person:claire rodier

    • Et pour rappel, ce texte paru dans @vacarme en juin 2016

      Migrants et réfugiés : quand dire, c’est faire la politique migratoire

      À partir de la polémique soulevée par Barry Malone sur la chaîne Al Jazeera visant à substituer au terme générique de migrants celui de réfugiés, « plus approprié pour nommer des personnes qui fuient la guerre et arrivent en masse en Europe », Cécile Canut propose une traversée des transformations et reformulations des mots utilisés pour qualifier la migration qui mettent à jour le durcissement des positions et les soubassements des choix politiques à l’œuvre, lesquels barrent toujours plus l’accès à la complexité des subjectivités individuelles, des trajectoires et de leurs causes pour construire des catégories d’êtres humains homogènes déterminées par « le même ». Nommer c’est toujours faire exister rappelle-t-elle, d’où l’importance de cette attention à la bataille des mots et aux questionnements profonds qu’ils ouvrent.

      Le 20 août 2015, la chaîne Al Jazeera, par le biais d’un de ses collaborateurs, Barry Malone, lançait une petite bombe médiatico-communicationnelle en publiant sur son blog un article intitulé « Why Al Jazeera will not say Mediterranean “migrants” ? », article mis en mots et en images le lendemain, à travers un débat télévisuel proposé par la même chaîne : « Migrants or refugees ? Thousands fleeing conflict in desperation have been undermined by language used by the media to describe their plight » [1]. Ce texte, tweeté et retweeté, a circulé sur les réseaux sociaux avant de faire une entrée fracassante dans les espaces médiatiques européens les jours qui ont suivi, suscitant de multiples débats jusqu’au début du mois de septembre.

      La polémique visait à substituer au terme générique de « migrants » celui de « réfugiés », plus « approprié » pour nommer des personnes qui fuient la guerre et arrivent en masse en Europe. L’accusation portée contre les gouvernements européens, le parti pris affiché pour les réfugiés et la dimension prescriptive impliquée par la décision du directeur des informations d’Al Jazeera de ne plus utiliser le terme « migrants », ont non seulement engagé une querelle nommée « sémantique » mais ont surtout eu un effet performatif immédiat : tous les médias ou presque ont modifié leurs pratiques langagières en privilégiant le terme « réfugiés ». Contrairement à d’autres, cette polémique ne s’est donc pas limitée à une querelle byzantine au sein du microcosme médiatique.
      Un soudain souci de « sémantique »

      Cet événement de parole est tout d’abord le révélateur d’un questionnement profond sur le processus de catégorisation des êtres humains dans nos sociétés, questionnement qui s’inscrit dans une longue histoire du sens, et dont bien des auteurs ont rendu compte, depuis les penseurs grecs jusqu’aux plus récents philosophes. Le langage n’est pas le filtre transparent d’un réel immédiat, les mots et les énoncés cristallisent bien au contraire un ensemble de connotations, de positionnements subjectifs et d’orientations sociales et politiques dont les locuteurs sont toujours responsables, même lorsque qu’à leur insu ils reprennent les significations et les catégorisations imposées par d’autres, ce que l’on attribue en analyse du discours à l’interdiscours ou encore au dialogisme [2]. Si le coup de force d’Al Jazeera a été de rappeler cette évidence au grand public, sa décision de ne plus employer le terme « migrants » renvoie pourtant à une approche supposée objective du langage : l’argument central de la démonstration de Barry Malone repose en effet sur l’idée que le terme « réfugiés » est mieux en rapport avec le réel ; il est plus juste en ce qu’il rend compte de ce que vivent des millions de personnes fuyant la guerre : des personnes demandant refuge et devant être traitées comme des victimes. En imposant un des sens du terme « réfugiés », ou plus exactement en revenant à une signification oblitérée en Europe, la chaîne vient contrer un autre sens, celui-ci plus récent et plus restrictif, issu de la Convention de Genève (1951), elle-même ratifiée par cent-quarante-cinq états membres des Nations unies, et visant à définir le « réfugié » non seulement en considération de son état de victime de régimes politiques, mais en vertu d’un statut obtenu suite à une « demande d’asile ».

      Si la définition est valable dans les deux cas, la condition pour acquérir le statut de réfugié est d’apporter la preuve de ces persécutions ou menaces par le biais d’une demande administrative très souvent longue et laborieuse. Ainsi que le rappelle Karen Akoka [3], le passage d’une approche collective visant la situation politique des États jusqu’aux années 1970, à une mise en cause individuelle de ceux que l’on va alors nommer les « demandeurs d’asile », montre à quel point le lien permanent aux conditions politiques de gestion de la migration, c’est-à-dire à sa mise en œuvre pratique, par l’Ofpra notamment, conduit sans cesse à de nouvelles catégories et de nouvelles définitions de ces mêmes catégories.

      Al Jazeera s’engage ainsi de manière frontale dans la lutte des significations, et par conséquent dans la lutte politique des questions migratoires européennes ; par le biais de cette injonction, elle rappelle à l’Europe ses obligations : celles d’accueillir toute personne persécutée sans conditions mises à cette humanité. La fin de l’article de Barry Malone indique que ce choix est bien évidemment lui-même orienté, puisqu’il a pour but de défendre et de parler au nom de ces personnes démunies, notamment dénuées du pouvoir de dire qui elles sont et ce qu’elles font, c’est-à-dire privées d’un vrai pouvoir de parole : At this network, we try hard through our journalism to be the voice of those people in our world who, for whatever reason, find themselves without one. Migrant is a word that strips suffering people of voice. Substituting refugee for it is — in the smallest way — an attempt to give some back [4]. Redonner une voix aux sans-voix, telle est l’ambition affichée.

      En cette fin d’été 2015, un léger vent de panique s’est répandu sur les médias français. Quel mot utiliser ? Comment se positionner face à cette décision partout adoptée au prétexte de sa bienveillance vis-à-vis des victimes de la guerre ? Les journalistes français entraînés malgré eux dans le débat se sont tournés immédiatement vers les chercheurs susceptibles, en tant qu’experts supposés, de détenir la clé du problème. Sans délai, les principaux quotidiens de l’Hexagone ont donc pris part aux débats par le biais d’articles donnant largement la parole auxdits spécialistes. Toutefois, les problèmes « sémantiques » étaient loin de se régler, ils se compliquaient même, cette polémique mettant finalement en cause les pratiques des chercheurs. Ainsi, un jeune journaliste du Nouvel Observateur, après une série de questions sur les mots de la migration, en est venu à la question qu’il brûlait de me poser : quel est le mot qu’il faut utiliser ? Autrement dit : quel est le meilleur mot ? Alors que toute utilisation d’un terme dépend de son contexte, des interlocuteurs en présence, de ses conditions de production sociale, politique voire subjective, la réponse à une telle question est bien entendu impossible. Pour autant, le journaliste ne renonçait pas à cet impératif en intitulant son article : « Doit-on les appeler “migrants” ou “réfugiés” ? ». L’injonction à une supposée fidélité à la vérité objective persistait même si, au cours du texte, la fluctuation des significations et l’instrumentalisation politique des catégories étaient évoquées.

      Au-delà de cet épisode médiatique, dont on aura pu observer les soubresauts ici ou là au cours de l’année 2015 et encore en ce début 2016, il importe ici de revenir sur la circulation des significations données par les uns et les autres, à différents niveaux d’instances de parole, afin de comprendre comment se reconstruit à un moment donné l’hétérogénéité du sens et de ses interprétations. La question n’est pas seulement de savoir pourquoi le terme « réfugié » s’est imposé dans les discours médiatiques, en parallèle ou au détriment du terme « migrants », mais de comprendre ce que font les locuteurs (quels qu’ils soient : politiques, journalistes, chercheurs ou simples citoyens) quand ils commentent leurs mots et leurs discours pour, notamment, justifier leurs pratiques. Dans le cadre de la politique migratoire européenne en particulier, que font les locuteurs quand ils choisissent de discourir sur les catégories de migrants, réfugiés, exilés, sans-papiers, clandestins, etc. ? Pourquoi cet empressement à choisir un seul terme englobant qui viendrait dire un réel bien complexe ou au contraire en exclure d’autres trop embarrassants ?

      Au bout de cette traversée des transformations et reformulations, de la migration, il convient d’observer que l’ensemble de ces débats a finalement entériné une opposition politique déjà à l’œuvre depuis bien longtemps [5], mais qui s’exporte dans les média au début de l’année 2015 entre « migrants économiques » et « réfugiés politiques », les premiers rejetés automatiquement de l’espace Schengen, les autres finalement accueillis en Europe (au moins durant l’année 2015).

      Rappelons tout d’abord que le mot « réfugiés » a désigné au départ les protestants chassés de France après la révocation de l’édit de Nantes. Toutefois, le terme de plus en plus controversé au XIXe siècle a pris de l’ampleur au début du XXe siècle alors que les conflits austro-prussiens jetaient des milliers de civils sur les routes, particulièrement les populations juives de l’Est. Poussés par le marasme économique, les pogroms et les discriminations subis ensuite en Russie, 2,5 millions de Juifs s’exilèrent à l’Ouest, jusqu’aux heures sombres d’une Europe voyant Juifs et Tsiganes fuir le nazisme dès les années 1930 non seulement vers l’Europe mais vers le continent américain. La politisation de la question des réfugiés s’est élaborée après la guerre au niveau international, par le biais des Nations unies, avec notamment la Convention de Genève en 1951 qui fixe alors institutionnellement le sens du terme « réfugié ».

      Si pendant les années d’après-guerre, la France a accueilli des Espagnols, des Italiens, des Polonais, des Portugais, si elle est même allée chercher des travailleurs dans ses anciennes colonies pour des raisons économiques, la catégorisation visant à dissocier ces derniers des travailleurs français a commencé autour des années 1970. La cristallisation de ce changement politique a pris forme avec l’utilisation d’un terme nouveau : « immigrés ». Faisant référence dans un premier temps au champ du travail (« travailleurs immigrés [6] »), ce terme s’est imposé dans les débats publics, politiques, juridiques et médiatiques afin de dissocier l’ensemble homogénéisé des « immigrés » et celui des « étrangers » puis des « Français de souche », expression importée de l’extrême droite [7] dès la fin des années 1970. La politique migratoire, à partir des années 1980, a opéré une différenciation entre les critères de définition : alors que la notion d’« étranger » est juridique, celle d’« immigré » renvoie à une entité socio-culturelle qui aboutit progressivement à une ethnicisation des étrangers venus du Maghreb et d’Afrique en général. Bien souvent de nationalité française, « l’immigré » fait l’objet de discours et de mesures spécifiques de par son origine questionnant de fait son appartenance réelle à la France. Dès 1986, la modification législative de l’entrée de séjour par le ministère de l’Intérieur a engagé cette nouvelle catégorie dans le champ policier. Suspectés, les « immigrés » ont dès lors constitué une catégorie générique appréhendée comme douteuse pour la nation, ce que les termes « clandestins » ou « illégaux » sont venus renforcer.

      Il n’est plus possible d’envisager les individus dans leur devenir, selon leurs trajectoires et leurs subjectivités, et encore moins selon une approche sociale telle qu’elle existait jusqu’alors dans les milieux professionnels.

      Parallèlement à ce glissement des critères, les travailleurs concernés ont vu leur demande de régularisation entravée. Dans les années 1972-1973, ils ont commencé à se mobiliser en se nommant eux-mêmes « travailleurs sans-papiers ». Cette expression est apparue lors des premières protestations aux circulaires Marcelin-Fontanet (1972) qui mettaient fin aux régularisations automatiques. Véritable « label militant », cette dénomination s’est opposée à la catégorie « travailleurs immigrés », faisant référence à l’ensemble des étrangers, impliquant même les déboutés du droit d’asile. Du côté des médias, des marqueurs identitaires (couleurs de la peau, origine géographique, religion, culture…) ont de plus en plus déterminé les catégorisations légitimées par les discours politiques du Front national, repris à droite puis à gauche (« clandestins », « immigrés illégaux », « Arabes », « Maghrébins », « Africains », « musulmans ») et ont constitué un facteur de sélection des candidats à l’immigration : les visas d’entrée ont dès lors été distribués de manière variable selon les pays concernés de sorte qu’en France, comme dans l’ensemble de l’Europe, on en vienne à une prise en charge de cette question par les ministères de l’Intérieur et de la Justice au détriment des ministères des Affaires sociales ou de l’Emploi, et que soit attesté un changement de régime discursif et de pratiques politiques. Au-delà de l’essentialisation des étrangers, assignés à leur différence — ce que les expressions « deuxième génération », « troisième génération », etc. font perdurer —, le processus d’homogénéisation par le biais de ces catégories est croissant : il n’est plus possible d’envisager les individus dans leur devenir, selon leurs trajectoires et leurs subjectivités, et encore moins selon une approche sociale telle qu’elle existait jusqu’alors dans les milieux professionnels. Au contraire, il s’agit de lui substituer des catégories de pensée visant à construire des groupes homogènes uniquement déterminés par le même, une origine ethnique et un héritage culturel, pour toute identité. Ce nouvel ordre du discours assure en fait un régime d’existence uniquement fondé sur l’appartenance, valable pour tous (« Français de souche », « Français d’ailleurs », « immigrés », « clandestins », etc.), associé à une série d’euphémisations : « gens venus d’ailleurs », « gens d’origine étrangère », « gens d’autres cultures »… On bascule ainsi d’une appréhension des citoyens, définis en fonction de leur appartenance à un régime de droits, à une stigmatisation fondée sur des critères d’appartenance telle que définie par le pays dit « d’accueil ». Qu’ils soient Français ou non importe peu : ils ne le seront jamais vraiment.

      L’année 1996 a vu naître le rapport parlementaire sur « l’immigration clandestine » qui s’est concrétisé en octobre par le projet de loi « Jean-Louis Debré » imposant notamment les certificats d’hébergement. Puis le durcissement des lois a abouti, malgré les protestations, à la loi Chevènement définitivement adoptée en mars 1998. Les années 2000, quant à elles, ont infléchi les oppositions en fonction des nécessités économiques du pays selon une logique ultralibérale : en parallèle à la construction des centres de rétention et à la multiplication des reconduites à la frontière, le gouvernement Sarkozy a engagé de manière explicite une action de tri des populations pour favoriser ce qu’il a cru bon de nommer une « immigration choisie » supposément réparatrice des torts de l’« immigration subie ». Il ne s’est plus agi d’accueillir des personnes désireuses de venir en France mais d’endiguer les « flux migratoires à la source », par le biais d’un ensemble de mesures dissuasives de surveillance aux frontières de l’Europe. Le tout-puissant dispositif géré par Frontex — agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne — s’est doté d’un nombre considérable de nouvelles expressions (« contrôle de l’immigration illégale », « force de réaction rapide [RABITs] », « directive de retour », « centre de rétention », etc.) et de nouveaux outils de contrôle et de coercition (Eurosur, Eurodac, Système d’Information Schengen [SIS], Visa Information System [VIS], Système d’entrée-sortie, European Initiative on Integrates Return Management [EURINT], etc.).

      C’est dans ce contexte socio-discursif rapidement tracé que l’arrivée de Syriens, d’Irakiens et d’Afghans, mais aussi d’Érythréens et de Soudanais en grand nombre constitue pour les gouvernants une « crise migratoire ». Ajoutés à tous ceux qui, bloqués aux frontières, attendent souvent depuis longtemps l’entrée dans la « forteresse Europe », ces derniers font l’objet de violences et de réactions de rejet avant d’être finalement acceptés. Pour Al Jazeera comme pour le HCR (Haut Comité aux Réfugiés), il importe alors de faire une distinction entre ces futurs demandeurs d’asile, fuyant la guerre et les persécutions, et les « immigrés économiques ».
      La politique des catégories performatives

      La nécessité de questionner les mots pour comprendre les réalités migratoires ne date pas de l’été 2015. La supposée alternative entre « migrants » et « réfugiés » s’est pourtant progressivement constituée comme sujet de débat avec l’arrivée des personnes fuyant la guerre par la « route des Balkans ». Ainsi, France Info s’interrogeait dès le 29 mai 2015 : « Migrants ou réfugiés : où est la frontière ? ». Carine Fouteau, spécialisée dans les questions migratoires à Mediapart, faisait paraître le 12 août 2015 un article intitulé « Réfugiés, intrusion, hotspots : le nouveau lexique des migrations ». En rappelant qu’aucun mot n’est neutre mais toujours investi « de significations singulières liées au contexte actuel », la journaliste mettait en garde quant au poids des médias et des politiques dans le façonnage et les représentations des opinions publiques. Elle faisait état de ce qui devient un enjeu politique majeur, le changement de connotation pris par le terme « migrants », longtemps utilisé par les chercheurs comme un terme « générique », englobant (« tout individu se déplaçant d’un lieu à un autre »), devenu un moyen pour « disqualifier les personnes ne relevant a priori pas de l’asile ». En accentuant cette opposition, les responsables politiques mettent ainsi en compétition les demandeurs d’asile et les « migrants économiques », ces derniers « perçus comme indésirables » étant « destinés à être renvoyés dans leur pays d’origine ». Une constellation de termes négatifs (« intrusion », « effraction », « flux », « vagues », « flots de migration », « traite », « passeurs », « trafiquants », « mafieux ») décrivent les migrants qui deviennent alors l’objet d’une gestion managériale (« points de fixation », « hot spots », « clef de répartition », « quotas », « centres de tri », « centres d’attente »…) performant une logique de sélection. Il s’agit de mettre en œuvre le partage engagé aux frontières tel qu’annoncé dès le 17 juin par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, au conseil des ministres.

      La polémique lancée par Al Jazeera, si elle prend acte de la charge « péjorative » attribuée au terme « migrants » devenu synonyme de « nuisance », ne dénonce pas cette logique de tri déjà en place aux frontières. Le texte semble même s’en accommoder : Barry Malone cite les nationalités (Afghans, Syriens, Irakiens, Libyens, Érythréens, Somaliens) pour lesquelles il faut utiliser « réfugiés » afin de ne pas les confondre avec des « migrants économiques ». S’il ne dit rien des autres nationalités, les « migrants économiques », il entérine une distinction que personne ne va plus questionner, excepté quelques chercheurs.

      L’emballement compassionnel qui s’est emparé de tous les médias et réseaux sociaux au cours de l’été 2015 et plus particulièrement début septembre lors de la diffusion de la photo du petit Alan Kurdi, explique en partie l’adoption du terme « réfugiés » contre celui de « migrants ». Il s’est agi dans un premier temps de s’opposer aux discours « de haine » prononcés en Europe, notamment par le ministre anglais des Affaires étrangères Philip Hammond ou David Cameron lui-même [8], et des pratiques de violence à l’égard des personnes dans les Balkans. C’est contre les « discours infamants » et une politique européenne inhumaine que s’insurgent alors les journalistes d’Al Jazeera ainsi qu’ils le décrivent dans la présentation de l’émission du 21 août 2015.

      Au-delà de l’empathie suscitée par cette accusation, le découpage implicite entre les « bons » et les « mauvais » arrivants et la possibilité de chasser les uns (plus noirs, peu qualifiés…) au profit des autres (plus blancs, plus compétitifs…) se sont révélés efficaces pour entériner la politique du tri déjà effective : il suffisait donc de mettre les mots sur les choses, de nommer plus clairement ce qui existait pour le rendre acceptable, et pourquoi pas souhaitable.

      Des journaux comme Le Monde [9], Le Figaro ou Libération, des radios comme France Culture ou Europe 1 se sont focalisés sur les usages linguistiques, certains rappelant la difficulté de diluer le sens juridique de « réfugiés », d’autres insistant sur le sens péjoratif du participe présent « migrant » réduisant les personnes « à une errance ». Sollicités, les spécialistes des questions migratoires ont été parfois bien ennuyés puisqu’ils utilisent, comme les militants, le terme « migrants » depuis longtemps dans leurs travaux [10]. L’injonction à n’utiliser qu’un seul terme a toutefois été remise en cause par Claire Rodier rappelant que le terme « migrants » s’était imposé pour éviter de hiérarchiser les « exilés », afin de ne pas enfermer « les gens dans des cases ». Plus encore, Danièle Lochak a mis en garde : « Nous avons toujours refusé de les distinguer. »

      Les nuances apportées par les chercheurs n’y ont rien fait, la préconisation d’Al Jazeera a été relayée par Libération (« Ne plus dire migrants mais réfugiés [11] ») comme par Le Figaro. Ce dernier est même allé plus loin en criminalisant les « migrants » par le biais d’une réorientation du débat : « Réfugiés ou clandestins », éditorial d’Yves Thréard. L’objectif était bien clair : « La générosité envers les réfugiés politiques n’est concevable que si la plus grande fermeté est opposée aux clandestins économiques », énoncé repris par France 24. Chez chacun, la multiplicité des usages des « termes imparfaits » est symptomatique d’une recherche d’objectivité visant à contourner les partis pris idéologiques déterminant les choix. La plupart de ces glossaires s’appuient en fait sur la Charte de Rome, document élaboré par la Fédération internationale des journalistes avec le HCR, dans lequel les définitions sont orientées vers une valorisation des « réfugiés ». Les « migrants » y sont systématiquement appréhendés par la négative : « des personnes qui se déplacent pour des motifs qui ne sont pas inclus dans la définition légale de ce qu’est un réfugié », ou qui « choisissent de s’en aller non pas en raison d’une menace directe de persécution ou de mort, mais surtout afin d’améliorer leur vie en trouvant du travail… » « Point de vue du HCR : “réfugié” ou “migrant” ? Quel est le mot juste ? », l’organisme hiérarchise définitivement l’opposition entre les arrivants, et use de son statut d’organisation internationale pour infléchir les catégories de pensée. Le poids de ce discours dans l’espace politique et médiatique est sans précédent, ce que les chercheurs Jurgen Carling [12] et Judith Vonberg [13] dénoncent avec virulence, tout comme Olivier Adam s’insurge contre le « tri sélectif » qui entraîne une « diabolisation mécanique » des migrants. L’opposition ainsi tracée entre deux catégories qui regroupent grosso modo les Syriens, Irakiens et Afghans d’un côté et les Africains de l’autre, n’est donc pas sans liens avec l’élaboration des politiques migratoires et son imposition dans l’espace social. Ce débat sémantique occulte au fond un partage entre les êtres humains qui ne comptent pour rien, les « sans-part » (Rancière) : ceux qui peuvent encore prétendre à la vie parce qu’ils sont bons à recycler dans les économies du capitalisme tardif, et ceux dont la mort n’importe décidément plus, et que l’on n’hésite pas à abandonner au sort funeste qui est le leur aux portes de l’Europe, selon une logique du tri [14] devenue impitoyable.
      Façonner les esprits, diriger les conduites

      Tout au long de cette bataille pour les mots, jamais la parole n’est donnée aux exilés/migrants/demandeurs d’asiles eux-mêmes, qui peuvent dans certains cas préférer d’autres termes, comme « exilés », « voyageurs » ou « aventuriers [15] ». Au contraire, le monopole de la nomination est toujours assuré par ceux qui détiennent le monopole de la domination institutionnelle et médiatique et parlent au nom des autres.

      La réalité vécue est toujours très complexe, et il n’existe aucune possibilité de différencier les personnes en fonction d’un critère unique : « C’est toujours un ensemble de choses qui poussent les gens à partir sur la route. »

      Les rhétoriques affichées comme objectives, et élaborées sur des oppositions binaires, dissimulent habilement des partis pris politiques dont les effets sur les intéressés sont d’une rare efficacité. La définition sur le modèle du dictionnaire supposé neutre est une des formes de dissimulation privilégiée. Toutefois, plus que d’espérer, comme le souhaite Jørgen Carling, que le terme « migrants » puisse encore faire office de terme générique englobant, ce qui supposerait de sortir le langage des relations de pouvoir, il convient plutôt de suivre attentivement les méandres des significations et resignifications des énoncés en fonction des instances énonciatrices afin de comprendre les enjeux politiques qui innervent nos sociétés. Aucun mot ne viendra dire le réel, construit justement par les discours : nommer c’est toujours faire exister, dire c’est toujours faire. En ce sens, la moralisation qui s’instaure actuellement dans l’appréhension des personnes arrivant en Europe est symptomatique d’un changement de conception mais reste tributaire des exigences utilitaristes de l’économie libérale. Comme le rappelle Virginie Guiraudon, « rien ne dit qu’un jour prochain les indésirables soient les réfugiés, et les migrants économiques les étrangers “utiles”. C’est donc bien le débat qui est mal posé, puisque pour le patronat allemand par exemple, « les réfugiés actuels sont une chance pour l’économie allemande [et] pour qui le mot-valise “réfugié économique” signifie force de travail motivée et à forte valeur ajoutée » [16].

      La réalité vécue est toujours très complexe, et il n’existe aucune possibilité de différencier les personnes en fonction d’un critère unique : « C’est toujours un ensemble de choses qui poussent les gens à partir sur la route [17]. » À rebours de cette exigence, les médias et les politiques n’envisagent nullement de restituer cette complexité : les catégories visent au contraire à orienter la lecture de ce qui est en train d’arriver, à donner à interpréter selon des grilles, des angles de vue, des perspectives. La bataille n’est pas sémantique au sens où des définitions existeraient en dehors des enjeux politiques et sociaux : c’est une bataille discursive où le discours s’élabore selon un certain « ordre » (Foucault). Faire la généalogie de ces discours est le seul moyen de comprendre comment le sens fait advenir le réel, alors qu’il le construit socialement et politiquement. Il ne s’agit donc ni de langue, ni de linguistique et encore moins de définition de dictionnaire : il s’agit de lieux et de moments de parole qui entrent en lutte les uns avec les autres. C’est ainsi que, concernant cette séquence médiatique, le HCR a clairement imposé son point de vue au détriment par exemple de la définition générique des Nations unies.

      Si les personnes qui arrivent en France ne sont ni des réfugiés, ni des migrants, puisque chaque situation est spécifique, les catégories réifiées et binaires ne nous sont d’aucun secours. Choisir les mots pertinents en fonction des situations, des devenirs, des histoires de vie, des trajectoires, des subjectivités relève toutefois de la gageure. L’historicisation de ces phénomènes devient alors primordiale afin de reconstituer les interdiscours. Si, en 1905, l’Angleterre adoptait les Aliens Acts instituant déjà la différence entre « réfugiés politiques » et « migrants économiques », les derniers glossaires institutionnels des mots de la migration sont actuellement en train d’escamoter le terme « intégration ». Ainsi, alors que la mise en catégorie des étrangers est une vieille histoire européenne, il semble aujourd’hui que l’impératif de réciprocité et le souci d’hospitalité, malgré tout présents dans le projet d’intégration, soient même portés à s’effacer de nos pratiques sociales : sombre présage qui ferait d’un étranger un individu ayant vocation à s’identifier, à s’oublier… ou bien à disparaître.

      https://vacarme.org/article2901.html

  • L’Europe au pied des #murs
    https://viaoccitanie.tv/leurope-au-pied-des-murs

    Avec Stéphane Rosière, Claire Rodier, Laetitia Sedoux entre autre, et des images intéressante de mon terrain de recherche à Melilla

    L’Europe au pied des murs

    Près de 30 ans après la chute du rideau de fer, l’UE ferme ses frontières. À travers leur documentaire, Nicolas Dupuis et Elsa Putelat interrogent la politique européenne de repli sur soi.

    Plus de 55 murs-frontières déchirent la planète, emprisonnent des populations et éloignent les hommes les uns des autres. L’Espagne, la Grèce, la Bulgarie, maintenant la Hongrie, la France à Calais, et bientôt l’Ukraine ferment leurs frontières extérieures par un mur. L’actualité migratoire a encore accéléré le rythme de construction de ces fortifications et renforcé les contrôles.

    Des centaines de milliers de caméras, de capteurs, des équipements de plus en plus coûteux et techniques, des milliers d’hommes pour surveiller, et bien sûr des milliards d’euros dépensés. Malgré tous ces murs, l’Europe voit arriver plusieurs milliers de réfugiés chaque mois. Alors pourquoi continuer à les construire ?

    #frontières #europe

  • France Inter | Réfugiés, migrants : mythes et réalités avec Claire Rodier
    https://asile.ch/2018/11/05/france-inter-refugies-migrants-mythes-et-realites-avec-claire-rodier

    https://asile.ch/wp/wp-content/uploads/2018/11/CLaire_rodier_migrants_réfugiés_2018.jpg

    Claire Rodier est juriste au Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés), co-fondatrice du réseau euro-africain Migreurop, et travaille plus particulièrement sur les politiques européennes d’immigration et d’asile. Au cours de cette courte interview sur France inter, elle revient sur l’actualité européenne du droit d’asile pour déconstruire des contre-vérités. Elle nous alerte sur le […]

  • 15 personnes poursuivies pour avoir tenté d’empêcher le décollage d’un charter de 57 expulsés (Ghana et Nigeria) en se couchant sur le tarmac (voir End Deportation latest newsletter : https://us16.campaign-archive.com/?u=ae35278d38818677379a2546a&id=6be6b043c3)
    –-> reçu via la mailing-list Migreurop par Claire Rodier.

    #Stansted_15 : Amnesty to observe trial amid concerns for anti-deportation activists

    Amnesty considers the 15 to be human rights defenders

    ‘We’re concerned the authorities are using a sledgehammer to crack a nut with this case’ - Kate Allen

    Amnesty International will be observing the trial of 15 human rights defenders set to go on trial at Chelmsford Crown Court next week (Monday 1 October) relating to their attempt to prevent what they believed was the unlawful deportation of a group of people at Stansted airport.

    The protesters - known as the “#Stansted 15” - are facing lengthy jail sentences for their non-violent intervention in March last year.

    Amnesty is concerned that the serious charge of “endangering safety at aerodromes” may have been brought to discourage other activists from taking non-violent direct action in defence of human rights. The organisation has written to the Director of the Crown Prosecution Service and the Attorney General calling for this disproportionate charge to be dropped.

    The trial is currently expected to last for approximately six weeks.

    Kate Allen, Amnesty International UK’s Director, said:

    “We’re concerned the authorities are using a sledgehammer to crack a nut with this case.

    “Public protest and non-violent direct action can often be a key means of defending human rights, particularly when victims have no way to make their voices heard and have been denied access to justice.

    “Human rights defenders are currently coming under attack in many countries around the world, with those in power doing all they can to discourage people from taking injustice personally. The UK must not go down that path.”

    https://www.amnesty.org.uk/press-releases/stansted-15-amnesty-observe-trial-amid-concerns-anti-deportation-activis

    #avion #déportation #renvois #expulsions #UK #Angleterre #résistance #procès #migrations #asile #réfugiés #frontières

    –---

    voir aussi la métaliste sur la #résistance de #passagers (mais aussi de #pilotes) aux #renvois_forcés :
    https://seenthis.net/messages/725457

    • The Stansted protesters saved me from wrongful deportation. They are heroes

      The ‘Stansted 15’ face jail for stopping my flight from taking off. They helped me see justice – and the birth of my daughter

      I’ll never forget the moment I found out that a group of people had blocked a charter deportation flight leaving Stansted airport on 28 March 2017, because I was one of the people that had a seat on the plane and was about to be removed from Britain against my will. While most of those sitting with me were whooping with joy when they heard the news, I was angry. After months in detention, the thought of facing even just one more day in that purgatory filled me with terror. And, crucially, I had no idea then of what I know now: that the actions of those activists, who became known as the Stansted 15, would help me see justice, and save my life in Britain.
      Stansted 15 convictions a ‘crushing blow for human rights in UK’
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      I first arrived in Britain in 2004 and, like so many people who come here from abroad, built a life here. As I sat in that plane in Stansted last year I was set to be taken “back” to a country that I had no links to. Indeed there is no doubt in my mind that had I been deported I would have been destitute and homeless in Nigeria – I was terrified.

      Imagine it. You’ve lived somewhere for 13 years. Your mum, suffering with mobility issues, lives there. Your partner lives there. Two of your children already live there, and the memory of your first-born, who died at just seven years old, resides there too. Your next child is about to be born there. That was my situation as we waited on the asphalt – imagining my daughter being born in a country where I’d built a life, while I was exiled to Nigeria and destined to meeting my newborn for the first time through a screen on a phone.

      My story was harsh, but it’s no anomaly. Like many people facing deportation from the United Kingdom, my experience with the immigration authorities had lasted many years – and for the last seven years of living here I had been in a constant state of mental detention. A cycle of Home Office appeals and its refusal to accept my claims or make a fair decision based on the facts of my case saw me in and out of detention and permanently waiting for my status to be settled. Though the threat of deportation haunted me, it was the utter instability and racial discrimination that made me feel like I was going mad. That’s why the actions of the Stansted 15 first caused me to be angry. I simply didn’t believe that their actions would be anything more than a postponement of further pain.

      My view isn’t just shaped by my own experience. My life in Britain has seen me rub along with countless people who find themselves the victims of the government’s “hostile environment” for migrants and families who aren’t white. Migration and deportation targets suck humanity from a system whose currency is the lives of people who happen to be born outside the UK. Such is the determination to look “tough” on the issue that people are rounded up in the night and put on to brutal, secretive and barely legal charter flights. Most take off away from the public eye – 60 human beings shackled and violently restrained on each flight, with barely a thought about the life they are dragged away from, nor the one they face upon arrival.
      Stansted 15 activists vow to overcome ‘dark, dark day for the right to protest’
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      I was one of the lucky few. My removal from the plane gave me two life-changing gifts. The first was a chance to appeal to the authorities over my deportation – a case that I won on two separate occasions, following a Home Office counter-appeal. But more importantly the brave actions of the Stansted 15 gave me something even more special: the chance to be by my partner’s side as she gave birth to our daughter, and to be there for them as they both needed extensive treatment after a complicated and premature birth. Without the Stansted 15 I wouldn’t have been playing football with my three-year-old in the park this week. It’s that simple. We now have a chance to live together as a family in Britain – and that is thanks to the people who lay down in front of the plane.

      On Monday the Stansted 15 were found guilty of breaching a barely used terror law. Though the jury were convinced that their actions breached this legislation, there’s no doubt in my mind that these 15 brave people are heroes, not criminals. For me a crime is doing something that is evil, shameful or just wrong – and it’s clear that it is the actions of the Home Office that tick all of these boxes; the Stansted 15 were trying to stop the real crime being committed. As the Stansted 15 face their own purgatory – awaiting sentences in the following weeks – I will be praying that they are shown leniency. Without their actions I would have missed my daughter’s birth, and faced the utter injustice of being deported from this country without having my (now successful) appeal heard. My message to them today is to fight on. Your cause is just, and history will absolve you of the guilt that the system has marked you with.

      https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/dec/10/stansted-15-protesters-deportation

    • Regno Unito, quindici attivisti rischiano l’ergastolo per aver bloccato la deportazione di migranti

      La criminalizzazione della solidarietà non riguarda solo l’Italia, con la martellante campagna contro le Ong che salvano vite nel Mediterraneo. In Francia sette attivisti rischiano 10 anni di carcere e 750mila euro di multa per “associazione a delinquere finalizzata all’immigrazione clandestina”. Nel Regno Unito altri quindici rischiano addirittura l’ergastolo per aver bloccato nella notte del 28 marzo 2017 nell’aeroporto di Stansted la deportazione di un gruppo di migranti caricati in segreto su un aereo diretto in Nigeria.

      Attivisti appartenenti ai gruppi End Deportations, Plane Stupid e Lesbian and Gays Support the Migrants hanno circondato l’aereo, impedendone il decollo. Come risultato della loro azione undici persone sono rimaste nel Regno Unito mentre la loro domanda di asilo veniva esaminata e due hanno potuto restare nel paese. Nonostante il carattere nonviolento dell’azione, il gruppo che ha bloccato l’aereo è finito sotto processo con accuse basate sulla legge anti-terrorismo e se giudicato colpevole rischia addirittura l’ergastolo. Il verdetto è atteso la settimana prossima.

      Membri dei movimenti pacifisti, antirazzisti e ambientalisti si sono uniti per protestare contro l’iniquità delle accuse. Amnesty International ha espresso la preoccupazione che siano state formulate per scoraggiare altri attivisti dall’intraprendere azioni dirette nonviolente in difesa dei diritti umani. Il vescovo di Chelmsford, la cittadina dove si tiene il processo, si è presentato in tribunale per esprimere il suo appoggio agli imputati. La primavera scorsa oltre 50 personalità, tra cui la leader dei Verdi Caroline Lucas, la scrittrice e giornalista Naomi Klein, il regista Ken Loach e l’attrice Emma Thompson hanno firmato una lettera in cui chiedono il ritiro delle accuse contro i “Quindici di Stansted” e la fine dei voli segreti di deportazione.

      Nel Regno Unito questa pratica è iniziata nel 2001. Molte delle persone deportate hanno vissuto per anni nel paese; vengono portate via dai posti di lavoro, in strada o dalle loro case, rinchiuse in centri di detenzione, caricate in segreto su voli charter notturni e inviate in paesi che spesso non conoscono e dove rischiano persecuzioni e morte. Alcuni non vengono preavvisati in tempo per ricorrere in appello contro la deportazione. “Il nostro è stato un atto di solidarietà umana, di difesa e resistenza contro un regime sempre più brutale” ha dichiarato un’attivista.


      https://www.pressenza.com/it/2018/12/regno-unito-quindici-attivisti-rischiano-lergastolo-per-aver-bloccato-la-
      #UK #Angleterre #solidarité #délit_de_solidarité #criminalisation #asile #migrations #réfugiés #expulsions

    • Activists convicted of terrorism offence for blocking Stansted deportation flight

      Fifteen activists who blocked the takeoff of an immigration removal charter flight have been convicted of endangering the safety of Stansted airport, a terrorism offence for which they could be jailed for life.

      After nearly three days of deliberations, following a nine-week trial, a jury at Chelmsford crown court found the defendants guilty of intentional disruption of services at an aerodrome under the 1990 Aviation and Maritime Security Act, a law passed in response to the 1988 Lockerbie bombing.

      The court had heard how members of the campaign group End Deportations used lock-on devices to secure themselves around a Titan Airways Boeing 767 chartered by the Home Office, as the aircraft waited on the asphalt at the airport in Essex to remove undocumented immigrants to Nigeria, Ghana and Sierra Leone.

      The prosecution argued that their actions, which led to a temporary shutdown of Stansted, had posed a grave risk to the safety of the airport and its passengers.

      The verdict came after the judge Christopher Morgan told the jury to disregard all evidence put forward by the defendants to support the defence that they acted to stop human rights abuses, instructing jurors to only consider whether there was a “real and material” risk to the airport.

      In legal arguments made without the jury present, which can now be reported, defence barristers had called for the jury to be discharged after Morgan gave a summing up which they said amounted to a direction to convict. The judge had suggested the defendants’ entry to a restricted area could be considered inherently risky.

      Human rights organisations and observers had already expressed concerns over the choice of charge, which Kate Allen, the UK director of Amnesty International, likened to “using a sledgehammer to crack a nut”. Responding to the verdict on Monday, Gracie Bradley, policy and campaigns manager at Liberty, called the verdict a “grave injustice” and a “malicious attack” on the right to peaceful protest.

      Dr Graeme Hayes, reader in political sociology at Aston University, was one of a team of academics who observed the trial throughout. The only previous use of the 1990 law he and colleagues were able to find was in 2002 when a pilot was jailed for three years after flying his helicopter straight at a control tower.

      “This is a law that’s been brought in concerning international terrorism,” he said. “But for the last 10 weeks [of the trial], we’ve heard what amounts to an extended discussion of health and safety, in which the prosecution has not said at any point what the consequences of their actions might have been.”

      In a statement released by End Deportations after the verdict, the defendants said: “We are guilty of nothing more than intervening to prevent harm. The real crime is the government’s cowardly, inhumane and barely legal deportation flights and the unprecedented use of terror law to crack down on peaceful protest.

      The protest took place on the night of 28 March 2017. The activists cut a hole in the airport’s perimeter fence, the court heard. Jurors were shown footage from CCTV cameras and a police helicopter of four protesters arranging themselves around the front landing gear of the aircraft and locking their arms together inside double-layered pipes filled with expanding foam.

      Further back, a second group of protesters erected a two-metre tripod from scaffolding poles behind the engine on the left wing on which one of them perched while others locked themselves to the base to prevent it from being moved, the videos showed. In the moments before police arrived, they were able to display their banners, one of which said: “No one is illegal.”

      Helen Brewer, Lyndsay Burtonshaw, Nathan Clack, Laura Clayson, Mel Evans, Joseph McGahan, Benjamin Smoke, Jyotsna Ram, Nicholas Sigsworth, Alistair Temlit, Edward Thacker, Emma Hughes, May McKeith, Ruth Potts and Melanie Stickland, aged 27 to 44, had all pleaded not guilty.

      They will be sentenced at a later date.


      https://www.theguardian.com/uk-news/2018/dec/10/activists-convicted-of-terror-offence-for-blocking-stansted-deportation

    • Stansted 15: no jail for activists convicted of terror-related offences

      Judge says group ‘didn’t have a grievous intent as some may who commit this type of crime’.

      Fifteen activists convicted of a terrorism-related offence for chaining themselves around an immigration removal flight at Stansted airport have received suspended sentences or community orders.

      The judge decided not to imprison them after he accepted they were motivated by “genuine reasons”.

      Amid an outcry over what human rights defenders branded a heavy-handed prosecution, the group, who have become known as the Stansted 15, were convicted last December of endangering the safety of an aerodrome.

      They had broken into Stansted airport’s “airside” area in March 2017 and chained themselves together around a Boeing 767 chartered by the Home Office to deport 60 people to Nigeria, Ghana and Sierra Leone. After a 10-week trial a jury found them guilty of the charge – an offence that carries a potential life sentence.
      We in the Stansted 15 have been treated like terrorists
      Emma Hughes
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      At Chelmsford crown court on Wednesday, Judge Christopher Morgan QC, dismissed submissions in mitigation that the group should receive conditional discharges for the direct action protest, which briefly paralysed the airport, saying they did not reflect the danger that had been presented by their actions.

      He said such action would “ordinarily result in custodial sentences”, but that they “didn’t have a grievous intent as some may do who commit this type of crime”. The mood in the court had lightened considerably at the start of the hearing when Morgan said that he did not consider the culpability of any of the defendants passed the threshold of an immediate custodial sentence.

      The heaviest sentences were reserved for three of the group who had been previously convicted of aggravated trespass at Heathrow airport in 2016.

      Alistair Tamlit and Edward Thacker were sentenced on Wednesday to nine months in jail suspended for 18 months, along with 250 hours of unpaid work. Melanie Strickland was sentenced to nine months suspended for 18 months, with 100 hours of unpaid work.

      Benjamin Smoke, Helen Brewer, Lyndsay Burtonshaw, Nathan Clack, Laura Clayson, Mel Evans, Joseph McGahan, Jyotsna Ram, Nicholas Sigsworth, Emma Hughes and Ruth Potts were each given 12-month community orders with 100 hours of unpaid work, while May McKeith received a 12-month community order with 20 days of rehabilitation.

      In mitigation, Dexter Dias QC said it should be taken into account that all acted to try to help individuals they perceived to be in danger. “The reason they wanted to prevent [the flight’s] departure is that they believed the welfare and safety of some of the people on that flight was at risk,” he said.
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      “In those circumstances the court historically in this country have considered that conscientious motivations offer quite significant mitigation.”

      Dias pointed out that 11 of those who had been due to be deported to west Africa that night remain in the country, including two of whom there were reasons to believe were victims of human trafficking, and two who were subsequently found to have been victims of human trafficking. “One of them had been raped and forced into sex work in several European cities,” he said.

      Kirsty Brimelow QC, who appeared to have been specially recruited for the mitigation after not acting for any defendant during the trial, told Morgan he must balance the defendants’ rights to protest and free association against the harm their actions caused the airport.

      Brimelow last year acted for three fracking protesters whose sentences were overturned by the court of appeal as “manifestly excessive”. She continually referred to that case as she told Morgan that he must consider the “proportionality” of the sentences.

      The defendants emerged from the court to a rousing reception from hundreds of supporters who had spent the day protesting outside. Tamlit said he was “relieved that’s over”.

      “It’s been a gruelling process,” he said. “The flight that went this morning [to Jamaica] put things in perspective. We might have been in jail tonight but people could have visited us and we would have eventually been released.

      “Not going to jail is a partial victory but we are going to keep campaigning to end charter flights, immigration detention and the hostile environment.”

      McKeith’s mother, Ag, said she was pleased at the relatively lenient sentence. But, she said she felt they ought not to have been convicted at all. “Despite the judge’s stern account, it’s simply not true that they endangered anybody at the airport,” she said. “The only people who were in danger were the people on the plane. I watched the trial all the way through and watched the prosecution trying to spin straw into gold, and they didn’t convince me.”

      Graeme Hayes, reader in political sociology at Aston University, who observed the entire trial, said: “Although the defendants have not got the custodial sentence, the bringing of a terrorism-related charge against non-violent protesters is a very worrying phenomenon. It’s so far the only case [of its type] in the UK, and points to a chilling of legitimate public dissent.”

      The defendants have already filed an appeal against their convictions. Raj Chada, of Hodge, Jones & Allen, represented most of them. “We will be studying the judgment carefully to review whether there are any issues that need to be brought up in the appeal,” he said.

      “It’s striking that nowhere was there any endangerment of individuals identified.”

      https://www.theguardian.com/global/2019/feb/06/stansted-15-rights-campaigners-urge-judge-to-show-leniency?CMP=Share_An

    • Stansted deportation flight protesters have convictions quashed

      Group of 15 activists were prosecuted under anti-terror laws for blocking immigration removal flight in 2017

      Fifteen anti-deportation activists who were prosecuted under counter-terror legislation for blocking the takeoff of an immigration removal flight from Stansted airport have had their convictions quashed.

      In a judgment handed down by the court of appeal on Friday afternoon, the lord chief justice, Lord Burnett of Maldon, said: “The appellants should not have been prosecuted for the extremely serious offence under section 1(2)(b) of the 1990 Act because their conduct did not satisfy the various elements of the offence.

      “There was, in truth, no case to answer.”

      The ruling came more than two years after the 15 protesters were convicted following a nine-week trial of endangering the safety of an aerodrome, an offence under the 1990 Aviation and Maritime Security Act that carries a maximum sentence of life in prison.

      It was the first time the terror-related offence, passed in 1990 in response to the Lockerbie bombing, had been used against peaceful protesters.

      The defendants said they were relieved by the decision. May MacKeith, 35, said that the time from their arrest in 2017 to Friday’s ruling put into perspective the experiences of people caught in the UK’s hostile environment immigration system.

      “It was frightening,” she said. “But all along, despite the draconian charge, we knew that our actions were justified. We’ve never doubted that the people on that plane should never have been treated that way by our government.” Of those due to be deported on the flight, 11 were still in the UK, with three granted leave to remain.

      In their appeal, lawyers for the defence argued the legislation used to convict the group was not only rarely used but also was not intended for the kinds of peaceful actions undertaken by their clients. They said the prosecution stretched the meaning of the law by characterising the lock-on equipment they used to blockade the runway as devices used to endanger life.

      Weighing the argument, Burnett said in his judgment: “The closure of the runway was undoubtedly disruptive and expensive, but there was no evidence that it resulted in likely endangerment to the safety of the aerodrome or of persons there.

      “The [deployment] of an unspecified number of police officers when the terrorist threat was severe may have increased the risks within the terminal, but there was no evidence to enable an inference to be drawn that endangerment was likely.

      “There may have been a slightly enhanced risk of a police officer slipping en route to the aircraft, but it would stretch both language and common sense to say that there was likely endangerment, both in terms of the probability of this happening and the seriousness of the consequences if it did happen.”

      Burnett added: “Both the crown’s case and the summing-up collapsed the distinction between risk and likely danger and treated the offence as if it were akin to a health and safety provision.”

      The defendants, all members of the group Stop Deportations, had taken part in a peaceful action that stopped a chartered deportation flight to Nigeria, Ghana and Sierra Leone from taking off on 28 March 2017. Members of the group cut a hole in the airport’s perimeter fence before rushing on to the apron at Stansted.

      Four protesters arranged themselves around the front landing gear of the aircraft, locking their arms together inside double-layered pipes filled with expanding foam. Further back, a second group of protesters erected a 2-metre tripod from scaffolding poles behind the engine on the left wing. One of them perched on top of the makeshift structure, while others locked themselves to the base to prevent it from being moved.

      In the moments before police arrived they were able to display banners, including one that said: “No one is illegal.”

      Although members of the group received suspended sentences or community orders, UN human rights experts wrote to the UK government expressing concern over the application of “security and terrorism-related legislation to prosecute peaceful political protesters and critics of state policy”.

      On Friday, rights groups including Amnesty International and Liberty welcomed the ruling. But Raj Chada of Hodge Jones & Allen, who represented the defendants, said questions remained as to why the then attorney general, Jeremy Wright, had authorised the use of the charge in the first place.

      He said: “It does make me uncomfortable that a British cabinet minister has authorised a terror charge against political opponents, that the lord chief justice has decided is completely inappropriate. The appellants should be told, why was this charge used in this way? What information did the attorney general have?”

      https://www.theguardian.com/uk-news/2021/jan/29/stansted-deportation-flight-protesters-have-convictions-quashed

    • Stansted 15: Activists who stopped migrant deportation flight have convictions overturned

      Lord Chief Justice says demonstrators have ‘no case to answer’ for offences they were charged with

      A group of activists who stopped a deportation flight leaving Stansted airport have had their convictions overturned by the Court of Appeal.

      They had been prosecuted following a protest in March 2017, where they ultimately prevented a charter flight that was due to deport 60 individuals to Africa.

      The group, known as the Stansted 15, were initially charged with aggravated trespass but the charge was changed to endangering safety at a public airport.

      All defendants denied the offence at trial, and said they were “guilty of nothing more than intervening to prevent harm” to migrants on board the plane.

      On Friday, the Lord Chief Justice, Lord Burnett, sitting with Mr Justice Jay and Ms Justice Whipple, overturned all 15 demonstrators’ convictions.

      Lord Burnett said the protesters “should not have been prosecuted for the extremely serious offence ... because their conduct did not satisfy the various elements of the offence. There was, in truth, no case to answer.”

      The judgment said the offence they were charged with was intended for “conduct of a different nature” after the campaigners’ lawyers told the Court of Appeal the offence used was related to terrorism and had been created in the wake of the 1988 Lockerbie bombing.

      May MacKeith, a member of the Stansted 15, said almost four years of legal proceedings “should never have happened”.

      “But for many people caught up in the UK immigration system the ordeal lasts much, much longer,” she added.

      “The nightmare of this bogus charge, a 10 week trial and the threat of prison has dominated our lives for four years. Despite the draconian response we know our actions were justified.”

      Raj Chada of Hodge Jones and Allen Solicitors, who represented the Stansted 15, said the case should be a matter of “great shame” to the Crown Prosecution Service (CPS) and attorney general.

      “Both have questions to answer as to why they authorised such an unprecedented charge,” he added.

      “Amnesty International adopted the 15 as human rights defenders, Liberty intervened in the case and even the UN, through their special rapporteurs, expressed concern, yet the case went forward.”

      In March 2017, the defendants cut through the perimeter fence of Stansted airport in Essex and used pipes to lock themselves together around a plane.

      The Boeing 767 had been chartered by the Home Office to remove 60 people to Nigeria, Ghana and Sierra Leone, and was stationary on the airport’s apron.

      The trial heard the defendants believed the deportees were at risk of death, persecution and torture if they were removed from Britain, and many were asylum seekers.

      Campaigners said that 11 of the 60 passengers remain in the UK, and included victims of human trafficking.

      The protesters, who all pleaded not guilty, were convicted in December 2018 of the intentional disruption of services at an aerodrome under the Aviation and Maritime Security Act 1990.

      A judge at Chelmsford Crown Court handed three defendants, who had previous convictions for aggravated trespass at airports, suspended prison terms and gave 12 defendants community sentences.

      Judge Christopher Morgan said alleged human rights abuses, immigration policy and proportionality did not have “any relevance” to whether a criminal offence had been committed.

      “In normal circumstances only a custodial sentence would have been justified in this case, but I accept that your intentions were to demonstrate.”

      United Nations human rights experts raised concern over the case and warned the British government against using security-related laws against protesters and critics.

      “We are concerned about the application of disproportional charges for what appears to be the exercise of the rights to peaceful and non-violent protest and freedom of expression,” a statement said in February 2019.

      “It appears that such charges were brought to deter others from taking similar peaceful direct action to defend human rights, and in particular the protection of asylum seekers.”

      The group received high-profile support from MPs and public figures, including the Bishop of Chelmsford.

      An open letter signed by dozens of politicians and academics in September condemned the practice of “secret deportation flights”, which came into renewed focus following the Windrush scandal.

      Amnesty International said the case was part of a Europe-wide trend of volunteers and activists being criminalised for helping migrants.

      Kate Allen, Amnesty International UK’s director, said the Court of Appeal ruling was a “good day for justice”.

      “The Stansted 15 will take their place in the history books as human rights defenders who bravely brought injustices perpetrated by the state into the light,” she added.

      “This case should never have been brought and there must be lessons learnt for how we treat human rights defenders in this country.”

      Lana Adamou, a lawyer for the Liberty human rights group, called the charges “an attack on our right to express dissent”.

      “All too often it is the most marginalised in society, and those acting in solidarity with them, who bear the brunt of over-zealous policing and crackdowns on protest, making it even more important for the government to take steps to facilitate protest and ensure these voices are heard, rather than find ways to suppress them,” she added.

      At November’s Court of Appeal hearing, lawyers for the activists told the court the legislation used to convict the 15 is rarely used and not intended for a protest case.

      In documents before the court, the Stansted 15’s barristers argued it was intended to deal with violence of the “utmost seriousness”, such as terrorism, rather than risks of “a health and safety-type nature” posed by those who have trespassed at an airport.

      Lawyers for the group also argued that the attorney general – who is required to sign off on the use of the legislation – should not have granted consent for the law to be used in this case, that the crown court judge made errors in summing up the case and in directions given to the jury.

      Barristers representing the CPS had said the convictions are safe and that the trial judge was correct.

      Tony Badenoch QC told the court: “We don’t accept that the act is constrained to terrorism and nothing else.”

      A CPS spokesperson said: “We will consider the judgment carefully in the next 28 days.”

      The 15 are: #Helen_Brewer, 31; #Lyndsay_Burtonshaw, 30; #Nathan_Clack, 32; #Laura_Clayson, 30; #Melanie_Evans, 37; #Joseph_McGahan, 37; #Benjamin_Smoke, 21; #Jyotsna_Ram, 35; #Nicholas_Sigsworth, 31; #Melanie_Strickland, 37; #Alistair_Tamlit, 32; #Edward_Thacker, 31; #Emma_Hughes, 40; #May_McKeith, 35; and #Ruth_Potts, 46.

      https://www.independent.co.uk/news/uk/crime/stansted-15-deportation-flight-convictions-appeal-b1794757.html

  • De #Frontex à Frontex. À propos de la “continuité” entre l’#université logistique et les processus de #militarisation

    S’est tenu à l’Université de Grenoble, les jeudi 22 et vendredi 23 mars 2018, un colloque organisé par deux laboratoires de recherche en droit [1], intitulé « De Frontex à Frontex [2] ». Étaient invité.e.s à participer des universitaires, essentiellement travaillant depuis le champ des sciences juridiques, une représentante associative (la CIMADE), mais aussi des membres de l’agence Frontex, du projet Euromed Police IV et de diverses institutions européennes, dont Hervé-Yves Caniard, chef des affaires juridiques de l’agence Frontex et Michel Quillé, chef du projet Euromed Police IV.

    Quelques temps avant la tenue du colloque, des collectifs et associations [3], travaillant notamment à une transformation des conditions politiques contemporaines de l’exil, avaient publié un tract qui portait sur les actions de Frontex aux frontières de l’Europe et qui mettait en cause le mode d’organisation du colloque (notamment l’absence de personnes exilées ou de collectifs directement concernés par les actions de Frontex, les conditions d’invitation de membres de Frontex et Euromed Police ou encore les modes de financement de l’université). Le tract appelait également à un rassemblement devant le bâtiment du colloque [4].

    Le rassemblement s’est donc tenu le 22 mars 2018 à 15h, comme annoncé dans le tract. Puis, vers 16h, des manifestant.e.s se sont introduit.e.s dans la salle du colloque au moment de la pause, ont tagué « Frontex tue » sur un mur, clamé des slogans anti-Frontex. Après quelques minutes passées au fond de la salle, les manifestant.e.s ont été sévèrement et sans sommation frappé.e.s par les forces de l’ordre. Quatre personnes ont dû être transportées à l’hôpital [5]. Le colloque a repris son cours quelques temps après, « comme si de rien n’était » selon plusieurs témoins, et s’est poursuivi le lendemain, sans autres interventions de contestations.

    Au choc des violences policières, se sont ajoutées des questions : comment la situation d’un colloque universitaire a-t-elle pu donner lieu à l’usage de la force ? Plus simplement encore, comment en est-on arrivé là ?

    Pour tenter de répondre, nous proposons de déplier quelques-unes des nombreuses logiques à l’œuvre à l’occasion de ce colloque. Travailler à élaborer une pensée s’entend ici en tant que modalité d’action : il en va de notre responsabilité universitaire et politique d’essayer de comprendre comment une telle situation a pu avoir lieu et ce qu’elle dit des modes de subjectivation à l’œuvre dans l’université contemporaine. Nous proposons de montrer que ces logiques sont essentiellement logistiques, qu’elles sont associées à des processus inhérents de sécurisation et de militarisation, et qu’elles relient, d’un point de vue pratique et théorique, l’institution universitaire à l’institution de surveillance des frontières qu’est Frontex.


    Une démarche logistique silencieuse

    Chercheur.e.s travaillant depuis la géographie sociale et les area studies [6], nous sommes particulièrement attentifs au rôle que joue l’espace dans la formation des subjectivités et des identités sociales. L’espace n’est jamais un simple décor, il ne disparaît pas non plus complètement sous les effets de sa réduction temporelle par la logistique. L’espace n’est pas un donné, il s’élabore depuis des relations qui contribuent à lui donner du sens. Ainsi, nous avons été particulièrement attentifs au choix du lieu où fut organisé le colloque « De Frontex à Frontex ». Nous aurions pu nous attendre à ce que la faculté de droit de l’Université de Grenoble, organisatrice, l’accueille. Mais il en fut autrement : le colloque fut organisé dans le bâtiment très récent appelé « IMAG » (Institut de Mathématiques Appliquées de Grenoble) sur le campus grenoblois. Nouveau centre de recherche inauguré en 2016, il abrite six laboratoires de recherche, spécialisés dans les « logiciels et systèmes intelligents ».

    L’IMAG est un exemple de « zone de transfert de connaissances laboratoires-industries [7] », dont le modèle a été expérimenté dans les universités états-uniennes à partir des années 1980 et qui, depuis, s’est largement mondialisé. Ces « zones » se caractérisent par deux fonctions majeures : 1) faciliter et accélérer les transferts de technologies des laboratoires de recherche vers les industries ; 2) monétiser la recherche. Ces deux caractéristiques relèvent d’une même logique implicite de gouvernementalité logistique.

    Par « gouvernementalité logistique », nous entendons un mode de rationalisation qui vise à gérer toute différence spatiale et temporelle de la manière la plus ’efficace’ possible. L’efficacité, dans ce contexte, se réduit à la seule valeur produite dans les circuits d’extraction, de transfert et d’accumulation des capitaux. En tant que mode de gestion des chaînes d’approvisionnement, la logistique comprend une série de technologies, en particulier des réseaux d’infrastructures techniques et des technologies informatiques. Ces réseaux servent à gérer des flux de biens, d’informations, de populations. La logistique peut, plus largement, être comprise comme un « dispositif », c’est-à-dire un ensemble de relations entre des éléments hétérogènes, comportant des réseaux techniques, comme nous l’avons vu, mais aussi des discours, des institutions...qui les produisent et les utilisent pour légitimer des choix politiques. Dans le contexte logistique, les choix dotés d’un fort caractère politique sont présentés comme des « nécessités » techniques indiscutables, destinées à maximiser des formes d’organisations toujours plus « efficaces » et « rationnelles ».

    La gouvernementalité logistique a opéré à de nombreux niveaux de l’organisation du colloque grenoblois. (a) D’abord le colloque s’est tenu au cœur d’une zone logistique de transfert hyper-sécurisé de connaissances, où celles-ci circulent entre des laboratoires scientifiques et des industries, dont certaines sont des industries militaires d’armement [8]. (b) Le choix de réunir le colloque dans ce bâtiment n’a fait l’objet d’aucun commentaire explicite, tandis que les co-organisateurs du colloque dépolitisaient le colloque, en se défendant de « parler de la politique de l’Union Européenne [9] », tout en présentant l’Agence comme un « nouvel acteur dans la lutte contre l’immigration illégale [10] », reprenant les termes politiques d’une langue médiatique et spectacularisée. Cette dépolitisation relève d’un autre plan de la gouvernementalité logistique, où les choix politiques sont dissimulés sous l’impératif d’une nécessité, qui prend très souvent les atours de compétences techniques ou technologiques. (c) Enfin, Frontex peut être décrite comme un outil de gouvernementalité logistique : outil de surveillance militaire, l’agence est spécialisée dans la gestion de « flux » transfrontaliers. L’agence vise à produire un maximum de choix dits « nécessaires » : la « nécessité » par exemple de « sécuriser » les frontières face à une dite « crise migratoire », présentée comme inéluctable et pour laquelle Frontex ne prend aucune responsabilité politique.

    Ainsi, ce colloque mettait en abyme plusieurs niveaux de gouvernementalité logistique, en invitant les représentants d’une institution logistique militarisée, au cœur d’une zone universitaire logistique de transfert de connaissances, tout en passant sous silence les dimensions politiques et sociales de Frontex et de ce choix d’organisation.

    A partir de ces premières analyses, nous allons tenter de montrer au fil du texte :

    (1)-comment la gouvernementalité logistique s’articule de manière inhérente à des logiques de sécurisation et de militarisation (des relations sociales, des modes de production des connaissances, des modes de gestion des populations) ;

    (2)-comment la notion de « continuité », produite par la rationalité logistique, sert à comprendre le fonctionnement de l’agence Frontex, entendue à la fois comme outil pratique de gestion des populations et comme cadre conceptuel théorique ;

    (3)-comment les choix politiques, opérés au nom de la logistique, sont toujours présentés comme des choix « nécessaires », ce qui limite très fortement les possibilités d’en débattre. Autrement dit, comment la rationalité logistique neutralise les dissentiments politiques.
    Rationalité logistique, sécurisation et militarisation

    --Sécurisation, militarisation des relations sociales et des modes de production des connaissances au sein de l’université logistique

    La gouvernementalité ou rationalité logistique a des conséquences majeures sur les modes de production des relations sociales, mais aussi sur les modes de production des connaissances. Les conséquences sociales de la rationalité logistique devraient être la priorité des analyses des chercheur.e.s en sciences sociales, tant elles sont préoccupantes, avant même l’étude des conséquences sur les modes de production du savoir, bien que tous ces éléments soient liés. C’est ce que Brian Holmes expliquait en 2007 dans une analyse particulièrement convaincante des processus de corporatisation, militarisation et précarisation de la force de travail dans le Triangle de la Recherche en Caroline du Nord aux Etats-Unis [11]. L’auteur montrait combien les activités de transfert et de monétisation des connaissances, caractéristiques des « zones de transfert de connaissances laboratoires-industries », avaient contribué à créer des identités sociales inédites. En plus du « professeur qui se transforme en petit entrepreneur et l’université en grosse entreprise », comme le notait Brian Holmes, s’ajoute désormais un tout nouveau type de relation sociale, dont la nature est très fondamentalement logistique. Dans son ouvrage The Deadly Life of Logistics paru en 2014 [12], Deborah Cowen précisait la nature de ces nouvelles relations logistiques : dans le contexte de la rationalité logistique, les relations entre acteurs sociaux dépendent de plus en plus de logiques inhérentes de sécurisation. Autrement dit, les relations sociales, quand elles sont corsetées par le paradigme logistique, sont aussi nécessairement prises dans l’impératif de « sécurité ». Les travailleurs, les manageurs, les autorités régulatrices étatiques conçoivent leurs relations et situations de travail à partir de la figure centrale de la « chaîne d’approvisionnement ». Ils évaluent leurs activités à l’aune des notions de « risques » -et d’« avantages »-, selon le modèle du transfert de biens, de populations, d’informations (risques de perte ou de gain de valeur dans le transfert, en fonction notamment de la rapidité, de la fluidité, de la surveillance en temps réel de ce transfert). Ainsi, il n’est pas surprenant que des experts universitaires, dont la fonction principale est devenue de faciliter les transferts et la monétisation des connaissances, développent des pratiques qui relèvent implicitement de logiques de sécurisation. Sécuriser, dans le contexte de l’université logistique, veut dire principalement renforcer les droits de propriété intellectuelle, réguler de manière stricte l’accès aux connaissances et les conditions des débats scientifiques (« fluidifier » les échanges, éviter tout « conflit »), autant de pratiques nécessaires pour acquérir une certaine reconnaissance institutionnelle.

    L’IMAG est un exemple particulièrement intéressant de cette nouvelle « entreprise logistique de la connaissance », décrite par Brian Holmes, et qui se substitue progressivement à l’ancien modèle national de l’université. Quelles sont les logiques à l’œuvre dans l’élaboration de cette entreprise logistique de la connaissance ? (1) En premier lieu, et en ordre d’importance, la logistique s’accompagne d’une sécurisation et d’une militarisation de la connaissance. Le processus de militarisation est très clair dans le cas de l’IMAG qui entretient des partenariats avec l’industrie de l’armement, mais il peut être aussi plus indirect. Des recherches portant sur les systèmes embarqués et leurs usages civils, menées par certains laboratoires de l’IMAG et financées par des fonds étatiques, ont en fait également des applications militaires. (2) La seconde logique à l’œuvre est celle d’une disqualification de l’approche politique des objectifs et des conflits sociaux, au profit d’une approche fondée sur les notions de surveillance et de sécurité. A la pointe de la technologie, le bâtiment de l’IMAG est un smart building dont la conception architecturale et le design relèvent de logiques de surveillance. En choisissant de se réunir à l’IMAG, les organisateurs du colloque ont implicitement fait le choix d’un espace qui détermine les relations sociales par la sécurité et la logistique. Ce choix n’a jamais été rendu explicite, au profit de ce qui est réellement mis en valeur : le fait de pouvoir transférer les connaissances vers les industries et de les monétiser, peu importe les moyens utilisés pour les financer et les mettre en circulation.

    Le colloque « De Frontex à Frontex », organisé à l’Université de Grenoble, était ainsi -implicitement- du côté d’un renforcement des synergies entre la corporatisation et la militarisation de la recherche. On pourrait également avancer que la neutralisation de toute dimension politique au sein du colloque (réduite à des enjeux essentiellement juridiques dans les discours des organisateurs [13]) relève d’une même gouvernementalité logistique : il s’agit de supprimer tout « obstacle » potentiel, tout ralentissement « inutile » à la fluidité des transferts de connaissances et aux échanges d’« experts ». Dépolitiser les problèmes posés revient à limiter les risques de conflits et à « fluidifier » encore d’avantage les échanges. On commence ici à comprendre pourquoi le conflit qui s’est invité dans la salle du colloque à Grenoble fut si sévèrement réprimé.

    Les organisateurs expliquèrent eux-mêmes le jour du colloque à un journaliste du Dauphiné Libéré, qu’il n’était pas question de « parler de la politique migratoire de l’Union Européenne ». On pourrait arguer que le terme de « politique » figurait pourtant dans le texte de présentation du colloque. Ainsi, dans ce texte les co-organisateurs proposaient « de réfléchir sur la réalité de l’articulation entre le développement des moyens opérationnels de l’Union et la définition des objectifs de sa politique migratoire [14] ». Mais s’il s’agissait de s’interroger sur la cohérence entre les prérogatives de Frontex et la politique migratoire Union Européenne, les fondements normatifs, ainsi que les conséquences pratiques de cette politique, n’ont pas été appelés à être discutés. La seule mention qui amenait à s’interroger sur ces questions fut la suivante : « Enfin, dans un troisième temps, il faudra s’efforcer d’apprécier certains enjeux de l’émergence de ce service européen des garde-côtes et garde-frontières, notamment ceux concernant la notion de frontière ainsi que le respect des valeurs fondant l’Union, au premier rang desquelles la garantie effective des droits fondamentaux [15] ». Si la garantie effective des droits fondamentaux était bel et bien mentionnée, le texte n’abordait à aucun moment les milliers de morts aux frontières de l’Union Européenne. Débattre de politique, risquer le conflit, comme autant de freins au bon déroulement de transferts de connaissances, est rendu impossible (censuré, neutralisé ou réprimé) dans le contexte de la gouvernementalité logistique. Pendant le colloque, les représentants de l’agence Frontex et d’Euromed Police ont très peu parlé explicitement de politique, mais ont, par contre, souvent déploré, le manque de moyens de leurs institutions, en raison notamment de l’austérité, manière de faire appel implicitement à de nouveaux transferts de fonds, de connaissances, de biens ou encore de flux financiers. C’est oublier -ou ne pas dire- combien l’austérité, appliquée aux politiques sociales, épargne les secteurs de la militarisation et de la sécurisation, en particulier dans le domaine du gouvernement des populations et des frontières.

    Sécurisation et militarisation du gouvernement des populations

    Ainsi, les discussions pendant le colloque n’ont pas porté sur le contexte politique et social plus général de l’Union Européenne et de la France, pour se concentrer sur un défaut de moyens de l’agence Frontex. Rappelons que le colloque a eu lieu alors que le gouvernement d’Emmanuel Macron poursuivait la « refonte » du système des retraites, des services publics, du travail, des aides sociales. Le premier jour du colloque, soit le jeudi 22 mars 2018, avait été déposé un appel à la grève nationale par les syndicats de tous les secteurs du service public. Si l’essentiel des services publics sont soumis à la loi d’airain de l’austérité, d’autres secteurs voient au contraire leurs moyens considérablement augmenter, comme en témoignent les hausses très significatives des budgets annuels de la défense prévus jusqu’en 2025 en France [16]. La loi de programmation militaire 2019-2025, dont le projet a été présenté le 8 février 2018 par le gouvernement Macron, marque une remontée de la puissance financière de l’armée, inédite depuis la fin de la Guerre froide. « Jusqu’en 2022, le budget augmentera de 1,7 milliard d’euros par an, puis de 3 milliards d’euros en 2023, portant le budget des Armées à 39,6 milliards d’euros par an en moyenne, hors pensions, entre 2019 et 2023. Au total, les ressources des armées augmentent de près d’un quart (+23 %) entre 2019 et 2025 [17] ». La réforme de Frontex en 2016 s’inscrit dans la continuité de ces hausses budgétaires.

    Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures créée en 2004, et devenue Agence de garde-frontières et de garde-côtes en 2016, Frontex déploie des « équipements techniques […] (tels que des avions et des bateaux) et de personnel spécialement formé [18] » pour contrôler, surveiller, repousser les mouvements des personnes en exil. « Frontex coordonne des opérations maritimes (par exemple, en Grèce, en Italie et en Espagne), mais aussi des opérations aux frontières extérieures terrestres, notamment en Bulgarie, en Roumanie, en Pologne et en Slovaquie. Elle est également présente dans de nombreux aéroports internationaux dans toute l’Europe [19] ». Le colloque devait interroger la réforme très récente de l’Agence en 2016 [20], qui en plus d’une augmentation de ses moyens financiers et matériels, entérinait des pouvoirs étendus, en particulier le pouvoir d’intervenir aux frontières des Etats membres de l’Union Européenne sans la nécessité de leur accord, organiser elle-même des expulsions de personnes, collecter des données personnelles auprès des personnes inquiétées et les transmettre à Europol.

    Cette réforme de l’agence Frontex montre combien l’intégration européenne se fait désormais en priorité depuis les secteurs de la finance et de la sécurité militaire. La création d’une armée européenne répondant à une doctrine militaire commune, la création de mécanismes fiscaux communs, ou encore le renforcement et l’élargissement des prérogatives de Frontex, sont tous des choix institutionnels qui ont des implications politiques majeures. Dans ce contexte, débattre de la réforme juridique de Frontex, en excluant l’analyse des choix politiques qui préside à cette forme, peut être considéré comme une forme grave d’atteinte au processus démocratique.

    Après avoir vu combien la gouvernementalité logistique produit des logiques de sécurisation et de militarisation, circulant depuis l’université logistique jusqu’à Frontex, nous pouvons désormais tenter de comprendre comment la gouvernementalité logistique produit un type spécifique de cadre théorique, résumé dans la notion de « continuité ». Cette notion est centrale pour comprendre les modes de fonctionnement et les implications politiques de Frontex.
    La « continuité » : Frontex comme cartographie politique et concept théorique

    Deux occurrences de la notion de « continuité » apparaissent dans la Revue Stratégique de Défense et de Sécurité Nationale de la France, parue en 2017 :

    [Les attentats] du 13 novembre [2015], exécutés par des commandos équipés et entraînés, marquent une rupture dans la nature même de [la] menace [terroriste] et justifient la continuité entre les notions de sécurité et de défense.
    [...]
    La continuité entre sécurité intérieure et défense contre les menaces extérieures accroît leur complémentarité. Les liens sont ainsi devenus plus étroits entre l’intervention, la protection et la prévention, à l’extérieur et à l’intérieur du territoire national, tandis que la complémentarité entre la dissuasion et l’ensemble des autres fonctions s’est renforcée.

    La réforme de l’agence Frontex correspond pleinement à l’esprit des orientations définies par la Revue Stratégique de Défense et de Sécurité Nationale. Il s’agit de créer une agence dont les missions sont légitimées par l’impératif de « continuité entre sécurité intérieure et défense contre les menaces extérieures ». Les périmètres et les modalités d’intervention de Frontex sont ainsi tout autant « intérieurs » (au sein des Etats membres de l’Union Européenne), qu’extérieurs (aux frontières et au sein des Etats non-membres), tandis que la « lutte contre l’immigration illégale » (intérieure et extérieure) est présentée comme un des moyens de lutte contre le « terrorisme » et la « criminalité organisée ».

    Des frontières « intérieures » et « extérieures » en « continuité »

    Ainsi, la « continuité » désigne un rapport linéaire et intrinsèque entre la sécurité nationale intérieure et la défense extérieure. Ce lien transforme les fonctions frontalières, qui ne servent plus à séparer un intérieur d’un extérieur, désormais en « continuité ». Les frontières dites « extérieures » sont désormais également « intérieures », à la manière d’un ruban de Moebius. A été largement montré combien les frontières deviennent « épaisses [21] », « zonales [22] », « mobiles [23] », « externalisées [24] », bien plus que linéaires et statiques. L’externalisation des frontières, c’est-à-dire l’extension de leurs fonctions de surveillance au-delà des limites des territoires nationaux classiques, s’ajoute à une indistinction plus radicale encore, qui rend indistincts « intérieur » et un « extérieur ». Selon les analyses de Matthew Longo, il s’agit d’un « système-frontière total » caractérisé par « la continuité entre des lignes [devenues des plus en plus épaisses] et des zones frontalières [qui ressemblent de plus en plus aux périphéries impériales] [25] » (souligné par les auteurs).

    La notion de « continuité » répond au problème politique posé par la mondialisation logistique contemporaine. La création de chaînes globales d’approvisionnement et de nouvelles formes de régulations au service de la souveraineté des entreprises, ont radicalement transformé les fonctions classiques des frontières nationales et la conception politique du territoire national. Pris dans la logistique mondialisée, celui-ci n’est plus imaginé comme un contenant fixe et protecteur, dont il est nécessaire de protéger les bords contre des ennemis extérieurs et au sein duquel des ennemis intérieurs [26] sont à combattre. Le territoire national est pensé en tant que forme « continue », une forme « intérieur-extérieur ». Du point de vue de la logistique, ni la disparition des frontières, ni leur renforcement en tant qu’éléments statiques, n’est souhaitable. C’est en devenant tout à la fois intérieures et extérieures, en créant notamment les possibilités d’une expansion du marché de la surveillance, qu’elles permettent d’optimiser l’efficacité de la chaîne logistique et maximiser les bénéfices qui en découlent.

    Une des conséquences les plus importantes et les plus médiatisées de la transformation contemporaine des frontières est celle des migrations : 65,6 millions de personnes étaient en exil (demandeur.se.s d’asile, réfugié.e.s, déplacé.e.s internes, apatrides) dans le monde en 2016 selon le HCR [27], contre 40 millions à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette augmentation montre combien les frontières n’empêchent pas les mouvements. Au contraire, elles contribuent à les produire, pour notamment les intégrer à une économie très lucrative de la surveillance [28]. La dite « crise migratoire », largement produite par le régime frontalier contemporain, est un effet, parmi d’autres également très graves, de cette transformation des frontières. Évasion fiscale, produits financiers transnationaux, délocalisation industrielle, flux de déchets électroniques et toxiques, prolifération des armes, guerres transfrontalières (cyber-guerre, guerre financière, guerre de drones, frappes aériennes), etc., relèvent tous d’une multiplication accélérée des pratiques produites par la mondialisation contemporaine. Grâce au fonctionnement de l’économie de l’attention, qui caractérise le capitalisme de plateforme, tous ces processus, sont réduits dans le discours médiatisé, comme par magie, au « problème des migrants ». Tout fonctionne comme si les autres effets de cette transformation des frontières, par ailleurs pour certains facteurs de déplacements migratoires, n’existaient pas. S’il y avait une crise, elle serait celle du contrôle de l’attention par les technologies informatiques. Ainsi, la dite « crise migratoire » est plutôt le symptôme de la mise sous silence, de l’exclusion complète de la sphère publique de toutes les autres conséquences des transformations frontalières produites par le capitalisme logistique et militarisé contemporain.

    La réforme de l’agence Frontex en 2016 se situe clairement dans le contexte de cette politique de transformation des frontières et de mise en exergue d’une « crise migratoire », au service du marché de la surveillance, tandis que sont passés sous silence bien d’autres processus globaux à l’œuvre. Frontex, en favorisant des « coopérations internationales » militaires avec des Etats non-membres de l’Union Européenne, travaille à la création de frontières « en continu ». Ainsi les frontières de l’Union Européenne sont non seulement maritimes et terrestres aux « bords » des territoires, mais elles sont aussi rejouées dans le Sahara, au large des côtes atlantiques de l’Afrique de l’Ouest, jusqu’au Soudan [29] ou encore à l’intérieur des territoires européens (multiplication des centres de rétention pour étrangers notamment [30]). Le « projet Euromed Police IV », débuté en 2016 pour une période de quatre ans, financé par l’Union Européenne, dont le chef, Michel Quillé, était invité au colloque grenoblois, s’inscrit également dans le cadre de ces partenariats sécuritaires et logistiques internationaux : « le projet [...] a pour objectif général d’accroître la sécurité des citoyens dans l’aire euro-méditerranéenne en renforçant la coopération sur les questions de sécurité entre les pays partenaires du Sud de la Méditerranée [31] mais aussi entre ces pays et les pays membres de l’Union Européenne [32] ». La rhétorique de la « coopération internationale » cache une réalité toute différente, qui vise à redessiner les pratiques frontalières actuelles, dans le sens de la « continuité » intérieur-extérieur et de l’expansion d’une chaîne logistique sécuritaire.

    « Continuité » et « sécurité », des notions ambivalentes

    En tant qu’appareillage conceptuel, la notion de « continuité » entre espace domestique et espace extérieur, est particulièrement ambivalente. La « continuité » pourrait signifier la nécessité de créer de nouvelles formes de participation transnationale, de partage des ressources ou de solutions collectives. Autrement dit, la « continuité » pourrait être pensée du côté de l’émancipation et d’une critique en actes du capitalisme sécuritaire et militarisé. Mais la « continuité », dans le contexte politique contemporain, signifie bien plutôt coopérer d’un point de vue militaire, se construire à partir de la figure d’ennemis communs, définis comme à fois « chez nous » et « ailleurs ». Frontex, comme mode transnational de mise en relation, relève du choix politique d’une « continuité » militaire. Cette notion est tout à la fois descriptive et prescriptive. Elle désigne la transformation objective des frontières (désormais « épaisses », « zonales », « mobiles »), mais aussi toute une série de pratiques, d’institutions (comme Frontex), de discours, qui matérialisent cette condition métastable. Depuis un registre idéologique, la « continuité » suture le subjectif et l’objectif, la contingence et la nécessité, le politique et la logistique.

    La campagne publicitaire de recrutement pour l’armée de terre française, diffusée en 2016 et créée par l’agence de publicité parisienne Insign, illustre parfaitement la manière dont la notion de « continuité » opère, en particulier le slogan : « je veux repousser mes limites au-delà des frontières ». Le double-sens du terme « repousser », qui signifie autant faire reculer une attaque militaire, que dépasser une limite, est emblématique de toute l’ambivalence de l’idéologie de la « continuité ». Slogan phare de la campagne de recrutement de l’armée de terre, ’je veux repousser mes limites au-delà des frontières’ relève d’une conception néolibérale du sujet, fondée sur les présuppositions d’un individualisme extrême. Là où la militarisation des frontières et la généralisation d’un état de guerre coloniale engage tout un pays (sans pour autant que la distinction entre ennemi et ami soit claire), l’idée de frontière subit une transformation métonymique. Elle devient la priorité absolue de l’individu (selon l’individualisme comme principe sacré du néolibéralisme). La guerre n’est finalement qu’un moyen pour l’individu de se réaliser (tout obstacle relevant du côté de l’ » ennemi »). À la transgression des frontières par le triangle capital-militaire-sécuritaire, se substitue l’image fictive de limites individualisées.

    L’agence Frontex, en plus d’être un dispositif pratique, est aussi prise dans l’idéologie de la « continuité ». L’agence vise principalement à produire des sujets dont les pulsions individuelles se lient, de manière « continue », avec une chaîne logistico-militaire qui vise à « repousser » toute relation sociale et politique vers un espace de « sécurité » silencieux, neutralisé, voire mort. Objectif central des missions de Frontex, la « sécurité » est, tout comme la « continuité », loin d’être un concept clair et transparent. La sécurité dont il est question dans les opérations de Frontex est une modalité de gestion des populations, qui sert à légitimer des états d’exception. La sécurité dans ce cas est faussement celle des personnes. Il s’agit d’une toute autre sécurité, détachée de la question des personnes, qui concerne avant tout les flux de populations et de marchandises, destinée principalement à en garantir la monétisation. La sécurité n’est ainsi pas une fin en soi, en lien avec la liberté ou l’émancipation, mais une opération permettant la capitalisation des populations et des biens. Cette notion fonctionne car précisément elle sème le trouble entre « sécurité des personnes » et « sécurité des flux ». Le type de « sécurité » qui organise les missions de l’agence Frontex est logistique. Son but est de neutraliser les rapports sociaux, en rompant toutes possibilités de dialogues, pour gérer de manière asymétrique et fragmentaire, des flux, considérés à sens unique.

    Concept polyvalent et ambivalent, la « sécurité » devrait être redéfinie depuis un horizon social et servir avant tout les possibilités de créer des liens sociaux de solidarité et de mutualisation d’alternatives. Les partis traditionnels de gauche en Europe ont essayé pendant des décennies de re-socialiser la sécurité, défendant une « Europe sociale ». On peut retrouver dans les causes de l’échec des partis de Gauche en Europe les ferments du couple logistique-sécurité, toujours à l’œuvre aujourd’hui.

    Une des causes les plus signifiantes de cet échec, et ayant des répercussions majeures sur ce que nous décrivons au sujet de Frontex, tient dans l’imaginaire cartographique et historique de l’Europe sociale des partis traditionnels de Gauche. Au début des années 1990, des débats importants eurent lieu entre la Gauche et la Droite chrétienne au sujet de ce que devait être l’Union Européenne. Il en ressortit un certain nombre d’accords et de désaccords. La notion coloniale de « différence civilisationnelle » fit consensus, c’est-à-dire la définition de l’Europe en tant qu’aire civilisationnelle spécifique et différenciée. A partir de ce consensus commun, la Gauche s’écarta de la Droite, en essayant d’associer la notion de « différence civilisationnelle » à un ensemble de valeurs héritées des Lumières, notamment l’égalité et la liberté -sans, par ailleurs, faire trop d’effort pour critiquer l’esclavage ou encore les prédations territoriales, caractéristiques du siècle des Lumières. La transformation de l’universalisme des Lumières en trait de civilisation -autrement dit, concevoir que la philosophie politique universaliste est d’abord « européenne »- s’inscrit dans le registre de la différence coloniale, caractéristique du projet moderne. Le fait de répéter à l’envie que la Démocratie aurait une origine géographique et que ce serait Athènes s’inscrit dans ce projet moderne civilisateur colonial. L’égalité, la liberté, la démocratie s’élaborent depuis des mouvements sociaux, toujours renouvelés et qui visent à se déplacer vers l’autre, vers ce qui paraît étranger. Sans ce mouvement fondamental de déplacement, jamais achevé, qui découvre toujours de nouveaux points d’origine, aucune politique démocratique n’est possible. C’est précisément ce que les partis de Gauche et du Centre en Europe ont progressivement nié. La conception de l’égalité et de la liberté, comme attributs culturels ou civilisationnels, a rendu la Gauche aveugle. En considérant l’Europe, comme un territoire fixe, lieu d’un héritage culturel spécifique, la Gauche n’a pas su analyser les processus de mondialisation logistique et les transformations associées des frontières. Là où le territoire moderne trouvait sa légitimité dans la fixité de ses frontières, la logistique mondialisée a introduit des territorialités mobiles, caractérisées par une disparition progressive entre « intérieur » et « extérieur », au service de l’expansion des chaînes d’approvisionnement et des marchés. Frontex est une des institutions qui contribue au floutage des distinctions entre territoire intérieur et extérieur. Incapables de décoloniser leurs analyses de la frontière, tant d’un point de vue épistémologique, social qu’institutionnel, les partis de Gauche n’ont pas su réagir à l’émergence du cadre conceptuel de la « continuité » entre sécurité intérieure et guerre extérieure. Tant que la Gauche considérera que la frontière est/doit être l’enveloppe d’un territoire fixe, lieu d’une spécificité culturelle ou civilisationnelle, elle ne pourra pas interpréter et transformer l’idéologie de la « continuité », aujourd’hui dominée par la militarisation et la monétisation, vers une continuité sociale, au service des personnes et des relations sociales.

    Sans discours, ni débat public structuré sur ces transformations politiques, les explications se cantonnent à l’argument d’une nécessité logistique, ce qui renforce encore l’idéologie de la « continuité », au service de la surveillance et du capitalisme.

    C’est dans ce contexte que les « entreprises de la connaissance » remplacent désormais l’ancien modèle des universités nationales. Aucun discours public n’est parvenu à contrer la monétisation et la militarisation des connaissances. La continuité à l’œuvre ici est celle de la recherche universitaire et des applications sécuritaires et militaires, qui seraient les conditions de son financement. Le fait que l’université soit gouvernée à la manière d’une chaîne logistique, qu’elle serve des logiques et des intérêts de sécurisation et de militarisation, sont présentées dans les discours dominants comme des nécessités. Ce qui est valorisé, c’est la monétisation de la recherche et sa capacité à circuler, à la manière d’une marchandise capitalisée. La nécessité logistique remplace toute discussion sur les causes politiques de telles transformations. Aucun parti politique, a fortiori de Gauche, n’est capable d’ouvrir le débat sur les causes et les conséquences de la gouvernementalité logistique, qui s’est imposée comme le nouveau mode dominant d’une gouvernementalité militarisée, à la faveur du capitalisme mondialisé. Ces processus circulent entre des mondes a priori fragmentés et rarement mis en lien : l’université, Frontex, l’industrie de l’armement, la sécurité intérieure, la défense extérieure. L’absence de débat sur la légitimité politique de telles décisions est une énième caractéristique de la gouvernementalité logistique.
    Mise sous silence du politique par la rationalité logistique, neutralisation du dissentiment

    Les discours sécuritaires de l’agence Frontex et d’Euromed Police s’accompagnent d’une dissimulation de leurs positionnements politiques. Tout fonctionne depuis des « constats », des « diagnostics ». Ces constats « consensuels » ont été repris par les chercheur.e.s, organisateurs et soutiens du colloque sur Frontex. Les scientifiques, travaillant au sein de l’université logistique et se réunissant pour le colloque à l’IMAG, viennent renforcer les justifications logistiques des actions de Frontex et Euromed Police, en disqualifiant tout débat politique qui permettrait de les interroger.

    Le « constat » d’une « crise migratoire » vécue par l’Union Européenne, qui l’aurait « amené à renforcer les pouvoirs de son agence Frontex », est la première phrase du texte de cadrage du colloque :

    La crise migratoire que vit aujourd’hui l’Union européenne (UE) l’a amenée à renforcer les pouvoirs de son agence Frontex. La réforme adoptée en septembre 2016 ne se limite pas à la reconnaissance de nouvelles prérogatives au profit de Frontex mais consiste également à prévoir les modalités d’intervention d’un nouvel acteur dans la lutte contre l’immigration illégale au sein de l’UE : le corps européen des gardes-frontières et garde-côtes. Cette nouvelle instance a pour objet de permettre l’action en commun de Frontex et des autorités nationales en charge du contrôle des frontières de l’UE, ces deux acteurs ayant la responsabilité partagée de la gestion des frontières extérieures[6].

    Nous souhaitons ici citer, en contre-point, le premier paragraphe d’une lettre écrite quelques jours après les violences policières, par une personne ayant assisté au colloque. Dans ce paragraphe, l’auteur remet directement en cause la dissimulation d’un positionnement politique au nom d’un « constat réaliste et objectif » des « problèmes » auxquels Frontex devraient « s’attaquer » :

    Vous avez décidé d’organiser un colloque sur Frontex, à l’IMAG (Université de Grenoble Alpes), les 22 et 23 mars 2018. Revendiquant une approche juridique, vous affirmez que votre but n’était pas de débattre des politiques migratoires (article du Dauphiné Libéré, 23 mars 2018). C’est un choix. Il est contestable. Il est en effet tout à fait possible de traiter de questions juridiques sans évacuer l’analyse politique, en assumant un point de vue critique. Vous vous retranchez derrière l’argument qu’il n’était pas question de discuter des politiques migratoires. Or, vous présentez les choses avec les mots qu’utilise le pouvoir pour imposer sa vision et justifier ces politiques. Vous parlez de « crise migratoire », de « lutte contre l’immigration illégale », etc. C’est un choix. Il est contestable. Les mots ont un sens, ils véhiculent une façon de voir la réalité. Plutôt que de parler de « crise de l’accueil » et de « criminalisation des exilé.e.s » par le « bras armé de l’UE », vous préférez écrire que « la crise migratoire » a « amené » l’UE à « renforcer les pouvoirs de son agence, Frontex ». Et hop, le tour de magie est joué. Si Frontex doit se renforcer c’est à cause des migrant.e.s. S’il y a des enjeux migratoires, la seule réponse légitime, c’est la répression. Ce raisonnement implicite n’a rien à voir avec des questions juridiques. Il s’agit bien d’une vision politique. C’est la vôtre. Mais permettez-nous de la contester [33].

    « Diagnostiquer » une « crise migratoire » à laquelle il faut répondre, est présenté comme un « choix nécessaire », qui s’inscrit dans un discours sécuritaire mobilisé à deux échelles différentes : (1) « défendre » la « sécurité » des frontières européennes, contre une crise migratoire où les « migrants » sont les ennemis, à la fois extérieurs et intérieurs, et (2) défendre la sécurité de la salle de conférence et de l’université, contre les manifestant.e.s militant.e.s, qui seraient les ennemis du débat « scientifique » (et où le scientifique est pensé comme antonyme du « manifestant.e » et/ou « militant.e »). L’université logistique est ici complice de la disqualification du politique, pour légitimer la nécessité des actions de Frontex.

    Le texte de présentation du colloque invitait ainsi bien plus à partager la construction d’un consensus illusoire autour de concepts fondamentalement ambivalents (crise migratoire, protection, sécurité) qu’à débattre à partir des situations réelles, vécues par des milliers de personnes, souvent au prix de leur vie. Ce consensus est celui de l’existence d’un ’problème objectif de l’immigration » contre lequel l’agence Frontex a été « amené » à « lutter », selon la logique d’une « adhésion aveugle à l’ « objectivité » de la « nécessité historique [34] » et logistique. Or, il est utile de rappeler, avec Jacques Rancière, qu’« il n’y a pas en politique de nécessité objective ni de problèmes objectifs. On a les problèmes politiques qu’on choisit d’avoir, généralement parce qu’on a déjà les réponses. [35] ». Les gouvernements, mais on pourrait dire aussi les chercheur.e.s organisateurs ou soutiens de ce colloque, « ont pris pour politique de renoncer à toute politique autre que de gestion logistique des « conséquences ».

    Les violences policières pendant le colloque « De Frontex à Frontex », sont venues sévèrement réprimer le resurgissement du politique. La répression violente a pour pendant, dans certains cas, la censure. Ainsi, un colloque portant sur l’islamophobie à l’université de Lyon 2 avait été annulé par les autorités de l’université en novembre 2017. Sous la pression orchestrée par une concertation entre associations et presses de droite, les instances universitaires avaient alors justifié cette annulation au motif que « les conditions n’étaient pas réunies pour garantir la sérénité des échanges », autrement dit en raison d’un défaut de « sécurité [36] ». Encore une fois, la situation est surdéterminée par la logistique sécuritaire, qui disqualifie le politique et vise à « fluidifier », « pacifier », autrement dit « neutraliser » les échanges de connaissances, de biens, pour permettre notamment leur monétisation.

    On pourrait arguer que la manifestation ayant eu lieu à Grenoble, réprimée par des violences policières, puisse justifier la nécessité d’annuler des colloques, sur le motif de l’absence de sérénité des échanges. On pourrait également arguer que les manifestant.e.s grenoblois.e.s, se mobilisant contre le colloque sur Frontex, ont joué le rôle de censeurs (faire taire le colloque), censure par ailleurs attaquée dans la situation du colloque sur l’islamophobie.

    Or, renvoyer ces parties dos à dos est irrecevable :

    – d’abord parce que les positions politiques en jeu, entre les opposant.e.s au colloque portant sur l’islamophobie et les manifestant.e.s critiquant Frontex et les conditions du colloque grenoblois, sont profondément antagonistes, les uns nourrissant le racisme et la xénophobie, les autres travaillant à remettre en cause les principes racistes et xénophobes des politiques nationalistes à l’œuvre dans l’Union Européenne. Nous récusons l’idée qu’il y aurait une symétrie entre ces positionnements.

    – Ensuite, parce que les revendications des manifestant.e.s, parues dans un tract publié quelques jours avant le colloque, ne visait ni à son annulation pure et simple, ni à interdire un débat sur Frontex. Le tract, composé de quatre pages, titrait en couverture : « contre la présence à un colloque d’acteurs de la militarisation des frontières », et montrait aussi et surtout combien les conditions du débat étaient neutralisées, par la disqualification du politique.

    Les violences policières réprimant la contestation à Grenoble et l’annulation du colloque sur l’islamophobie, dans des contextes par ailleurs différents, nous semblent constituer les deux faces d’une même médaille : il s’est agi de neutraliser, réprimer ou d’empêcher tout dissentiment, par ailleurs condition nécessaire de l’expression démocratique. La liberté universitaire, invoquée par les organisateurs du colloque et certains intervenants, ne peut consister ni à réprimer par la violence la mésentente, ni à la censurer, mais à élaborer les conditions de possibilité de son expression, pour « supporter les divisions de la société. […] C’est […] le dissentiment qui rend une société vivable. Et la politique, si on ne la réduit pas à la gestion et à la police d’Etat, est précisément l’organisation de ce dissentiment » (Rancière).

    De quelle politique font preuve les universités qui autorisent la répression ou la mise sous silence de mésententes politiques ? Quelles conditions de débat permettent de « supporter les divisions de la société », plutôt que les réprimer ou les censurer ?

    La « liberté universitaire » au service de la mise sous silence du dissentiment

    Les organisateurs du colloque et leurs soutiens ont dénoncé l’appel à manifester, puis l’intrusion dans la salle du colloque, au nom de la liberté universitaire : « cet appel à manifester contre la tenue d’une manifestation scientifique ouverte et publique constitue en soi une atteinte intolérable aux libertés universitaires [37] ». Il est nécessaire de rappeler que le tract n’appelait pas à ce que le colloque n’ait pas lieu, mais plutôt à ce que les représentants de Frontex et d’Euromed Police ne soient pas invités à l’université, en particulier dans le cadre de ce colloque, élaboré depuis un argumentaire où la parole politique était neutralisée. En invitant ces représentants, en tant qu’experts, et en refusant des positionnements politiques clairs et explicites (quels qu’ils soient), quel type de débat pouvait avoir lieu ?

    Plus précisément, est reproché aux manifestant.e.s le fait de n’être pas resté.e.s dans le cadre de l’affrontement légitime, c’est-à-dire l’affrontement verbal, sur une scène autorisée et partagée, celle du colloque. La liberté universitaire est brandie comme un absolu, sans que ne soit prises en compte ses conditions de possibilité. L’inclusion/exclusion de personnes concernées par les problèmes analysés par les chercheur.e.s, ainsi que la définition de ce que signifie « expertise », sont des conditions auxquelles il semble important de porter attention. La notion d’expertise, par exemple, connaît de profonds et récents changements : alors qu’elle a longtemps servi à distinguer les chercheur.e.s, seul.e.s « expert.e.s », des « professionnel.le.s », les « professionnel.le.s » sont désormais de plus en plus reconnu.e.s comme « expert.e.s », y compris en pouvant prétendre à des reconnaissances universitaires institutionnelles telle la VAE (Validation des Acquis de l’Expérience [38]), allant jusqu’à l’équivalent d’un diplôme de doctorat. Là encore il s’agit d’une panoplie de nouvelles identités créées par la transition vers l’université logistique, et une équivalence de plus en plus institutionalisée entre l’ » expertise » et des formes de rémunération qui passent par les mécanismes d’un marché réglementé. Si des « professionnel.le.s » (non-chercheur.e.s) sont de plus en plus reconnu.e.s comme « expert.e.s » dans le champ académique, l’exclusion des personnes dotées d’autres formes de compétences (par exemple, celles qui travaillent de manière intensive à des questions sociales) est un geste porteur de conséquences extrêmement lourdes et pour la constitution des savoirs et pour la démarche démocratique.

    Pour comprendre comment la « liberté universitaire » opère, il est important de se demander quelles personnes sont qualifiées d’ « expertes », autrement dit quelles personnes sont considérées comme légitimes pour revendiquer l’exercice de la liberté universitaire ou, au contraire, l’opposer à des personnes et des fonctionnements jugés illégitimes. C’est précisément là où l’université logistique devient une machine de normalisation puissante qui exerce un pouvoir considérable sur la formation et la reconnaissance des identités sociales. A notre sens, la liberté universitaire ne peut être conçue comme une liberté à la négative, c’est-à-dire un principe servant à rester sourd à la participation des acteurs issu.e.s de la société civile non-universitaire (parmi les manifestant.e.s, on comptait par ailleurs de nombreux étudiant.e.s), des « expert.e.s » issu.e.s de domaines où elles ne sont pas reconnue.s comme tel.le.s.

    « Scientifique » vs. « militant ». Processus de disqualification du politique.

    Ainsi, dans le cas du colloque « De Frontex à Frontex », la scène légitime du débat ne garantissait pas le principe d’égalité entre celles et ceux qui auraient pu -et auraient dû- y prendre part. Les scientifiques ont été présentés à égalité avec les intervenants membres de Frontex et d’Euromed Police IV, invités en tant que « professionnels [39] », « praticiens [40] » ou encore « garants d’une expertise [41] ». Les experts « scientifiques » et les « professionnels » ont été définis en opposition à la figure de « militant.e.s » (dont certain.e.s étaient par ailleurs étudiant.e.s), puis aux manifestant.e.s, assimilé.e.s, après l’intrusion dans la salle du colloque, à des délinquant.e.s, dans une figure dépolitisée du « délinquant ». Si les co-organisateurs ont déploré, après le colloque, que des « contacts noués à l’initiative des organisateurs et de certains intervenants [42] » avec des organisations contestataires soient restés « sans succès », il est important de rappeler que ces contacts ont visé à opposer « colloque scientifique » et « colloque militant », c’est-à-dire un cadre antagoniste rendant le dialogue impossible. Là où le colloque censuré sur l’islamophobie entendait promouvoir l’« articulation entre le militantisme pour les droits humains et la réflexion universitaire [pour] montrer que les phénomènes qui préoccupent la société font écho à l’intérêt porté par l’université aux problématiques sociales, [ainsi que pour montrer qu’] il n’existe pas de cloisonnement hermétique entre ces deux mondes qui au contraire se complètent pour la construction d’une collectivité responsable et citoyenne [43] », les organisateurs du colloque grenoblois ont défendu la conception d’un colloque « scientifique », où le scientifique s’oppose à l’affirmation et la discussion de positions politiques - et ceci dans un contexte hautement politisé.

    Par ailleurs, la liberté universitaire ne peut pas servir de légitimation à l’usage de la force, pour réprimer des manifestant.e.s dont la parole a été disqualifiée et neutralisée avant même le colloque et par les cadres du colloque (dépolitisation, sécurisation). Le passage à l’acte de l’intrusion, pendant une des pauses de l’événement, a servi de moyen pour rappeler aux organisateurs et participant.e.s du colloque, les conditions de possibilité très problématiques à partir desquelles celui-ci avait été organisé, et notamment le processus préalable de neutralisation de la parole des acteurs fortement impliqués mais, de fait, exclus du champ concerné.

    Il ne suffit pas ainsi que des universitaires critiques des actions de Frontex aient été –effectivement- invité.e.s au colloque, en parallèle de « praticiens » de Frontex et Euromed Police, présentés comme des experts-gestionnaires, pour qu’un débat émerge. Encore aurait-il fallu que les termes du débat soient exposés, hors du « réalisme consensuel [44] » entre identités hautement normalisées et logistique qui caractérise le texte d’invitation. Débattre de Frontex, c’est d’abord lutter contre les « illusions du réalisme gestionnaire [45] » et logistique, mais aussi des illusions d’une analyse qui parviendrait à rester uniquement disciplinaire (ici la discipline juridique), pour affirmer que ses actions relèvent de choix politiques (et non seulement de nécessités logistiques et sécuritaires).

    Il est urgent que la liberté universitaire puisse servir des débats où les positionnements politiques soient explicitement exposés, ce qui permettrait l’expression précisément du dissentiment politique. Le dissentiment, plutôt qu’il soit neutralisé, censuré, réprimé, pourrait être entendu et valorisé (le dissentiment indique une orientation pour débattre précisément). La liberté universitaire serait celle aussi où les débats, partant d’un principe d’ » égalité des intelligences [46] », puissent s’ouvrir aux étudiant.e.s, à la société civile non-universitaire (société qui ne saurait pas s’identifier de manière directe et exhaustive avec le marché du travail réglementé), et aux personnes directement concernées par les problèmes étudiés. À la veille des changements historiques dans le marché de travail dûs aux technologies nouvelles, organiser le dissentiment revient ainsi à lutter contre le détournement de l’« expertise » à des fins autoritaires et contre la dépolitisation de l’espace universitaire au nom de la logistique sécuritaire. Il s’agit de rendre possible la confrontation de positions différentes au sein de bouleversements inédits sans perdre ni la démarche démocratique ni la constitution de nouveaux savoirs au service de la société toute entière.

    Pour ce faire, il est nécessaire de rompre avec l’idée de l’existence a priori d’une langue commune. La langue présupposée commune dans le cadre du colloque Frontex a été complètement naturalisée, comme nous l’avons montré notamment dans l’emploi consensuel de l’expression « crise migratoire ». Rendre possible le dissensus revient à dénaturaliser « la langue ». Dans le contexte de la « continuité » intérieur-extérieur et de la transformation des fonctions frontalières, il est important de rappeler que le processus démocratique et les pratiques du dissentiment ne peuvent plus s’appuyer sur l’existence d’une langue nationale standardisée, naturalisée, comme condition préalable. De nouvelles modalités d’adresse doivent être inventées. Il nous faudrait, donc, une politique de la différence linguistique qui prendrait son point de départ dans la traduction, comme opération linguistique première. Ainsi, il s’agit de renoncer à une langue unique et de renoncer à l’image de deux espaces opposés -un intérieur, un extérieur- à relier (de la même manière que la traduction n’est pas un pont qui relie deux bords opposés). Il est nécessaire de réoccuper la relation d’indistinction entre intérieur et extérieur, actuellement surdéterminé par le sécuritaire et le militaire, pour créer des liens de coopération, de partages de ressources, de mutualisation. Parler, c’est traduire, et traduire, ce n’est pas en premier lieu un transfert, mais la création de subjectivités. Le dissentiment n’est pas pré-déterminé, ni par une langue commune, ni par des sujets cohérents qui lui pré-existeraient (et qui tiendraient des positions déjà définies prêtes à s’affronter). Il est indéterminé. Il se négocie, se traduit, s’élabore dans des relations, à partir desquelles se créent des subjectivités. Le dissentiment s’élabore aussi avec soi-même. Ne pas (se) comprendre devient ce qui lie, ce qui crée la valeur de la relation, ce qui ouvre des potentialités.

    Le colloque « De Frontex à Frontex » a constitué un site privilégié à partir duquel observer les manières dont la gouvernementalité logistique opère, animée par des experts qui tentent de neutraliser et militariser les conflits sociaux, et qui exercent un strict contrôle sur les conditions d’accès à la parole publique. Nous avons tenté de montrer des effets de « continuité » entre gouvernementalité logistique et coloniale, en lien avec des logiques de sécurisation et de militarisation, tant dans le domaine de la production des connaissances à l’université que dans celui du gouvernement des populations. Tous ces éléments sont intrinsèquement liés. Il n’y a donc pas de frontière, mais bien une continuité, entre l’université logistique, la sécurité intérieure, l’agence Frontex et les guerres dites de défense extérieure. Les frontières étatiques elles-mêmes, ne séparent plus, mais créent les conditions d’une surveillance continue (presqu’en temps réel, à la manière des suivis de marchandises), au-delà de la distinction entre intérieur et extérieur.

    Les violences policières ayant eu lieu dans la salle du colloque « De Frontex à Frontex » nous amènent à penser que requalifier le dissentiment politique dans le contexte de la rationalité logistique est aujourd’hui dangereux ; faire entendre le dissentiment, le rendre possible, c’est s’exposer potentiellement ou réellement à la répression. Mais plutôt que d’avoir peur, nous choisissons de persister. Penser les conditions d’énonciation du dissentiment et continuer à tenter de l’organiser est une nécessité majeure.

    Jon Solomon, professeur, Université Jean Moulin Lyon 3, Sarah Mekdjian, maîtresse de conférences, Université Grenoble Alpes

    [1] Le CESICE : Centre d’Etudes sur la Sécurité Internationale et les Coopérations Européennes et le CRJ : Centre de Recherches Juridiques de Grenoble.

    [2] voir l’argumentaire du colloque ici : https://cesice.univ-grenoble-alpes.fr/actualites/2018-01-19/frontex-frontex-vers-l-emergence-d-service-europeen-garde

    [3] RUSF, Union départementale CNT 38, CLAGI, CISEM, CIIP, Collectif Hébergement Logement

    [4] Voir le tract ici : https://cric-grenoble.info/infos-locales/article/brisons-les-frontieres-a-bas-frontex-405

    [5] http://www.liberation.fr/france/2018/04/05/grenoble-un-batiment-de-la-fac-bloque_1641355

    [6] Les area studies, qui correspondent plus ou moins en français aux « études régionales », reposent sur la notion d’ « aire », telle que l’on trouve ce terme dans l’expression « aire de civilisation ». Comme le montre Jon Solomon, les « aires », constructions héritées de la modernité coloniale et impériale, se fondent sur la notion de « différence anthropologique », pour classer, hiérarchiser le savoir et la société. La géographie a participé et participe encore à la construction de cette taxinomie héritée de la modernité impériale et coloniale, en territorialisant ces « aires” dites « culturelles » ou de « civilisation ».

    [7] Voir la description de l’IMAG sur son site internet : « Le bâtiment IMAG a pour stratégie de concentrer les moyens et les compétences pour créer une masse critique (800 enseignants-chercheurs, chercheurs et doctorants), augmenter les synergies et garantir à Grenoble une visibilité à l’échelle mondiale. L’activité recherche au sein de ce bâtiment permettra également d’amplifier fortement les coopérations entre les acteurs locaux qui prennent déjà place dans l’Institut Carnot grenoblois ’logiciels et systèmes intelligents’ et dans le pôle de compétitivité Minalogic pour atteindre le stade de la recherche intégrative. [...] Nous voulons construire un accélérateur d’innovations capable de faciliter le transfert des recherches en laboratoire vers l’industrie”, https://batiment.imag.fr

    [8] Le laboratoire Verimag indique ainsi sur son site internet travailler, par exemple, en partenariat avec l’entreprise MBDA, le leader mondial des missiles. Voir : http://www-verimag.imag.fr/MBDA.html?lang=en

    [9] « Quelques minutes avant l’incident, Romain Tinière, professeur de droit à l’Université et membre de l’organisation du colloque, faisait le point : « L’objet du colloque n’est pas sur la politique migratoire de l’Union européenne. On aborde Frontex sous la forme du droit. On parle de l’aspect juridique avec les personnes qui le connaissent, notamment avec Frontexit. Pour lui, le rassemblement extérieur portait atteinte à « la liberté d’expression » », Dauphiné Libéré du 23 mars 2018.

    [10] Texte de présentation du colloque, https://cesice.univ-grenoble-alpes.fr/actualites/2018-01-19/frontex-frontex-vers-l-emergence-d-service-europeen-garde

    [11] https://brianholmes.wordpress.com/2007/02/26/disconnecting-the-dots-of-the-research-triangle

    [12] Cowen Deborah, The Deadly Life of Logistics-Mapping Violence in Global Trade, Minneapolis, London, University of Minnesota Press, 2014.

    [13] « En tant que juristes, nous avons logiquement choisi une approche juridique et réunis les spécialistes qui nous paraissaient en mesure d’apporter des regards intéressants et différents sur les raisons de la réforme de cette agence, son fonctionnement et les conséquences de son action, incluant certains des collègues parmi les plus critiques en France sur l’action de Frontex » (lettre de « mise au point des organisateurs » du colloque, 27 mars 2018), disponible ici : https://lunti.am/Lettre-ouverte-aux-organisateurs-du-colloque-de-Frontex-a-Frontex.

    [14] Voir le texte de présentation du colloque, https://cesice.univ-grenoble-alpes.fr/actualites/2018-01-19/frontex-frontex-vers-l-emergence-d-service-europeen-garde

    [15] Ibid.

    [16] Lors de son discours aux armées le 13 juillet 2017, à l’Hôtel de Brienne, le président Emmanuel Macron a annoncé que le budget des Armées serait augmenté dès 2018 afin d’engager une évolution permettant d’atteindre l’objectif d’un effort de défense s’élevant à 2 % du PIB en 2025. « Dès 2018 nous entamerons (une hausse) » du budget des Armées de « 34,2 milliards d’euros », expliquait ainsi Emmanuel Macron.

    [17] https://www.defense.gouv.fr/content/download/523152/8769295/file/LPM%202019-2025%20-%20Synth%C3%A8se.pdf

    [18] Voir le texte de présentation de Frontex sur le site de l’agence : https://frontex.europa.eu/about-frontex/mission-tasks

    [19] Ibid.

    [20] « Le règlement adopté le 14 septembre 2016 « transforme celle qui [était] chargée de la « gestion intégrée des frontières extérieures de l’Union » en « Agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières’. Cette mutation faite de continuités met en lumière la prédominance de la logique de surveillance sur la vocation opérationnelle de Frontex. [...]’. La réforme de Frontex a aussi consisté en de nouvelles dotations financières et matérielles pour la création d’un corps de gardes-frontières dédié : le budget de Frontex, de 238,69 millions d’euros pour 2016, est prévu pour atteindre 322,23 millions d’euros à l’horizon 2020. ’Cette montée en puissance est assortie d’un cofinancement par les États membres de l’espace Schengen établi à 77,4 millions d’euros sur la période 2017-2020’, auxquels il faut ajouter 87 millions d’euros pour la période 2017-2020 ajoutés par l’Union Européenne, répartis comme suit : - 67 millions d’euros pour financer la prestation de services d’aéronefs télépilotés (RPAS ou drones) aux fins de surveillance aérienne des frontières maritimes extérieures de l’Union ; - 14 millions d’euros dédiés à l’achat de données AIS par satellite. Ces données permettent notamment de suivre les navires. Elles pourront être transmises aux autorités nationales.

    [21] Longo Matthew, The Politics of Borders Sovereignty, Security, and the Citizen after 9/11”, Cambridge, Cambridge University Press, 2017

    [22] Ibid.

    [23] Amilhat Szary, Giraut dir., Borderities and the Politics of Contemporary Mobile Borders, Palgrave McMillan, 2015

    [24] Voir : http://www.migreurop.org/article974.html

    [25] Longo Matthew, The Politics of Borders Sovereignty, Security, and the Citizen after 9/11”, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 3

    [26] Voir sur la notion d’ennemi intérieur, l’ouvrage de Mathieu Rigouste, L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris, La Découverte, 2009.

    [27] Voir le rapport global 2016 du HCR –Haut Commissariat aux Réfugiés- : http://www.unhcr.org/the-global-report.html

    [28] Voir à ce sujet l’ouvrage de Claire Rodier, Xénophobie business, Paris, La Découverte, 2012.

    [29] Voir notamment : https://www.lacimade.org/wp-content/uploads/2017/10/Externalisation-UE-Soudan.pdf

    [30] Voir notamment http://closethecamps.org ou encore http://www.migreurop.org/article2746.html

    [31] « Les pays partenaires du projet sont la République Algérienne Démocratique et Populaire, la République Arabe d’Egypte, Israël, le Royaume de Jordanie, le Liban, la Lybie, la République Arabe Syrienne, le Royaume du Maroc, l’Autorité Palestinienne et la République de Tunisie », https://www.euromed-police.eu/fr/presentation

    [32] https://www.euromed-police.eu/fr/presentation

    [33] Extrait de la « lettre ouverte aux organisateurs du colloque ‘De Frontex à Frontex’ » disponible ici : https://lundi.am/Lettre-ouverte-aux-organisateurs-du-colloque-de-Frontex-a-Frontex

    [34] Rancière Jacques, Moments politiques, Interventions 1977-2009, Paris, La Fabrique éditions.

    [35] Ibid.

    [36] Voir : https://www.mediapart.fr/journal/france/051017/un-colloque-universitaire-sur-l-islamophobie-annule-sous-la-pression?ongle

    https://www.mediapart.fr/journal/fr...

    [37] Voir la lettre de « mise au point des organisateurs » du colloque, diffusée le 27 mars 2018, et disponible ici : https://lundi.am/Lettre-ouverte-aux-organisateurs-du-colloque-de-Frontex-a-Frontex

    [38] Voir par exemple pour l’Université Grenoble Alpes : https://www.univ-grenoble-alpes.fr/fr/grandes-missions/formation/formation-continue-et-alternance/formations-diplomantes/validation-des-acquis-de-l-experience-vae--34003.kjsp

    [39] « Le colloque a été organisé « en mêlant des intervenants venant à la fois du milieu académique et du milieu professionnel pour essayer de croiser les analyses et avoir une vision la plus complète possible des enjeux de cette réforme sur l’Union » (texte de présentation du colloque).

    [40] « En tant que juristes, nous avons logiquement choisi une approche juridique et réunis les spécialistes qui nous paraissaient en mesure d’apporter des regards intéressants et différents sur les raisons de la réforme de cette agence, son fonctionnement et les conséquences de son action, incluant certains des collègues parmi les plus critiques en France sur l’action de Frontex. Pour ce faire, il nous a paru essentiel de ne pas nous cantonner à l’approche universitaire mais d’inclure également le regard de praticiens » (lettre de « mise au point des organisateurs » du colloque, 27 mars 2018, disponible ici : https://lundi.am/Lettre-ouverte-aux-organisateurs-du-colloque-de-Frontex-a-Frontex).

    [41] « Certaines personnes [ont été] invitées à apporter leur expertise sur le thème du colloque » (lettre de « mise au point des organisateurs » du colloque, 27 mars 2018, disponible ici https://lundi.am/Lettre-ouverte-aux-organisateurs-du-colloque-de-Frontex-a-Frontex).

    [42] Voir la lettre de « mise au point des organisateurs » du colloque, 27 mars 2018, disponible ici : https://lundi.am/Lettre-ouverte-aux-organisateurs-du-colloque-de-Frontex-a-Frontex

    [43] Voir : https://www.mediapart.fr/journal/france/051017/un-colloque-universitaire-sur-l-islamophobie-annule-sous-la-pression?ongle

    https://www.mediapart.fr/journal/fr...

    [44] Rancière Jacques, Moments politiques, Interventions 1977-2009, Paris, La Fabrique éditions.

    [45] Ibid.

    [46] Ibid.

    https://lundi.am/De-Frontex-a-Frontex-a-propos-de-la-continuite-entre-l-universite-logistique-e

    –-> Article co-écrit par ma collègue et amie #Sarah_Mekdjian

    #colloque #UGA #Université_Grenoble_Alpes #violences_policières #sécurisation #militarisation #complexe_militaro-industriel #surveillance_des_frontières #frontières #IMAG #Institut_de_Mathématiques_Appliquées_de_Grenoble #transferts_de_connaissance #transferts_technologiques #gouvernementalité_logistique #efficacité #logistique #industrie_de_l'armement #dépolitisation #De_Frontex_à_Frontex

  • Background Information for the LIBE Delegation on Migration and Asylum in Italy - April 2017
    http://www.europeanmigrationlaw.eu/documents/Background%20Information-Italy.pdf
    #asile #migrations #réfugiés #Italie #MNA #mineurs_non_accompagnés #enfants #enfance #rapport #hotspots #identification #empreintes_digitales #relocalisation #traite #trafic_d'êtres_humains #loi

    Commentaire de Claire Rodier (via mailing-list Migreurop) :

    Rédigé sur demande de la Commission LIBE du Parlement européen, ce rapport fournit des informations sur la situation de l’asile et de l’immigration en Italie. Il couvre en particulier la situation dans les « hotspots » et les procédures d’asile. Le rapport décrit le #cadre_législatif en vigueur, tel qu’amendé récemment, ainsi que ses implications pratiques.

  • « Crise migratoire » : ce que cachent les mots | Emmanuel Blanchard et Claire Rodier
    http://www.gisti.org/spip.php?article5586

    Au cours de l’été 2015, l’ouverture provisoire de possibilités concrètes d’arriver et de demander l’asile sur son territoire a fait entrer en « crise » une Union européenne qui avait depuis longtemps renoncé à prévoir l’accueil des réfugiés et des migrants. Source : Plein droit

  • Migrants : un business florissant | Passeurs d’infos
    http://www.zinzine.domainepublic.net/?ref=2840

    Claire Rodier du GISTI se présente et présente cette organisation qui observe et analyse l’évolution de la juridiction appliquée aux politiques migratoires françaises. Elle nous parle ensuite d’un e étude qui vient d’être publiée sur le site de Migreurop intitulée « La détention des migrants : un business florissant » ainsi d’un livre publié par le GISTI relatant du même sujet : « Le business de la migration ». Alors que médias et pouvoirs publics sont prompts à dénoncer les réseaux de trafiquants et passeurs qui se feraient de l’argent sur le dos des migrants, ils oublient souvent ou taisent sciemment l’économie, bien légale celle-ci, qui s’est organisée autour du contrôle des migrations. Durée : 57 min. Source : Radio (...)

    http://www.zinzine.domainepublic.net/emissions/PAI/2017/PAI20170225-ClaireRodier.mp3

  • #Mali : un accord est signé avec l’Union européenne pour favoriser le retour des demandeurs d’asile

    C’est le premier accord du genre avec un pays africain. L’Union européenne (UE) a signé dimanche à Bamako un accord avec le Mali visant à lutter contre « les causes profondes de la migration irrégulière » et à « favoriser le retour des migrants maliens depuis l’Europe ».

    http://www.jeuneafrique.com/382792/societe/mali-accord-signe-lunion-europeenne-favoriser-retour-demandeurs-dasile

    #accord_de_réadmission #asile #migrations #réfugiés #UE #EU #Union_européenne #externalisation
    cc @reka

  • Immigration : pourquoi les arguments rationnels ne passent pas

    2 septembre 2016 | Par Carine Fouteau

    L’émotion suscitée par la découverte du corps d’un enfant syrien sur une plage turque n’a pas duré. Un an plus tard, de Nicolas Sarkozy à Jean-Luc Mélenchon, les déclarations des premiers candidats à l’élection présidentielle révèlent à quel point la rhétorique politique constitue les migrants en problème. Cette vision univoque est pourtant contestée par les travaux scientifiques. Mediapart a essayé de comprendre pourquoi les arguments les plus étayés restent inaudibles.

    Les photos d’Aylan Kurdi, cet enfant retrouvé mort le 2 septembre 2015 sur une plage turque alors que sa famille tentait de se rendre en Europe, ont ému le monde entier. Il ne reste plus grand-chose de cette empathie un an plus tard.

    En France, à droite comme à gauche, les premières déclarations des candidats déjà engagés dans la course à l’Élysée témoignent, de Nicolas Sarkozy à François Fillon en passant par Jean-Luc Mélenchon et Arnaud Montebourg, de ce que les migrants sont encore et toujours, élection après élection, considérés comme un problème, alors même que cette vision univoque est unanimement contestée par les travaux scientifiques. Sur ces questions qui promettent d’être au centre de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, l’extrémisme devient la norme. Dans l’espace public tel qu’il est façonné par les représentants politiques en France, le curseur plonge toujours plus à droite sans paraître rencontrer de butée.

    Le livre programmatique que le président des Républicains vient de publier en est le dernier exemple en date : lui qui a verrouillé les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France – en tant que ministre de l’intérieur de 2002 à 2007, puis en tant que président de la République jusqu’en 2012 – n’a pas l’intention de reconnaître qu’il a échoué, y compris au regard des objectifs qu’il s’était fixés. Au contraire, il pousse la surenchère toujours plus loin, calquant ses propositions sur celles du Front national.

    Lui qui a durci les critères d’accès au regroupement familial entend désormais le « suspendre » (ce qui est potentiellement contraire au principe du « droit à mener une vie familiale normale » inscrit à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des droits fondamentaux, et au dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 selon lequel « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ») ; lui qui a vanté l’immigration « choisie » (de travail) veut aujourd’hui la « stopper » (ce qui est contestable au regard des perspectives économiques et démographiques du pays) ; alors qu’en 2007 et 2012, il fustigeait le concept d’« immigration zéro » cher à Marine Le Pen, il le promeut cinq ans plus tard, sans en prononcer le nom.

    L’incohérence ne le gêne pas : s’il entend bloquer l’immigration familiale et économique, il persiste à défendre l’instauration de quotas (pourtant anticonstitutionnelle) ; refusant jusqu’alors de remettre en cause l’aide médicale d’État (reconnue d’utilité publique pour éviter les épidémies et les surcoûts liés à une prise en charge tardive), il est maintenant favorable à sa suppression.

    Le corps échoué d’un enfant de trois ans retrouvé près de Bodrum en Turquie, le 2 septembre 2015. © AP Le corps échoué d’un enfant de trois ans retrouvé près de Bodrum en Turquie, le 2 septembre 2015. © AP
    La vision qu’il dessine est celle d’un pays où les immigrés seraient en trop grand nombre, consommateurs d’allocations, prenant leur travail aux Français ou dégradant les conditions d’emploi. Or une telle vision, il ne peut l’ignorer, repose sur un assemblage de contrevérités. En 2012, Mediapart s’était évertué à les démonter l’une après l’autre (retrouver ici l’argumentaire complet), en s’appuyant non pas sur les analyses d’experts autoproclamés, mais sur les recherches scientifiques réalisées à partir de données fiables, pour la plupart issues d’organismes publics tels que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et l’Institut national d’études démographiques (Ined). Non, les immigrés ne sont pas si nombreux en France en comparaison de la plupart des pays européens, même si la part de certains d’entre eux, notamment les personnes originaires des anciennes colonies du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, s’est accrue ; non, les nouveaux venus ne volent pas le travail des Français, mais il serait faux d’affirmer que les effets de leur présence sur le marché de l’emploi sont nuls ; non, ils ne profitent pas des aides sociales, beaucoup ignorant leurs droits en la matière, mais leur précarité fait qu’ils sont plus susceptibles de recevoir des prestations sociales que d’autres catégories de personnes ; non, ils ne sont pas tous chômeurs, au contraire, ils sont surreprésentés parmi les créateurs d’entreprise, même si beaucoup font faillite, comme n’importe quel auto-entrepreneur ; etc.

    Lire aussi

    Immigrés : une boîte à outils pour répondre à Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy Par Carine Fouteau
    Comment expliquer que les arguments rationnels, globalement valorisants à l’égard des migrants, ne parviennent pas à se faire entendre ? La question taraude non seulement le monde universitaire mais aussi le secteur associatif, qui contribue à compiler et diffuser la plupart des résultats des études scientifiques. « Entre collègues, nous nous désolons de cette déconnexion », indique François Gemenne, chercheur en science politique à l’université de Liège (CEDEM) et à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (CEARC) et chercheur associé au CERI.

    Spécialiste à la fois des questions migratoires et environnementales, il observe une différence de taille dans la réception des enjeux propres à chacun de ces champs. « La rationalité scientifique a une certaine prise sur la décision politique en matière d’environnement, affirme-t-il, ce n’est pas le cas sur l’immigration. » Il y voit plusieurs raisons. Tout d’abord, rappelle-t-il, le savoir produit sur les migrations est un savoir principalement issu des sciences sociales. Or celles-ci, dans l’esprit des responsables politiques et, plus généralement, de l’opinion publique, continuent d’être perçues comme moins fiables et plus orientées idéologiquement que les sciences dites dures.

    Deuxième facteur : ce savoir pâtit de son manque d’organisation. « Il n’existe pas de structure internationale du type du Giec, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat », analyse-t-il. Pas de lieu, donc, pour poser des bases communes de compréhension du réel. « Le savoir est disparate, peu synthétisé et contesté par de faux experts auxquels les médias donnent la parole, faute de contradicteurs, ajoute-t-il. Alors que sur les questions d’environnement, les climato-sceptiques ont été marginalisés. »

    L’absence d’objectif social faisant consensus constitue une autre raison de l’imperméabilité entre les arguments politiques et scientifiques : « Tout le monde s’accorde, en matière d’environnement ou de santé, par exemple, pour dire qu’il faut trouver les moyens de mieux vivre en accord avec la nature ou mieux prévenir et traiter les maladies. Sur les questions migratoires, il n’y a aucun consensus sur l’objectif : faut-il plus ou moins de migrants ? Faut-il ouvrir ou fermer les frontières ? La question même de savoir s’il faut réduire le nombre de morts en Méditerranée n’est pas considérée comme une priorité partagée par tous. »

    « Les débats sont dominés par les croyances, les idéologies et les opinions », résume François Gemenne, qui rappelle que les immigrés sont en priorité perçus comme des intrus menaçant la façon dont chacun se représente sa place dans la société.

    « On nous accuse de minimiser les flux migratoires... ou alors de les amplifier »

    Le décalage est particulièrement manifeste avec les hommes politiques. La question identitaire s’est tellement imposée dans les discours, y compris à gauche, que les personnalités politiques prêtes à défendre une vision positive de l’immigration se font rares. Au PS, seul l’accueil des réfugiés est encore considéré comme acceptable. Du côté de Jean-Luc Mélenchon, le repli l’emporte. Quand Le Monde, le 24 août, lui demande si « l’immigration peut être une chance pour la France », il répond que la question est « piégée ». Affirmant qu’il n’a jamais été « pour la liberté d’installation », il estime que les migrants feraient mieux de rester dans leur pays d’origine. « L’urgent est qu’ils n’aient plus besoin de partir de chez eux (…), déclare-t-il. Émigrer est une souffrance. »

    Cet écart n’est pas surprenant. Complexes, les enjeux liés aux déplacements de population se laissent difficilement saisir en quelques déclarations, remarque Claire Rodier, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), auteure de Migrants & réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (La Découverte, 2016). Déconstruire les préjugés, par exemple l’idée selon laquelle les femmes étrangères viendraient en France pour accoucher et ainsi obtenir des papiers, voire la nationalité française, suppose de mobiliser des références, ce qui prend du temps et demande de l’attention. « C’est ardu, et moins percutant qu’un discours démagogique soutenant que les étrangers représentent un danger pour la République », souligne-t-elle. Autre obstacle : les enjeux migratoires prennent tout leur sens sur un temps long, peu compatible avec les contraintes d’immédiateté inhérentes au système d’offre et de demande en politique.

    « Il n’est pas facile de lutter contre cette grande entreprise de simplification », reconnaît lui aussi François Héran, sociologue, anthropologue et démographe, ex-directeur de l’Ined, auteur de Parlons immigration en 30 questions (Documentation française, 2016). « Les hommes politiques, a fortiori lorsqu’ils sont populistes, pensent qu’ils communiquent directement avec le peuple parce qu’ils commandent des sondages à partir d’échantillons réduits, alors qu’ils ignorent les résultats de travaux réalisés à partir de plusieurs dizaines de milliers d’entretiens », regrette-t-il.

    Se concentrant sur le cas de Nicolas Sarkozy, il souligne l’« incapacité » de l’ex-chef d’État à analyser l’« échec » de sa politique. « Sa recherche de la formule-choc n’a d’égale que son refus de se confronter au réel », insiste-t-il. Même si l’actuel président de LR ne l’admet pas, il n’a pas réussi à réduire les flux migratoires comme il s’y était engagé : le nombre des entrées d’étrangers en France reste stable et constant, autour de 180 000 chaque année depuis plus d’une décennie. « Il n’a pas compris que les flux, en France, ne sont pas alimentés par le marché du travail, mais par le droit. Pour stopper les arrivées, comme il se propose de le faire, il faudrait résilier les conventions internationales ratifiées par la France. Or je ne suis pas certain qu’il soit prêt à aller jusqu’à cette extrémité. Mais, plutôt que de revoir son discours, et d’organiser les choses différemment, il se contente de le durcir, ce qui est inopérant », affirme-t-il. « Les marges d’action du politique sont faibles », insiste François Héran, principalement parce que la France n’est pas seule au monde. « Faire croire l’inverse, poursuit-il, c’est faire preuve d’irréalisme. » Mais comme le métier d’homme politique consiste à faire penser que le réel se « gère » et se « maîtrise », un tel argument passe mal.

    Ceux qui, éventuellement à gauche, seraient tentés, à l’inverse, de nier l’impact des migrations sur la société se tromperaient tout autant, prévient François Héran. « Le changement de visage de la société française au cours des dernières décennies n’est pas une vue de l’esprit », indique-t-il, rappelant les données : au recensement de 1975, 20 % seulement des immigrés vivant en France étaient originaires des anciennes colonies du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, contre 43 % en 2011, tous âges confondus. « Il est évident que l’opinion publique perçoit cette évolution, refuser de la reconnaître serait contre-productif », affirme-t-il, précisant que l’explication tient principalement au tarissement des migrations ibériques (espagnole et portugaise) à partir des années 1980. Et si l’on regarde les « flux » et non plus le « stock », un autre aspect de la réalité apparaît : la part du Maghreb et du reste de l’Afrique dans les entrées a reculé au cours des dernières années pour se situer autour de 30 %.

    L’absence de terrain d’entente entre la sphère politique et le monde de la recherche se traduit de temps à autre par des bras de fer médiatiques. « Quand les démographes font remarquer que les entrées représentent 180 000 personnes par an, soit 0,3 % de la population, on nous accuse de minimiser les flux ; quand on rappelle qu’un quart de la population est soit immigrée, soit enfant d’immigrés, on nous accuse de les amplifier pour les rendre irréversibles », résume François Héran.

    De ce face-à-face, les arguments les plus solidement étayés sortent perdants aux yeux de l’opinion publique. Comme le rappelle chaque année le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), la majorité des Français considèrent qu’il y a trop d’étrangers en France et que la plupart des immigrés viennent en France pour profiter de la protection sociale. Dans la construction de ces représentations négatives, Claire Rodier souligne le rôle dévastateur de certains médias, notamment d’information en continu. « Les migrants sont presque tout le temps représentés de manière effrayante. Les ressorts des reportages sont invariablement la compassion ou l’effroi. Cela ne laisse pas de place à la réflexion », observe-t-elle. Or ce registre de l’émotion est volatil, comme l’a cyniquement montré la diffusion de la photo du petit Aylan. Un consensus semblait s’être construit autour de la nécessité d’aider et de protéger les réfugiés plutôt que de les exclure. Mais, dès que l’empathie s’est effacée des écrans et a disparu des déclarations politiques, la parenthèse s’est refermée. « Ce renversement de l’opinion publique n’était pas rationnel, c’est pour cela qu’il a été de si courte durée », souligne-t-elle.

    Dans la palette des arguments susceptibles de combattre les contrevérités, certains passent toutefois mieux que d’autres : les raisonnements utilitaristes, tournant autour de l’idée que les immigrés rapportent plus qu’ils ne coûtent, sont parmi les plus audibles, selon François Gemenne, alors même qu’ils font partie des moins recevables éthiquement ; Claire Rodier souligne, de son côté, la force du droit pour rappeler les responsables politiques à leurs obligations. « Les succès judiciaires, par exemple à Calais dans la “jungle”, ont un effet mobilisateur qui se traduit par une plus grande visibilité dans l’espace public », note-t-elle, espérant qu’ils finissent par influencer l’opinion publique. Mais le contexte n’est pas propice, jusqu’à l’élection présidentielle tout du moins. La controverse sur le burkini, qui a montré à quel point une tenue manifestant une foi musulmane pouvait heurter viscéralement certaines personnes, augure mal de la suite de la campagne au cours de laquelle il est à prévoir que le rejet de l’autre charpente davantage de discours que la tolérance à l’égard de la différence.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/020916/immigration-pourquoi-les-arguments-rationnels-ne-passent-pas?onglet=full
    #préjugés #asile #migrations #réfugiés #rationalité #irrationalité

  • De #Ferrovial a G4S: empresas que se lucran con los centros de detención de inmigrantes

    En su libro El negocio de la xenofobia, la jurista y activista francesa Claire Rodier pone en cuestión la relación entre empresas privadas cuya actividad depende del control migratorio y el endurecimiento de las leyes y actuaciones policiales de cara a rentabilizar ese tipo de centros. Ahora, a las compañías veteranas en el sector acaba de unirse la española Ferrovial, que se suma al grupo de empresas que hacen negocio con los centros de detención de inmigrantes.

    http://www.eldiario.es/economia/Ferrovial-GS4-negocio-detencion-inmigrantes_0_515149505.html
    #Serco #GEO
    #business #asile #migrations #réfugiés #G4S #détention_administrative #rétention #privatisation

  • La planification d’une déportation de masse : Chronique de « l’ensauvagement » de l’UE , par Said Bouamama
    http://www.investigaction.net/La-planification-d-une-deportation.html

    Dans un silence médiatique et politique assourdissant, les premiers bateaux transportant plusieurs centaines de réfugiés ont commencé la mise en pratique de la plus importante déportation de masse en Europe occidentale depuis la seconde guerre mondiale. Il s’agit ni plus ni moins que d’un nouveau crime historique de l’Union Européenne.Que celui-ci soit légal (en vertu de l’accord signé avec la Turquie) ne change bien entendu rien à son caractère violent et attentatoire aux droits humains. Nous avons affaire ici à un nouveau palier de « l’ensauvagement » de l’Europe riche pour paraphraser Aimé Césaire. Aux portes de cette Europe se multiplient et se multiplieront les camps financés par l’Union Européenne et gérés par Le grand démocrate Erdogan.(...)

    Du côté de l’Union Européenne l’enjeu est de sous-traiter ou d’externaliser la politique de refoulement et de répression des réfugiés. Une telle pratique n’est pas nouvelle. Elle est au cœur des accords qu’impose l’Union Européenne aux pays africains pour faire de ceux-ci des gardes-chiourmes frontaliers (i). Elle est la mission première de l’agence FRONTEX consistant à « délocaliser peu à peu les frontières extérieures de l’UE vers l’Est et vers le Sud pour « mieux repousser les migrants (ii) » ». Tout en continuant ses politiques de pillages et de guerres, l’Union Européenne se dédouane ainsi des conséquences de sa politique étrangère impérialiste.

    Quelques liens référencés dans l’article :

    Echanges et partenariats, Frontex et l’externalisation des contrôles migratoires. L’exemple de la coopération avec les Etats africains,
    >>> http://emi-cfd.com/echanges-partenariats/?p=4154

    Claire Rodier, Des frontières et des hommes, Claire Rodier, spécialiste des questions de politique migratoire, a décrit le processus de délocalisation des frontières extérieures de l’UE qui est en cours. 2009
    >>> http://www.europaforum.public.lu/fr/actualites/2009/11/conf-claire-rodier/index.html

    Aurélie Ponthieu, Accord UE-Turquie, réduire les vies des réfugiés à de simples chiffres. Médecins sans frontières -2016
    >>> http://www.msf.fr/actualite/articles/accords-ue-turquie-reduire-vies-refugies-simples-chiffres

    Gilles de Kerchove, Daech ou Al-Qaïda n’ont pas besoin de faire passer des terroristes parmi les réfugiés 2015
    https://www.euractiv.fr/section/justice-affaires-interieures/interview/_aesh-ou-al-qaida-n-ont-pas-besoin-de-faire-passer-des-terroristes-parmi-le

    Boyko Vassilev, Médias et réfugiés : halte aux clichés et au prêt-à-parler ! - 2015
    >>> https://www.euractiv.fr/section/justice-affaires-interieures/interview/daesh-ou-al-qaida-n-ont-pas-besoin-de-faire-passer-des-terroristes-parmi-le

    Hanane Karimi, De la banalité du sexisme et du racisme, Retour sur les événements de Cologne et leur traitement médiatique,
    >>> http://lmsi.net/De-la-banalite-du-sexisme-et-du

    #migrants #réfugiés #marchandisation_des_migrants #déportation #racisme #droits_de_l'homme #frontière #Frontex #UE #Erdogan
    #médias #Said_Bouamama#Investig’Action

  • La lutte contre les passeurs cache une guerre aux migrants, Claire Rodier
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/10/09/la-lutte-contre-les-passeurs-cache-une-guerre-aux-migrants_4786389_3232.html

    Après une première phase d’observation destinée à collecter du renseignement sur les flux maritimes de ce trafic au large des côtes libyennes, feu vert est désormais donné aux forces militaires des États membres pour « arraisonner, fouiller, saisir et dérouter les embarcations soupçonnées de servir à la traite humaine ». La troisième phase prévoit la destruction des navires. La guerre ainsi déclarée aux #passeurs est-elle une réponse appropriée à ce qu’il est convenu d’appeler la « crise migratoire » que connaît l’Europe depuis de nombreux mois, et à ses conséquences meurtrières (près de 5 000 personnes ont trouvé la mort en tentant de rejoindre le territoire européen depuis janvier 2014, de l’ordre de 30 000 depuis vingt ans) ? On a toutes les raisons d’en douter.

    Une opération inutile

    D’abord au regard des objectifs affichés (« démanteler le modèle économique des trafiquants » pour prévenir l’#immigration irrégulière). La lutte contre les passeurs et le trafic d’êtres humains est une des composantes de la politique migratoire de l’UE depuis plus de dix ans. On ne constate pourtant aucune diminution substantielle du nombre de « passages » au cours de cette période, au contraire. L’agence #Frontex, qui annonce en mars 2015 une augmentation, en douze mois, de 31 % du nombre de passeurs appréhendés, fait pour la même période le constat d’une explosion du nombre d’entrées illégales en Europe (trois fois plus en 2014 qu’en 2013, selon ses chiffres). Certes, le franchissement des #frontières par des personnes dépourvues de documents est devenu un commerce rentable, qui a engendré la mise en place d’organisations criminelles dont les méthodes violentes et les tarifs justifient qu’on s’alarme.

    Mais le développement de ce commerce est proportionnel à celui du verrouillage des voies légales de passage auquel les pays européens s’emploient depuis une vingtaine d’années, en posant notamment des conditions drastiques à la délivrance de visas.

    #migrants

  • Plusieurs articles abordent la question du vocabulaire. Faut-il les appeler migrants, réfugiés, sans-papiers, demandeurs d’asile, exilés...? Les avis sont partagés

    « Migrant » ou « réfugié » : quelles différences ?
    Alexandre Pouchard, Le Monde, le 25 août 2015
    http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/08/25/migrant-ou-refugie-quelles-differences_4736541_4355770.html

    Le « migrant », nouveau visage de l’imaginaire français
    Sylvia Zappi, Le Monde, le 26 août 2015
    http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2015/08/26/le-migrant-nouveau-visage-de-l-imaginaire-francais_4737104_1654200.html

    « Migrants », « réfugiés » : sur le sujet sensible des migrations, le choix des mots n’est pas neutre
    AFP, le 27 août 2015
    https://www.45enord.ca/2015/08/migrants-refugies-sur-le-sujet-sensible-des-migrations-le-choix-des-mots-nes

    Ne dites plus « migrant »
    Jean Quatremer, Libération, le 4 septembre 2015
    http://www.liberation.fr/monde/2015/09/04/ne-dites-plus-migrant_1375999

    La distinction entre réfugiés et migrants économiques ne va pas de soi
    Céline Mouzon, Alter Eco, le 11 septembre 2015
    http://www.alterecoplus.fr/refugies/la-distinction-entre-refugies-et-migrants-economiques-ne-va-pas-de-soi-

    Le discours sur les réfugiés syriens : un analyseur
    Saïd Bouamama, le 11 septembre 2015
    https://bouamamas.wordpress.com/2015/09/14/le-discours-sur-les-refugies-syriens-un-analyseur

    "La distinction entre ’bons’ réfugiés et ’mauvais’ migrants n’est pas tenable"
    Laura Thouny, L’Obs, le 12 septembre 2015
    http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20150910.OBS5614/la-distinction-entre-bons-refugies-et-mauvais-migrants-n-est-pa

    Demandeurs d’asile ou sans-papiers ?
    Paris-Luttes Info, le 13 septembre 2015
    https://paris-luttes.info/demandeurs-d-asile-ou-sans-papiers-3761

    Pourquoi je n’userai pas du terme "réfugié"
    Paris-Luttes Info, le 15 septembre 2015
    https://paris-luttes.info/pourquoi-je-n-userai-pas-du-terme-3770

    Contre la logique du tri : pour un droit d’asile et au séjour, pour tous et toutes, maintenant !
    Solidaires, le 17 septembre 2015
    http://solidaires.org/article51763.html

    #migrants #réfugiés #sans-papiers #demandeurs_d_asile #exilés #Syrie #Guerre #Tragédie #Vocabulaire #Mots
    #recension

  • Guerre aux migrants : l’arme de l’#externalisation

    Au Conseil JAI (Justice et Affaires Intérieures) des 12 et 13 mars 2015 les ministres de l’Intérieur des Etats-membres de l’UE sont convenus de renforcer la coopération avec les pays tiers en vue d’une gestion efficace des flux migratoires : ainsi l’UE ne fait que poursuivre la politique d’externalisation entamée au début des années 2000.

    l’externalisation dans le domaine des politiques d’asile et d’immigration suit une quadruple logique : délocaliser, sous-traiter, privatiser, déresponsabiliser.

    http://blogs.mediapart.fr/blog/migreurop/150715/guerre-aux-migrants-larme-de-lexternalisation
    #privatisation #délocalisation #sous-traitance

    Pour plus de détails sur les projets et leur mise en oeuvre

    Externalisation des camps : projet anglais de zones de protection (2003) et chronologie de l’initiative italo-allemande (2004)
    La délocalisation du traitement de l’asile et les centres d’accueil de réfugiés hors de l’UE (2005)
    Quelques textes sur l’externalisation de l’asile
    Sur le rôle du HCR dans le processus d’externalisation : Protéger les sans-état ou contrôler les indesirables : où en est le HCR ? (Michel Agier, janvier 2006)
    un laboratoire de l’externalisation : la #Pacific_Solution australienne réactivée en 2012
    Processus de Khartoum
    Declaration of the Ministerial Conference of the Khartoum Process (EU-Horn of Africa Migration Route Initiative) Rome, 28 novembre 2014
    Le processus de #Khartoum : un choix contre les migrants (Filippo Miraglia, ARCI, 3 décembre 2014) in italiano
    Le processus de Khartoum, nouvelle étape du dialogue Euro-africain (AEDH, 2014)
    #Processus_de_Khartoum : quand l’Europe sous-traite ses migrants (Catherine Teule, vice-présidente de l’AEDH, 23 avril 2015)

    Des analyses

    Qu’est-ce que l’externalisation ? (Emmanuel Blanchard, mars 2006)
    L’Europe sous-traite la demande d’asile (Claire Rodier, avril 2006)
    Le business de la migration (Claire Rodier, juin 2014)
    des frontières et des hommes (Claire Rodier, 2009)
    Nous sommes dans un contexte de guerre aux migrants (entretien avec Emmanuel Blanchard, nov. 2006)

    Oui, nous sommes depuis longtemps dans un contexte de guerre aux migrants et l’externalisation en est l’une des armes.

    #migration #asile #réfugiés #Australie #modèle_australien

  • Mediapart | Bruxelles 2015 – #Evian 1938 : de sinistres résonances

    « Décidément l’histoire bégaie », c’est la conclusion de #Claire_Rodier membre du Gisti et vice-présidente du réseau Migreurop, et #Danièle_Lochak professeure émérite de droit de l’université Paris Ouest-Nanterre et membre du Gisti qui mettent en parallèle deux dates de l’histoire : Bruxelles 2015 et Evian 1938.

    http://www.asile.ch/vivre-ensemble/2015/05/03/mediapart-bruxelles-2015-evian-1938-de-sinistres-resonances

    #réfugiés #asile #migration #histoire #juifs

  • Bruxelles 2015 – Evian 1938 : de sinistres résonances

    Bruxelles 2015 – Evian 1938 : de sinistres résonances
    1/5/15 Claire Rodier - Danièle Lochak

    « Décidément l’histoire bégaie », c’est la conclusion de Claire Rodier membre du Gisti et vice-présidente du réseau Migreurop, et Danièle Lochak professeure émérite de droit de l’université Paris Ouest-Nanterre et membre du Gisti qui mettent en parallèle deux dates de l’histoire : Bruxelles 2015 et Evian 1938.

    Bruxelles, avril 2015

    Un sommet européen extraordinaire est consacré aux « pressions migratoires en Méditerranée ». Après avoir observé une minute de silence en hommage aux victimes des naufrages qui, en quelques jours, ont provoqué la mort de plus de 1000 personnes en quête de protection en Europe, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne décident... de ne rien faire pour mettre fin à cette hécatombe. Pire : en renforçant les moyens de l’agence Frontex – dont la mission est de surveiller les frontières et de dissuader l’immigration irrégulière, pas de faire du sauvetage – et en annonçant qu’ils vont s’attaquer à la principale « source » du problème – l’incontrôlable Libye – pour bloquer les tentatives de départ, les 28 Etats membres de l’UE ont choisi de rendre encore plus difficile la traversée, de renchérir le prix du passage et de renvoyer des réfugiés dans les mains de leurs persécuteurs. Et ce, malgré les exhortations venant de toutes parts, notamment du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés qui les invite depuis quatre ans à faire preuve de solidarité en accueillant des réfugiés. Le sommet se conclut sans aucun engagement ferme d’accueil des exilés dans les pays européens.

    Evian, juillet 1938

    L’adoption des lois raciales de Nuremberg en 1935 puis l’annexion de l’Autriche par Hitler précipitent plusieurs centaines de milliers de juifs dans les ambassades pour y demander des visas d’émigration. En vain... malgré les alertes du Haut-Commissaire pour les réfugiés (l’ancêtre du HCR d’aujourd’hui). A l’initiative de Roosevelt, désireux d’éviter un afflux massif de réfugiés aux Etats Unis, une conférence internationale réunit au mois de juillet 1938 les représentants de 31 pays à Evian pour discuter de l’installation dans des pays d’accueil des personnes persécutées en raison de leur race ou de leur religion. Après avoir évoqué avec beaucoup d’émotion le problème des réfugiés, les délégations abordent la question de leur éventuelle répartition dans leurs pays respectifs. À l’issue de neuf jours de discussion, il apparaît que les États ne sont pas prêts à leur ouvrir leurs portes. L’Angleterre n’a accepté de participer à la conférence qu’à la condition que n’y soit pas évoquée la possibilité d’émigrer en Palestine, alors sous mandat britannique. Les Etats Unis n’augmenteront pas leurs quota annuel d’immigrants - une trentaine de milliers toutes nationalités confondues. Quelques pays d’Amérique du Sud consentent à accepter des travailleurs agricoles. L’Australie, qui ne connaît pas de « problème racial réel » chez elle, juge inutile « d’en créer un » en accueillant des juifs (sic). La France n’en prendra pas : elle en est, selon le chef de sa délégation, « au point de saturation qui ne permet plus d’accueillir de nouveaux réfugiés sans une rupture d’équilibre de son corps social ».

    Dans la résolution finale de la conférence d’Evian, où les termes « réfugiés politiques » ont été remplacés par « immigrants involontaires » pour éviter de froisser le troisième Reich, aucun engagement n’est pris. Les centaines de milliers de juifs traqués par la violence nazie en Allemagne et en Autriche devront se contenter de l’annonce de la création d’un comité intergouvernemental « chargé d’entreprendre des négociations en vue d’améliorer l’état des choses actuel et de substituer à un exode une émigration ordonnée, en rapport avec les pays d’asile et d’établissement ».

    Décidément l’histoire bégaie.

    http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/010515/bruxelles-2015-evian-1938-de-sinistres-resonances

    #migrations

  • "Plus on renforce les contrôles, plus les migrants prennent des risques"

    Claire Rodier est directrice du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) à Paris et vice-présidente de Migreurop, un réseau européen et africain de militants et de chercheurs qui travaillent sur les questions migratoires en Europe.

    www.micmag.be/les-dossiers/controle-des-frontieres-de-l-ue-l-impasse/item/496-plus-on-renforce-les-controles-plus-les-migrants-prennent-des-risques
    #contrôles_frontaliers #migration #asile #réfugiés #mourir_aux_frontières #Forteresse_Europe #frontière

  • #Idées_reçues sur les migrations

    « Je m’interroge sur l’efficacité des politiques qui depuis vingt ans prétendent gérer et contrôler les migrations (…) Comme si chaque nouveau dispositif de contrôle mis en place n’avait pour utilité que de révéler les failles et les lacunes des précédents, et pour finalité de justifier les suivants. » Claire Rodier, Libération, 1 octobre 2012.

    http://www.ritimo.org/article5442.html
    #mythe #préjugés #stéréotypes #migration

  • “L’externalisation” ou quand les frontières se déplacent

    Depuis le début des années 2000, l’Union européenne et ses États membres se sont appuyés sur les régimes du sud de la Méditerranée pour délocaliser leur politique d’asile et d’immigration. C’est ce qu’on appelle l’externalisation. Selon Claire Rodier (juriste au GISTI), avec le lancement de la “dimension externe” de la politique d’asile et d’immigration en 2004, ce principe d’externalisation est devenu « la clef de voûte de toutes les négociations menées avec les voisins de l’Est et du Sud ». Ainsi, tout accord commercial ou économique conclu entre l’Union européenne et un pays voisin est désormais agrémenté d’une clause migratoire qu’il est difficile de refuser. C’est de facto une sous traitance contrainte de la surveillance des frontières qu’organise l’Europe. Un effet : la multiplication des lieux de rétention au sud de la méditerranée.

    La carte ci dessus montre la localisation des camps recensés par le réseau Migreurop chaque année. A leur localisation ponctuelle (les points noirs), est ajoutée une zone rouge représentant l’espace couvert par ces camps (définie automatiquement par une enveloppe convexe : convex hull). Au fil des ans, cette frontière mobile ainsi matérialisée se déplace, se répand, pour finalement franchir la méditerranée et rejoindre le Sahara. Si la limite de cette zone sur la carte est par construction artificielle, l’animation a néanmoins l’avantage d’illustrer simplement ce déplacement de frontière et cette politique d’externalisation (ou d’#expansion ?) de l’Europe.


    http://neocarto.hypotheses.org/713

    #carte #visualisation #cartographie #carte_animée #migration #frontière #externalisation_des_frontières #camps #réfugiés #asile #UE #Europe #frontière_mobile #animation #Méditarranée

    • Cette carte a été réalisée intégralement avec le langage #R (avec les packages maptools, rgeos et animation).

  • Received from a friend/colleague

    Tonight programme of Tegenlicht (VPRO weekly investigation journalism on globalization, producing great stuff for years and years)

    Het Veiligheidscomplex (the security complex)

    Ici il est apparemment possible de regarder la vidéo:
    http://www.uitzendinggemist.nl for the public broadcast

    or
    http://tegenlicht.vpro.nl/afleveringen/2013-2014/veiligheidscomplex.html
    plus companion article on #smart_borders:
    tegenlicht.vpro.nl/nieuws/2014/februari/smart-borders.html

    The commentary is in dutch and a few great interviews (one crazy biometrics guy and one interesting Dutch guy #Dijstelbloem i did not know yet - work for the WRR which is the " scientific coucil for governtment policy) but most interviews are in english (a guy from TNI and the frontex people) and french (#Claire_Rodier)
    also interesting takes from inside #Frontex and at the #Milipol
    and more border technologies.....
    you can also check the main interviewee on the website (the biometrics guy really believes in it)

    #frontière #technologie #migration #sécurité #biométrie #contrôle_frontalier

  • Article de #Claire_Rodier dans Vivre Ensemble (www.asile.ch)

    Le #contrôle des #frontières : un #mirage aux #enjeux_humains et financier

    Peut-on verrouiller les frontières de la Suisse et de l’Europe ? Une politique « dissuasive » a-t-elle une quelconque valeur éthique lorsqu’on l’applique à un pays en guerre ou à une dictature comme ce fut par exemple le cas de la Syrie ? La mise en place d’un arsenal législatif visant à contrôler les flux migratoires dont nous sommes les témoins s’accompagne d’une vaste entreprise de fermeture physique des frontières. Une entreprise aux conséquences humaines désastreuses, foulant un droit humain fondamental, celui de chercher protection contre la persécution. Mais aussi, aspect moins connu, une entreprise qui, pour servir certains intérêts financiers, perpétue la chimère d’un possible contrôle des frontières. Claire Rodier, Membre du GISTI (groupe d’information et de soutien des immigré.e.s, Paris) et du réseau euro-africain Migreurop, auteure de Xénophobie Business, nous en livre un aperçu. (réd.)

    http://www.asile.ch/vivre-ensemble/2013/10/20/le-controle-des-frontieres-un-mirage-aux-enjeux-humains-et-financier

    #Rodier #migration

  • Migrants et mercenaires - La Vie des idées
    http://www.laviedesidees.fr/Migrants-et-mercenaires.html

    Le drame de Lampedusa a jeté une lumière crue sur les effets du contrôle des frontières, que l’Europe externalise et privatise afin d’opacifier les responsabilités et d’entretenir un marché de la peur. Claire Rodier révèle les implications idéologiques et économiques de ce phénomène, et ses effets pervers.