• Considérations sur les temps qui courent (IIIa)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Considerations-sur-les-temps-qui-courent-IIIa

    Le mouvement de la pensée, qui part de l’idée pour arriver à sa réalisation, est toujours le même, depuis la nuit des temps, depuis que la femme et l’homme sont des êtres humains.

    Qu’est-ce que la pensée ? Concevoir la pensée sous un angle pratique et voir par exemple dans la société la réalisation de la pensée est le point de vue qui est le mien. La pensée n’est pas une faculté donnée par je ne sais qui, la nature ? Dieu ? À mon sens, elle est une donnée de l’expérience : c’est bien parce que nous sommes des êtres sociables que nous pensons. Ce point de vue théorique, cet axiome de principe est inspiré de Hegel avec une légère différence qui n’en est pas vraiment une. Pour Hegel, la pensée est celle de Dieu et elle nous vient de lui, c’est la pensée générique, générant l’être (humain). Nous pouvons bien garder cette notion d’un Dieu transcendant maître de l’activité générique, ce serait la pensée sous sa forme aliénée ; ou bien ne pas la garder et dire que l’activité générique, la vie sociale se suffit à elle-même, qu’elle génère l’être humain, celui qui pense, parce qu’elle est la pensée réalisée. Elle peut bien être la pensée réalisée sous une forme aliénée, c’est ce qui se produit quand une séparation se fait jour à l’intérieur de la société (ou, si l’on veut, de la pensée), c’est bien ce qui se passe avec les sociétés complexes et la formation de l’État ; comme elle peut être une pensée réalisée sous une forme non aliénée, ce qui a lieu avec les sociétés originelles (ou simples) et que n’apparaît pas une séparation dans la société (ou, si l’on veut, dans la pensée) entre une classe dominante qui s’est approprié le privilège de la pensée sous l’angle de son universalité et le reste de la population. (...)

    #Hegel #société #État #don #échange #alliance #Nouvelle-Guinée #Maurice_Godelier #potlatch #monnaie #Malinowski

  • Notes anthropologiques (LIII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LIII

    Traité sur l’apparence (VIII)
    Notes sur l’irréalité de l’être

    C’est à notre époque que se pose le plus crûment la question de l’être. Face à cette difficulté, la solution la plus facile est d’éluder cette question pour conclure que l’être n’existe pas. Il aurait existé autrefois, il n’existe plus aujourd’hui, enfin, selon certains philosophes. L’être est une donnée de la conscience, dirait, avec juste raison, monsieur Descartes ; il est lié à la conscience de soi. Le « soi » n’est pas si facile à définir de nos jours où nous avons surtout affaire à des individus isolés dans le sens où la vie sociale à laquelle ces individus participent leur échappe généralement ; rare leur est offerte l’occasion de se poser entièrement comme sujet social. L’argent dépossède l’individu de cette conscience de soi en tant que sujet dans un rapport social avec d’autres sujets. L’argent nous dépossède de cette conscience de soi qui ferait surgir l’être dans sa consistance et dans sa fragilité. L’être dans sa consistance et sa fragilité perd son point d’ancrage que constitue la vie du sujet dans ses rapports avec d’autres sujets, il s’évapore, il ne tient plus qu’à un fil, celui de l’image, d’une représentation mentale inconsistante : l’être aspirant désespérément à être reconnu dans sa qualité de sujet, alors même que cette qualité lui file entre les doigts. (...)

    #anthropologie #irréalité #conscience #représentation #Durkheim #aliénation #Mauss #potlatch #Odyssée #tribut #dette #esclavage #travail #Stevenson

  • Notes anthropologiques (XXXV)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXXV

    L’Idée et son devenir (I)

    Ces notes anthropologiques ne sont qu’une maigre exploration de l’humain, une contribution limitée et brouillonne à sa connaissance ; elles forment l’ébauche d’une investigation, sans plus. Elles demandent à être reprises avec plus de constance et de profondeur. Dans ces notes, le sujet ne se distingue pas de son objet ; il ne cherche pas à se différencier de ce qui constitue l’objet de son investigation. Le sujet n’est rien d’autre qu’un moment de l’humain, le résultat en chair, en os et en esprit d’un monde, et ce monde est celui de l’humain. Le sujet qui pense et qui écrit est une actualisation momentanée de l’humain, c’est ainsi que le sujet et l’objet de sa réflexion ne se distinguent pas. Dans une civilisation de l’argent — et l’argent n’est que le mode d’expression dominant de la pensée (ou, si l’on veut, de l’humain) —, le sujet a été enfanté par l’argent, il est l’enfant de l’argent, qu’il le veuille ou non. L’argent est sa dimension humaine (ou, plus surement, inhumaine), sa vérité, en quelque sorte — ce qu’ont du mal à accepter ceux qui se consacrent aux sciences dites humaines, psychiatres, sociologues et anthropologues, historiens ou autres philosophes. Se tenir à l’écart de cette implication c’est une façon de tenir le monde à l’écart de sa critique (...)

    #anthropologie #Antonin_Artaud #Van_Gogh #échange #Maurice_Godelier #coutume #don #potlatch #valeur #Marx #Nouvelle-Guinée #Davos #aliénation #bien_commun

  • Notes anthropologiques (XXX)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXX

    Le capital comme idée ou l’Idée comme capital (II)
    L’art du détournement ou la mésaventure des pierres trouées
    de l’île de Yap

    Le capital est une idée qui agit, il est l’idée du genre qui se fait effective, il est l’idée qui génère le genre humain. Ce n’est pas une idée ordinaire, il est l’Idée avec majuscule, l’Idée majuscule, celle qui génère l’être humain et qui donne naissance à la pensée, et l’anime. Le capital est l’idée du genre qui anime l’être humain. Il est à la fois l’idée qui constitue l’être, qui constitue l’intimité corporelle de l’homme et de la femme, celle qui anime le sujet, une idée éminemment subjective, mais cette idée créatrice du sujet, du sujet pensant, se matérialise, se fait objective, elle apparaît, elle se fait apparente, elle devient visible. Elle manifeste son universalité en devenant apparente, en prenant forme, en devenant objet du désir et de la passion de tout un chacun, elle déborde le sujet, l’individu, femme ou homme, elle devient un article de foi, un consensus social, elle concentre et cristallise l’esprit d’une communauté, l’esprit créateur de la vie collective, générant la vie sociale. Elle devient un objet fascinant, un objet magique et la magie fonctionne. À l’origine de l’humain, se trouve la pensée magique. Du fait de notre suffisance, nous ne voulons pas le reconnaître, et pourtant… En elle (ou dans le capital) se conjuguent intériorité et extériorité. Les deux, intériorité et extériorité, s’y mélangent et c’est bien ce qui constitue l’énigme ou le mystère du capital. (...)

    #anthropologie #monnaie #capital #Yap #échange #fête #don #potlatch #David_O’Keefe #Maurice_Godelier

  • Vincent Van Gogh à portée de vue
    https://aris.papatheodorou.net/vincent-van-gogh-a-portee-de-vue

    Le musée Van Gogh d’Amsterdam abrite dit-on la plus grande collection d’œuvres du peintre et est, à ce titre, un rendez-vous incontournable de la cité hollandaise. Il est désormais aussi possible de découvrir, sur le site Web du musée, une collection numérique de près de 1500 des créations de Van Gogh (tableaux, dessins, esquisses) en libre accès et en libre téléchargement pour un usage non-commercial.

    #art #musées #communs #open_culture #potlatch #Van_Gogh

  • Notes anthropologiques (XXI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-XXI

    L’objet de valeur
    Deuxième partie : B) La monnaie

    II. Il était une fois…

    Dans le chapitre précédent, je m’étais surtout attaché au lien qui unissait irrémédiablement la naissance de l’État à celle de la monnaie — plus précisément à une tournure d’esprit dont la monnaie est la confirmation. Je pense que ce rapport entre le pouvoir et l’argent a été trop souvent sous-estimé, quand il n’était pas ignoré, par les historiens et surtout par les philosophes. Je n’ai fait qu’aborder bien trop légèrement cette question qui mériterait un large développement. Mon propos ne consiste pas à m’attacher à la monnaie en tant que moyen d’échange, mais à saisir la dérive de la notion de valeur aboutissant à cet objet de valeur un peu particulier qu’est la monnaie. La formation des États représente un changement important dans l’organisation de la société. Ce changement dans les mœurs s’accompagne d’un changement dans les esprits si bien qu’il est difficile de distinguer les deux : la formation des États et la tournure d’esprit que cela implique. (...)

    #anthropologie #échange #don #État #Louis_Gernet #Polycrate #Grèce_antique #potlatch #Franz_Boas

  • Notes anthropologiques (VIII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-VIII

    « Ce principe de l’échange-don a dû être celui des sociétés qui ont dépassé la phase de la “prestation totale” (de clan à clan, et de famille à famille) et qui cependant ne sont pas encore parvenues au contrat individuel et surtout à la notion de prix estimé en monnaie pesée et titrée. » (Mauss, 1950, « Première conclusion », p. 227.)

    Dans cette première conclusion de son essai consacré au don, Marcel Mauss passe directement des sociétés sans État qu’il vient d’étudier à la société contemporaine qui est la sienne et où il existe monnaie et « contrat individuel ». Pour lui, il n’y a pas rupture mais continuité. De la pensée du don qui anime la société kwakiutl ou la société trobriand à celle de l’argent et du commerce qui nous anime, il y a seulement un développement uniforme de la pensée, un raffinement, au mieux un progrès et, j’ajouterai, un progrès nécessaire, qui se trouve dans l’ordre des choses. Il ne note pas une modification profonde entre l’homme et la pensée qui l’anime, il ne note pas une séparation, un décalage, une transformation radicale de la pensée dans le passage de l’échange-don à l’échange marchand. (..)

    #anthropologie #don #potlatch #échange #pensée #esprit #marchands #nobles

    • La thèse que j’ai soutenue dans Être ouragans, et qui m’apparaît de plus en plus plausible, est la rencontre entre peuple guerrier et nomade et peuple ou population sédentaire débouchant sur la constitution d’une société complexe reposant sur la subordination des peuples autochtones à une aristocratie guerrière issue du peuple conquérant. Les exemples ne manquent pas aussi bien en Afrique, en Asie, en Océanie, en Amérique que dans notre vieille Europe avec la conquête romaine et l’invasion des barbares, des Goths, Wisigoths, Francs, Saxons, Angles, etc. Ce sont bien les descendants de ces envahisseurs qui vont constituer, en s’alliant à l’Église ou théocratie romaine, une nouvelle classe sociale ou classe de la pensée, organisant la subordination (quand ce n’est pas l’assujettissement) de la population paysanne originaire. Et cette subordination est la subordination à sa pensée. C’est cette aristocratie, ce sont ces élus de la pensée qui vont se prévaloir de la pensée spéculative dans sa dimension universelle, c’est-à-dire commandant l’ensemble de l’activité sociale. La population reste assujettie à cette pensée qui se présente pour elle comme aliénation, c’est-à-dire comme quelque chose qui lui est à la fois proche et étranger. Sur le plan sociologique dans lequel nous nous sommes engagés, il convient de prendre le terme aliénation dans son sens propre : ce qui est autre, ce qui est étranger, en l’occurrence la pensée du peuple conquérant, de l’étranger, et qui va devenir celle d’une aristocratie guerrière, d’une classe sociale — la noblesse —, et à laquelle il convient de se soumettre. L’aliénation de la pensée consiste à voir sa propre pensée occupée, envahie (dans le sens propre des termes) par une pensée étrangère. Sur le plan social, l’aliénation est bien l’aliénation de la pensée d’un peuple placée, cette pensée, sous la tutelle d’une pensée effectivement étrangère, celle d’un autre peuple.

      #Georges_Lapierre
      https://www.lavoiedujaguar.net/_Georges-Lapierre_ qui a également publié un essai en plusieurs épisodes (deux par mois d’octobre 2016 à décembre 2017) sur la résurgence des anciens cultes méso-américains à travers le culte des saints de la religion catholique, ces articles intitulés "Vierge Indienne et Christ Noir étant consultables sur ce site (la Voie du Jaguar).
      Ne pas confondre avec un autre Georges Lapierre (1886 - 1945), instituteur syndicaliste et résistant français.

  • Notes anthropologiques (VII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-VII

    Le plus souvent les anthropologues sont empêtrés dans ce qu’ils connaissent. Le monde où ils sont nés, ont fait leurs études, et jusqu’à leurs études d’anthropologie, leur offre le point de vue, conscient ou non, à partir duquel ils vont s’efforcer d’appréhender d’autres civilisations. Au nom de l’objectivité scientifique, ils maintiendront leur distance et se garderont de basculer du côté de l’indicible : devenir cet autre qu’ils étaient chargés d’étudier. En chavirant de l’autre côté, ils perdraient leur raison d’être. L’objectivité dont ils s’enorgueillissent n’est qu’une attitude de sauvegarde qui leur permet de rester ancrés à un monde, en fait à leur propre subjectivité, à cette civilisation qui les a modelés, qui a modelé leur manière d’appréhender la réalité qui les entoure, que ce soit les arbres, les insectes ou les autres peuples. (...)

    #anthropologie #potlatch #don #échange #Marcel_Mauss #Malinowski

  • Notes anthropologiques (VI)

    Georges Lapierre

    http://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-VI

    Autrefois, au moment de la découverte du Nouveau Monde, les cartographes faisaient surtout allusion aux temps antiques pour rendre compréhensibles, à leurs propres yeux et aux yeux de leurs lecteurs, les mœurs et les usages des peuples qu’ils découvraient. De nos jours les anthropologues se réfèrent surtout à leur civilisation, à ce qu’ils connaissent, pour rendre compréhensibles à leurs propres yeux et à ceux de leurs lecteurs les peuples qu’ils étudient. Ce changement d’attitude est, en lui-même, significatif. Au XVIe siècle la colonisation de nouveaux territoires ne faisait que commencer et l’on cherchait surtout à établir des comptoirs commerciaux sur les côtes ou au bord des fleuves sans nécessairement entreprendre la conquête d’un empire colonial. Les peuples et leur mode de vie étaient perçus comme une curiosité et l’observation de leurs mœurs était encore, pour peu de temps, désintéressée. (...)

    #anthropologie #potlatch #don #échanges #Marcel_Mauss #Malinowski #Viveiros_de_Castro

  • The Practice Effect (1984) - David Brin
    http://www.davidbrin.com/practiceeffect1.htm

    Le scénario (héros-héroïne-méchant-baston-victoire finale) de ce #livre de #sf est assez banal, mais le monde qu’il décrit ne l’est pas : c’est un lieu où les lois de la thermodynamique sont inversées, et où plus on « pratique » un objet, plus il s’améliore. Par conséquent les riches paient des gens à porter leurs vêtements pour qu’ils deviennent plus confortables, et à regarder leurs tableaux pour qu’ils embellissent.

    Merci à B. L. qui me l’a signalé, pour les liens avec l’économie de l’#abondance et du logiciel #libre (comme du matériel, #fablabs #fab).

    • ce qui est marrant c’est que l’« accumulation primaire » se produit aussi (mais différemment) ; le temps et la contrainte par force sont toujours là ; mais par exemple on peut ruiner quelqu’un en lui offrant des choses qui nécessitent beaucoup de « pratique » pour les conserver en l’état (en fait c’est le #potlatch)