Article très caractéristique de l’alignement confessionnel dans les médias français quand on évoque le Liban : Liban : une armée accusée d’être à la solde du Hezbollah
▻http://www.lepoint.fr/monde/liban-une-armee-accusee-d-etre-a-la-solde-du-hezbollah-23-04-2015-1923551_24
Au premier abord, et malgré un titre épouvantable, l’article peut sembler de qualité, avec des témoignages et des sources sécuritaires, etc. Le problème, c’est que l’aspect confessionnel est le seul qui est réellement donné.
– Le plan de sécurité est, une fois de plus, déconnecté des jeux politiciens, et notamment des magouilles du Futur à Tripoli - encore cette semaine, révélations sur le rôle de Amid Hammoud :
▻http://seenthis.net/messages/361396
– Pas grande mention de la pauvreté scandaleuse de ces endroits : scandaleuse en particulier parce que les politiciens « défenseurs des sunnites » de la région sont, eux, milliardaires (ou magouilleurs millionnaires – quelqu’un a parlé de Rifi ?). Tout le monde aime faire mine d’ignorer que manipuler les (très) pauvres à base de foutaises confessionnelles est le sport favori des élites libanaises (les accusations de « gauchisme » surgissent rapidement quand on le rappelle – je suppose que ça va se transformer prochainement en accusations de « sociologisme »…)
– Classiquement : après avoir cité le maire d’un village dont 1000 habitants sont soldats ou FSI (c’est énorme), on retient la « dizaine » de défections au niveau national pour invoquer « un malaise bien ancré dans la communauté sunnite ». Dans un seul village, on aurait 999 soldats et FSI, disons une unique défection, alors on retient pour le lecteur français l’aspect confessionnel du seul gugusses qui s’est cassé. C’est bien pratique (et, comme toujours dans ces conditions, le confessionnalisme #ça_marche_à_tous_les_coups)
« À Masha, nous avons 1 000 habitants qui sont soldats ou dans les forces de sécurité », clame le maire du village, Zakaria al-Zohbi, précisant que le Akkar est le principal réservoir d’hommes pour l’armée libanaise. « La plupart des gens ici aiment l’armée », affirme-t-il. L’armée, il est vrai, jouit d’une bonne réputation au Liban. Si des sources sécuritaires et militaires ont affirmé au Point que ces défections étaient minoritaires - une dizaine -, elles sont néanmoins représentatives d’un malaise bien ancré dans la communauté sunnite.
– Dans la même logique : s’il y a eu une dizaine de défections, alors il faudrait peut-être signaler qu’il y a beaucoup plus de soldats (de toutes confessions, beaucoup de ces régions) qui ont « quitté » le service parce qu’ils ont été tués ou enlevés par des miliciens… sunnites. C’est toujours ce non-dit bien pratique : le Hezbollah n’a pas attaqué l’armée ni enlevé (ni décapité) des soldats. (Et pour rester dans ce sens, rappeler que dans un système confessionnel, les gens finissent immanquablement par être beaucoup plus rackettés, volés, tués, humiliés… par les miliciens de leur propre communauté que par les autres communautés. Le gloubiboulga sur le Hezbollah à Tripoli, après…)
– Une fois qu’on est dans la grille de lecture confessionnelle, on y reste, quitte à omettre les précisions de nature justement confessionnelles qui font s’effondrer l’édifice : le plan de sécurité a été mis en place au retour de Saad Hariri (sunnite), sur ordre de l’Arabie séoudite (sunnite), mis en place par le ministre de l’intérieur Nohad Machrouk (sunnite) et soutenu par le ministre de la justice Ashraf Rifi (sunnite). Dans les régions majoritairement sunnites, ce sont les FSI (et non l’armée) qui interviennent – les FSI largement considérées comme sunnites et inféodées au 14 Mars (Ashraf Rifi était leur patron jusqu’à très récemment).
Du coup, faire un article concernant largement le « plan de sécurité » pour mettre en avant les accusations selon lesquelles l’armée serait inféodée au Hezbollah, c’est largement passer à côté du sujet et/ou accepter de l’aligner sur les alibis confessionnels habituels qu’on sert justement aux pauvres. Bon, c’est évidemment le petit jeu que jouent les 14 Mars locaux, après avoir pendant des années joué avec le feu milicien, confessionnel (et social, tout le principe reposant sur le fait que des familles ultra-pauvres doivent se sentir « protégées » par le milliardaire local de leur confession, et haïr les gens qui seraient exactement dans la même situation sociale qu’eux, mais d’une autre confession – il est vital qu’un sunnite qui vit avec 2 dollars par jours se sente plus proche du milliardaire qui vit dans les palaces à Paris et ne ressente rigoureusement aucune proximité avec son voisin alaouite qui vit aussi avec 2 dollars par jours, de l’autre côté de la rue de la Syrie à Tripoli).
En fait, depuis un an, je pense qu’une partie du « ressentiment » (ou du « sentiment d’injustice ») est provoqué non par les questions sectaires, mais plus directement par le fait que ce sont ceux qui ont orchestré et manipulé les milices de Tripoli qui, désormais, organisent leur répression. Voir, il y a un an exactement, ce que devenaient les « enfants de Rifi :
▻http://seenthis.net/messages/255343
En termes sectaires, comme indiqué ci-dessus, il s’agirait essentiellement d’une question « entre » sunnites. L’habillage sectaire, avec les accusations d’inégalité de traitement, sert d’alibi à cela, et d’ailleurs Rifi et Machnouk jouent ouvertement à ce jeu. Le fait est que le 8 Mars, également favorable à ce « plan de sécurité », n’insiste plus trop sur cet aspect (pour une large partie, ce sont « les enfants de Rifi », ou « les enfants de Hammoud », qui sont reprimés par la justice de… Rifi). Et donc fleurissent ces articles qui ne mettent en avant que le contexte confessionnel.