person:grégoire chamayou

  • Eh bien, recyclez maintenant ! | Grégoire Chamayou
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/CHAMAYOU/59563

    Poubelle jaune, poubelle verte, poubelle bleue… À grand renfort de sermons, on nous chante les louanges d’une « citoyenneté moderne » associée à un geste : le tri des déchets, considéré comme la garantie de sauver une planète dégradée de toutes parts. C’est peut-être se méprendre sur la logique qui sous-tend cette injonction à l’« écoresponsabilité » des consommateurs. Source : Le Monde diplomatique

  • Grégoire Chamayou : « Pour se défendre, le néolibéralisme a fait refluer le trop-plein de démocratie »
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gregoire-chamayou-pour-se-defendre-le-neoliberalisme-a-fait-refluer-le-tr

    Dans sa Théorie du drone, parue il y a cinq ans aux éditions la Fabrique, le philosophe Grégoire Chamayou se penchait sur les enjeux éthiques de cette nouvelle arme de guerre. Avec la Société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire (la Fabrique encore), il prend à nouveau de la hauteur pour dresser une saga du néolibéralisme « par en haut », du point de vue ceux qui ont défendu les intérêts du monde des affaires, aux Etats-Unis, à partir des années 70 : dirigeants d’entreprise, lobbyistes, théoriciens comme Milton Friedman et Friedrich Hayek… Chamayou a analysé les interviews des uns, les manuels de management des autres, les comptes rendus des assemblées générales, les textes de Prix Nobel comme les récits de briseurs de syndicats… « Une littérature grise, dit-il, qui n’est pas publiée en librairie. Les zones grises, aussi, des discours des économistes. Des textes disparates à considérer comme les éléments d’un même ensemble pratique. » Au terme de ce brillant panorama, la Société ingouvernable dresse un constat : le néolibéralisme dans lequel nous évoluons n’a rien de naturel ni de pur. C’est un système chancelant qui s’est construit à hue et à dia, de manière pragmatique, en réaction à de multiples crises d’une société jamais totalement « gouvernable ».

    La formule de « libéralisme autoritaire » a été employée dès 1933 par un juriste antifasciste, Hermann Heller, à propos d’un discours de Carl Schmitt face à une assemblée de patrons allemands. Schmitt y défendait un Etat extrêmement fort face aux revendications sociales mais renonçant à son autorité en matière économique. « Un Etat fort pour une économie saine », résumait-il. Cinquante ans plus tard, en pleine dictature Pinochet, le théoricien néolibéral Friedrich Hayek, qui a beaucoup lu Carl Schmitt, confie à un journal chilien : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. » Mais le libéralisme autoritaire a de multiples variantes. Thatcher, elle aussi, vise « un Etat fort pour une économie libre ». En pratique, cela suppose, à des degrés divers, de marginaliser la sphère parlementaire, restreindre les libertés syndicales, éroder les garanties judiciaires… A côté de ce renforcement de l’Etat, on limite, de manière paradoxale, son champ d’intervention. C’est le concept de libéralisme autoritaire : faible avec les forts et fort avec les faibles.

  • Action(naires)/Réaction(naires) :

    Notes sur La Société ingouvernable de Grégoire Chamayou
    Par Mathieu Triclot

    https://www.jefklak.org/actionnaires-reactionnaires

    Contrairement à sa dépolitisante condamnation médiatique et policière, la joyeuse mise à feu et à sac de « la plus belle avenue du monde » par une rue jaune de rage samedi dernier a été un message clair aux maîtres (de la fin) du monde. Pas simplement adressé gouvernement actuel de l’entreprise-France, mais aussi aux multinationales, ces gouvernements privés qui tentent encore de faire croire que leurs décisions répondent à une raison économique par delà le bien et le mal, par delà le politique. Dans La Société ingouvernable (La Fabrique, 2018), Grégoire Chamayou décrypte cette soi-disant raison économique en relisant les écrits et controverses des théoriciens du management et autres militants de l’économie ; il propose à ses lecteurs et lectrices une boîte à outil pour mieux appréhender les formes contemporaines du pouvoir. Mathieu Triclot nous en livre une recension placée sous le signe de l’amitié philosophique : pas de regard expert, mais une lecture critique d’un ouvrage qui cogne et enrage.

  • Grégoire Chamayou : « Pour se défendre, le néolibéralisme a fait refluer le trop-plein de démocratie » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gregoire-chamayou-pour-se-defendre-le-neoliberalisme-a-fait-refluer-le-tr

    Confrontés à l’activisme des années 70 puis aux exigences éthiques des consommateurs, penseurs libéraux et directions d’entreprises ont mis au point des guides de management et des théories politiques pour défendre le capitalisme contesté. En disséquant ces discours, le philosophe dresse une brillante saga du libéralisme autoritaire.

    Dans sa Théorie du drone, parue il y a cinq ans aux éditions la Fabrique, le philosophe Grégoire Chamayou se penchait sur les enjeux éthiques de cette nouvelle arme de guerre. Avec la Société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire (la Fabrique encore), il prend à nouveau de la hauteur pour dresser une saga du néolibéralisme « par en haut », du point de vue ceux qui ont défendu les intérêts du monde des affaires, aux Etats-Unis, à partir des années 70 : dirigeants d’entreprise, lobbyistes, théoriciens comme Milton Friedman et Friedrich Hayek… Chamayou a analysé les interviews des uns, les manuels de management des autres, les comptes rendus des assemblées générales, les textes de Prix Nobel comme les récits de briseurs de syndicats… « Une littérature grise, dit-il, qui n’est pas publiée en librairie. Les zones grises, aussi, des discours des économistes. Des textes disparates à considérer comme les éléments d’un même ensemble pratique. » Au terme de ce brillant panorama, la Société ingouvernable dresse un constat : le #néolibéralisme dans lequel nous évoluons n’a rien de naturel ni de pur. C’est un système chancelant qui s’est construit à hue et à dia, de manière pragmatique, en réaction à de multiples crises d’une société jamais totalement « gouvernable ».

    Politiquement autoritaires et économiquement libéraux, les gouvernements de Trump ou d’Orbán nous semblent des aberrations. Vous dites à l’inverse qu’ils n’ont rien de contradictoires, pourquoi ?

    On se fait souvent une idée fausse du néolibéralisme comme « phobie d’Etat », anti-étatisme unilatéral. L’actualité montre à l’inverse une nouvelle fois que libéralisme économique et autoritarisme politique peuvent s’unir : le conseiller économique de Bolsonaro, Paulo Guedes, est un « Chicago boy », un ultralibéral formé à l’École de Chicago, qui a enseigné au Chili sous Pinochet. La formule de « libéralisme autoritaire » a été employée dès 1933 par un juriste antifasciste, Hermann Heller, à propos d’un discours de Carl Schmitt face à une assemblée de patrons allemands. Schmitt y défendait un Etat extrêmement fort face aux revendications sociales mais renonçant à son autorité en matière économique. « Un Etat fort pour une économie saine », résumait-il. Cinquante ans plus tard, en pleine dictature Pinochet, le théoricien néolibéral Friedrich Hayek, qui a beaucoup lu Carl Schmitt, confie à un journal chilien : « Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique sans libéralisme. » Mais le libéralisme autoritaire a de multiples variantes. Thatcher, elle aussi, vise « un Etat fort pour une économie libre ». En pratique, cela suppose, à des degrés divers, de marginaliser la sphère parlementaire, restreindre les libertés syndicales, éroder les garanties judiciaires… A côté de ce renforcement de l’Etat, on limite, de manière paradoxale, son champ d’intervention. C’est le concept de libéralisme autoritaire : faible avec les forts et fort avec les faibles.

    Vous faites remonter cette forme abâtardie du libéralisme aux années 70, quand le monde des affaires doit réagir à une série de crises qui menacent le système…

    Au milieu des années 70, on pense assister à une crise de gouvernabilité. Dans un rapport de la Trilatérale (1), le néoconservateur Samuel Huntington s’inquiète d’un « déferlement démocratique ». A gauche, Michel Foucault écrit que l’ensemble des procédés par lesquels on conduit les hommes sont remis en question. Non seulement on se révolte partout, mais les techniques de gouvernement sont elles-mêmes en crise. L’Etat-providence qui devait avoir un effet pacificateur a mis le feu aux poudres. Avec le quasi-plein-emploi, les travailleurs ont un rapport de force favorable. Des activistes mettent en cause les pratiques des multinationales et l’État lui-même semble hors de contrôle… Les intellectuels conservateurs s’y résignent : « Il va falloir intervenir. » La « main invisible » ne réglera pas le problème toute seule… Dans ce livre, j’étudie comment ces stratégies se sont élaborées, ce qui ne veut pas dire qu’il y aurait quelque chose comme un « comité central de la classe capitaliste » qui tirerait les ficelles. Au contraire, ce que montrent les documents - articles d’économistes, mais aussi discours de PDG, guides de management… -, ce sont des formulations contradictoires, des réactions pragmatiques à chaque conflit qui surgit. Une pensée qui se cherche en colmatant les brèches.

    Comment le monde de l’entreprise va-t-il réagir à la remise en cause de l’entreprise qui émerge dans la société civile ?

    Le #management était habitué à gérer les conflits avec ses salariés. Il va devoir apprendre à répondre à des assauts externes. En 1970, l’activiste de la New Left mobilisée contre la guerre du Vietnam, Staughton Lynd, pose cette question : pourquoi continuons-nous à manifester à Washington comme si c’était là que se jouait la guerre du Vietnam ? Puisqu’elle est le produit d’un complexe militaro-industriel, il faut attaquer les grandes entreprises de l’armement, envahir les assemblées générales d’actionnaires. Les directions de ces entreprises sont d’abord démunies : des guides pratiques rédigés à l’attention des PDG leur conseillent de surtout rester cool en cas de débordements, on monte des sessions d’entraînement où les salariés jouent le rôle des activistes et soumettent les dirigeants à tous les outrages. « Ça a été l’une des épreuves les plus dures pour le PDG »,témoigne une secrétaire de direction dans l’un des documents que j’ai étudié. Et sans doute un moment jouissif pour les salariés…

    Nestlé, confronté, de 1977 à 1984, à un boycott international qui l’accuse de « tuer les bébés » avec son lait infantile vendu dans les pays du tiers-monde, opte vite pour une autre parade, laquelle ?

    La #multinationale recrute un conseiller en relations publiques venu du renseignement militaire, Rafael Pagan. La différence entre les activistes et vous, dit-il à Nestlé, c’est que les activistes, eux, savent qu’ils font de la politique. Avec sa cellule de crise, Pagan va s’appuyer sur la pensée de Clausewitz : priver l’adversaire de sa force morale. Il classe les militants en plusieurs profils : il faut isoler les « radicaux », avec lesquels il n’y a rien à faire, rééduquer les « idéalistes », sincères mais crédules. La tactique psychologique principale, c’est de les mettre en porte-à-faux, leur montrer qu’alors même ils croient défendre une cause juste, ils font du tort à d’autres groupes. Quant aux « réalistes », on parvient facilement à les coopter, à échanger un accord contre de la gloire ou de l’argent.

    Les années 80 voient émerger les discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises. Le dialogue devient une arme dans la panoplie des firmes. Pourquoi ?

    Cela ne figure pas dans l’histoire officielle de la « responsabilité sociale des entreprises », mais une des premières publications sur le sujet a été parrainée aux Etats-Unis par Edward Bernays, l’auteur du fameux Propaganda. Or son modèle - fabriquer du consentement de manière verticale vers un public malléable, a trouvé ses limites. Bien sûr on continuera de faire de la pub, mais il faut recourir à des tactiques plus fines. C’est l’éloge d’une nouvelle idole : la communication dialogique, qu’on oppose à la manipulation. On vante la « coproduction de sens », la « communication éthique », « l’empathie entre les parties prenantes »… Un discours pseudo-philosophique qui masque une stratégie plus offensive. Lorsque Pagan dialogue avec les activistes de #Nestlé, il ne s’agit pas de négocier, c’est une ruse. Le dialogue permet de priver les militants d’une de leurs ressources les plus précieuses, la publicisation du conflit, puisqu’il doit être mené à huis clos. Il épuise l’adversaire dans d’interminables pourparlers, et en posant le consensus comme norme absolue, il permet de disqualifier ceux qui refusent le dialogue comme des irresponsables.

    En parallèle de ces tactiques pragmatiques mises en places par les firmes, les grands théoriciens du néolibéralisme, eux, vont mener une contre-offensive intellectuelle visant à « dépolitiser » l’entreprise afin de la faire échapper aux critiques des activistes.

    Dans les années 60, la pensée « managérialiste » admettait que la firme était un « gouvernement privé », un lieu de pouvoir, qu’il fallait bien tenter de légitimer : c’est notamment le rôle des discours sur la « responsabilité sociale » des entreprises ou le « managérialisme éthique ». Mais à partir des années 70 et 80, les théoriciens néolibéraux vont considérer qu’il est très dangereux de reconnaître ces rapports de pouvoir et de tenter de les justifier. C’est le cas de Milton Friedman qui critique ainsi le « greenwashing » naissant : « Peu de choses me soulèvent davantage l’estomac que de regarder ces spots télévisés qui voudraient nous faire croire que leur seule raison d’être est la préservation de l’environnement. » Pour ces économistes, il faut au contraire inventer une doctrine de l’entreprise qui la dépolitise. Pour cela, dans les années 70, les penseurs des « nouvelles théories de la firme » vont tâcher de déréaliser l’entreprise, dénier les rapports de force qui la constituent et la présenter comme une pure fiction juridique, un simple nœud de contrats. Aujourd’hui, dans les manuels d’économie, on présente ces thèses comme des doctrines neutres. Leurs auteurs, pourtant, les ont explicitement conçues comme des armes intellectuelles pour la défense d’un capitalisme contesté.

    Après les salariés, après les activistes, les néolibéraux s’attaquent à l’Etat lui-même, devenu « ingouvernable ». Comment s’y prennent-ils ?

    Face à l’inflation des revendications, on assiste à ce que Hayek appelle une « crise de gouvernite aiguë » de l’Etat. Ça régule, ça intervient… Comment faire refluer les demandes sociales, le trop-plein de démocratie ? Des économistes de l’université de Saint-Andrews, en Ecosse, proposent une nouvelle stratégie : la micropolitique de la privatisation. Cessons de nous focaliser sur la bataille des idées, disent-ils : conquérir les cœurs et les esprits ne suffit pas à changer les pratiques. C’est l’inverse : il faut changer pas à pas les comportements, et le reste suivra. Ouvrir progressivement les services publics à la concurrence, plutôt que privatiser brutalement, permet de dépolitiser la demande : tandis que l’usager insatisfait se retournait contre les pouvoirs publics, le client mécontent change de crémerie. Une fois la libéralisation actée, ce sont les individus eux-mêmes par leurs microchoix de consommateurs, qui deviennent les moteurs du changement. Le chef de file de ce courant, Madsen Pirie, cite l’exemple de la #dérégulation, par une Thatcher fraîchement élue, en 1980, du transport interurbain par bus - amorce pour la privatisation des chemins de fer britanniques…

    Votre livre approche l’entreprise par la philosophie. Pourquoi dites-vous que cette discipline tente trop rarement de saisir cet objet ?

    En philosophie, on a des théories de la souveraineté politique qui remontent au XVIIe siècle, mais peu de traités sur l’entreprise. Quand la philosophie intègre la question à ses enseignements, c’est trop souvent en reprenant les discours indigents produits dans les business schools. Il serait temps au contraire de développer des philosophies critiques de l’entreprise. Ce livre est un travail en ce sens, une enquête sur des catégories centrales de la pensée économique et managériale dominante. A la crise de gouvernabilité a répondu un contre-mouvement, une grande réaction où se sont inventés des nouveaux arts de gouverner, encore actifs aujourd’hui. Alors même que ces procédés de pouvoir nous sont appliqués en permanence, nous connaissons mal leur origine et leurs ressorts fondamentaux. Or, je crois que vendre la mèche, exposer leurs stratégies peut contribuer à mieux les contrer. Ce qui a été fait, on peut le défaire. Encore faut-il en connaître l’histoire.

    (1) Créée en 1973, la Commission trilatérale réunit des centaines de personnalités du monde des affaires et de la politique favorables à la globalisation économique.
    Sonya Faure

    Lien déjà cité par ailleurs mais sans l’interview en entier.

    #chamayou #capitalisme #entreprise #libéralisme #autoritarisme #état #privatisation

  • Grégoire Chamayou : « Pour se défendre, le néolibéralisme a fait refluer le trop-plein de démocratie » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/11/09/gregoire-chamayou-pour-se-defendre-le-neoliberalisme-a-fait-refluer-le-tr

    Confrontés à l’activisme des années 70 puis aux exigences éthiques des consommateurs, penseurs libéraux et directions d’entreprises ont mis au point des guides de management et des théories politiques pour défendre le capitalisme contesté. En disséquant ces discours, le philosophe dresse une brillante saga du libéralisme autoritaire.

    (...) Chamayou a analysé les interviews des uns, les manuels de management des autres, les comptes rendus des assemblées générales, les textes de Prix Nobel comme les récits de briseurs de syndicats… « Une littérature grise, dit-il, qui n’est pas publiée en librairie. Les zones grises, aussi, des discours des économistes. Des textes disparates à considérer comme les éléments d’un même ensemble pratique. » Au terme de ce brillant panorama, la Société ingouvernable dresse un constat : le néolibéralisme dans lequel nous évoluons n’a rien de naturel ni de pur. C’est un système chancelant qui s’est construit à hue et à dia, de manière pragmatique, en réaction à de multiples crises d’une société jamais totalement « gouvernable ».

    #livre #néolibéralisme #management #gouvernementalité

  • « La pensée, plus que jamais, n’existe que dans la confrontation »
    https://unphilosophe.com/2018/10/22/entretien-avec-serge-quadruppani-la-pensee-plus-que-jamais-nexiste-que

    Entretien avec Serge Quadruppani sur le site Un Philosophe à propos de son livre « Le monde des grans projets et ses ennemis »

    Je n’ai aucune idée de ce que sont les « penseurs de métier ». Aujourd’hui, on a des personnages médiatiques qui prennent des poses de penseurs, qui sont complètement déconsidérés, que plus personne ne prend au sérieux mais que les médias continuent à promouvoir. Leur fonction n’est évidemment pas d’aider leurs contemporains à penser, mais de les distraire de l’effort de penser, en leur fournissant des banalités de comptoir machinalement répétées (l’obsession du « c’était mieux avant » chez Finkelkraut ou Debray) ou des énormités tonitruantes (comme l’équation « Freud=nazi » chère à Onfray), ou pour s’offrir comme cibles à sarcasmes et dis-penser de prendre quoi que ce soit au sérieux (la dérision généralisée, arme de soumission massive). Parce que la pensée, plus que jamais, n’existe que dans la confrontation. On ne pense pas le monde suivant qu’on s’y soumet à travers les dispositifs spectaculaires et les parcours fléchés du discours dominant, ou qu’on s’y affronte sur le terrain, avec les zadistes, les soutiens aux migrants, les travailleurs en grève. S’il existe bien des chercheurs qui trouvent (comme Grégoire Chamayou, au hasard), c’est-à-dire des gens payés (plutôt chichement, en général) pour accumuler des données, rares sont les données qui donnent quelque chose à la lutte, mais celles-là sont évidemment précieuses. C’est aux gens qui luttent de construire un contre-savoir et un contre-imaginaire. Sur la Zad ou dans la vallée de Susa, et en bien d’autres lieux qui résistent au saccage de la planète, des gens s’y emploient. Ils ne font pas métier de penser, mais ils pensent.

    #grands_projets #grands_projets_inutiles #ZAD #NDDL #Val_Souza #autonomie #communs

  • Trucs et astuces pour discipliner les salariés récalcitrants - regards.fr
    http://www.regards.fr/idees/article/trucs-et-astuces-pour-discipliner-les-salaries-recalcitrants

    La Société ingouvernable, Une généalogie du libéralisme autoritaire (La Fabrique) est un essai de théorie économique, écrit par un philosophe, qui se lit comme un polar. Grégoire Chamayou nous emmène dans les tréfonds feutrés des hautes sphères du pouvoir, là où les intellectuels organiques des classes dominantes ont échafaudé les théories, les concepts et les tactiques encore à l’œuvre aujourd’hui pour défendre et consolider le « système de libre entreprise » qui leur est si cher.

    .../...

    Décidément, on aurait tort de sous-estimer nos adversaires. Il faut les lire, rentrer dans leur tête, comprendre le machiavélisme de ce qu’ils ont mis en œuvre, avec succès, pour nous « contenir ».

    • [La Société ingouvernable, Une généalogie du libéralisme autoritaire, de] Grégoire Chamayou explore comment les penseurs des classes dominantes ont mis au point dans les années 70 les théories, les concepts et les #tactiques à même de #discipliner aussi bien les #travailleurs dans les entreprises que les Etats.[...]

      Ça commence dans les années 1970. « Partout, ça se rebiffait » : les femmes, les racisés, les étudiants, les salariés, etc. Tous remettent en cause le capitalisme et ses institutions, menacent de se rendre "ingouvernables". Se concentrant sur la crise de la gouvernabilité qui affecte particulièrement l’entreprise, Chamayou analyse une par une les contre-attaques telles qu’elles seront élaborées puis appliquées pour mater chaque foyer potentiel d’insoumission. On pense tout de suite à la doctrine néolibérale bien sûr, mais celle-ci n’est qu’une option stratégique parmi d’autres de ce vaste mouvement de réaction qui se déploie alors.

      Extrait
      http://lafabrique.fr/wp-content/uploads/2018/07/extrait-chamayou.pdf

      En même temps, faudra se satisfaire d’un texte inaccessible sur le net et d’un livre dont les centaines de notes sont reléguées en fin de volume.

      #livre #néolibéralisme #stratégie #micropolitique #histoire #capitalisme

  • Lutte des classes, lutte des places
    https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouvelles-de-leco/les-nouvelles-de-leco-du-mardi-08-mai-2018

    Le géographe Michel Lussault développe une analyse des "places", considérées non seulement dans leur dimension spatiale, mais aussi sociale et qui permettent de comprendre les nouvelles luttes politiques et économiques à l’oeuvre dans la mondialisation.


    Illustration du Capital par Hugo Gellert• Crédits : VITALIY KARPOV / RIA NOVOSTI / SPUTNIK - AFP - AFP

    Le géographe Michel #Lussault développe une analyse des "places", qui renvoie à une conception de l’#espace, non comme un simple contenant, un cadre extérieur dans lequel se déroulerait la vie économique, mais bien un objet particulier à considérer en soi. Par “place”, il ne faut donc pas entendre de simples localisations géographiques, ni même une situation dans un espace social, mais une tentative de conciliation entre les deux.

    Cette analyse originale est intéressante, car elle permet d’avoir un regard neuf sur les relations de pouvoir et de cohabitation entre les populations populaires et ce que Lussault appelle l’élite “#cinétique” ou circulante, du fait de son usage et de sa voracité de lieux. Au paroxysme de la #mondialisation, qui achève de réduire les distances, cette élite internationale jouit d’une puissance et d’une liberté spatiale sans précédent.

    Dans un article du journal l’Humanité, le philosophe Grégoire Chamayou explique que le système capitaliste, pétri de contradiction, parvient à retarder ses crises grâce à des “ruses géographiques”.

    Reprenant l’analyse du géographe David #Harvey, il explique que c’est grâce à son incroyable plasticité, sa capacité de transformation et d’adaptation, que le capitalisme parvient à se perdurer. Pour David Harvey, il faut également considérer l’#espace comme un objet d’étude à part entière et non pas un simple environnement où se déploient des réalités économiques.

  • Le grand débarras | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2018/05/02/le-grand-debarras

    par Achille Mbembé mais derrière #paywall :(

    Quelque chose d’extrêmement grave est de nouveau en train de se passer au cœur de l’Europe. Certes, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre. La force du vivant aidant, des chaînes humaines se forment. Dans la nuit de la peur et de la délation et face à l’irrépressible demande de répression, des femmes et des hommes de bonne volonté cherchent à réveiller les lucioles endormies de l’hospitalité et de la solidarité. Au milieu d’une anesthésie autrement inquiétante, une minorité agissante s’est mise debout et dénonce désormais avec une vigueur renouvelée ce qui se fait en son nom contre les Autres, ceux-là qui, pense-t-on, ne sont pas des nôtres.

    • Je le copie colle ici, mais bon. Mbembe dans ce texte, avec tout le respect qu’on lui doit, me fait beaucoup penser à Jean Ziegler ou Ignacio Ramonet qui écrivent sur des thèmes, comme ça, et qui essayent de donner l’impression qu’ils ont découvert sinon la poudre, le scoop des scoops, le scandale des scandales, quand beaucoup d’autres écrivent sur la même chose depuis 20 ou 30 ans et de manière beaucoup plus intéressante et surtout plus "modeste".

      –----

      Le grand débarras
      Par Achille Mbembe

      HISTORIEN

      Les routes migratoires les plus mortelles d’un monde par ailleurs de plus en plus balkanisé et enclavé ? L’Europe ! Les nombres de squelettes en mer et le plus vaste cimetière marin en ce début de siècle ? L’Europe ! Le nombre de déserts, eaux territoriales et internationales, bras de mer, îles, détroits, enclaves, canaux, fleuves, ports et aéroports transformés en rideaux de fer technologiques ? L’Europe !

      Quelque chose d’extrêmement grave est de nouveau en train de se passer au cœur de l’Europe. Certes, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre. La force du vivant aidant, des chaînes humaines se forment. Dans la nuit de la peur et de la délation et face à l’irrépressible demande de répression, des femmes et des hommes de bonne volonté cherchent à réveiller les lucioles endormies de l’hospitalité et de la solidarité. Au milieu d’une anesthésie autrement inquiétante, une minorité agissante s’est mise debout et dénonce désormais avec une vigueur renouvelée ce qui se fait en son nom contre les Autres, ceux-là qui, pense-t-on, ne sont pas des nôtres.

      Arc-boutés sur la fable de « l’aide au développement », nombreux sont ceux qui croient encore aux contes de fée.
      Arrachés à leurs foyers d’origine, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants avilis ont pris les chemins de l’exode. Un autre cycle du grand repeuplement du monde est en cours. Ils ne sont pas des fuyards. Ce sont des fugitifs. Menacés par une calamité ou une autre, ils se sont échappés des lieux qui les ont vu naître et grandir, où ils ont vécu, mais qui un jour, sont devenus inhabitables, des demeures impossibles.

      S’agissant justement de ce grand ébranlement, le refrain est désormais connu. « Explosion démographique ». « Conflits armés ». « Montée des extrémismes religieux ». « Ruée vers l’Europe ». « Crise migratoire » et « crise des réfugiés », entonne-t-on en chœur. « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde ». « Pourquoi viennent-ils ici ? » « Ils n’ont qu’à rester chez eux ».

      Arc-boutés sur la fable de « l’aide au développement », nombreux sont ceux qui croient encore aux contes de fée. Peu importe qu’entre 1980 et 2009, les transferts nets des ressources financières partis d’Afrique vers le reste du monde aient atteint le seuil d’environ 1.400 milliards de dollars, et les transferts illicites celui de 1.350 milliards, la croyance demeure. Les pays du Nord subventionneraient ceux du Sud.

      Peu importe, par ailleurs, que les pays à faibles revenus ou à revenus intermédiaires accueillent plus de 90% des 65.6 millions de réfugiés, déplacés et déracinés dans le monde. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’ère est à la fabulation et à la clôture de l’esprit. Un amas de vieux préjugés est ainsi recyclé, produisant à leur tour de nouveaux fantasmes qui, dans un processus d’enroulement tout à fait typique des discours racistes, se mordent sans cesse la queue. « C’est culturel et civilisationnel ». « Ils fuient à cause des tensions entre aînés et cadets (les luttes générationnelles) ». « Plus ils sont pauvres, plus ils sont portés vers le départ ; mais plus leurs conditions de vie s’améliorent, plus s’accroît leur désir de s’établir ailleurs », assènent doctement de pseudo-experts. En arrière-fonds, un vieux spectre hante les consciences, celui de l’invasion par des hordes venues de terres surpeuplées, dans ces pays où l’on compte « encore sept à huit enfants par femme ».

      La solution ?

      Fermer les frontières. Filtrer. Trier. Sélectionner. Expurger. Passer des contrats avec les élites corrompues des pays d’origine des migrants, ou des pays-tiers, de transit, qu’il faut transformer en gardes-chiourmes de l’Occident, et auxquels il faut, contre espèces sonnantes et trébuchantes, sous-traiter l’administration de la brutalité. Faire de ces États des protectorats européens, à la fois des prisons pour les candidats au départ, et des dépotoirs pour ceux dont il faudra bien se débarrasser. Et, surtout, redonner envie aux Européens d’avoir plus d’enfants.

      Telle est, en un mot, l’essentiel de la politique migratoire de l’Europe en ce début de siècle.

      En vérité, le problème, ce ne sont ni les migrants, ni les réfugiés, ni les demandeurs d’asile.

      La frontière. Tout part d’elle et tout nous y ramène.

      Elle n’est plus seulement une ligne de démarcation qui sépare des entités souveraines distinctes. Elle est de plus en plus le nom propre de la violence organisée qui sous-tend et le capitalisme contemporain, et l’ordre de notre monde en général – la femme, l’homme et l’enfant superflu.e et condamné.e à l’abandon, les naufrages et noyades par centaines, voire par milliers, à la semaine, l’interminable attente et l’humiliation dans les consulats, le temps suspendu, des journées de malheur et d’errance dans les aéroports, dans les commissariats de police, dans les parcs, dans les gares, jusque sur les trottoirs des grandes villes où, la nuit à peine tombée, l’on arrache des couvertures et des haillons à des êtres humains d’ores et déjà dépouillés et privés de presque tout, y compris d’eau, d’hygiène et de sommeil, des corps avilis, bref l’humanité en déshérence.

      Tout, en effet, nous ramène à la frontière, ce lieu-zéro de la non-relation et du déni de l’idée même d’une humanité commune, d’une planète, la seule que nous aurions, qu’ensemble nous partagerions, et à laquelle nous lierait notre condition commune de passants. Mais peut-être faudrait-il, pour être tout à fait exact, parler de « frontiérisation » plutôt que de frontières.

      Comment s’étonner que ceux et celles qui le peuvent, survivants d’un enfer vivant, prennent la fuite, cherchent partout refuge, dans tous les coins de la Terre ou leur vie pourrait être épargnée ?
      Qu’est-ce donc que la « frontiérisation » sinon le processus par lequel les puissances de ce monde transforment en permanence certains espaces en lieux infranchissables pour certaines classes de populations ? Qu’est-ce sinon la multiplication consciente d’espaces de perte et de deuil où la vie de tant de gens jugés indésirables vient se fracasser ?

      Qu’est-elle donc sinon une façon de mener la guerre contre des ennemis dont on a auparavant détruit les milieux d’existence et les conditions de survie – l’usage de munitions perforantes à l’uranium et d’armes interdites comme le phosphore blanc ; le bombardement à haute altitude des infrastructures de base ; le cocktail de produits chimiques cancérogènes et radioactifs déposés dans le sol et qui emplissent l’air ; la poussière toxique dans les décombres des villes rasées, la pollution due aux feux d’hydrocarbures ?

      Et que dire des bombes ? Depuis le dernier quart du XXe siècle, à quelles sortes de bombes populations civiles, habitats et environnements n’auront-elles pas été soumises – des bombes aveugles classiques reconverties grâce à l’installation, en queue, de systèmes de centrale inertielle ; des missiles de croisière dotées de têtes chercheuses à infrarouges ; des bombes à micro-ondes destinées à paralyser les centres nerveux électroniques de l’ennemi ; des bombes qui explosent dans les villes, émettant au passage des faisceaux d’énergie qui ont l’apparence de la foudre ; d’autres bombes à micro-ondes qui ne tuent pas, mais qui brulent les gens et augmentent la température de la peau ; des bombes thermobariques qui déclenchent des murs de feu, absorbent l’oxygène des espaces plus ou moins clos, tuent par ondes de choc et asphyxient à peu près tout ce qui respire ; des bombes à fragmentation dont les effets sur les populations civiles sont dévastateurs, qui s’ouvrent au-dessus du sol et dispersent, sans précision et sur des secteurs étendus, des mini-munitions supposées exploser au contact des cibles ; toutes sortes de bombes, la démonstration par l’absurde d’un pouvoir de destruction inouï, bref, l’écocide.

      Comment, dans ces conditions, s’étonner que ceux et celles qui le peuvent, survivants d’un enfer vivant, prennent la fuite, cherchent partout refuge, dans tous les coins de la Terre ou leur vie pourrait être épargnée ?

      Cette forme de la guerre d’abrutissement, calculée et programmée, menée avec des moyens nouveaux, est une guerre contre l’idée même de mobilité, de circulation, de vitesse, alors que l’âge est justement à la vélocité, à l’accélération, et à toujours plus d’abstraction, toujours plus d’algorithmes.

      Elle a par ailleurs pour cibles non point des corps singuliers, mais des masses humaines jugées viles et superflues, mais dont chaque organe doit faire l’objet d’une incapacitation spécifique, héritable de génération en génération – les yeux, le nez, la bouche, les oreilles, la langue, la peau, les os, les poumons, les intestins, le sang, les mains, les jambes, tous ces estropiés, paralytiques et rescapés, toutes ces maladies pulmonaires comme la pneumoconiose, toutes ces traces d’uranium sur les cheveux, des milliers de cas de cancers, d’avortements, de malformations infantiles, de déformations congénitales, de thorax saccages, de dysfonctionnements du système nerveux, la grande dévastation.

      Tout cela, faut-il le répéter, fait partie des pratiques contemporaines de la frontiérisation à distance, au loin, au nom de notre liberté et sécurité. Cette lutte menée contre certains corps d’abjection, amas de viande humaine, se déroule à l’échelle planétaire. Elle est en passe de devenir le propre de notre temps.

      Souvent, elle précède, accompagne ou complète celle qui a cours au milieu de nous ou à nos portes, la traque des corps qui ont eu le tort de se mouvoir (ce qui est le propre d’un corps humain), des corps dont on estime qu’ils ont pénétré par effraction dans des lieux et espaces où ils ne devraient point se trouver, lieux qu’ils encombrent désormais de par leur seule présence, et dont ils doivent être évacués.

      Migrants et réfugiés ne sont que des cryptes dans lesquelles l’on cherche à ensevelir les fantasmes d’une époque terrifiée par elle-même et ses propres excès.
      Cette forme de la violence ressemble aux grandes chasses d’hier. Et d’abord à la chasse à courre et à la chasse à la trappe et leurs techniques respectives – la recherche, la poursuite, la trappe, et le rabattage d’animaux traqués, jusqu’à leur encerclement, leur capture ou leur abattage, avec l’aide de chiens d’ordre et de limiers.

      Mais elle fait également partie d’une longue histoire de chasses à l’homme. Grégoire Chamayou en a étudié les modalités dans sa Chasses à l’homme. Il s’agit toujours à peu près des mêmes cibles – les esclaves marrons, les Peaux-Rouges, les peaux noires, les Juifs, les apatrides, les pauvres, et plus près de nous les sans-papiers. Ces chasses s’attaquent à des corps animés, mouvants et qui, bien que dotés d’une force de traction, d’une intensité, de capacités fugitives et mobiles, sont supposés n’être point des corps de chair et de sang comme les nôtres, désignés, ostracisés, comme ils le sont. Cette chasse se déroule par ailleurs à un moment où les technologies de l’accélération ne cessent de proliférer, créant une planète segmentée, à vitesses multiples.

      La technologisation des frontières bat son plein. Barrières de séparation physiques et virtuelles, numérisation des bases de données, des systèmes de fichage, développement de nouveaux dispositifs de repérage à l’exemple des senseurs, drones, satellites et robots-sentinelles, capteurs infra-rouges et caméras de divers ordres, contrôle biométrique et usage de cartes à puce contenant des données personnelles, tout est mis en œuvre pour transformer la nature même du phénomène frontalier et précipiter l’avènement d’une frontière mobile, portable et omniprésente.

      Migrants et réfugiés ne sont donc pas, en tant que tels, l’objet premier du différend. D’ailleurs, ils n’ont ni noms propres, ni visages singuliers, ni cartes d’identité.

      Ils ne sont que des cryptes, sortes de caveaux ambulants à la surface de multiples organes, formes vides mais menaçantes dans lesquelles l’on cherche à ensevelir les fantasmes d’une époque terrifiée par elle-même et ses propres excès. Le rêve d’une sécurité sans faille, qui exige non seulement surveillance systématique et totale mais aussi expurgation symptomatique des tensions structurelles qui, depuis des décennies, accompagnent notre passage à un nouveau système technique plus automatisé, plus réticulaire et en même temps plus abstrait, fait de multiples écrans – digital, algorithmique, lumineux.

      Le monde a cessé de se manifester à nous dans les termes anciens. C’est à la naissance d’une forme inédite de l’humain (le sujet/objet) et d’autres types de spatialités que nous assistons. L’expérience phénoménologique que nous avions du monde en sort profondément ébranlée. Raison et perception ne coïncident plus. D’où l’affolement.

      Nous voyons de moins en moins ce qui nous est donné à voir et de plus en plus ce que nous voulons à tout prix voir, même si cela que nous voulons à tout prix voir ne correspond à aucune réalité originaire. Peut-être plus qu’auparavant, autrui peut se donner à nous dans une présence physique et tactile concrète tout en demeurant dans une absence spectrale et un vide tout aussi concret, presque phénoménal. C’est le cas des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile. Ce n’est pas seulement leur mode d’apparition parmi nous qui nous plonge dans une anxiété historique et existentielle. C’est aussi la matrice ontophanique dont nous supposons qu’ils ne sont que le masque (qu’y a-t-il, décidément, derrière ce qui apparait ?) qui nous plonge dans un état d’agitation et d’incertitude radicale.

      Il ne s’agit pas tant de couper l’Europe du monde ou de l’instituer en forteresse imprenable que de consacrer, comme le privilège des seuls Européens, le droit de possession et de libre circulation.
      Les routes migratoires les plus mortelles d’un monde par ailleurs de plus en plus balkanisé et enclavé ? L’Europe ! Les nombres de squelettes en mer et le plus vaste cimetière marin en ce début de siècle ? L’Europe ! Le nombre de déserts, eaux territoriales et internationales, bras de mer, îles, détroits, enclaves, canaux, fleuves, ports et aéroports transformés en rideaux de fer technologiques ? L’Europe ! Et pour couronner le tout, en ces temps d’escalade permanente, les camps. Le retour des camps. L’Europe des camps. Samos, Chios, Lesbos, Idomeni, Lampedusa, Vintimille, Sicile, Subotica, le chapelet des camps.

      Camps de réfugiés ? Camps de déplacés ? Campements de migrants ? Zones d’attente pour personnes en instance ? Zones de transit ? Centres de rétention ? Lieux d’hébergement en urgence ? Jungle ? Paysage composite et hétérogène, à coup sûr. Résumons néanmoins tout cela d’un seul mot, le seul qui décrive à la vérité ce qui s’y passe : camps d’étrangers. En dernière instance, il ne s’agit en effet pas d’autre chose. Il s’agit de camps d’étrangers, aussi bien au cœur de l’Europe qu’à sa lisière. Et c’est le seul nom qui convienne à ces dispositifs et à la sorte de géographie carcérale qu’ils dessinent.

      Il y a quelques années, l’anthropologue Michel Agier en dénombrait près de 400 au sein de l’Union Européenne. C’était avant le grand afflux de 2015. Depuis lors, de nouveaux camps, y compris de triage, ont été créés aussi bien en Europe qu’à sa lisière et, sous son instigation, dans des pays-tiers. En 2011, ces différents lieux de détention pouvaient contenir jusqu’à 32 000 personnes. En 2016, les chiffres s’élevaient à 47 000. Les détenus sont essentiellement des personnes sans visas ni titres de séjour, jugés inéligibles à une protection internationale.

      Il s’agit, pour l’essentiel, de lieux d’internement, d’espaces de relégation, de dispositifs de mise à l’écart de gens considérés comme des intrus, sans titre et par conséquent sans droit et, estime-t-on, sans dignité. Fuyant des mondes et des lieux rendus inhabitables par une double prédation exogène et endogène, ils se sont introduits là où il ne fallait pas, sans y être invités, et sans qu’ils soient désirés. Leur regroupement et mise à l’écart ne peut donc guère avoir pour but final de les secourir. En les arraisonnant dans des camps, l’on veut également – après les avoir placés dans une position d’attente qui les dépouille au préalable de tout statut de droit commun – en faire des sujets potentiellement déportables, refoulables, voire destructibles.

      Il faut le répéter, cette guerre (qui consiste à chasser, capturer, regrouper, trier, séparer et expulser) n’a qu’un seul but. Il ne s’agit pas tant de couper l’Europe du monde ou de l’instituer en forteresse imprenable que de consacrer, comme le privilège des seuls Européens, le droit de possession et de libre circulation sur toute l’étendue d’une planète dont nous sommes pourtant tous des ayant-droits.

      Le XXIe siècle sera-t-il donc celui du triage et de la sélection par le biais des technologies de la sécurité ? Des confins du Sahara en passant par la Méditerranée, le camp est-il en passe de redevenir le terminus d’un certain projet européen, d’une certaine idée de l’Europe dans le monde, sa marque funeste, comme Aime Césaire (Discours sur le colonialisme) en nourrissait il n’y a pas longtemps l’intuition ?

      L’une des contradictions majeures de l’ordre libéral a toujours été la tension entre la liberté et la sécurité. Cette question semble avoir été tranchée. La sécurité l’emporte désormais sur la liberté.

      Une société de sécurité n’est pas nécessairement une société de liberté. Une société de sécurité est une société dominée par le besoin irrépressible d’adhésion a un ensemble de certitudes. Elle a peur de la sorte d’interrogation qui ouvre sur l’inconnu et sur le risque qu’il faut, par contre, endiguer.

      Voilà pourquoi dans une société de sécurité, la priorité est d’identifier à tout prix ce qui est tapi derrière chaque apparition – qui est qui, qui vit où, avec qui et depuis quand, qui fait quoi, qui vient d’où, qui va où, quand, par quelle voie, pourquoi et ainsi de suite. Et, davantage encore, qui projette de commettre quels actes, consciemment ou inconsciemment. Le projet de la société de sécurité n’est pas d’affirmer la liberté, mais de contrôler et de gouverner les modes d’apparition.

      Le mythe contemporain prétend que la technologie constitue le meilleur outil pour gouverner les apparitions. Elle seule permettrait de résoudre ce problème qui est un problème d’ordre, mais aussi de connaissance, de repères, d’anticipation, de prévision. Il est à craindre que le rêve d’une humanité transparente à elle-même, dépourvue de mystère, ne soit qu’une catastrophique illusion. Pour le moment, migrants et réfugiés en paient le prix. Il n’est pas certain qu’à la longue, ils soient les seuls.

      Comment, dans ces conditions, résister àcette prétention de la part d’une des provinces du monde à un droit universel de prédation sinon en osant imaginer l’impossible – l’abolition des frontières, c’est-à-dire la restitution, à tous les habitants de la Terre, humains et non-humains, du droit inaliénable de se déplacer librement sur cette planète.

      (NDLR : ce texte est une version éditée de la contribution d’Achille Mbembe au volume publié sous la direction de Patrick Chamoiseau et Michel Le Bris, Osons la fraternité ! Les écrivains aux côtés des migrants qui paraît chez Philippe Rey à l’occasion du Festival Etonnants Voyageurs.

      Achille Mbembe

      HISTORIEN, ENSEIGNE L’HISTOIRE ET LES SCIENCES POLITIQUES À L’UNIVERSITÉ DU WITWATERSRAND (AFRIQUE DU SUD) ET À L’UNIVERSITÉ DE DUKE (ETATS-UNIS)

  • Drone Theory – A Review

    Supporters of drone warfare claim that UAVs (unmanned aerial vehicles) represent a breed of ‘surgical’ warfare in which, exempt from the threat of retributive attacks, targets may be eliminated with scalpel-like precision. But drones have, for many people, become one of the most troubling aspects of modern warfare. So the fact that French philosopher and political theorist Grégoire Chamayou’s extended essay ‘Drone Theory’ was winner of the English PEN Award for translated literature makes it an appealing read.

    http://lacuna.org.uk/war-and-peace/drone-theory-review
    #drones

  • Contre la mise en cage du droit de manifester
    | tribune par un collectif chez Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2016/06/27/contre-la-mise-en-cage-du-droit-de-manifester_1462336

    Ce qui s’est passé jeudi 23 juin à Paris, à l’occasion de ce qui aurait dû être une manifestation contre la loi travail, est d’une gravité exceptionnelle. Un quartier entier de Paris a été occupé militairement, avec présence de fourgons et de troupes très en avant du lieu prévu pour la manifestation, pour exercer une pression par leur seule présence et par des contrôles parfois suivis d’interpellations.

    Ensuite, autour de la place Bastille et du bassin de l’Arsenal, avaient été installées des enceintes grillagées hermétiques et pour entrer dans le périmètre, il fallait franchir des check-points et laisser fouiller ses sacs. Des dizaines de personnes ont été interpellées pour la simple possession de lunettes de piscines ou de foulards, certaines ont été coincées trois heures sur un trottoir avant d’être embarqués pour deux nouvelles heures de « vérification d’identité », des professeurs des écoles qui protestaient ont été chargés et tabassés, etc.

    C’est un événement sans précédent en France et, à notre connaissance, dans les démocraties occidentales, que plusieurs dizaines de milliers de personnes aient été ainsi encagées et que leur droit de manifester ait été ridiculisé, réduit à une pantomime par l’obligation de tourner en rond autour d’un bassin dans un périmètre réduit, sans aucun contact avec le reste de la ville.

    L’exemple des lois sécuritaires, celui d’un état d’urgence censé être provisoire mais promis à l’éternité, sont là pour nous rappeler que chaque recul de liberté est ensuite considéré comme un acquis par l’Etat. Si un tel dispositif totalitaire devait être renouvelé, nous entrerions dans une nouvelle phase de l’instauration d’un régime autoritaire dont le caractère démocratique deviendrait franchement évanescent.

    C’est pourquoi nous déclarons que nous continuerons à manifester mais que nous ne mettrons plus jamais les pieds dans de tels périmètres militarisés. Aux prochaines manifestations et en particulier à celle de mardi 28 juin, nous nous tiendrons en dehors, et nous appelons tous les manifestants à faire de même, à rester à la périphérie de la cage qu’on nous destine, à observer ce qui s’y passe, et à exercer quand c’est possible, chacun à sa manière, le libre droit de manifester.

    Signataires :
    Miguel Benasayag, philosophe, psychanalyste ; Gérard Mordillat, cinéaste ; Mateo Depie, architecte ; Frédéric Lordon, économiste ; La Parisienne Libérée, chanteuse ; Pierre Alféri, écrivain ; Serge Quadruppani, écrivain ; Yves Pages, éditeur ; Yannis Youlountas, écrivain, réalisateur ; Arno Bertina, éditeur ; Isabelle Saint-Saens, militante associative ; Noël Godin, entarteur ; Grégoire Chamayou, essayiste ; Thomas Coutrot, économiste, coprésident d’Attac ; Alessandro Di Giuseppe, comédien ; Stathis Kouvélakis, philosophe ; Jean-Pierre Levaray, écrivain ; Serge Pey, poète ; Denis Robert, journaliste ; Nathalie Quintane, écrivain ; Xavier Mathieu, syndicaliste comédien ; Jean-Jacques Redoux, écrivain ; Serge Urgé-Royo, chanteur.

  • Avant-propos sur les sociétés de ciblage. Une brève histoire des corps schématiques
    http://jefklak.org/?p=2441

    De la notation chorégraphique au XVIIIe siècle à la chronophotographie des années 1910, diverses méthodes ont su schématiser les déplacements des corps humains dans un espace et un temps donnés. Aujourd’hui, dans un contexte de traçabilité généralisée, l’accumulation de trajectoires chronospatiales permet d’élaborer des modèles statistiques de comportements « normaux » au sein d’une société donnée – pour mieux isoler les déviances potentielles de tel ou tel individu. Une logique non plus seulement de discipline ou de contrôle, mais de ciblage, au service des pouvoirs policiers, militaires ou économiques. Source : Jef (...)

  • Loi sur le renseignement : les bugs du big data, par Grégoire Chamayou
    http://www.liberation.fr/societe/2015/04/14/loi-sur-le-renseignement-les-bugs-du-big-data_1241075

    Contre les attentats de demain, croire que les scénarios de ceux d’hier seront utiles, c’est comme « chercher une aiguille dans une botte de foin alors que la couleur et la forme de l’aiguille ne cessent de changer ».

    « Les groupes ou les individus engagés dans des opérations terroristes ont des comportements numériques caractéristiques » : c’est ainsi que Bernard Cazeneuve justifie son projet de « boîtes noires » chargées de passer à la moulinette les moindres de nos pérégrinations numériques. L’argument du ministre n’est qu’un vulgaire copié-collé d’un discours élaboré il y a près de quinze ans par l’administration Bush, et largement réfuté depuis. Que cette thèse puisse jouir de la moindre crédibilité à l’Assemblée nationale, qui examine, cette semaine, le projet de loi sur le renseignement, trahit l’ignorance des députés en la matière. Ils devraient pourtant avoir la puce à l’oreille : même le très centriste New York Times leur conseille, dans un éditorial solennel, de ne pas tomber dans les mêmes ornières.

    #PJLRenseignement

    L’édito en question : http://seenthis.net/messages/357068

  • Dormir ? Quand vous serez morts !
    http://www.lemonde.fr/livres/article/2014/06/12/dormir-quand-vous-serez-morts_4436476_3260.html

    A propos de 24/7. Le Capitalisme à l’assaut du sommeil (24 juillet. Late Capitalism and the Ends of Sleep), de Jonathan Crary, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Grégoire Chamayou, Zones, 140 p., 15 €.

    Nous vivons, pour l’auteur, amateur d’humour postmoderne, dans « un univers dont toutes les ampoules auraient été allumées sans plus aucun interrupteur pour les éteindre ».

    Seuil de sollicitude

    C’est finalement notre humanité qui est en jeu. Préserver le sommeil d’autrui, c’est en effet l’acte de sollicitude par excellence, un moment « d’oubli du mal », selon la formule de Roland Barthes. Pour Crary, « le sommeil représente la durabilité du social et[il est] en cela analogue à d’autres seuils sur lesquels la société pourrait s’accorder pour se défendre et se protéger elle-même. En tant qu’état le plus privé, le plus vulnérable et commun à tous, le sommeil dépend crucialement de la ­société pour se maintenir ». L’ingéniosité avec laquelle les espaces publics – à l’image des bancs que l’on y trouve – sont conçus pour empêcher le sommeil de ceux qui n’ont plus d’autre endroit où habiter indique bien le seuil très bas de sollicitude que nous avons atteint.

    A l’évidence, ce livre paraîtra souvent glisser trop vite d’un sujet à l’autre et s’appuyer sur des matériaux plus souvent littéraires que scientifiques. Mais il a le grand mérite de renouveler profondément notre conception du sommeil et, par ricochet, de l’attention. Chez les défenseurs de la raison, comme chez les penseurs critiques qui ont souvent comparé l’aliénation à une forme de somnolence de masse, le sommeil s’oppose à la conscience. « La plupart des théories sociales dominantes exigent que les individus modernes vivent et agissent (…) dans des états dont on souligne à l’envi que tout les sépare du sommeil – des états de pleine autoconscience ». Pour Jonathan Crary, a contrario, l’attention forcée au monde n’est pas la solution mais bien le problème de nos sociétés.

    Tous ceux qui rêvent encore que leurs nuits puissent être plus belles que les jours promis par le capitalisme moderne verront dans ce livre une immense consolation. Trouver l’interrupteur qui commande les néons de la société leur sera peut-être plus difficile…

    Cette métaphore des lumières et des interrupteurs est loin d’être anodine, et renvoie aux enjeux écologiques et énergétiques de cette veille forcée.
    #énergie #capitalisme #sommeil

  • Drone et kamikaze, jeu de miroirs, par Grégoire Chamayou (avril 2013, en accès libre)
    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/04/CHAMAYOU/49004

    Le président des #Etats-Unis peut-il faire assassiner un citoyen de son pays ? Telle est la question que pose l’élimination par un drone, en septembre 2011, d’Anwar Al-Awlaki, un dirigeant américain d’Al-Qaida au Yémen. L’usage de ces engins sans pilote, qui bouleverse les règles de la guerre, ne suscite pas de rejet massif dans l’opinion en Occident, alors que les attentats-suicides apparaissent comme le sommet de la barbarie.

    #2013/04 #Drones #Armée #Conflit #Armement #Terrorisme #Technologie #Impérialisme

    Voir aussi :

    « La guerre sera la paix »
    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/04/A/49003

    Ce texte, qui date de 1973, a été publié par de jeunes intellectuels américains engagés dans le mouvement contre la #guerre_du_Vietnam. Il clôt le #livre Théorie du drone.

  • Rhétorique du drone et rationalités politiques (2/6) : chasse à l’homme préventive et analyse des formes de vie

    http://lestroboscope.net/rhetorique-du-drone-et-rationalites-politique-26

    « Ils nous ont attaqués parce qu’ils disent que c’étaient des terroristes, mais c’était juste ma maison… Ce ne sont pas des terroristes. Ce sont juste des gens normaux, avec des barbes. »

    ps : documentation et vidéos sont accessibles depuis les notes de bas de pages.

    #Grégoire Chamayou
    #drone

  • Rhétorique du #drone et rationalités politiques (1/6)

    Ce texte constitue le premier volet d’une série de six textes qui ont pour objectif de proposer une synthèse de l’essai philosophique de Grégoire #Chamayou "Théorie du drone". Ils porteront principalement sur les dimensions discursives et les rationnalités politiques sous-jacentes de l’usage des drones dits « chasseurs-tueurs », qu’ils soient pilotés par des opérateurs humains ou tendanciellement robotisés.

    http://lestroboscope.net/rhetorique-du-drone-et-rationalites-politiques-16

  • « GRÉGOIRE CHAMAYOU ET LA THÉORIE DU DRONE, D@NS LE TEXTE. »
    http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=5905

    C’est une espèce de guerre fantôme, qui se déploie au dessus de nos têtes et loin de nos consciences : des drones circulent, là haut, espionnent et frappent, sans faire de bruit dans nos radios ni d’images dans nos télés. On les voit bien pointer leur drôle de nez sans yeux dans les colonnes de nos journaux – La France en achète deux, la France va en acheter 12 - ah, fort bien, et quoi ? Rien. Pas de débat, pas de pensée, pas de « théorie » du drone, comme si la chose allait de soi, comme si, plutôt, nous étions bien trop désarmés intellectuellement pour concevoir la révolution que cette nouvelle arme a introduite à notre insu depuis dix ans dans l’art de la guerre.

    #Drones #Guerre #Terrorisme #Contre-insurection #Philosophie
    #Grégoire_Chamayou #Vidéo

  • Très bon article qui revient sur le livre(qui est au demeurant excellent) de #Grégoire_Chamayou « Théorie du drone » publié par la maison d’édition #la_fabrique.
    http://trahir.wordpress.com/2013/05/28/labrecque-chamayou

    En deux mots, les drones ont pour effet de transformer ladite situation de guerre en situation de chasse. L’« ennemi » au-dehors se voit ainsi métamorphosé en proie, et les sujets « domestiques » de l’État deviennent, à terme, autant de proies potentielles (sur ce point, voir en particulier la section « V. Corps politiques »). Les fonctions militaires et policières se confondent : il y a policiarisation de l’armée et militarisation des polices, qui s’équipent elles aussi en drones (non-armés, pour le moment). Ces fonctions se réarticulent selon la logique de l’innovation technologique voulant que la domination ne se refuse (pratiquement) jamais de nouveaux moyens. Les moyens, cependant, en viennent à moduler les fins. Il résulte de l’adoption du drone des crises dans l’éthique et la psychologie des combattants (voir notamment les sections « II. Ethos et psychè » et « III. Nécroéthique »), et surtout une réarticulation de cette catégorie elle-même, puisque les cibles des drones se voient, à toutes fins pratiques, privées de la possibilité de combattre. La notion de combat implique un minimum de réciprocité. Or, le sens de la « devise opérationnelle » du drone, projeter du pouvoir sans projeter de vulnérabilité (p. 22) tient précisément à l’unilatéralisation de la violence

    #Philosophie #Politique #Critique #Chercheurs #Drones #Droit #Militarisation #Territoires #Livre

  • Théorie du drone : de la fabrique des automates politiques
    http://www.internetactu.net/2013/05/29/theorie-du-drone-de-la-fabrique-des-automates-politiques

    Le livre de Grégoire Chamayou, Théorie du drone, est passionnant. Bien sûr, il est passionnant pour son implacable analyse du drone armé et de la façon dont cet “instrument d’homicide mécanisé” transforme la conduite de la #guerre. Mais pour ma part, je n’ai pas lu ce livre comme un ouvrage sur les questions éthiques, psychologiques, sociales, juridiques et politiques que…

    #algorithmie #armée #big_data #politiques_publiques #prospective #sécurité #surveillance

  • Les drones et la philosophie de la guerre
    Dans un entretien à Libération, le philosophe Grégoire Chamayou développe une critique des #drones, ces nouvelles armes de destruction à distance furieusement tendance, qui remettent en cause les fondements normatifs habituels des #conflits armés, ce qui pourrait avoir des conséquences potentiellement fâcheuses - notamment, et paradoxalement, la radicalisation de la #violence.
    http://www.liberation.fr/monde/2013/05/19/la-guerre-devient-un-teletravail-pour-employes-de-bureau_904153

    Le drone apparaît comme l’arme du lâche, celui qui refuse de s’exposer. Il ne requiert aucun courage, il désactive le #combat. Cela provoque des crises profondes dans les valeurs guerrières.

    La #guerre se définit comme un moment durant lequel, sous certaines conditions, l’homicide est décriminalisé. Si l’on concède à l’ennemi le droit de nous tuer impunément, c’est parce que l’on entend avoir le même droit à son égard. Cela se fonde sur un rapport de réciprocité. Mais que se passe-t-il lorsque cette réciprocité est annulée a priori, dans sa possibilité même ? La guerre dégénère en abattage, en exécution.

    on est en train de remplacer une #stratégie par un gadget, en sous-estimant les effets contre-productifs sur les populations. En imposant une terreur indiscriminée, les drones, inaptes à « gagner les cœurs et les esprits », alimentent paradoxalement la menace que l’on prétend éradiquer

    Une réflexion étonnament proche de celle de Caroline Galactéros, politiste-consultante-colonel réserviste (!) qui dans le dernier numéro de la revue Médium (article payant), met en garde contre les fantasmes militaro-technologiques du "soldat augmenté" et de la "révolution des #NBRIC" (nano et bio-technologies, robotique, sciences de l’information et de la communication) - dont les drones, en particulier, sont issus. (petit compte-rendu à paraître dans le prochain numéro de Sciences Humaines).
    http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=MEDIU_035_0006

    Ceux-ci ( i.e. les drones ) sont « opérés » à des milliers de kilomètres par des soldats mués en techniciens de la destruction qui n’ont qu’une perception lointaine – et de ce fait purement idéologique – de l’ennemi. Le combat s’en trouve d’autant plus idéalisé qu’il est inoffensif. (...) Cette distanciation radicale a donc un intérêt évident en termes de létalité réduite, au moins « d’un côté du fusil ». Mais précisément, il y a de moins en moins de « fusils » et de face-à-face, et il se produit une rupture dommageable dans la matérialité de la relation ami-ennemi, du fait même de l’asymétrie abyssale des modes d’action, qui mine la légitimité de l’affrontement.

    il faut bien admette que, en face, l’asymétrie violente (qui va dans les deux sens) porte une charge spectaculaire et tragique. Les acteurs locaux modérés s’en trouvent marginalisés. Surtout, la haine du déclassé technologique et politique se renforce, qui n’a d’autre issue que la terreur aveugle, « locale » contre les populations civiles, nos intérêts ou nos ressortissants, ou « déterritorialisée » (terrorisme sur le sol national). Ainsi, paradoxalement, notre puissance n’aboutit pas à faire taire l’hostilité. Elle « sidère » l’adversaire (effet shock and hawe) mais ne lui laisse d’autre issue que la fuite en avant vers l’ultraviolence « gore », basique, sanglante, très visible, aussi moyenâgeuse que la nôtre est postmoderne (égorgements ou décapitations filmés, massacres ethniques à la machette, lapidations publiques, etc.). La dématérialisation progressive du champ de bataille aboutit finalement à un blanc-seing donné, de chaque côté, à l’exercice d’une sauvagerie perçue comme cathartique

    Bref, rappelle-t-elle, "« La guerre propre » n’existe pas". Et c’est une militaire qui vous le dit.