La notion de bonheur est particulièrement difficile à travailler, et les deux zouaves de service qui étaient invité l’ont bien illustré. Il s’agissait ici de comprendre comment les technologies numériques, et particulièrement, en vérité, les applications, peuvent nous apporter du bien-être.
Un bien-être individuel, s’entend. Le seul exemple, un peu développé a été celui des bénéfices que chacun pourrait retirer de coachs numériques afin de perdre du poids. L’idée des auteurs était que grâce au coach numérique, nous bénéficierions d’une contre-manipulation qui nous permettrait de faire face aux mauvaises manipulations des marketeurs en tout genre qui entravent nos capacités à bien suivre nos régimes. Puisque nos comportements sont conditionnés par divers réflexes et diverses incitations que nous ne maîtrisons pas (publicité, mimétisme, habitude), les cybercoachs sont seuls aptes, selon les auteurs, à produire des formes de contrebalancement, car eux seuls sont suffisamment présents (dans nos téléphones portables) pour combattre dans cette guerilla du quotidien pour le contrôle de nos conduites.
Difficile de ne pas rire en les écoutant se justifier : Angelina Joli a les moyens de se payer un vrai coach pour maigrir entre deux tournages : grâce à internet et aux applis, cette possibilité est démocratisée, et l’on peut nous aussi suivre cette voie particulièrement sage pour poursuivre notre quête de bonheur.
Mais Xavier Delaporte est très court dans cette histoire. Au lieu de s’en prendre à la logique de toute-puissance un peu folle qui guide l’usage de ce genre d’application, il accepte le relativisme des deux auteurs qui sont prêts à justifier toutes les lubies au nom du sacro-saint bien-être. Il passe à côté en parlant d’un « devenir petit-bourgeois » d’internet : ce qui se joue dans l’appel de ces applis, c’est autre chose qu’un souci de confort, c’est un nouveau souci de soi, augmenté par le numérique, qui mérite d’être critiqué. Car nous ne sommes pas en position de choisir si oui ou non nous allons utiliser ses applis pour « augmenter notre bien-être » : compte-tenu de leur facilité d’accès, tout notre entourage peut être amené, à terme, à nous inciter à y recourir. Ce qui est possible techniquement peut rapidement devenir un devoir — les exemples en ce sens fourmillent.
Et Delaporte est également faible sous un autre aspect. Il les attaque en soulignant que pour certaines applis, l’utilisateur doit rentrer des données personnelles, et que nous n’avons que bien peu de maîtrise de ce qui va être fait ensuite de ces données. Sous-entendu, il y a là une menace pour nos données personnelles, notre vie privée etc. L’argument est juste, mais que valent ces données pour celles et ceux qui acceptent de se faire coacher toute la journée, qui désirent cette forme d’appui ? La conception de la liberté qu’il invoque n’est-elle pas en passe d’être périmée ?
Sur ce point, j’incite à lire le livre du Groupe Marcuse, « La liberté dans le coma » :
▻http://www.franceculture.fr/sites/default/files/2013/02/08/4575421/images/Marcuse.jpg?1360314763
Au final, le problème de Delaporte, et de son émission, tiennent peut-être dans le fait qu’il ne parvient pas à trancher : tous les désirs se valent-ils ? Ceux que les technologies numériques sélectionnent particulièrement sont-ils source de bonheur et de liberté collective ?
Encore un coup à se faire traiter de #technophobe...