L’obstruction, cette bonne vieille combine parlementaire.

    La majorité a dû céder, laissant l’opposition s’engouffrer dans la brèche. Coup sur coup, celle-ci a obtenu l’ouverture d’une enquête parlementaire, la publicité des auditions, et, finalement, le 22 juillet, l’ajournement de la réforme des institutions. Le texte, qui avait fait l’unanimité contre lui à l’Assemblée nationale, est repoussé sine die. Première victime collatérale de l’affaire Benalla.

    Une même scène se répète, à la buvette ou dans les couloirs. Un député de la majorité veut savoir : « C’est pas bientôt fini ce cirque ? » Avant de se voir rétorquer : « Ça fait un an qu’on en prend plein la tronche, c’est pas maintenant qu’on va vous lâcher ! » Suspecte hier, l’expérience est redevenue désirable. Aux élections législatives de juin 2017, les Français avaient plébiscité la nouveauté, installant des centaines de novices au Palais-Bourbon. Dans une crise, l’épaisseur politique donne pourtant l’avantage.

    « Il est frappant de voir autant d’amateurs au mètre carré, raille le chef de file de LFI, Jean-Luc Mélenchon. Ils ne comprennent rien à l’Etat et à la gestion de crise. » « Ils sont nuls, nuls, nuls !, s’écrie de son côté un ancien ministre de droite. Ce n’était quand même pas très compliqué de nous renvoyer au SAC [Service d’action civique] de [Charles] de Gaulle ! » « Les députés de la majorité ont été tellement abandonnés par leurs cadres que l’opposition n’avait pas besoin d’être dotée d’un sens élevé de la stratégie pour renverser la vapeur », analyse le député communiste de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu.

    « Ça remet la balle au centre »

    Quoi qu’il en soit, plus personne à LRM n’ose critiquer l’ancien monde. « Il faut savoir s’appuyer sur l’expérience de ceux qui ont un passé politique », concède la députée (LRM) de l’Isère Emilie Chalas. Cette querelle des anciens et des modernes s’est parfaitement incarnée dans le face-à-face entre les deux corapporteurs de la commission d’enquête parlementaire consacrée à l’affaire Benalla, Yaël Braun-Pivet (LRM) et Guillaume Larrivé (LR). Les deux députés ont tenté de porter ensemble la commission, en vain. La néophyte n’a jamais réussi à prendre l’ascendant sur le conseiller d’Etat, qui a fini par claquer la porte, jetant le discrédit sur la commission.

    « Quand vous avez subi un an d’arrogance, sans expérience, sans recul historique et sans analyse politique, et que vous arrivez à renverser les choses, ce n’est pas que ça fait plaisir, mais ça remet la balle au centre », se gargarise encore Stéphane Peu. Pour se défendre, certains macronistes comme Emilie Chalas dénoncent « une soif de vengeance, des frustrations et des jalousies ». Les plus expérimentés des députés LRM le reconnaissent toutefois : un « flottement » s’est installé dans la majorité en début de crise. « Les députés d’opposition ont été malins et ils ont eu raison », concède l’une d’entre eux.

    « Attention à l’effet boomerang »

    Face à la majorité, les ténors de l’opposition s’affichent ostensiblement ensemble, se congratulent ou s’applaudissent. Drôle de concorde. Danièle Obono (LFI), Marine Le Pen (Rassemblement national, ex-FN) et Philippe Gosselin (LR) dénoncent ainsi côte à côte devant les caméras le « coup de force » de la majorité, qui a notamment voulu imposer sa liste de personnes auditionnées par la commission d’enquête.

    Ici, M. Mélenchon et Christian Jacob (LR) sont immortalisés en pleine conversation dans l’Hémicycle par une députée LRM. Là, le même Mélenchon se promène avec le député souverainiste de l’Essonne Nicolas Dupont-Aignan dans les couloirs du Palais-Bourbon. « Quand il s’agit de protéger l’Etat et de faire respecter la norme républicaine, il y a une convergence avec la droite, je l’assume », répond le président du groupe LFI.

    « Ils sont goguenards et ravis. Ils rongent l’os qu’on leur a donné à manger et ils vont le tirer jusqu’à la ficelle », analyse le député (MoDem) des Yvelines Bruno Millienne, avant d’avertir ses collègues : « Attention à l’effet boomerang, les Français vont se lasser. » « S’ils ne comptent que là-dessus pour se relégitimer, c’est la démonstration de la pauvreté de leur projet politique », lâche à son tour la députée (LRM) des Yvelines Aurore Bergé. « Comme s’il n’y avait pas eu [Patrick] Balkany et [Jérôme] Cahuzac », grommelle une autre députée LRM, renvoyant les partis d’opposition à leurs propres turpitudes.

    « Finalement le nouveau monde est très ancien ! »

    Le feuilleton de l’affaire Benalla apparaît encore plus savoureux pour ceux qui ont été mis hors jeu en 2017, à la faveur de l’alternance. « Je n’ai même pas besoin de regarder la télévision, je suis sur ma chaise longue et tout me parvient par SMS ! », s’amuse Jean-Christophe Cambadélis, depuis son lieu de vacances. « Il y a une forme de jubilation quand on voit que le président de la République combine en une seule affaire à la fois Cahuzac [l’ancien ministre du budget avait menti sur son compte en Suisse] et Leonarda [du nom de cette jeune Kosovare dont François Hollande avait tranché le sort, devant les caméras] », pouffe encore l’ancien premier secrétaire du PS.

    D’anciens conseillers du pouvoir, qui ont connu M. Macron à Bercy, se délectent eux aussi du feuilleton. La moindre information est partagée, diffusée et commentée dans des groupes de discussion sur l’application WhatsApp.

    « A chaque nouveau rebondissement, après chaque révélation, chaque contradiction, on s’envoie le même GIF [courte vidéo], se marre l’un d’entre eux, Michael Jackson dans un cinéma mâchouillant du pop-corn en regardant avidement la scène. »
    Du passage de l’actuel chef de l’Etat au ministère des finances, sous le précédent quinquennat, ces ex-conseillers ont gardé un fond de rancune qui éclaire, pour eux, l’épisode Benalla d’une lumière savoureuse. « Comme du temps de Bercy, la garde rapprochée d’Emmanuel Macron est sur un piédestal », commente l’un d’eux, sans cacher son étonnement : « Comment quelqu’un d’aussi minutieux a-t-il pu laisser un truc pareil se faire, ses collaborateurs se contredire [au sein de la commission d’enquête] ? Finalement le nouveau monde est très ancien ! »

    « Ce sera la tache du quinquennat »

    La Sarkozie non plus n’en rate pas une miette. Entre une séance de jardinage et son départ en vacances, l’ancien ministre Brice Hortefeux ne se lasse pas de commenter l’« affaire de l’Elysée ». « Cela restera un marqueur du quinquennat. Il y a toujours des taches, mais il y a les indélébiles. Celle-ci en sera une. Ce sera la tache du quinquennat », observe-t-il.

    En revanche, les deux anciens chefs de l’Etat, François Hollande et Nicolas Sarkozy, sont restés prudemment en retrait. Sans rien rater des événements, ils savent que toute intervention de leur part pourrait leur être reprochée. Le président de LR, Laurent Wauquiez, s’est lui aussi tenu à l’écart du feuilleton ; Brice Hortefeux lui a conseillé de « prendre de la hauteur ». Et de commencer à préparer le coup d’après.

    Cette crise, ce sont finalement les routiers de la politique qui en parlent le mieux. Dans le « vieux monde » socialiste, on se raconte ce que François Mitterrand aurait dit un jour à propos de Laurent Fabius qui, dans les années 1980, incarnait alors le « nouveau monde ». « Il y a deux singes. Celui qui reçoit des décharges électriques tous les jours, ce qui finit par être indolore : c’est l’ancien monde. Et il y a un autre singe, celui qui n’en prend jamais. Alors, quand il en prend une, il meurt. »

  • À Calais, les violences policières contre les migrants se poursuivent malgré les protestations
    https://www.bastamag.net/A-Calais-les-violences-policieres

    À Calais et alentours, les candidats à l’exil vers l’Angleterre continuent à installer des campements de fortune en attendant de réussir à traverser la Manche. Éparpillés dans les dunes, ils survivent dans des conditions extrêmement précaires et doivent faire face à un niveau élevé de harcèlement policier. Destruction de téléphones, fonctionnaires qui urinent sur les tentes, matériel de camping jeté dans l’eau ... les associations présentes sur le terrain rapportent des témoignages effarants. Reportage. (...)

    #Décrypter

    / #Atteintes_aux_libertés, #Migrations, #Droits_fondamentaux, A la une

  • Macron lance la privatisation d’ADP, de la FDJ et d’Engie - Les Echos
    https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/0301810333080-le-gouvernement-donne-le-feu-vert-aux-privatisations-2183346.

    L’Etat a finalement décidé la cession de ses participations dans ADP (ex-Aéroports de Paris), la Française des Jeux et Engie. Le gouvernement veut en profiter pour relancer l’actionnariat populaire.

    Mais on ne te cause que du « live » de Macron où il déblatère en roue libre... histoire de te permettre d’être choqué. Mais comme on n’est pas certain que ça passera sans difficulté, on ajoute un mot à propos de « l’actionnariat populaire »... dont on cause depuis le tunnel sous la Manche et l’Emprunt Russe, mais dont on peine à voir l’intérêt pour les dindons qui s’y sont laissés prendre par le passé.