• Accord entre le #Sénégal, l’Europe et les Etats-Unis pour financer la production de #vaccins à Dakar
    https://information.tv5monde.com/afrique/accord-entre-le-senegal-l-europe-et-les-etats-unis-pour-financ

    Pas trop tôt.

    La construction de l’usine de production de vaccins doit démarrer au plus tard en 2021 et 25 millions de doses de vaccins doivent être produits fin 2022.

    #Afrique #covid-19

  • Tribune de l’#Observatoire_du_décolonialisme
    –-> observatoire déjà signalé ici :
    https://seenthis.net/messages/901103
    https://seenthis.net/messages/905509

    « #Décolonialisme et #idéologies_identitaires représentent un quart de la #recherche en #sciences_humaines aujourd’hui »

    Les tenants du décolonialisme et des idéologies identitaires minimisent ou nient leur existence. La montée en puissance de ces #idéologies dans la recherche est pourtant flagrante et on peut la mesurer, démontrent les trois universitaires.

    Dans les débats sur le terme d’#islamo-gauchisme, beaucoup ont prétendu qu’il n’existait pas, puisque ni les islamistes ni les gauchistes n’emploient ce terme. De même, dans de multiples tribunes et émissions, les tenants du décolonialisme et des idéologies identitaires minimisent ou nient leur existence en produisant des chiffres infimes et en soulignant qu’il n’existe pas de postes dont l’intitulé comprend le mot décolonialisme. À ce jeu-là, un essai intitulé « Les Blancs, Les Juifs et nous » [nom du livre de Houria Bouteldjane, porte-parole du Parti des Indigènes de la République, NDLR] ne serait évidemment pas #décolonial, puisqu’il n’y a pas le mot « décolonial » dedans.

    Parler de « décolonialisme », ce n’est donc pas s’intéresser au mot « décolonial » mais aux notions qui le structurent dont le vocabulaire est un reflet, mais pas seulement. La rhétorique, la syntaxe, la stylistique : tout participe à un ensemble qui détermine le caractère d’un écrit. Par exemple, « pertinent » est un adjectif qui nous sert à caractériser un essai. On dit par exemple d’un article qu’il est « pertinent » - Mais le mot « pertinent », c’est nous qui l’employons. Il n’est pas présent dans le texte évalué. C’est le propre du jugement de dégager une idée synthétique à partir des mots exprimés.

    Mais soit, faisons le pari des mots et jouons le jeu qui consiste à croire que les #mots disent le contenu. Mais alors : de tous les mots. Et pas seulement de ceux que l’on nous impose dans un débat devenu byzantin où un chef d’entreprise-chercheur nous explique que tout ça est un micro-phénomène de la recherche qui n’a aucun intérêt, que le mot ne pèse que 0,001% de la recherche en sciences humaines et où, par un psittacisme remarquable, on en vient presque à prouver que la sociologie elle-même ne publie rien.

    Partons simplement d’un constat lexical : sous le décolonialisme tel que nous pensons qu’il s’exprime en France dans l’université au XXIe siècle, nous trouvons les idées qui « déconstruisent » les sciences - la #race, le #genre, l’#intersectionnalité, l’#islamophobie, le #racisme. Que ces mots occupent les chercheurs avec des grilles de lecture nouvelles, tantôt pour les critiquer tantôt pour les étayer et que ces mots - dans le domaine bien précis des Lettres - occupent une place qu’ils n’occupaient pas autrefois - ce qui dénote une évolution de la discipline.

    Dans un premier temps, nous nous intéresserons au fonctionnement des #blogs à visée scientifique, dont nous pensons qu’ils constituent un lieu de la littérature marginale scientifique. Puis dans un second temps, à la #production_scientifique au prisme des #publications présentes à travers les revues et les livres. On s’intéressera en particulier à l’#OpenEdition parce que c’est précisément un lieu-outil où la recherche se présente aux instances gouvernantes comme un mètre-étalon des livrables de la recherche.

    Notre vocabulaire réunit quelques mots identifiés comme représentatifs des thématiques décoloniales et intersectionnelles, sans préjuger du positionnemenent de l’auteur soit pour ou contre (décolonial, #postcolonial, #discriminations, race(s), genre(s), racisme(s), intersectionnalité et synonymes). Il nous suffit d’acter que le sujet occupe une place plus ou moins importante dans le débat.

    Sur OpenEdition, réduit à la part des blogs (Hypotheses) et événements annoncés (Calenda) : une recherche « courte » sur « genre, race et intersectionnalité » donne près de 37578 résultats sur 490078 (au 20 mars 2021) soit 7% de la recherche globale. Ce qui à première vue semble peu. Une recherche étendue sur « racisme et #discrimination » présente d’ailleurs une faible augmentation avec 32695 occurrences sur 39064 titres, soit 8% des objets décrits sur la plateforme.

    Toutefois, si on s’intéresse à la période 1970-2000, le nombre de résultats pour le motif « racisme discrimination » est de 9 occurrences sur 742 documents soit à peine 1% des objets d’études. En 20 ans, la part représentée par des sujets liés à ces mots-clés a donc été multipliée par 7.

    À ce volume, il faut maintenant ajouter les recherches sur « décolonial ». Le mot est totalement absent de la recherche avant 2001, comme le mot « #islamophobie ». Le mot « #post-colonial », c’est 76 documents. Après 2002, le mot « décolonial » pèse 774 tokens ; « post-colonial » (et son homographe « postcolonial »), c’est 58669 ; islamophobie : 487. Au total, ces mots comptent donc au 20 mars 59930 occurrences et représentent 12% des blogs et annonces de recherche. Maintenant, si nous prenons l’ensemble des mots du vocabulaire, ils représentent 89469 documents soit 20% des préoccupations des Blogs.

    Si maintenant, on s’intéresse à la production scientifique elle-même représentée par des articles ou des livres : une recherche sur « racisme genre race intersectionnalité discrimination » renvoie 177395 occurrences sur 520800 documents (au 20 mars), soit 34% des documents recensés.

    Le rapport entre le volume de résultats montre que la part d’étude sur « racisme et discrimination » ne pèse en fait que 43962 documents (au 20 mars), soit 9% de la recherche globale mais 25% des résultats du panel. Si nous réduisons la recherche à « genre, race et intersectionnalité », on trouve en revanche 162188 documents soit 31% du volume global - un tiers - mais 75% du panel.

    Cet aperçu montre à quel point ces objets occupent une place importante dans les publications, sans préjuger de l’orientation des auteurs sur ces sujets : critiques ou descriptifs. Simplement on montre ici que les préoccupations pressenties par l’Observatoire du Décolonialisme et des idéologies identitaires ne sont pas vaines.

    À titre de comparaison, pour toute la période 1970-2021, la recherche sur « syntaxe et sémantique » c’est 55356/520849 items, soit 10% de la recherche pour une thématique qui représente 48% des enjeux de recherches en linguistique qui elle-même ne pèse que 115111 items en base toute sous-discipline confondue, soit 22% de la recherche (22% qui peuvent parfaitement créer une intersection avec l’ensemble de la recherche décoloniale comme par exemple cet article : « Quelle place occupent les femmes dans les sources cunéiformes de la pratique ? » où l’on identifie les tokens linguistiques comme « écriture cunéiforme » et des tokens intersectionnels dans le sommaire : « De l’histoire de la femme à l’histoire du genre en assyriologie » ).

    Maintenant, si on reprend ces mêmes motifs de recherche globaux appliqués aux seuls revues et livres, on réalise que le total de publications sur ces sujets est de 262618 sur 520809 (au 20 mars) soit 50.4% de la recherche exprimée à travers les publications scientifiques.

    La recherche en décolonialisme pèse donc 20% de l’activité de blogging et d’organisation d’événements scientifiques et la moitié (50%) de la part des publications.

    Que faut-il comprendre d’une telle donnée ? Dans un premier temps, il faut déjà acter la forte pénétration des enjeux de recherches liés aux thématiques décoloniales, pour d’excellentes raisons sans doute qu’il n’est pas question de discuter.

    Presque la moitié des activités du cœur de l’évaluation des carrières - revues et livres - passe par la description toutes disciplines confondues des objets de la sociologie. La disparité avec les activités scientifiques d’édition journalière ou d’annonces d’événements ne contredit pas bien au contraire cette envolée.

    Le marché symboliquement lucratif en termes d’enjeux de carrière de l’édition est saturé par les thématiques décoloniales qui sont porteuses pour les carrières jugées sur les publications sérieuses. Cette situation crée un #appel_d’air du côté de l’activité fourmillante des marges de la recherche où se reportent les activités scientifiques « fondamentales » parce qu’elles trouvent dans ces nouveaux lieux des moyens de faire subsister simplement leurs thématiques.

    Andreas Bikfalvi dans son article intitulé « La Médecine à l’épreuve de la race » rappelle certaines données de la science qui confirment l’orientation générale. Car, si les sciences sociales sont très touchées par l’idéologie identitaire, les #sciences_dures et même les #sciences_biomédicales n’en sont pas exemptées.

    Une recherche sur la plateforme scientifique Pubmed NCBI avec comme mot-clé racism ou intersectionality montre des choses étonnantes. Pour racism, il y avait, en 2010, seulement 107 entrées, avec ensuite une augmentation soutenue pour atteindre 1 255 articles en 2020. Par ailleurs, en 2018, il y avait 636 entrées et, en 2019, 774 entrées, ce qui signifie une augmentation de 100 % en à peine deux ans, et 62 % en à peine un an.

    Avant 2010, le nombre d’entrées s’était maintenu à un niveau très faible. Pour intersectionality, il n’y avait que 13 entrées en 2010, avec, en 2020, 285 entrées.

    L’augmentation de ces deux mots-clés suit donc une évolution parallèle. C’est certainement explicable par les événements récents aux États-Unis, à la suite de l’apparition de groupes militants de « #justice_sociale », dans le sillage du mouvement « #Black_Lives_Matter », qui ont eu un impact significatif dans les différentes institutions académiques. Cela ne reflète donc pas l’augmentation des problèmes raciaux, mais une importation récente de ces problématiques dans la recherche.

    Le rapport entre les différentes entrées lexicales dans la galaxie de la pensée décoloniale à travers certaines unités lexicales caractérise un discours hyperbolique. On voit parfaitement que la comparaison de l’emploi de certaines expressions comme « #écriture_inclusive » ou « #place_de_la_femme » qu’un regard hâtif pourrait dans un premier temps juger faible est en nette surreprésentation par rapport à des unités liées comme « place de l’enfant » ou « écriture cursive ».

    Inutile d’effectuer ici une analyse scientométrique précise. Mais on peut dire que la qualité des divers articles des journaux est variable si on se réfère au facteur impact, depuis des publications marginales comme Feminist Legal Studies (IF : 0,731) à des revues parmi les plus prestigieuses au monde, comme New England Journal of Medicine (NEJM) (IF : 74.699) et The Lancet (IF : 60.392). Les titres et le contenu de ces articles sont aussi évocateurs.

    Pour citer quelques exemples : « Devenir une communauté antiraciste néonatale » (1). L’article prône une prise de conscience critique basée sur les stratégies visant à améliorer l’équité en santé, à éliminer les biais implicites et à démanteler le racisme en néonatalogie et périnatalogie. « Vers une neuroscience compassionnelle et intersectionnelle : augmentation de la diversité et de l’équité dans la neuroscience contemplative » (2). Un cadre de recherche appelé « neuroscience intersectionnelle » est proposé, qui adapte les procédures de recherche pour être plus inclusif et plus « divers ». « Intersectionnalité et traumatologie dans la bio-archéologie » (3). Ici, les auteurs parlent de l’utilité du concept d’intersectionnalité de K. Crenshaw dans l’examen des squelettes lors des fouilles archéologiques. « Six stratégies pour les étudiants en médecine pour promouvoir l’antiracisme » (4). Ici, on prône l’introduction de l’activisme racialiste dans les programmes des études de médecine à la suite du racisme anti-noir, de la brutalité policière et de la pandémie de Covid-19. 1

    Entre les 0,01% de mots de la recherche décoloniale identifiés par certains lexicomètres et nos 50%, la marche est grande. On entend déjà les uns hurler au blasphème, les autres à la caricature et les troisièmes déclarer qu’entre deux extrêmes, la vérité est forcément entre les deux.

    Ce #dogme de la #parité d’où émerge la voie médiane est une illusion rhétorique - mais quand bien même : disons que de 1 à 50, la vérité soit 25 : cela signifie donc qu’un quart de la recherche en Sciences Humaines est occupée aujourd’hui par ces questions transverses - ce qui est non négligeable. Mais pour couper court au débat stérile qu’entraîneront les ratiocinations, rappelons deux ou trois choses que l’on voit en première année de licence de lettres :

    Il n’est pas exclu qu’une idéologie repose sur des mots, mais une idéologie repose surtout et avant tout sur une argumentation : le #vocabulaire n’en est que le grossissement superficiel. Supposer que des mots-clés permettent le recensement d’une idéologie est une proposition à nuancer : elle néglige la stylistique des titres et résumés de thèses, la façon contournée de dire les choses. Bref, comme le disait un kremlinologue, les mots servent à cacher les phrases.

    Or, dans leur étude reprise par « Le Monde », nos collègues n’ont retenu que trois mots et sous une forme unique (racialisé et pas racisé, intersectionnalité et pas intersectionnel, etc.). Ils négligent par exemple genre ou #féminin ou islamophobie…

    Cette étude suppose aussi que l’ idéologie qu’ils minimisent se trouve dans les documents officiels qui ont été choisis par eux. Mais le corpus dans lequel nos collègues cherchent est nécessairement incomplet : les annonces de colloques et de journées d’étude, les interventions ponctuelles dans les séminaires et les séminaires eux-mêmes ne sont pas pris en compte, ni les ateliers et autres événements para-institutionnels.

    Les écrits des universitaires dans la presse ne figureront pas non plus. Un site comme GLAD ne sera vraisemblablement pas pris en compte alors qu’il est saturé de ces mots clés. Un titre comme « Les blancs, les juifs et nous » ne comporte aucun mot déclencheur et n’apparaît ni dans son étude, ni dans la nôtre. On peut multiplier les exemples : il suffit qu’au lieu de genre on ait « féminin » (« Déconstruire le féminin ») pour que cette thématique soit gommée. Efficace ?

    En réalité, partir de #mots-clés suppose le principe de #déclarativité : l’idéologie serait auto-déclarée, conformément à la théorie performative du langage propre au discours intersectionnel. Selon ce principe, il n’existerait aucun texte islamo-gauchiste ni antisémite, puisqu’ils ne comportent pas ces mots-clés dans leur propre description.

    Avec ce raisonnement, il n’existerait pas non plus de thèse médiocre, ni excellente puisque ces mots n’y seront pas repérables… Les termes à repérer sont donc nécessairement neutres axiologiquement : si des mots sont repérables, c’est qu’ils sont considérés comme acceptables et qu’ils pénètrent le champ de la recherche. La recrudescence repérée de ces mots-clés indiquerait alors une idéologie de plus en plus affichée. Il faut donc prendre en compte l’évolution numérique comme un indice fort.

    Pour obtenir des conclusions plus solides, il faudrait contraster des chiffres relatifs, pour comparer ce qui est comparable : les thématiques ou les disciplines (avec des termes de niveaux différents comme « ruralité » ou « ouvrier » ; voire des domaines disciplinaires plus larges : narratologie, phonologie…). On peut aussi circonscrire d’autres champs d’analyse (Paris 8 sociologie, au hasard) ou regarder combien de thèses ou articles en sociologie de la connaissance ou en esthétique, etc. Il y aurait de quoi faire un état des lieux de la recherche…

    1. Vance AJ, Bell T. Becoming an Antiracist Neonatal Community. Adv Neonatal Care 2021 Feb 1 ;21(1):9-15.

    2. Weng HY, Ikeda MP, Lewis-Peacock JA, Maria T Chao, Fullwiley D, Goldman V, Skinner S, Duncan LG, Gazzaley A, Hecht FM. Toward a Compassionate Intersectional Neuroscience : Increasing Diversity and Equity in Contemplative Neuroscience. Front Psychol 2020 Nov 19 ;11:573134.

    3. Mant M, de la Cova C, Brickley MB. Intersectionality and Trauma Analysis in Bioarchaeology. Am J Phys Anthropol 2021 Jan 11. doi : 10.1002/ajpa.24226.

    4. Fadoju D, Azap RA, Nwando Olayiwola J. Sounding the Alarm : Six Strategies for Medical Students to Champion Anti-Racism Advocacy. J Healthc Leadersh, 2021 Jan 18 ;13:1-6. doi : 10.2147/JHL.S285328. eCollection 2021.

    https://www.lefigaro.fr/vox/societe/decolonialisme-et-ideologies-identitaires-representent-un-quart-de-la-reche

    et déjà signalé par @gonzo ici :
    https://seenthis.net/messages/908608

    #Xavier-Laurent_Salvador #Jean_Szlamowicz #Andreas_Bikfalvi
    –—

    Commentaire sur twitter de Olivier Schmitt, 27.03.2021 :

    Cette tribune est tellement bourrée d’erreurs méthodologiques qu’elle en dit beaucoup plus sur la nullité scientifique des auteurs que sur la recherche en SHS.
    Pour gonfler leurs stats, ils comptent toutes les occurrences du mot « racisme ». Vous travaillez sur le racisme et avez ce terme dans votre publication ? Vous êtes forcément un postcolonial tenant des idéologies identitaires...
    Idem, et ce n’est pas anodin, ils incluent l’occurence « post-colonial » (avec le tiret). Qui est simplement un marqueur chronologique (on parle par exemple couramment de « sociétés post-coloniales » en Afrique ou en Asie) et n’a rien à voir avec une idéologie « postcoloniale »
    Et oui, un tiret à de l’importance... Mais donc vous êtes historien et travaillez sur, au hasard, Singapour après l’indépendance (donc post-colonial), et bien vous êtes un tenant des idéologies identitaires...
    Et même en torturant les données et les termes dans tous les sens pour gonfler complètement artificiellement les chiffres, ils arrivent à peine à identifier un quart des travaux...
    C’est définitivement pathétiquement débile.
    Et puisqu’ils veulent « mesurer » et « objectiver », un truc comme ça dans n’importe quelle revue un minimum sérieuse, c’est un desk reject direct...

    https://twitter.com/Olivier1Schmitt/status/1375855068822523918

    Sur les #chiffres en lien avec les recherches sur les questions post- / dé-coloniales, voir ce fil de discussion :
    https://seenthis.net/messages/901103
    #statistiques

    ping @isskein @cede @karine4

    • Les fallaces de l’anti-décolonialisme

      fallace
      (fal-la-s’) s. f.
      Action de tromper en quelque mauvaise intention.
      Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1873-1874, tome 2, p. 1609.

      Vendredi 26 mars 2021 le journal Le Figaro a mis en ligne sur son site internet une tribune signée par #Xavier-Laurent_Salvador, #Jean_Szlamowicz et #Andreas_Bikfalvi intitulée « Décolonialisme et idéologies identitaires représentent un quart de la recherche en sciences humaines aujourd’hui ». Ce texte qui avance à grandes enjambées vers un résultat fracassant tout entier contenu dans le titre est fondé sur une méthodologie défaillante et une argumentation confuse. Il a principalement provoqué des éclats de rire, mais aussi quelques mines attérées, parmi les sociologues, les géographes, les historiens, les politistes, les linguistes ou les anthropologues de ma connaissance qui ont eu la curiosité de le lire. Cependant sa publication était attendue et constitue, en quelque sorte, l’acmé de la maladie qui frappe le débat public sur l’Université en France depuis de longs mois. Le contexte impose donc de s’y attarder un peu plus.

      Je voudrais le faire ici en montrant la série impressionnante de fallaces logiques qu’il contient. Des fallaces que l’on retrouve d’ailleurs, avec quelques variations, dans d’autres productions de l’Observatoire du décolonialisme que les trois auteurs ont contribué à fonder. En employant ce terme un peu désuet je désigne un ensemble d’arguments ayant les apparences de la logique mais dont l’intention est de tromper ceux à qui ils sont adressés. Le terme est toujours fréquemment employé en anglais sous la forme fallacy pour désigner des ruses argumentatives que le raisonnement scientifique devrait s’interdire, particulièrement dans les sciences humaines et sociales. Il est évidemment ironique de constater que des intellectuels qui prétendent depuis des mois que l’Université française est corrompue par l’idéologie et le manque d’objectivité le font au moyens de procédés d’argumentation grossièrement fallacieux. C’est pourtant le cas et ce constat, à lui seul, justifie d’exposer les méthodes de ce groupe. Au-delà, ces procédés en disent aussi beaucoup sur l’offensive idéologique menée par ceux qui, à l’image des trois signataires, prennent aujourd’hui en otage l’Université, et particulièrement les sciences humaines et sociales, pour accréditer l’idée selon laquelle toute critique des inégalités et des discrimnations, comme toute entreprise d’élaboration conceptuelle ou méthodologique pour les mettre en évidence — particulièrement celles qui touchent aux questions du genre et de la race — devrait être réduite au silence car suspecte de compromission idéologique « décoloniale » ou « islamo-gauchiste ».

      Les auteurs de cette tribune, deux linguistes et un médecin, sont familiers des prises de position dans les médias. On ne peut donc les suspecter d’avoir fait preuve d’amateurisme en publiant cette tribune. Tous les trois sont par exemple signataires de l’appel des cent qui dès novembre 2020 exigeait de la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche qu’elle rejoigne son collègue de l’Éducation nationale dans la lutte contre « les idéologies indigéniste, racialiste et ‘décoloniale’ » à l’Université. Si l’on doit au Ministre de l’Intérieur Géral Darmanin d’avoir le premier agité le spectre de l’islamo-gauchisme dans la société française à l’automne 2020, c’est en effet Jean-Michel Blanquer qui marqua les esprits au lendemain de l’assassinat de Samuel Paty en évoquant les « complices intellectuels » de ce crime et en déclarant que, je cite, « le poisson pourrit par la tête ». Il n’est évidemment pas possible de déterminer si l’activisme des cent, qui a conduit à la création de l’Observatoire du décolonialisme en janvier 2021 et à de très nombreuses interventions médiatiques de ses animateurs depuis, est à l’origine du changement de cap de Frédérique Vidal ou s’il n’a fait que l’accompagner, ce qui est plus probable. Il est certain, en revanche, que la Ministre de l’Enseignement supérieur, en évoquant à son tour la « gangrène » islamo-gauchiste à l’Université le 14 février 2021 et en annonçant une enquête sur le sujet, a satisfait les demandes de ces cent collègues. Ceux-ci sont d’ailleurs, de ce fait, les seuls à pouvoir se féliciter de l’action d’une ministre qui a réussi à fédérer contre elle en quelques mois — la polémique sur l’islamo-gauchisme étant la goutte d’eau qui fait déborder le vase — tout ce que le monde de la recherche compte de corps intermédiaires ou d’organismes de recherche ainsi que 23.000 signataires d’une pétition demandant sa démission.

      Que signifient exactement « décolonial » et « idéologies identitaires » pour ces auteurs ? Il n’est pas aisé de répondre à cette question car les définitions proposées sur le site de l’association sont assez sibyllines. On devine cependant que ces labels s’appliquent à tout un ensemble d’idées qui ont pour caractéristique commune de questionner la domination masculine et le racisme mais aussi la permanence du capitalisme et contribuent de ce fait, pour les membres de l’Observatoire, à une « guerre sainte menée contre l’occident ». Dans cette auberge espagnole conceptuelle il n’est cependant pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que les convives ont quelques obsessions. L’écriture inclusive, l’identité, l’intersectionalité, le « wokisme », la racialisation, les études sur le genre ou l’analyse du fait « postcolonial » en font partie.

      À défaut d’une définition claire, concentrons-nous sur la stratégie d’argumentation des membres de l’Observatoire. Jusque là ceux-ci ont adopté une stratégie que l’on peut qualifier, sans jugement de valeur, d’anecdotique. Elle vise en effet à isoler dans le flot de l’actualité universitaire un événement, un livre ou une prise de position et à réagir à son propos de manière souvent brève ou ironique, voire sur le ton du pastiche que prisent ces observateurs. On trouve par exemple en ligne sur leur site un recueil de textes « décoloniaux », un générateur de titres de thèses « décoloniales », un lexique humoristique du « décolonialisme »… Quant aux interventions dans les médias elles se font l’écho des initiatives du gouvernement en soulignant leurs limites (par exemple en réfutant l’idée que le CNRS puisse mener l’enquête demandée par la ministre), ciblent des institutions soupçonnées de trop grande compromission avec le « décolonialisme » comme la CNCDH qui publie l’enquête la plus approfondie et la plus reconnue sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie en France. Elles relaient aussi les positions d’intellectuels critiques des discriminations positives ou du « multiculturalisme ».

      Ces interventions privilégient un mode d’action singulier dans l’espace académique qui constitue la première fallace que nous pouvons attribuer à ce groupe, à savoir l’attaque ad hominem contre des chercheuses et des chercheurs (mais aussi contre des militantes et militants des mouvements anti-raciste et féministe). Nahema Hanafi, Nonna Mayer et plus récemment Albin Wagener en ont par exemple fait les frais. En soi, critiquer les arguments avancés par des personnes n’est évidemment pas un problème (c’est d’ailleurs ce que je fais ici). Mais critiquer, plus ou moins violemment, des personnes dont on ignore ou déforme les arguments en est bien un. On ne compte plus dans les textes ou interviews des membres de cet Observatoire les références à des ouvrages cités par leur quatrième de couverture, les allusions moqueuses à des recherches dont les auteur•es ne sont même pas cité•es et peut-être pas connu•es, les références à des saillies d’humoristes pour analyser des travaux de recherche ou les petites piques visant à disqualifier telle ou tel collègue. Cette fallace a d’autres variantes comme celle de l’homme de paille (on devrait d’ailleurs dire ici dela femme de paille tant il existe un biais genré dans le choix des cibles de cet Observatoire) qui consiste à fabriquer des individus imaginaires qui incarnent de manière stylisée la dangereuse chimère « décoloniale ». Le travail ethnographique de Nahema Hanafi est par exemple violemment attaqué au motif qu’il ferait « l’éloge d’un système criminel », rien de moins.

      Une autre variante de cette fallace consiste à suggérer des associations d’idées saugrenues par le détour du pastiche ou de l’ironie qui permettent aussi de critiquer sans lire mais qui remplissent un autre rôle, plus original : celui de détourner l’attention du public quant on est soi-même critiqué. Albin Wagener, qui a mené un travail d’objectivation précis de certains mots-clés considérés comme « décoloniaux » dans la production des sciences humaines et sociales (voir plus bas), est par exemple moqué dans une vidéo imitant la propagande nord-coréenne. Plus grave encore, les sciences sociales « décoloniales » et « intersectionnelles » selon l’Observatoire sont incarnées dans une autre vidéo sous les traits du personnage de Hitler joué par Bruno Ganz dans une scène très souvent détournée du film « La Chute » d’Oliver Hirschbiegel. La stratégie d’argumentation emprunte ici à la fallace du « hareng rouge » consistant pour ces auteurs à utiliser des arguments grotesques ou scandaleux pour détourner l’attention de critiques plus fondamentales qui leur sont faites. En l’occurrence, suggérer que les sciences sociales « décoloniales » ou l’analyse du phénomène raciste sont nazies est à la fois pathétique et insultant. Mais ce parallèle permet aussi de faire diversion — par l’absurde. Ce qu’il s’agit en effet de cacher c’est justement que la version du républicanisme « anti-décolonial » proposée par l’Observatoire reproduit dans ses modes d’intervention des pratiques de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la droite « alternative » ou alt-right. Le paralogisme « c’est celui qui dit qui l’est » — aujourd’hui courant dans les milieux d’extrême-droite — fait donc son entrée, avec l’Observatoire du décolonialisme, dans le milieu académique.

      Une seconce fallace de l’argumentation est à l’oeuvre dans les prises de position des anti-décolonialistes : l’argumentation ad nauseam ou répétition sans fin des mêmes arguments. Au lieu de faire ce qui est attendu dans le monde académique, à savoir une enquête sérieuse et patiente sur chaque cas de « décolonialisme » que l’on voudrait critiquer, les membres de l’Observatoire emploient depuis des mois une stratégie consistant plutôt à distiller quelques éléments de langage sur de multiples supports en profitant des effets de caisse de résonance des réseaux sociaux. Le mécanisme est simple : tel article sur le site de l’Observatoire s’appuie sur une tribune du Point qui suscite elle-même un autre article dans le Figaro qui provoque un tweet d’une figure politique ou journalistique très suivie, lequel suscite des dizaines ou des centaines de réponses, mentions et autres retweets. De cette manière l’Observatoire et ses membres s’installent dans l’espace public sur la simple base de leur activisme de la visibilité. Ironie : un journal un peu plus sérieux cherchera alors à analyser ce phénomène et pour cela donnera la parole de manière disproportionnée aux membres de l’Observatoire ou ravivera le cliché éculé des « guerres de tranchées » universitaires qui laisse penser que tout cela, au lieu d’être une offensive inédite contre la liberté de l’enseignement et de la recherche est un effet pervers de la vie universitaire elle-même. À n’en pas douter, un autre journal trouvera bientôt ces personnalités singulières ou attachantes et se proposera d’en faire le portrait…

      Pourquoi, dès lors, des réactions plus nombreuses peinent-elles à émerger pour contrer cette logorrhée anti-décoloniale ? L’explication tient dans la loi dite de Brandolini, ou « bullshit asymmetry principle » : énoncer une ineptie ne prend que quelques minutes alors que la réfuter sérieusement prend du temps. Celles et ceux qui sont la cible des attaques de l’Observatoire ou qui envisagent de critiquer ses thèses déclarent donc souvent forfait par manque de temps mais aussi par manque d’intérêt pour la polémique en elle-même dont le niveau est accablant. Plus grave, critiquer les thèses de l’observatoire ou émettre des idées considérées comme lui par « décoloniales » expose de plus en plus souvent à des tirs de barrage considérables sur les réseaux sociaux et à des insultes et des menaces. La fallace de l’argumentation ad nauseam porte, en effet, bien son nom : dès lors que l’un des membres de l’observatoire, ou un influenceur qui se fait le relais de ses thèse, désigne aux réseaux de ses soutiens une cible à viser, celle-ci reçoit des centaines de messages infamant qui sont en soi un motif légitime d’inquiétude et supposent un surcroit de travail pour les signaler aux autorités, quand bien même il est très probable que rien ne sera fait pour les arrêter.

      La troisième fallace que l’on peut observer dans les prises de position de l’Observatoire du décolonialisme consiste évidemment à ne sélectionner dans l’ensemble de la production des sciences sociales que les quelques exemples de travaux susceptibles d’alimenter la thèse défendue, à savoir celle d’une augmentation de la production académique sur le genre, le racisme ou le « décolonialisme ». Cette fallace, que l’on qualifie souvent de « cueillette de cerises » (cherry picking) est inhérente à l’argumentation anecdotique. On ne s’attend évidemment pas à ce que les cas sélectionnés par l’Observatoire soient choisis autrement que parce qu’ils valident la thèse que celui-ci défend. Ceci étant dit on peut quand même faire remarquer que s’il existait un Observatoire de l’inégalitarisme celui-ci montrerait sans peine que la thématique du creusement des inégalités progresse fortement dans les SHS en ce moment. Un observatoire du pandémisme montrerait que de plus en plus d’articles s’intéressent récemment aux effets des structures sociales sur les pandémies et un observatoire du réseautisme que la métaphore du « réseau » a plus le vent en poupe que celle de la « classe ». En bref : le fait que des chercheurs inventent des concepts et les confrontent à la réalité sociale est inhérent à l’activité scientifique. Le fait qu’ils le fassent de manière obsessionnelle et à partir de ce qui constitue leur rapport aux valeurs, comme dirait Max Weber, aussi. La seule question qui vaille au sujet de ces recherches est : sont-elles convaincantes ? Et si l’on ne le croit pas, libre à chacun de les réfuter.

      Venons donc maintenant à l’originalité de la tribune du Figaro. Elle propose en effet un nouveau style argumentatif fondé sur une étude empirique aspirant à une telle quantification. Il s’agit en effet ni plus ni moins que d’évaluer la part des sciences humaines et sociales gangrénées par le « décolonialisme ». On imagine que les auteurs se sont appliqués puisque cette mesure est d’une certaine façon ce qui manquait jusque là à leur bagage et qu’elle répond à la demande de la ministre Frédérique Vidal tout en ambitionnant de contrer les arguments quantitatifs avancés par deux collègues qui ont au contraire montré la faiblesse de l’idée de conversion des sciences sociales au décolonialisme à partir d’analyses de corpus.

      Rappelons ces deux études dont nous disposons. D’un côté Albin Wagener a mesuré le poids quelques mots-clé dans un éventail assez large de sources (theses.fr, HAL, Cairn et Open Edition). Sa conclusion : les travaux employant des termes comme « décolonial », « intersectionnel », « racisé » ou « islamo-gauchisme » augmentent depuis les années 2010 mais restent marginaux (0,2% des thèses soutenues ou à venir en 2020, 3,5% du total des publications dans Open Editions et 0,06% dans HAL). D’un autre côté David Chavalarias a analysé le contenu de 11 millions de comptes Twitter pour mettre en évidence la marginalité du terme « islamo-gauchisme » et de ses variantes qui ne sont présents que dans 0,019% des tweets originaux analysés mais dont on peut caractériser l’origine dans des comptes de l’extrême-droite dont beaucoup ont été suspendus par Twitter parce qu’ils pratiquaient l’astroturfing, un ensemble de pratique visant à diffuser massivement des contenus en automatisant l’envoi de tweets ou les retweets de ces tweets. David Chavalarias a souligné la singularité de la stratégie du gouvernement français qui a contribué massivement en 2020 à faire sortir ce terme des cercles d’extrême-droite pour l’amener sur le devant de la scène, une stratégie proche de celle de l’alt-right américaine.

      La fallace la plus évidente que contient le texte du Figaro relève du domaine des conclusions hâtives (hasty conclusion). Les auteurs en arrivent en effet à une conclusion impressionnante (« La recherche en décolonialisme pèse donc 20% de l’activité de blogging et d’organisation d’événements scientiques et la moitié (50%) de la part des publications. ») mais au prix de raccourcis logiques si évidents et grossiers qu’ils ont conduit la plupart des lecteurs de ce texte à déclarer forfait après quelques lignes et qu’ils auraient dû mettre la puce à l’oreille de tous ceux qui eurent à le lire jusqu’au bout, par exemple au Figaro (à moins que personne ne l’ait lu jusqu’au bout dans ce journal ?). Citons les quatre plus importants : le manque de spécificité de la méthode, son manque d’homogénéité, l’introduction de biais massifs d’échantillonnage et un problème confondant de mesure.

      La méthode retenue consiste d’abord à identifier quelques mots-clé considérés comme des signaux permettant de constituer un corpus de documents représentatifs des idées « décoloniales ». On en s’attardera pas sur un des problèmes possibles de ce type de méthodes qui est qu’elle conduisent à mêler dans le corpus des documents mentionnant ces mots-clés pour des raisons très différentes (pour adhérer à un chois de concept, pour le critiquer, pour le moquer…). Les auteurs évoquent ce défaut au début de l’article et ce n’est pas le plus grave. Beaucoup plus stupéfiante en effet est l’absence de prise en compte de la polysémie des termes choisis. Faisons-en la liste : « genre », « race » et « intersectionnalité » sont d’abord mentionnés mais la recherche a été vite élargie à « racisme » et « discrimination » puis à « décolonial », « post-colonial » et « islamophobie ». Les auteurs prennent la peine de signaler qu’ils ont inclus un « homographe » de « post-colonial » (à savoir « postcolonial ») mais il ne leur vient semble-t-il pas à l’esprit que certains de ces termes sont surtout polysémiques et peuvent être employés dans des contextes totalement étrangers aux questions idéologiques qui obsèdent l’Observatoire du décolonialisme. C’est notamment le cas de « genre » et de « discrimination » dont l’emploi conduit à compter dans le corpus des articles sur le genre romanesque ou la discrimination entre erreur et vérité. Un collègue m’a même fait remarquer que les trois auteurs se sont, de fait, inclus dans leur propre corpus dangereusement décolonial, sans doute par mégarde. L’un a en effet utilisé le mot « genre », pour décrire « un navigateur d’un genre un peu particulier », l’autre le même terme pour parler de de musique et le troisième — qui n’a pas de publications dans OpenEdition — mentionne quant à lui dans PubMed des méthodes permettant de « discriminer des échantillons ». Nos auteurs ont cru avoir trouvé avec leurs calculs l’arme fatale de l’anti-décolonialisme. Il semble que c’est une pétoire qui tire sur leurs propres pieds…

      Un autre problème mérite aussi d’être soulevé concernant les mots-clé choisis. Ceux-ci mélangent des concepts des sciences sociales et des termes décrivant des faits qui sont reconnus comme tels très largement. Ainsi, même si l’on laisse de côté la question de l’islamophobie, le « racisme » et les « discriminations » sont des faits reconnus par le droit et mesurés régulièrement dans quantité de documents. On pourrait comprendre que la méthode des auteurs consiste à cibler des concepts dont ils pensent qu’ils sont problématiques et dont il s’agirait dès lors de suivre l’expansion. Mais en incluant « racisme » et « discriminations » dans la sélection du corpus les auteurs trahissent une partie de l’obsession qui est la leur. Ils ne contestent en effet pas seulement le droit des sciences sociales à élaborer comme bon leur semble leur vocabulaire mais aussi leur droit à s’intéresser à certains faits comme le racisme ou les discriminations. Faudrait-il donc confier l’objectivation de ces faits à d’autres disciplines ? Ou bien tout simplement décider que ces faits n’existent pas comme le font certains régulièrement ?

      La méthode pose aussi un problème d’échantillonnage qui ne semble pas avoir vraiment effleuré les auteurs. Ceux-ci construisent un corpus fondé principalement sur la plateforme OpenEdition considérée comme « un lieu-outil où la recherche se présente aux instances gouvernantes comme un mètre-étalon des livrables de la recherche » Il faut sans doute être assez éloigné de la recherche pour considérer ce choix comme pertinent, surtout lorsque l’on restreint encore le corpus en ne gardant que les blogs et événements scientifiques… Les instances d’évaluation de la recherche sont en effet — c’est d’ailleurs heureux — bien plus intéressées par les publications dans des revues de premier rang, qu’elles soient en accès libre ou pas, que par des billets de blog. Et il est de notorité commune que OpenEdition ne couvre pas tout le champ de la production scientifique et n’a pas été créé pour cela.

      Enfin, last but not least, les auteurs de ce texte utilisent pour mesurer le phénomène qui les intéresse une fallace très connue — mais dont beaucoup pensaient qu’elle avait été éradiquée de la recherche en sciences sociales — la fallace du juste milieu (ou golden mean fallacy). Celle-ci consiste à considérer que si l’on dispose de deux évaluations discordantes d’un même phénomène on peut utiliser la moyenne des deux comme solution. Essayons de suivre le raisonnement des auteurs de la tribune : « Entre les 0,01% de mots de la recherche décoloniale identiés par certains lexicomètres et nos 50%, la marche est grande. On entend déjà les uns hurler au blasphème, les autres à la caricature et les troisièmes déclarer qu’entre deux extrêmes, la vérité est forcément entre les deux. Ce dogme de la parité d’où émerge la voie médiane est une illusion rhétorique - mais quand bien même : disons que de 1 à 50, la vérité soit 25 : cela signie donc qu’un quart de la recherche en Sciences Humaines est occupée aujourd’hui par ces questions transverses - ce qui est non négligeable. » On admirera la logique qui consiste à déclarer le choix moyen — et pas médian d’ailleurs comme l’écrivent les auteurs (mais laissons cela de côté) — comme une « illusion rhétorique » (imputée à un étrange « dogme de la parité », encore un hareng rouge sans doute…) tout en faisant ce choix dans la même phrase à coups de tirets et de guillemets… On admirera aussi la logique qui assimile 0,01 à 1… À ce niveau de pifométrie, il est dommage que les auteurs ne soient pas allés jusqu’au bout de leur logique en déclarant que 100% de la recherche en sciences humaines et sociales est gangrénée par le décolonialisme. Ils auraient pu alors, comme le Dr Knock de Jules Romains, ériger en maxime le fait que, dans ces disciplines, « tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ».

      On pourrait encore signaler au moins deux autres fallaces logiques dans ce texte. La première est l’absence de la moindre préoccupation pour la littérature pertinente sur le problème abordé. La bibliométrie (le fait de compter des publications) est pourtant une méthode reconnue de la sociologie comme de l’histoire des sciences et de nombreuses recherches l’ont appliquée au sciences sociales. Si les auteurs de ce texte avaient fait preuve d’un peu de modestie et s’étaient intéressés à cette littérature — ce qu’auraient fait des chercheurs — ils auraient évité de se fourvoyer à ce point. Ils auraient aussi découvert qu’un des résultats les plus fondamentaux de ces disciplines est que les « fronts de la recherche » progressent non pas à la mesure des occurrences de mots-clé dans la littérature scientifique mais à celle des citations des articles qui la composent.

      On peut dès lors invoquer une dernière fallace qui caractérise ce texte, celle du raisonnement circulaire : les résultats de la recherche étaient évidemment entièrement contenus dans ses prémisses et tout l’appareil méthodologique employé ne visait qu’à prouver des préjugés et à recouvrir ce tour de magie d’un voile de scientificité au moyen de divers artifices comme celui de l’argument d’autorité dont relèvent dans ce texte l’usage de mots compliqués employés à plus ou moins bon escient comme « panel », « token » ou « principe de déclarativité » et celui de raisonnements si manifestement confus qu’ils semblent forgés pour un canular scientifique. Le raisonnement établissant qu’en élargissant la recherche on arrive à baisser le nombre total d’articles décomptés est un modèle du genre : « Sur OpenEdition, réduit à la part des blogs (Hypotheses) et événements annoncés (Calenda) : une recherche « courte » sur « genre, race et intersectionnalité » donne près de 37578 résultats sur 490078 (au 20 mars 2021) soit 7% de la recherche globale. Ce qui à première vue semble peu. Une recherche étendue sur « racisme et discrimination » présente d’ailleurs une faible augmentation avec 32695 occurrences sur 39064 titres, soit 8% des objets décrits sur la plateforme. » Tempête sous un crâne !

      À quoi peut donc bien servir ce texte si malhonnête dans son argumentation ? Il semble évident qu’il ne sert à rien pour l’avancement des connaissances sur l’évolution des sciences humaines et sociales. Reste donc son efficacité politique. En affirmant haut et fort que le quart de la recherche française en sciences humaines et sociales est gangréné par le « décolonialisme » (une affirmation que n’importe quel journaliste un peu au fait du monde de la recherche aurait dû trouver immédiatement ridicule, mais semble-t-il pas celles et ceux qui éditent les tribunes du Figaro) les auteurs de ce texte alimentent évidemment une panique morale dont l’Université est aujourd’hui la cible et qui vise à justifier des politiques de contrôle gouvernemental sur l’activité d’enseignement et de recherche et, pour faire bonne mesure, la baisse des budgets qui leur sont consacrés (tout ceci étant déjà en bonne voie). Une panique morale qui vise aussi à intimider et menacer celles et ceux qui travaillent sur les inégalités et les discriminations liées au genre et à l’expérience raciale dans notre société. Une panique morale qui vise enfin à polariser l’opinion en lui livrant — pour quel profit politique à venir ? — des boucs émissaires décoloniaux, intersectionnels et islamo-gauchistes à blâmer pour toutes les calamités qui affligent aujourd’hui notre société.

      https://gillesbastin.github.io/chronique/2021/04/07/les-fallaces-de-l'antidecolonialisme.html

    • Leila Véron sur twitter

      Je vous résume l’"Observatoire" du décolonialisme en quatre points (les gens, le propos, la rhétorique, les méthodes)
      1) « observatoire » autoproclamé sans légitimité institutionnelle, composé de chercheuses et de chercheurs et de leur cercle amical bien au-delà de la recherche
      2) le propos. Propos proclamé : défendre la science, la rationalité, le débat contradictoire. Propos réel : en grande partie, des billets d’humeur sur la société, la politique, et leurs collègues.
      3) le ton : celui de la constatation indignée (ça me fait penser à ce que disait Angenot sur le style pamphlétaire, ça évite d’avoir à argumenter, genre c’est EVIDENT que c’est scandaleux), de l’insulte peu originale (ils aiment bcp liberté égalité débilité), tendance à la litanie
      La rhétorique : un peu de vrai, pas mal de faux, et beaucoup d’invérifiable/ fantasmé/ présenté de manière exagérée/tordue/de mauvaise foi. Ca me fait penser aux rhétoriques des théories du complot.
      Quand ces gens qui prétendent défendre la science ont essayé d’appuyer leurs propos sur une étude chiffrée argumentée, que croyez-vous qu’il arriva ? Ils racontèrent n’importe quoi, @gillesbastin a relevé leurs erreurs grotesques : https://gillesbastin.github.io/chronique/2021/04/07/les-fallaces-de-l'antidecolonialisme.html

      Je ne sais pas ce que je préfère, le fait d’assimiler 0,01 à 1 ou de dire « certains disent que c’est 0,01% de la recherche qui est décoloniale, nous on disait 50%, ben on n’a qu’à choisir le milieu ma bonne dame ». La rigueur scientifique !

      4) la méthode : le contraire de l’argumentation scientifique et en plus ils l’assument : « On fait dans le pamphlet et dans l’ironie » déclare M. Salvador (co-fondateur). On pourrait rajouter le trollage, avec des vidéos et montages de collègues

      Je ne me remets pas de cette citation de XL Salvador « Si on est réduits à sortir un observatoire qui a ce ton, c’est bien parce qu’on n’arrive pas à mener ce débat. C’est un appel au secours d’amant éconduit »
      Bien vu pour l’incapacité à mener un débat scientifique...
      .. mais cette métaphore sérieusement ! J’ai envie de dire qu’il y a d’autres moyens que l’insulte et le pleurnichage pour gérer sa peine d’amant éconduit, non ?
      Conclusion : contradictions, les gens de l’observatoire hurlent au danger de la politisation dans la science et sont archi engagées politiquement dans des sujets divers qui excèdent largement la recherche (ce qui est leur droit, mais le niveau de mauvaise foi est énorme).
      J’ai oublié, stratégie : le matraquage. Les mêmes dénonciations, les mêmes textes vides, les mêmes pastiches, les mêmes vannes dans des bouquins, articles, site1, site2, site3... et sur twitter.
      Ca conduit à des situations où ces gens qui dénoncent l’écriture inclusive et la recherche sur l’écriture inclusive finissent par ne quasi plus parler que de l’écriture inclusive (alors que ce qu’ils et elles faisaient avant avait un autre niveau !) Marche aussi pour la race.
      On leur souhaite une bonne fin de carrière chez Causeur ou CNews, et un bon courage à toutes les chercheuses et chercheurs qui ont déjà assez de luttes à mener et qui se prendront leurs attaques. Par expérience : n’hésitez pas à porter plainte si besoin est (insulte, diffamation).

      https://twitter.com/Laelia_Ve/status/1405257470709317634

  • Mapping the Hidden Patterns of Cities - Bloomberg
    https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-07-26/mapping-the-hidden-patterns-of-cities

    eoff Boeing calls this structure the “logic” of a city, and he would know: An urban planning scholar at the University of California, Berkeley, Boeing developed a tool to let anyone visualize this urban logic in seconds.

    It works by using an old geography technique: the “polar” or circular chart. Boeing’s tool calculates what percentage of a city’s roads run along each section of a compass, and plots it on a circular bar chart. The island of Manhattan, for example, runs from south-southwest to north-northeast, and most of its streets are parallel or perpendicular to the island in a regular grid. Boeing’s program visualizes that as four long bars, with several shorter bars representing the borough’s minority of streets that don’t line up with the grid, as illustrated in the circular pattern below.

    #urban_matter #cartographie #espace #territoire #organisation_de_l_espace #production_territoriale

  • Conversations de femmes actives en milieu rural

    Les femmes des territoires ruraux européens travaillent, vivent, créent, innovent, se transforment et changent leur environnement. Elles brisent les stéréotypes qui les limitent, essayent de changer l’image qui les caractérise à tort.
    Plus de 150 femmes impliquées dans le projet NetRaw sont originaires de 3 pays européens, 3 régions différentes. Elles ont des parcours d’éducation et de travail complètement différents, des expériences et des compétences, elles ont participé à un certain nombre d’activités dans l’éducation, la recherche, le réseautage et la co-conception. Elles ont apporté leurs multiples connaissances et leurs idées et ont laissé un impact positif retentissant.
    Le résultat le plus intéressant du projet est l’émergence du fait que les femmes rurales aujourd’hui, contrairement aux stéréotypes plus larges qui existaient à leur sujet, ont beaucoup progressé. Elles sculptent un présent créatif, plein d’idées, d’efforts, de travail, de participation, d’action, d’innovation, de solidarité sociale, de valeurs et de sourires.
    Elles ont construit des réseaux locaux de dialogue qui génèrent de nouvelles idées et propositions. Elles sont prêtes à apprendre, à partager, à agir par elles-mêmes, à fournir des solutions. Ensemble avec d’autres femmes, ensemble avec des personnes positives au sein de leur réseaux, elles exploitent et promeuvent l’essentiel et les valeurs, elles recherchent encore plus un futur créatif.
    Dans cette exposition, résultat du projet NetRaw, nous voyageons en faisant un périple à travers le parcours de vie de 12 femmes et collectivités de femmes des territoires ruraux européens. A travers leurs regards nous pouvons voir un présent et un futur créatifs, basés sur leurs valeurs, leur capacité de changement, la coopération et la solidarité. Dans cette exposition, nous sommes les témoins oculaires d’un dialogue ouvert, honnête et productif entre ces femmes qui agissent comme ambassadrices de leurs territoires.
    A travers leurs portraits, leurs vies et leurs propositions, ces 12 femmes et collectifs de femmes, développent une conversation à deux, ouverte et fluide, sur la diversité, le bien-être, la coopération, l’audace, la créativité et les droits des femmes.
    De même elles nous invitent à participer à ce dialogue en y répondant…

    http://www.ruralactivewomen.eu/photo-exhibition

    thèmes :
    #diversité
    #bien-être
    #audace
    #créativité
    #droits_des_femmes
    #collectifs_de_femmes

    #exposition #photographie #femmes #femmes_rurales #rural #récit
    ping @nepthys

    • NetRAW project : #Network_for_Rural_Active_Women

      Le programme européen de recherche et de formation intitulé NetRaw : Network for Rural Active Women project (Erasmus + partenariat Stratégique, Éducation des adultes ) a pour objectif principal de capitaliser des pratiques, donner accès à des ressources de formation et d’accompagnement aux femmes rurales habitant dans les espaces ruraux méditerranéens (Espagne, France, Grèce).

      En effet, les espaces ruraux méditerranéens sont en profondes mutations depuis la fin du 20ième siècle. Ils sont passés d’espaces de mono activité agricole à des territoires en transition écologique, culturelle, sociale et entrepreneuriale. Dans ce contexte les relations entre ruraux et urbains les rapports sociaux de sexe présents sur ces territoires (émancipation des femmes, reconnaissance de leurs droits en tant qu’entrepreneures) se sont transformés. Malgré ces transformations, des stéréotypes sur les femmes rurales sont encore très prégnants dans les imaginaires collectifs, associant les femmes à une image désuète (la campagne ringarde).

      Face à ces constats, l’Université de Grenoble Alpes, (CERMOSEM, pilote de ce projet), en lien avec trois partenaires (Grains d’ici en Ardèche, Resilience Earth en Catalogne, Ergani Center en Thessalonique), a construit, en collaboration principale avec le collectif local de femmes rurales ardéchois les Odettes, un programme de recherche-formation collaborative. Axé sur trois champs principaux, il permettra : d’analyser les pratiques réciproques des collectifs de femmes rurales en Europe ; d’identifier les stéréotypes de genre (médias) ; d’élaborer des outils de communication pour faire changer le regard sur les femmes rurales.

      Les partenaires ont choisi une méthodologie de recherche-action collaborative et participative visant à relater les transformations actuelles. Un des objectifs principal est de créer un réseau de femmes rurales européennes en s’appuyant sur la capitalisation de pratiques communes autour de la création de médias positifs sur les évolutions en cours (médias écrits, sonores, vidéos, web documentaires, expositions photos).

      Pour conforter ce travail collaboratif, la réalisation d’une recherche sur le thème « Femmes rurales et médias » , d’un portefeuille de compétences européennes, de supports pédagogiques visuels et numériques (web documentaire, MOOC) seront réalisés et serviront d’appui aux renforcements des capacités des femmes (formation, accompagnement). L’ensemble se concrétisera dans un lieu d’innovation sociale et territoriale nommé le « Women Living Lab Européen ».

      https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/netraw-project

      #ruralité #genre #imaginaires #représentation #invisibilité #invisibilisation #production_agricole #agriculture #monde_paysan #sexualisation_des_activités_agricoles

    • Gender and Rural Geography

      Gender and Rural Geography explores the relationship between gender and rurality. Feminist theory, gender relations and sexuality have all become central concerns of geographical research and significant progress has been made in terms of our understanding of both the broad relationship between gender and geography and the more detailed differences in the lives of men and women over space. The development of feminist perspectives and the study of gender relations in geography, has, however, been fairly uneven over the discipline. Both theoretical and empirical work on gender has tended to be concentrated within social and cultural geography. Moreover it has been directed largely towards the urban sphere.

      https://www.routledge.com/Gender-and-Rural-Geography/Little/p/book/9780582381889
      #géographie_rurale #livre #Jo_Little

  • Thierry Ribault, Tchernobyl, les archives du malheur, 2020 | Et vous n’avez encore rien vu...
    https://sniadecki.wordpress.com/2021/01/24/ribault-tchernobyl

    Au printemps 2019, Kate Brown, historienne et membre du programme de recherche Science, Technologie et Société du Massachusetts Institute of Technology (MIT), a fait paraître Manual for Survival – A Chernobyl guide to the future [1]. Si ce volumineux ouvrage de référence a déjà fait l’objet d’une édition espagnole, en France, en revanche, il reste non seulement non traduit, mais aussi privé de tout compte rendu dans les revues scientifiques ou les médias. Seule la page Wikipédia en français de l’auteur en rend brièvement compte, avec toutefois cette singularité surprenante : alors que la version anglaise de cette page mentionne l’ensemble des critiques suscitées par l’ouvrage, dont de nombreuses appréciations positives, les auteurs de la version française ont opéré un tri sélectif aboutissant à faire figurer exclusivement les critiques émanant de ses détracteurs.
    […]
    Je propose, à toutes fins utiles, de rendre compte des apports de ce livre important volontairement escamoté en France, en insistant notamment sur sa contribution à une meilleure compréhension des processus de production d’ignorance en situation de catastrophe industrielle et sanitaire.

    #nucléaire #anti-nucléaire #critique_techno #Tchernobyl #URSS #santé #catastrophe_industrielle #production_de_l'ignorance #Kate_Brown #Thierry_Ribault

  • Production

    Jean Robert

    https://lavoiedujaguar.net/Production

    Don Bartolo habite une masure derrière ma maison. Comme beaucoup d’autres personnes déplacées, c’est un intrus, un « envahisseur » ou un « parachutiste », comme on dit au Mexique. Avec du carton, des bouts de plastique et de la tôle ondulée, il a édifié une cabane dans un terrain au propriétaire absent. S’il a de la chance, un jour il construira en dur et couronnera les murs d’un toit d’amiante-ciment ou de tôle. Derrière sa demeure, il y a un terrain vague que son propriétaire lui permet de cultiver. Don Bartolo y a établi une milpa : un champ de maïs ensemencé juste au début de la saison des pluies afin qu’il puisse donner une récolte sans irrigation. Dans la perspective de l’homme moderne, l’action de Bartolo peut paraître profondément anachronique.

    Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Mexique, comme le reste du « Tiers-Monde », fut envahi par l’idée du développement. La popularité de ce concept doit beaucoup au président Harry Truman, qui en fit l’axe politique de son discours de prise de pouvoir en 1949. Selon Truman, la politique du développement consiste à « appuyer tous les peuples libres dans leurs efforts pour augmenter la production d’aliments, de textiles pour l’habillement et de matériaux de construction de maisons, ainsi que celle de nouvelles forces motrices pour alléger leur effort physique ». Il ajoutait que « la clé du développement est la croissance de la production et la clé de celle-ci, l’application ample et vigoureuse des connaissances scientifiques et techniques ».

    #Jean_Robert #Mexique #milpa #développement #production #Kant #Goethe #Defoe #Adam_Smith #valeur #Ricardo #rareté #Marx #économie #progrès #destructivité #croissance #Keynes #maïs

  • #Injustices_épistémiques

    Présentation : #inégalités_sociales, #production_des_savoirs et de l’#ignorance

    – Méditation haïtienne : répondre à la violence séparatrice de l’#épistémologie_positiviste par l’#épistémologie_du_lien

    – Rapports sociaux de sexe dans la #recherche_biomédicale : une lecture de la production de savoirs dans les publications féministes anglophones

    – Des brèches dans le mur : inégalités sociales, #sociologie et #savoirs_d’expérience

    – Les enjeux méthodologiques et épistémologiques du #croisement_des_savoirs entre personnes en situation de pauvreté, praticien.ne.s et universitaires : retours sur la recherche #ÉQUIsanTÉ au Québec

    – Épistémologies du Sud et #militantisme_académique : entretien avec #Boaventura_de_Sousa_Santos, réalisé par Baptiste Godrie

    https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2017-v49-n1-socsoc03347
    #violence_épistémique #revue #recherche #savoirs #connaissance

    ping @karine4 @cede

  • Le philosophe Bernard Stiegler disparaît subitement - Le Temps
    https://www.letemps.ch/culture/philosophe-bernard-stiegler-disparait-subitement

    La mort a figé sa vie en roman. Sans bac, tenancier d’un bar à jazz à Toulouse, il a les finances difficiles. Qu’à cela ne tienne, il va régler cela lui-même en décidant d’aller braquer une banque. Ça marche, et il y prend goût. C’est le quatrième braquage à main armée qui lui sera fatal, et lui vaudra 5 ans de prison. C’est là que, grâce à un professeur de philosophie (Gérard Granel) qui l’avait pris en amitié dans son bar, il découvre les grands auteurs, qu’il dévore avec passion.

    Dès sa sortie de prison, il ira à la rencontre de Jacques Derrida ; il se fait remarquer, et sa carrière s’enclenche alors, insolite, hétérodoxe, multiforme mais pas incohérente : professeur de technologie à Compiègne, directeur adjoint de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) de 1996 à 1999, fondateur de l’association Ars Industrialis depuis 2005, professeur en Chine, directeur d’un centre de recherche au Centre Pompidou depuis 2006, il voulait dans tous ces domaines combattre la bêtise culturelle que le marché imposait à tous.

    • https://www.youtube.com/watch?v=999kzydPHGgLa

      société automatique, par Bernard Stiegler

      •15.09.2014
      InriaChannel

      Bernard Stiegler , Philosophe, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Georges-Pompidou . Présentation par Pascal Guitton , Directeur de la recherche Inria.

      La #numérisation_généralisée qui est en cours conduit à l’ #automatisation intégrale, et ce fait emporte des questions épistémologiques aussi bien qu’économiques, sociales et politiques de première grandeur. Cette conférence s’attachera tout d’abord à esquisser le contexte de cette métamorphose des sociétés — qui se décline aussi bien du côté du calcul intensif et de la #smart_city que de la #production_robotisée, de la #neuro-économie, du corps et de la transformation des conditions de la décision dans tous les domaines. Elle tentera ensuite de montrer que toute l’organisation économique qui s’était concrétisée au cours du XXè siècle autour de l’organisation fordiste et keynésienne de la production et de la #consommation s’en trouve compromise. Elle soutiendra enfin qui, d’une part, loin d’être le contraire de l’automatisation, la capacité de décision la suppose, et d’autre part, seule l’automatisation qui permet la désautomatisation est productrice de valeur durable — c’est à dire de néguentropie.

      Biographie :

      Sous la direction de Jacques Derrida, Bernard Stiegler soutient sa thèse à l’École des hautes études en sciences sociales en 1993 et obtient un doctorat de philosophie. Il axe sa réflexion sur les enjeux des mutations actuelles — sociales, politiques, économiques, psychologiques — portées par le développement technologique et notamment les technologies numériques. En 1987, il conçoit l’exposition « Mémoires du futur » et en assure le commissariat au centre Georges Pompidou. A partir de 1988, il enseigne à l’Université de technologie de Compiègne (UTC), et y devient directeur d’une unité de recherche qu’il fonde en 1993, « Connaissances, organisations et systèmes techniques ». Il lance en 1989 le projet LECAO (« lecture et écriture critiques assistées par ordinateur ») avec le soutien du ministère de la Recherche ; il crée et lance également le séminaire de sciences et technologies cognitives de Compiègne, qui se poursuit depuis chaque année au cours de la dernière semaine de janvier, et qui aura reçu plus de mille doctorants et chercheurs français et étrangers ; il lance le programme OPEN (« outil personnalisable d’édition numérique ») puis conçoit la station de lecture audiovisuelle (SLAV) du dépôt légal de l’autiovisuel pour l’INA. Bernard Stiegler devient directeur général adjoint de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) en 1996, directeur général de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) en 2001, puis il fonde l’Institut de recherche et d’innovation au Centre Pompidou en 2006, d’où il anime le réseau international digital studies network. Il a été professeur à l’université de Londres de 2008 à 2014, et visiting professor à Northwestern, Cambrige et Zurich. Il est fellow des universités de Lüneburg et de Dublin, et il enseignera à partir de 2015 à l’université Humboldt de Berlin.

      Bernard Stiegler est fondateur et président depuis 2005 d’ARS INDUSTRIALIS, une association d’étude et de réflexion transdisciplinaire sur le nouveau monde industriel qui émerge avec le numérique. Posant qu’il n’y pas de vie de l’esprit sans instruments spirituels, Ars Industrialis s’est fixé pour but de concevoir un nouveau type d’agencement entre culture, technologie, industrie et politique autour d’un renouveau de la vie de l’esprit. Inscrite dans cette démarche, s’est ouverte en septembre 2010 l’école de philosophie d’Epineuil-le-Fleuriel, où Bernard Stiegler propose des cours de philosophie en ligne (www.pharmakon.fr) et anime un séminaire doctoral en visioconférence qui rassemble quarante chercheurs de quinze pays.

      Bernard Stiegler est membre du Conseil national du numérique, du comité de prospective de l’Arcep, du comité d’orientation d’Etalab, du comité d’orientation stratégique France univesité numérique, de l’institut Diderot et de l’Institut de la mémoire B2V. Il est l’auteur de trente ouvrages.

  • Wattpad : une nouvelle stratégie pour la production de film
    https://www.actualitte.com/article/culture-arts-lettres/wattpad-une-nouvelle-strategie-pour-la-production-de-film/101446?origin=newsletter

    Visiblement, on passe petit à petit d’une plateforme d’écriture à un système de crowdsourcing littéraire. Il va être temps de créer une plateforme d’écriture et de diffusion/réseau social autour des livres qui fonctionne comme un commun.

    Fin mai, Wattpad affirmait son ambition de s’attaquer au monde du cinéma en prenant entièrement en charge la production de deux de ses textes. The Hound, de T.L. Bodine et What Happened That Night, de Deanna Camero allaient bénéficier de fonds spécifiquement alloués par l’entreprise.

    Cette décision faisait partie intégrante d’une stratégie à long terme de la compagnie qui annonçait constituer un « Wattpad Development Fund » pour proposer sa propre programmation plutôt que de dépendre entièrement des partenaires de production qu’elle avait à l’époque.

    Mais la récente association de la plateforme de fan fiction avec le producteur australien Screen Queensland montre que l’entreprise n’est pas encore prête à se passer complètement des studios et souhaite continuer de mettre en place des relations privilégiées avec certains acteurs du secteur. Cependant Wattpad ne revient pas complètement sur ses positions : l’accord passé avec Screen Queensland est des plus originaux.

    Une stratégie de l’entre-deux

    Les deux sociétés comptent s’appuyer sur les utilisateurs de Wattpad à travers le monde tout au long du processus de production. Les bases de données de la plateforme serviront à sélectionner les textes les plus populaires et les réactions et conseils des internautes seront pris en compte. Comme le souligne Publishing Perspectives, l’idée est d’attirer une base de fans, très engagée dans le projet, vers l’adaptation cinéma.

    #Wattpad #Vidéo #Production #Fanfictions

  • #Villes et alimentation en période de #pandémie : expériences françaises

    La #crise_sanitaire a durement touché le monde entier, notamment la France, et a conduit à adapter les modes de #consommation, de #production et d’#approvisionnement pour faire face à cette situation inédite. Fermeture des marchés, des commerces, des restaurants et des cantines, pénurie de main d’œuvre dans la production agricole… Les acteurs du secteur ont dû s’adapter à un contexte évolutif pour garantir la #sécurité_alimentaire du pays. Malgré toutes ces difficultés, le système alimentaire français a tenu.

    Comment garantir la #sécurité et la #qualité de l’#approvisionnement_alimentaire pour tous en période de crise sanitaire ? Quels dispositifs ont été mis en place dans les villes françaises pour répondre à une situation inédite d’urgence ? Quels enseignements retenir de ces deux mois de confinement ? Quelle place les villes ont-elles vocation à occuper dans la redéfinition des #stratégies_alimentaires_territoriales en cours ?

    France urbaine, en partenariat avec les associations RESOLIS et Terres en villes, a mené une vaste #enquête intitulée « Villes et alimentation en période de pandémie : expériences françaises », dont résulte le #recensement des #dispositifs mis en place dans 30 grandes villes et agglomérations, permettant l’analyse des nombreux rôles joués par les villes, en partenariat avec les acteurs locaux, lors des deux mois de confinement.

    L’enquête et son analyse sont construites autour de quatre grands thèmes (#circuits_courts, distribution, #solidarité, #communication), dont voici les quatre principaux enseignements :

    - L’action menée dans l’#urgence ne doit pas contredire les besoins durables de #transition et de #résilience du système alimentaire ;
    – La réussite d’une action urbaine dans le domaine alimentaire nécessite un mouvement et une #organisation_collective, à savoir une « Alliance des territoires » et une synergie entre acteurs du système alimentaire ;
    – Des évolutions majeures sont en cours dans les modes agro-écologiques de #production_agricole, dans des mutations liées au numériques et dans les #comportements_alimentaires ;
    – La #mobilisation_citoyenne est nécessaire aux grandes #transformations du système alimentaire pour que celles-ci soient réussies et démocratiques.

    Qu’il s’agisse de réagir dans l’urgence ou d’agir dans la durée pour rendre les systèmes alimentaires plus résilients, plus solidaire et accélérer la #transition_alimentaire, les villes souhaitent collaborer ensemble, avec les différents acteurs du système alimentaire, d’autres territoires et apporter leurs contributions aux agendas nationaux et européens, à l’instar des stratégies « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité 2030 » de la Commission européenne, dévoilées le 20 mai dernier.

    https://franceurbaine.org/publications/villes-et-alimentation-en-periode-de-pandemie-experiences-francaises
    #rapport #France #alimentation #covid-19 #coronavirus #système_alimentaire #confinement #résilience #urban_matter

    Pour télécharger le rapport :
    https://franceurbaine.org/sites/franceurbaine.org/files/documents/franceurbaine_org/villes_alimentation_pandemie_26mai.pdf

  • Trois des quatre auteurs de l’étude du « Lancet » rétractent leur article sur l’hydroxychloroquine
    https://www.liberation.fr/direct/element/trois-des-quatre-auteurs-de-letude-du-lancet-retractent-leur-article-sur-
    https://www.thelancet.com/lancet/article/s0140673620313246

    Machine arrière. La fameuse étude du Lancet qui faisait état de la dangerosité de la chloroquine est rétractée par trois de ses quatre auteurs. En clair, leur article paraîtra sur le site avec le bandeau « rétracté » et ses résultats sont considérés comme nuls et non avenus. La raison ? « Nous ne pouvons plus garantir la véracité des principales sources de données », affirment-ils.

    J’adore ! Cet épisode aura donné (et donne encore) une très belle vue sur les conditions de production du discours scientifique actuel.

    #science #production_scientifique #chloroquine #covid19 #hydroxychloroquine

  • Ouvertures | Frédéric Lordon
    https://blog.mondediplo.net/ouvertures

    ... Or voilà : le capitalisme n’est pas « sport ». Que sa proposition soit merdique pour la majorité de la population, le cas échéant pour la planète ou l’univers entier, il s’en contre-tape : c’est la sienne, et ça lui semble une raison tout à fait suffisante pour la maintenir. Envers et contre tout s’il le faut. En conséquence, il regroupera ses forces pour écrabouiller tout ce qui montrera quelque chance de s’y opposer — et qui ne serait pas prêt à se défendre avec les moyens adéquats. Inutile de dire que toute proposition communiste, quelle que soit sa variante, fera l’objet de la plus grande attention, et d’un traitement spécial, quand bien même elle rallierait une vaste majorité électorale.

    Voilà donc la seule hypothèse raisonnable dont il faut partir : le capitalisme ne cohabitera pas avec ce qui peut le nier victorieusement, ni ne contemplera passivement sa progressive sortie de la scène de l’histoire. Nous nous trouvons donc à devoir distinguer deux formes de la transition : la « petite » et la « grande ». La « petite » est une transition depuis le capitalisme, la « grande » hors et contre. La « petite » transition croit pouvoir commencer au-dedans, s’y installer comme un germe qui va croître par son dynamisme spontané, pour finir par emporter le morceau. C’est typiquement ce qu’envisage Bookchin quand il imagine d’abord des ilots municipalistes isolés, puis qui vont pousser des synapses et former une série d’archipels, lesquels par croissance continue finiront par percoler à l’échelle de l’ensemble — et ça sera gagné ! C’est, formellement parlant, la même dynamique que Bernard Friot a en tête, réglée dans son cas par l’unique paramètre du taux de cotisation sociale que, par victoires successives, on va graduellement pousser — et à 100 %, ce sera fait.

    Là-contre, l’hypothèse raisonnable dit ceci : rien de tout ça n’arrivera. De transition, il n’y aura que la « grande », ou pas de transition du tout. Bien sûr il est de la prime importance de nous activer déjà de l’intérieur pour faire notre pelote : vertu préparatrice des vacuoles de possible qui, dès maintenant, se donnent vie localement. Mais en sachant qu’à un moment, c’est en passant par le dehors qu’il faudra renverser tout le dedans — à l’intérieur duquel, en fait, il y a trop peu de possible. Le grand possible, c’est le dehors : c’est ça l’idée en matière de transition...

    • Pas encore lu l’article de Lordon, mais pour mémoire, le point de vue de Bookchin :

      Ce que Bookchin nommait « vider l’État » mérite alors toute notre attention : une insurrection frontale, estimait-il, est condamnée à l’échec au regard des effectifs répressifs en présence. Il faut donc, par le patient processus communaliste, saper « matériellement et moralement » l’ensemble des institutions étatiques afin, le jour venu, de provoquer sa chute « sans trop de difficultés ». « Que le peuple dispose ou non du pouvoir repose finalement sur la question de savoir s’il dispose d’armes », assurait Bookchin, liant ainsi, fidèle à son inspiration grecque, la démocratie populaire à l’autodéfense. En 1995, dans From urbanization to cities, il en précisait les contours : « [U]ne garde civile composée de patrouilles tournantes, à des fins de police, et des contingents militaires bien entraînés pour répondre aux menaces extérieures. »

      https://www.revue-ballast.fr/le-moment-communaliste

      #écologie_sociale #écologie_politique #communalisme

    • Pour l’instant, historiquement, les expériences d’autonomie (matérielle ET politique) existantes n’ont toujours pu se faire que parce que la population de tout un territoire donné avait des armes et a pris le contrôle de ce territoire : zapatistes, Rojava, Espagne 36… Sans accès pérenne à la terre, en s’assurant de ne pouvoir en être chassé, et donc en ayant le temps de mettre en place une vie différente, peu de choses possibles… Tierra y libertad…

      Sinon ça fait les ZAD : des cailloux contre des chars, ça tient quelques temps tant que l’État décide pas d’envoyer les chars, et une fois ce choix entériné, c’est fini.

      Évidemment la stratégie ne peut être la même partout suivant la géographie et la situation (les zapatistes ont mis 20 ans entiers à préparer le soulèvement en cachette, et ont pu défendre un territoire car montagneux, par ex). C’est forcément totalement différent en France de 2020. Il ne va pas y avoir tout d’un coup une partie significative (et pour l’émancipation) de la population qui va accéder à des armes… En tout cas il faut des terres, de très nombreuses terres, pas un lopin de potager pour 10, pour avoir de l’autonomie politique (pas d’autonomie politique sans autonomie matérielle, cf l’article de Reporterre sur les quelques conflits qui ont un peu amélioré les choses, parce que les gens pouvaient vivre des mois sans leur salaire).

    • Ce qui est aussi le discours de Georges Orwell avec la constitutions de groupe de "home guards" constitués pendant la deuxième guerre mondiale pour contrer la menace d’invasion allemande.
      "En quelques semaines, un million d’hommes se portent volontaires pour former une milice populaire, la home guard. Encadrée par des officiers de réserve, elle est entraînée au maniement d’armes légères et se prépare à une possible guerre de guérilla.

      Ancien milicien antifasciste en Espagne, Orwell appelle alors les militants anticapitalistes de toutes nuances à s’engager dans la home guard. Il estime que le capitalisme britannique, au bord d’un écroulement moral, a pris un grand risque en créant cette force armée, car elle pourrait lui échapper et devenir révolutionnaire. Aussi, dans l’hebdomadaire de gauche Tribune fustige-t-il les militants communistes ou socialistes qui restent « à l’extérieur en disant : c’est du fascisme ». Pour Orwell, leur acuité politique est limitée par des culs-de-bouteille idéologiques : ils peuvent bien « répéter : “des armes pour les travailleurs”, ils sont incapables de mettre un fusil entre les mains des travailleurs ; la home guard le peut et le fait ». Et de résumer sa pensée : « Nous vivons une période étrange de l’histoire où le révolutionnaire doit être un patriote, et le patriote un révolutionnaire. »"

  • Le Maroc se rêve en hub industriel aux portes de l’Europe
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/06/02/le-maroc-se-reve-en-hub-industriel-aux-portes-de-l-europe_6041509_3234.html

    Dans le même temps, ses ingénieurs en aéronautique se sont lancés dans la production de 500 respirateurs artificiels « Made in Morocco ». « Des respirateurs haut de gamme, précise fièrement Karim Cheikh, président du Groupement des industries marocaines aéronautiques et spatiales (Gimas). Nous avons mis les compétences de l’aéronautique au service de la production de matériel médical en un temps record. Cela montre l’agilité industrielle dont dispose le Maroc, qui a fait beaucoup de progrès en recherche et développement, et qui se tourne désormais vers une industrie 4.0 et une production décarbonée. » En deux mois, une vingtaine de demandes de brevet d’invention dans le domaine de la santé et des nouvelles technologies permettant de lutter contre le Covid-19 ont été déposées.

    #Covid-19#circulations#production-industrielle#recherche#matériel-médical#recherche#migrant#migration#Maroc#Europe

  • Bertrand Louart, À écouter certains écolos, on a l’impression que les machines nous tombent du ciel !, 2020
    https://sniadecki.wordpress.com/2020/05/14/louart-itw-casaux

    Interview de @tranbert par Nicolas Casaux

    Nicolas Casaux : Je me suis entretenu avec Bertrand Louart, auteur, notamment, de Les êtres vivants ne sont pas des machines (éd. La Lenteur, 2018), animateur de l’émission Racine de Moins Un sur Radio Zinzine, rédacteur du bulletin de critique des sciences, des technologies et de la société industrielle Notes & Morceaux choisis (éd. La Lenteur), contributeur au blog de critique du scientisme Et vous n’avez encore rien vu…, et membre de la coopérative européenne Longo maï où il est menuisier-ébeniste.

    #critique_techno #anti-industriel #écologie #démocratie #acier #production #machine-outil #communalisme

  • Hé ben voilà, à force de publier quotidiennement des chiffres foireux, aujourd’hui j’ai carrément 15 personnes ressuscitées en Ehpad ! (hashtag #Alléluia).

    Par exemple cet article publié hier :
    https://actu.fr/societe/coronavirus/covid-19-348-nouveaux-deces-2-542-patients-reanimation-bilan-france_33588293.ht

    Les chiffres à retenir ce mardi
    – 26 991 décès ont été constatés depuis le 1er mars 2020, dont 17 003 dans les hôpitaux et 9 988 dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

    Le même site aujourd’hui :
    https://actu.fr/societe/coronavirus/covid-19-plus-27-000-deces-total-543-nouvelles-hospitalisations-bilan-france_33

    Les chiffres à retenir ce mercredi
    – 27 074 décès ont été constatés depuis le 1er mars 2020, dont 17 101 dans les hôpitaux et 9 973 dans les établissements sociaux et médico-sociaux.

    Oui, tu lis bien : le nombre de morts en Ehpad est passé de 9988 à 9973.

    Ce qui nous donne les courbes approximatives du jour :

    Ce qui permet donc au premier site d’information de France de titrer avec enthousiasme :

    Je te récapitule donc les derniers chiffres de décès quotidiens en Ehpad :
    – mercredi : 101
    – jeudi : 29
    – vendredi : 132
    – samedi : 4
    – dimanche : 1
    – lundi : 85
    – mardi : 165
    – mercredi : -15 (oui, c’est bien : « moins quinze »)

    Tu m’étonnes que « le bilan repart à la baisse »…

  • Bas les masques ! Un appel de soignant.e.s à construire un mouvement populaire
    Le 29 avril 2020
    https://baslesmasques.co/index.php/je-signe-lappel
    https://www.youtube.com/watch?v=KH4lhDYYMR8

    Nous sommes des soignant.e.s et professionnel.le.s de la santé d’horizons divers. Bouleversé.e.s et en colère, nous décidons de nous lever et de crier haut et fort « Bas les masques ! » Nous disons stop aux mensonges, à l’hypocrisie et au cynisme du gouvernement !

    #coronavirus #France #solidarité #Bas_Les_Masques

    Voir compile des effets délétères indirects de la pandémie :
    https://seenthis.net/messages/832147

  • « Le Nigeria est mieux préparé que nous aux épidémies » , Entretien avec l’historien Guillaume Lachenal, 20 avril 2020
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/200420/le-nigeria-est-mieux-prepare-que-nous-aux-epidemies?onglet=full

    Leçons à tirer des façons dont le Sud fait face aux épidémies, approche sécuritaire des virus, relations entre le médical et le politique, logiques sous-jacentes à la « médecine de tri »…

    Guillaume Lachenal est historien des sciences, chercheur au Medialab de Sciences-Po. Ses principales recherches portent sur l’histoire et l’anthropologie des épidémies, de la médecine et de la santé publique dans les contextes coloniaux et post-coloniaux d’Afrique. Il a notamment publié Le Médicament qui devait sauver l’Afrique (La Découverte, 2014, traduction anglaise The Lomidine files, Johns Hopkins University Press, 2017) et Le Médecin qui voulut être roi (Seuil, 2017).

    Qu’est-ce que les épidémies vécues récemment par les pays du Sud peuvent nous apprendre sur ce qui se passe aujourd’hui ?

    Guillaume Lachenal : Comme le disaient déjà les anthropologues Jean et John Comaroff, la théorie sociale vient désormais du Sud, parce que les pays du Sud ont expérimenté, avec vingt ou vingt-cinq ans d’avance, les politiques d’austérité sous des formes radicales. Le néolibéralisme précoce s’est déployé au Sud, notamment dans les politiques de santé. Il est à l’arrière-plan des épidémies de sida et d’Ebola.

    On découvre aujourd’hui le besoin d’une grille de compréhension qui parte des questions de pénurie, de rareté, de rupture de stocks qui se trouvent être au cœur de l’anthropologie de la santé dans les pays du Sud. On parle aujourd’hui beaucoup de mondialisation, de flux et de la façon dont le virus a épousé ces mouvements, mais observée d’Afrique et des pays du Sud, la mondialisation est une histoire qui ressemble à ce qu’on voit aujourd’hui : des frontières fermées, des avions qu’on ne peut pas prendre, des mobilités impossibles.
    Jusqu’au début des années 2000, en Afrique, l’épidémie de sida, c’est une histoire de médicaments qu’on n’arrive pas à obtenir, qu’on fait passer dans des valises au marché noir… Durant la grande épidémie d’Ebola de 2014, les structures de santé ont été dépassées pour des raisons matérielles élémentaires : manque de personnel, pénurie de matériel…

    Il existe donc, au Sud, tout un corpus d’expériences riche d’enseignements, comme le soulignait récemment l’historien Jean-Paul Gaudillière. Comme Ebola, le Covid est à maints égards une maladie du soin, qui touche en premier lieu les structures de santé, mais aussi les relations de prises en charge domestiques. Surtout, le Sud nous montre comment on a voulu mobiliser une approche sécuritaire des épidémies, au moment même où on négligeait les systèmes de santé.

    Toute l’histoire de la santé publique dans ces pays rappelle pourtant qu’il ne suffit pas d’applications pour monitorer le virus et de drones pour envoyer les médicaments ; que ces modes de gouvernement sont de peu d’efficacité face à une épidémie. On peut tenter de transposer, ici, cette critique d’une gouvernementalité spectaculaire qui produit seulement une fiction de préparation.

    Il y a trois ans, la conférence de Munich sur la sécurité avait été inaugurée par Bill Gates qui affirmait que la menace principale pour le monde était de nature épidémique et pas sécuritaire. Depuis quinze ans, tous les livres blancs de la Défense mettent les épidémies tout en haut de l’agenda. Et nous sommes pourtant dépassés quand elle arrive. Cette contradiction n’est en réalité qu’apparente. Parce que nous avons en réalité confié cette question sanitaire à une logique de start-up, d’innovation et de philanthropie, dans laquelle la politique sécuritaire des États consiste d’abord à mettre en scène sa capacité à intervenir, à simuler son aptitude à gouverner, mais sans véritable moyen de le faire.

    L’anthropologue et médecin Paul Farmer, qui avait été notamment l’envoyé spécial des Nations unies à Haïti après le séisme en 2009, rappelait à propos du fiasco de la réponse à Ebola, en 2014, que la réponse à une épidémie, c’est avant tout « staff and stuff » , des gens et des choses. La France se prend aujourd’hui en pleine figure le manque de masques, de matériels et de tests, et expose ainsi l’hiatus profond entre un débat public expliquant qu’il faut tester davantage, se protéger davantage, et la matérialité de la situation, avec le manque de réactifs, l’incapacité de produire suffisamment de masques, mais aussi l’absence de personnels de santé publique capables de faire le suivi des cas.

    Actuellement, ce n’est pas d’idées, de stratégies, de perspectives critiques que l’on manque… On manque de choses. Les questions les plus intéressantes aujourd’hui sont logistiques et il est sans doute plus intéressant de parler à un brancardier de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis ou à un livreur de Franprix qu’à n’importe quel chercheur. La question centrale, aujourd’hui, c’est l’épidémiologie sociale : comment le virus s’engouffre dans les failles de nos sociétés : les inégalités, les conditions de vie, les différences d’exposition du fait du travail, et toutes les comorbidités qui aggravent la maladie, comme on le voit avec les disparités raciales aux États-Unis, ou le cas de la Seine-Saint-Denis, ici.

    Avec une certaine ironie, on constate que des pays comme le Cameroun ou le Nigeria sont mieux préparés car ils disposent de ce qu’on appelle des agents de santé communautaire ( Community Health Workers ) qui sont des gens peu formés – ce ne sont pas des infirmiers – mais qui sont des sortes d’aides-soignants de santé publique, qui s’occupent des campagnes de vaccination, mais aussi de surveillance épidémiologique, et qui s’avèrent très utiles pour faire le suivi des cas, et des contacts des personnes infectées. C’est un savoir social que ne peut faire la police ou un smartphone.

    Au moment d’Ebola, quelques cas se sont déclarés à Lagos, au Nigeria, et on a craint le pire dans une métropole comme celle-ci, avec un virus aussi mortel. Mais en réalité, le pays a pu s’appuyer sur ces personnes très bien implantées dans les quartiers et les communautés, qui devaient déjà faire face à une épidémie de polio, et ont donc su tracer les contacts, isoler les malades, et réussi à éteindre l’épidémie. Cette success story africaine rappelle que la principale réponse aux épidémies est une réponse humaine, qu’on a complètement négligée ici, où personne ne viendra frapper à notre porte, et où rares sont les quartiers organisés en « communautés ».

    Vous avez coordonné, en 2014, une publication sur la « médecine de tri », dont on saisit aujourd’hui l’ampleur. Pourquoi jugez-vous qu’il s’agit du paradigme de la médecine de notre temps ?

    Ces pratiques de tri qu’on découvre aujourd’hui dans le débat public sont routinières en médecine. Elles sont violentes pour les soignants, difficiles éthiquement, insupportables philosophiquement, mais elles sont aussi nécessaires. On ne peut pas bien soigner les gens sans choisir où faire porter ses efforts. Et ces pratiques de tri sur critères médicaux sont aussi un moyen de traiter les gens de manière égalitaire, au sens où ce ne sera pas seulement celui qui paie le plus qui aura le droit à un ventilateur par exemple.
    Cela dit, ce tri se fait parce qu’il existe un écart entre des ressources rares et les besoins des patients. Or, cette rareté peut aussi être produite, en raison par exemple de la politique d’austérité qui frappe les systèmes de santé. Il est donc important d’avoir un débat sur la production de cette rareté, par exemple au sujet de la réduction du nombre de lits. Mais ce qui produit de la rareté, c’est aussi l’innovation médicale en tant que telle. La dialyse, le respirateur, la réanimation soulèvent de nouvelles questions d’accès et de tri, qui ne se posent pas dans de nombreux pays du Sud où quasiment personne n’y a accès.

    Comment définissez-vous la « santé globale » ? Et pourquoi dites-vous qu’il s’agit du « stade Dubaï » de la santé publique, en faisant référence à la façon dont le sociologue Mike Davis faisait de Dubaï l’emblème du capitalisme avancé ?

    Depuis le milieu des années 1990, les questions de sécurité sanitaire et de biosécurité ont pris de plus en plus de place sur l’agenda. Les réponses très verticales à des épidémies comme celle de VIH ont été motivées avant tout par des préoccupations sécuritaires, notamment d’un point de vue américain, avec l’idée qu’il ne fallait pas les laisser hors de contrôle.

    Ce tournant sécuritaire a coïncidé avec un tournant néolibéral, notamment dans le Sud, où on a contraint les États à diminuer les dépenses de santé publique, et à avoir recours à la philanthropie, ou à développer des infrastructures privées. Lors de mes enquêtes en Afrique par exemple, j’ai pu constater que la santé publique n’était plus qu’un souvenir, dont les personnes âgées parlaient souvent avec nostalgie, comme d’une époque où on pouvait obtenir des médicaments et se faire soigner gratuitement. À partir de la fin des années 1990, tout devient payant et on passe à une approche beaucoup plus minimaliste et sécuritaire de l’intervention de l’État en matière de santé.

    Ce moment qu’on désigne comme celui de « Global Health » , de santé mondiale, est caractérisé, dans le Sud, à la fois par un retrait des États et par un boom du financement global, assuré en particulier par la fondation Gates et les grandes banques de développement dont la banque mondiale, qui mettent en place des infrastructures de santé, le plus souvent avec des partenariats public-privé.

    Pour le dire schématiquement, vous avez des dispensaires qui tombent en ruine et des hôpitaux champignons tout neufs qui poussent parfois juste à côté, construits par les Indiens ou les Chinois, et financés par les banques de développement. Pour les habitants, ces institutions sont le plus souvent des mirages, parce qu’ils sont payants, ou, au sens propre, parce que construire un hôpital, même en envoyant des médecins indiens comme on l’a vu par exemple au Congo, n’est pas très utile quand on manque d’eau, d’électricité, de médicaments…
    D’où la référence à Mike Davis. Ces infrastructures sont des coquilles de verre impressionnantes mais qui demeurent des énigmes pour les habitants, et favorisent toute une épidémiologie populaire qui s’interroge sur ce qu’on a pris ici pour financer cela là, sur l’économie extractive qui a permis la construction de tel ou tel hôpital.

    Cette épidémiologie populaire désigne la façon dont les populations confrontées à des épidémies de type VIH-sida ou Ebola les inscrivent dans des économies politiques globales et des formes vernaculaires de compréhension, et relient les épidémies à des interrogations sur le sens de la maladie.

    C’est comme cela qu’on entend que le sida a été envoyé par tel politicien soucieux de se venger de tel ou tel village, ou Ebola par MSF pour pouvoir prélever des organes sur les cadavres… C’est aussi comme ça qu’on relie telle maladie, comme l’ulcère de Buruli, avec une transformation du paysage, avec tel ou tel changement environnemental. Évidemment tout n’est pas vrai, loin de là, mais dire que l’Afrique est dégradée par une économie extractive, c’est banalement exact.

    L’utopie du docteur David, que vous avez étudiée dans Le Médecin qui voulut être roi , d’un monde dont l’organisation serait entièrement déterminée par la médecine est-elle en train de se réaliser ?

    L’histoire coloniale est riche d’enseignements car on y voit des médecins coloniaux qui, à l’instar du docteur David, peuvent enfin vivre leur rêve d’avoir les rênes du pouvoir et d’appliquer leur science à toute la société. Pendant la guerre, le docteur David possède ainsi un pouvoir absolu sur toute une partie du Cameroun. Il profite de ses pleins pouvoirs en tant que médecin pour lutter contre les épidémies. Mais ce qui est instructif, c’est qu’il découvre son impuissance et il n’arrive pas à changer grand-chose au destin des maladies, car il ne comprend pas la société locale, car il n’a pas tous les leviers d’action qu’il croit posséder en ayant pourtant à la fois la science médicale et le pouvoir politique.
    Il peut être intéressant de jouer du parallèle, car l’utopie qui donnerait tout le pouvoir aux médecins, et travaille toute la santé publique et la biopolitique, n’a jamais été vraiment mise en place, mais demeure à l’état de rêve et de projet politiques – Foucault parlait du « rêve politique de la peste » . Ce qu’on traverse en ce moment, c’est à la fois l’apparence d’une toute-puissance biopolitique, mais aussi l’impuissance fondamentale de tout cela, parce que la réalité ne coïncide pas avec le projet. Ce n’est pas parce que les citoyens ne respectent pas le confinement, au contraire, mais parce que les autorités, notamment municipales, improvisent et imposent une théorie du confinement qui est loin d’être fondée sur une preuve épidémiologique.

    Les derniers arrêtés municipaux, c’est le Gendarme de Saint-Tropez derrière les joggeurs ! Rien ne dit aujourd’hui que le virus s’est beaucoup transmis dans les parcs, et une approche de santé publique rationnelle, qui arbitrerait coûts, sur la santé mentale et les enfants notamment, et bénéfices, imposerait plutôt de les rouvrir au plus vite, avec des règles adaptées – comme en Allemagne par exemple. Comme à l’époque coloniale, on a plutôt l’impression d’une biopolitique qui ne calcule pas grand-chose, et dont la priorité reste en fait d’éprouver sa capacité à maintenir l’ordre.

    Dans un texte publié mi-février, vous affirmiez à propos de l’épidémie qui débutait alors, qu’il s’agissait d’un « phénomène sans message » et qu’il fallait « se méfier de cette volonté d’interpréter ce que le coronavirus “révèle” » . Vous situez-vous toujours sur cette position deux mois plus tard ?

    Je maintiens cette position d’hygiène mentale et d’hygiène publique qui me paraît importante. Sans vouloir jeter la pierre à quiconque, toute une industrie du commentaire s’est mise en place et on se demande aujourd’hui ce que le coronavirus ne « révèle » pas.

    En tant qu’enseignant qui se trouvait être en train de faire un cours sur l’histoire des épidémies lorsque celle-ci est apparue, je me méfiais de l’ennui qu’on peut ressentir à enseigner cette histoire si on s’en tient aux invariants : le commencement anodin, le déni, la panique, l’impuissance, les digues morales qui sautent, les tentatives plus ou moins rationnelles pour comprendre et contrôler, et puis la vague qui se retire avec ses blessures…

    Dans ce contexte, la pensée de l’écrivain Susan Sontag a été ma boussole, en tout cas une position qu’il me semble nécessaire de considérer : il est possible que tout cela n’ait pas de sens. La chercheuse Paula Treichler avait, dans un article célèbre, évoqué « l’épidémie de significations » autour du sida. On se trouve dans une configuration similaire, avec tout un tas de théories du complot, le raoultisme, mais aussi des interprétations savantes qui ne font guère avancer les choses. Il me paraît ainsi intéressant de relever l’homologie entre les théories du complot et celles qui attribuent cela à Macron, à Buzyn ou à telle ou telle multinationale, et qui ont en commun d’exiger qu’il y ait une faute humaine à l’origine de ce qui arrive.
    Ce sont des choses qu’on a beaucoup vues dans des pays du Sud qui n’ont jamais cessé de connaître des épidémies secouant la société, qu’il s’agisse du sida en Haïti et en Afrique ou du virus Ebola. Ces théories jugées complotistes ne sont pas forcément irrationnelles ou inintéressantes politiquement. Pendant la dernière épidémie d’Ebola au Kivu congolais, on a accusé le pouvoir central, l’OMS ou certains politiciens locaux d’être derrière l’épidémie pour profiter de « l’Ebola business ».

    Des enquêtes journalistiques menées depuis, comme celle d’Emmanuel Freudenthal, ont effectivement montré l’ampleur de la structure de corruption mise en place autour de la réponse Ebola au Kivu, même si cela ne veut pas dire qu’elle avait été provoquée. L’épidémiologie populaire, comme on la désigne en anthropologie de la santé, est porteuse de diagnostics sociaux et politiques qui sont souvent au moins aussi intéressants que certains discours de sciences sociales qui cherchent à mettre du sens là où il n’y en a pas toujours.

    Le stade Dubaï de la santé publique
    La santé globale en Afrique entre passé et futur
    Guillaume Lachenal
    Dans Revue Tiers Monde 2013/3 (n°215), pages 53 à 71
    https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2013-3-page-53.htm

    Sans gendarme de Saint-tropez : Security agents killed more Nigerians in two weeks than Coronavirus
    https://seenthis.net/messages/845017

    Articles cités :

    Covid-19 et santé globale : la fin du grand partage ?, Jean-Paul Gaudillière
    https://aoc.media/analyse/2020/04/02/covid-19-et-sante-globale-la-fin-du-grand-partage
    est sous#paywall...

    Donner sens au sida, Guillaume Lachenal
    https://journals.openedition.org/gss/2867

    Bill Gates, « l’homme le plus généreux du monde », ne l’est pas tant que cela
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/110519/bill-gates-l-homme-le-plus-genereux-du-monde-ne-l-est-pas-tant-que-cela?on

    En RDC, la Riposte de l’OMS rattrapée par l’« Ebola business »
    https://www.liberation.fr/planete/2020/02/04/en-rdc-la-riposte-de-l-oms-rattrapee-par-l-ebola-business_1776970

    #Sud #histoire_des_sciences #anthropologie #Paul_Farmer #épidémies #santé_publique #tournant_sécuritaire #médecine #austérité #pénurie #maladie_du_soin #médecine_de_tri #médecin #sytèmes_de_santé #États #simulation #staff_and_stuff #épidémiologie_sociale #épidémiologie_populaire #agents_de_santé_communautaire #savoir_social #rareté #production_de_la_rareté #innovation_médicale #science #biopolitique #maintien_de_l'ordre #santé_communautaire #Nigeria #Afrique #politique_du_soin

  • Les escargots : web série antivirale
    http://tv.lapesto.fr/videos/watch/64178646-707f-4606-b770-7611bdab5b00

    Après avoir trouvé dans des feuilles d’épinards deux escargots baptisés Coco et Virus, j’ai décidé de les adopter comme animaux de compagnie, et de réaliser avec eux une web série destinée à devenir…. antivirale !

    À chaque épisode, nous tenterons une sérénade à trois pour exprimer notre confinement subi et réfléchir sur la situation actuelle - des gesticulations angoissantes des gouvernements aux espoirs les plus fous qui naissent de cette expérience internationale d’un bouleversant arrêt du monde. Un éloge de la lenteur fait à toute vitesse pour tenter de trouver une issue cinématographique et politique aux paradoxes de notre temps !

    Dans ce premier épisode - Les présentations -, en guise de prologue, vous découvrirez les trois protagonistes qui, tout confinés chez eux qu’ils sont, entendent bien ouvrir, à leur rythme, quelques fenêtres pour faire respirer nos imaginaires.

    #Les_escargots #journal_de_confinement #confinement #web_serie #films

  • La banque d’Angleterre brise le tabou du non-financement des Etats | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/economie/090420/la-banque-d-angleterre-brise-le-tabou-du-non-financement-des-etats

    Un tabou est tombé ce 9 avril. Et pas n’importe lequel. Un de ceux qui constituent les piliers du néolibéralisme : l’indépendance des banques centrales et l’interdiction qui leur est faite de financer directement les États. La banque d’Angleterre a annoncé en début de matinée qu’elle allait financer directement « sur une base temporaire et à court terme » les dépenses supplémentaires du gouvernement britannique liées aux conséquences de la pandémie du Covid-19.

    Désormais, toutes les nouvelles émissions du Trésor seront souscrites directement par la banque centrale. Ce qui permet au gouvernement de ne plus passer par les marchés obligataires et d’échapper au moins momentanément aux contraintes et aux exigences des marchés financiers.

  • Le professeur Raoult, les maniaques et le parachute
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/10/le-professeur-raoult-les-maniaques-et-le-parachute_6036266_3232.html

    Répondant à une récente tribune de l’infectiologue marseillais, les historiens et sociologues de la médecine Luc Berlivet et Ilana Löwy remettent en perspective un exemple parodique d’essai clinique.

    Tribune. La tribune du professeur Didier Raoult, promoteur de l’utilisation de l’hydroxychloroquine contre les infections à coronavirus, que Le Monde a publiée le 25 mars, s’ouvre sur une affirmation retentissante : « Le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste. » Le tableau qu’il dresse des ravages opérés par les « maniaques de la méthodologie » fait froid dans le dos : par sa bureaucratisation de la recherche médicale et les entraves mises à l’investigation clinique, la dictature des méthodologistes aboutit à faire perdre de vue jusqu’aux évidences de bon sens.

    Il faut dire que l’exemple dont il se sert pour illustrer son propos a de quoi émouvoir : « Un collègue anglais avait proposé, pour obéir à la dictature de la méthode, de faire sauter, au hasard, 100 personnes portant un sac avec ou sans parachute pour répondre aux normes actuelles de validation d’un essai thérapeutique. Le problème était de trouver des volontaires… » Bel exemple de reductio ad absurdum.

    #paywall

    • Ce que le professeur Raoult n’a pas jugé utile de préciser clairement aux lecteurs du Monde est que l’article auquel il fait allusion, sobrement intitulé « L’utilisation de parachutes aux fins de prévenir les décès et traumatismes majeurs en cas de difficultés gravitationnelles [gravitational challenge] : une recension systématique des essais cliniques randomisées » , qui fut publié en 2003 dans le British Medical Journal, constitue en réalité une parodie d’article scientifique.

      Une autoparodie, plus exactement, car, à la différence des autres pastiches scientifiques ayant défrayé la chronique, celui-ci est signé par deux jeunes médecins-chercheurs, Gordon Smith et Jill Pell, spécialisés en recherche clinique et persuadés que l’auto-ironie constituait un bon moyen d’interroger les fondements de ses propres certitudes. A cet égard, l’appel aux « thuriféraires de la médecine basée sur les preuves » à s’enrôler dans un « essai randomisé croisé en double aveugle, contre placebo » pour tester scientifiquement l’efficacité du parachute, qui conclut leur article, mérite d’être médité.

      Querelles d’écoles et d’égo

      Pour qui connaît l’histoire des essais thérapeutiques, ce recours à l’autodérision est moins étonnant qu’il n’y paraît. Aussi (apparemment) paradoxal que cela puisse sembler, le mouvement en faveur du perfectionnement de la recherche clinique, qui se fit jour aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne dès les années 1930 et aboutit à l’organisation, en 1946, du célèbre essai portant sur l’efficacité de la streptomycine dans le traitement de la tuberculose, ne manquait pas de chercheurs charismatiques et de praticiens hauts en couleur, quoique dans un genre sans doute un peu différent de celui du professeur Raoult.

      S’ils entreprirent de réformer le mode de production des connaissances médicales, c’est au nom d’idéaux de justice et d’égalité. S’ils choisirent de collaborer avec une poignée de statisticiens pour perfectionner l’évaluation de leurs propres pratiques thérapeutiques, c’est avant tout parce qu’ils étaient profondément choqués par les disparités énormes que les querelles d’écoles et d’égo induisaient dans la prise en charge des patients, et par les conséquences néfastes auxquelles ces différences de traitement aboutissaient, en particulier chez les plus démunis.

      Le recours aux méthodes statistiques avait d’abord et avant tout comme objectif de neutraliser les préjugés plus ou moins conscients des cliniciens. Et s’ils tenaient tant à recourir au tirage au sort pour répartir les patients inclus dans les essais en deux groupes équivalents, c’était pour pouvoir comparer l’état de santé de ceux d’entre eux qui avaient reçu le traitement expérimental et celui du « groupe témoin », à qui l’on avait administré le traitement standard, ou même, en l’absence de thérapeutique éprouvée, un placebo. Comment, sans cela, mesurer l’intérêt et les limites des nouvelles thérapeutiques et garantir une plus grande équité dans la prise en charge des malades ?

      Dimension collective

      La mise en œuvre de ce programme, à partir années 1950, s’il se heurta à de nombreuses difficultés, finit néanmoins par générer des formes plus collectives de production des connaissances médicales, en particulier avec la mise en œuvre d’essais internationaux « muticentriques », associant des centaines de chercheurs et des cliniciens aux profils variés. L’affirmation de cette dimension collective suscita à son tour de vifs débats, concernant notamment la prise en compte du point de vue du patient dans la planification, la mise en œuvre et l’interprétation des résultats des essais cliniques.

      Cette question était au cœur des discussions, souvent tendues, qui aboutirent à une transformation radicale de la recherche clinique sur le sida, et l’inclusion des associations de malades comme partenaires de plein droit de cette recherche. Elle s’est posée de nouveau au cours des dernières années dans les pays du Sud, avec une acuité renforcée du fait que les compagnies pharmaceutiques y avaient graduellement relocalisé la réalisation de leurs essais thérapeutiques.

      Grâce aux interventions de quelques ONG pionnières, les représentants des communautés locales ont été impliqués dans l’organisation d’essais cliniques en Haïti, au Pérou et en République démocratique du Congo, mais il faudrait être bien naïf pour croire que les difficultés sont désormais résolues. Pour autant, prétendre que la rigueur méthodologique serait réservée exclusivement aux essais cliniques menés au bénéfice des patients des pays du Nord reviendrait à ignorer purement et simplement ces initiatives et les aspirations réformatrices de celles et ceux qui les portent.

      Imperméabilité au doute

      S’il aime à citer ce qu’il appelle « le paradigme parachute » comme l’exemple le plus achevé de l’absurdité de ses détracteurs, le professeur Raoult n’est donc pas allé jusqu’à faire sien le véritable enseignement de l’article de British Medical Journal, ce qui est fort dommage. Alors que Gordon Smith et Jill Pell avaient choisi le terrain de l’humour le plus absurde pour rappeler l’utilité qu’il peut y avoir à prendre quelque distance par rapport à ses propres certitudes – même, ou peut-être surtout, en temps de crise – lui ne laisse au contraire jamais passer la moindre occasion de nous rappeler la haute opinion qu’il a de lui-même et son imperméabilité au doute.

      Sans distanciation, il est pourtant illusoire d’espérer pouvoir dépasser rapidement les fausses alternatives dans lesquelles certains – Donald Trump, entre autres – veulent nous enfermer sur la question de savoir si l’hydroxychloroquine « ça marche » ou « ça marche pas ». Au risque de freiner l’émergence d’un débat public contradictoire sur les différents effets de la molécule en fonction du type de patient auquel elle est administrée, de son association avec d’autres molécules et de multiples éléments contextuels.

      L’intérêt majeur des modes de production collectifs du savoir associés aux essais cliniques comparatifs, aussi imparfaits soient-ils, est précisément de ne pas réduire les débats médicaux à une opposition entre « ceux qui y croient » et « ceux qui n’y croient pas », aussi expérimentés et prestigieux soient-ils, et de permettre l’appropriation par la discussion publique de la complexité thérapeutique.

      #parodie #essais_thérapeutiques #méthodes_statistiques #point_de_vue_du_patient #production_collective_du_savoir #savoir

  • Ici on suggère que les coupables ne sont pas forcément #pangolins et #chauve-souris sauvages, mais pourquoi pas des cochons industriels, très présents à #Wuhan aussi :

    New research suggests industrial livestock, not wet markets, might be origin of Covid-19
    GRAIN, le 30mars 2020
    https://www.grain.org/en/article/6437-new-research-suggests-industrial-livestock-not-wet-markets-might-be-orig

    For one, pigs and humans have very similar immune systems, making it easy for viruses to cross between the two species, as happened with the Nipah virus outbreak in Malaysia in 1998. Indeed, just three years before the Covid-19 outbreak began, tens of thousands of pigs in four factory farms in Qingyuan county in Guangdong, less than 100 km from the site where the SARS outbreak originated in 2003, died from an outbreak of a new, lethal coronavirus strain (SADS) that turned out to be 98 percent identical to a coronavirus found in horseshoe bats in a nearby cave. Luckily transmission to humans did not occur, but subsequent laboratory tests demonstrated that such transmission could have been possible.

    Etude originelle :

    Kristian G. Andersen, Andrew Rambaut, W. Ian Lipkin, Edward C. Holmes & Robert F. Garry, « The proximal origin of SARS-CoV-2 », Nature Medicine (2020)
    https://www.nature.com/articles/s41591-020-0820-9

    #coronavirus #cochons

  • [Édito] Le #Coronavirus impose au monde de relocaliser ses usines

    Le coronavirus est en train de prouver que les grandes chaînes de production mondialisées, en particulier entre la Chine et les pays occidentaux, ne sont absolument pas fiables. Le Covid-19 a réussi à les mettre à genoux en quelques semaines. En France, les voix qui appellent à relocaliser les #usines sur le territoire se font de mieux en mieux entendre.

    Quand j’étais plus jeune, dans les années 90, on m’apprenait à l’école que le monde occidental entrait dans une ère post-industrielle, faite de services, de cerveaux et de valeur ajoutée. La grossière production de biens, les chaînes de productions, avaient pour vocation à être mises dans les mains des pays en voie de développement, la Chine en particulier, qui, à l’époque, commençait à peine à s’"éveiller", comme le disaient les économistes alors. Elle était la future usine du monde.

    Déjà à l’époque, l’idée me semblait absurde. Et cela fait maintenant plusieurs années que l’extrême dépendance des sociétés occidentales, européennes en particulier, aux chaînes de production délocalisées en Asie, est comprise comme un danger. Mais le retour en arrière est difficile ; tant de milliards ont été investis au loin et le coût du travail est si faible ! Le Coronavirus, qui est en train de rendre malade notre économie, va peut-être enfin réussir à défaire ce que plusieurs décennies de mauvaises doctrines économiques ont fait.

    Une industrie poids faible

    La mondialisation n’est pas mauvaise par essence, mais incontrôlée, elle est néfaste. La France le paie cher. L’industrie y représentait 25 % du PIB à la fin des années 70, elle représente maintenant à peine 10 %. La moyenne européenne est à 20 %, l’Allemagne est à 27 %... La promotion récente du Made In France, outre son succès de communication, ne parvient pas à réellement changer la donne. Surfant sur la crise du Coronavirus, Bruno le Maire en profite pour insister sur la nécessité de « relocaliser l’industrie ».

    Il évoque une vraie réorientation stratégique afin de limiter la dépendance française et européenne. Il cite trois secteurs sensibles : les médicaments (dont 90 % des principes actifs sont produits hors de l’Union européenne), l’automobile électrique (pour laquelle l’Europe commence à peine à déployer des usines), ou encore l’aéronautique (dont l’essentiel des fournisseurs est en Chine)… À cela on pourrait rajouter l’électronique et l’informatique.

    La souveraineté technologique et industrielle est un prérequis à la souveraineté politique, assure le ministre français. Alors que cette relocalisation était une question de choix jusqu’alors, le coronavirus en fait une obligation. Le risque épidémique, qui va s’accentuer à l’avenir, tout comme le risque climatique, devient un risque physique pour la survie des entreprises trop dépendantes de chaines d’approvisionnement lointaines qu’en réalité elles ne maîtrisent plus vraiment.

    https://www.novethic.fr/actualite/politique/isr-rse/edito-relocalisation-industrielle-le-coronavirus-abat-des-decennies-de-mauv
    #industrie #relocalisation #mondialisation #globalisation #production_industrielle

  • Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise, Bruno Latour
    https://aoc.media/opinion/2020/03/29/imaginer-les-gestes-barrieres-contre-le-retour-a-la-production-davant-crise

    Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la #production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

    Il y a peut-être quelque chose d’inconvenant à se projeter dans l’après-crise alors que le personnel de santé est, comme on dit, « sur le front », que des millions de gens perdent leur emploi et que beaucoup de familles endeuillées ne peuvent même pas enterrer leurs morts. Et pourtant, c’est bien maintenant qu’il faut se battre pour que la reprise économique, une fois la crise passée, ne ramène pas le même ancien régime climatique contre lequel nous essayions jusqu’ici, assez vainement, de lutter.

    En effet, la crise sanitaire est enchâssée dans ce qui n’est pas une crise – toujours passagère – mais une mutation écologique durable et irréversible. Si nous avons de bonne chance de « sortir » de la première, nous n’en avons aucune de « sortir » de la seconde. Les deux situations ne sont pas à la même échelle, mais il est très éclairant de les articuler l’une sur l’autre. En tous cas, ce serait dommage de ne pas se servir de la crise sanitaire pour découvrir d’autres moyens d’entrer dans la mutation écologique autrement qu’à l’aveugle.

    La première leçon du coronavirus est aussi la plus stupéfiante : la preuve est faite, en effet, qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre partout dans le monde et au même moment, un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à rediriger. À tous les arguments des écologiques sur l’infléchissement de nos modes de vie, on opposait toujours l’argument de la force irréversible du « train du progrès » que rien ne pouvait faire sortir de ses rails, « à cause », disait-on, « de la globalisation ». Or, c’est justement son caractère globalisé qui rend si fragile ce fameux développement, susceptible au contraire de freiner puis de s’arrêter d’un coup.

    En effet, il n’y a pas que les multinationales ou les accords commerciaux ou internet ou les tour operators pour globaliser la planète : chaque entité de cette même planète possède une façon bien à elle d’accrocher ensemble les autres éléments qui composent, à un moment donné, le collectif. Cela est vrai du CO2 qui réchauffe l’atmosphère globale par sa diffusion dans l’air ; des oiseaux migrateurs qui transportent de nouvelles formes de grippe ; mais cela est vrai aussi, nous le réapprenons douloureusement, du coronavirus dont la capacité à relier « tous les humains » passe par le truchement apparemment inoffensif de nos divers crachotis. A globalisateur, globalisateur et demi : question de resocialiser des milliards d’humains, les microbes se posent un peu là !

    Cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage.
    D’où cette découverte incroyable : il y avait bien dans le système économique mondial, caché de tous, un signal d’alarme rouge vif avec une bonne grosse poignée d’acier trempée que les chefs d’État, chacun a son tour, pouvaient tirer d’un coup pour stopper « le train du progrès » dans un grand crissement de freins. Si la demande de virer de bord à 90 degrés pour atterrir sur terre paraissait encore en janvier une douce illusion, elle devient beaucoup plus réaliste : tout automobiliste sait que pour avoir une chance de donner un grand coup de volant salvateur sans aller dans le décor, il vaut mieux avoir d’abord ralenti...

    Malheureusement, cette pause soudaine dans le système de production globalisée, il n’y a pas que les écologistes pour y voir une occasion formidable d’avancer leur programme d’atterrissage. Les globalisateurs, ceux qui depuis le mitan du XXe siècle ont inventé l’idée de s’échapper des contraintes planétaires, eux aussi, y voient une chance formidable de rompre encore plus radicalement avec ce qui reste d’obstacles à leur fuite hors du monde. L’occasion est trop belle, pour eux, de se défaire du reste de l’État providence, du filet de sécurité des plus pauvres, de ce qui demeure encore des réglementations contre la pollution, et, plus cyniquement, de se débarrasser de tous ces gens surnuméraires qui encombrent la planète[1].

    N’oublions pas, en effet, que l’on doit faire l’hypothèse que ces globalisateurs sont conscients de la mutation écologique et que tous leurs efforts, depuis cinquante ans, consistent en même temps à nier l’importance du changement climatique, mais aussi à échapper à ses conséquences en constituant des bastions fortifiés de privilèges qui doivent rester inaccessibles à tous ceux qu’il va bien falloir laisser en plan. Le grand rêve moderniste du partage universel des « fruits du progrès », ils ne sont pas assez naïfs pour y croire, mais, ce qui est nouveau, ils sont assez francs pour ne même pas en donner l’illusion. Ce sont eux qui s’expriment chaque jour sur Fox News et qui gouvernent tous les États climato-sceptiques de la planète de Moscou à Brasilia et de New Delhi à Washington en passant par Londres.

    Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause.
    Ce qui rend la situation actuelle tellement dangereuse, ce n’est pas seulement les morts qui s’accumulent chaque jour davantage, c’est la suspension générale d’un système économique qui donne donc à ceux qui veulent aller beaucoup plus loin dans la fuite hors du monde planétaire, une occasion merveilleuse de « tout remettre en cause ». Il ne faut pas oublier que ce qui rend les globalisateurs tellement dangereux, c’est qu’ils savent forcément qu’ils ont perdu, que le déni de la #mutation_climatique ne peut pas durer indéfiniment, qu’il n’y a plus aucune chance de réconcilier leur « développement » avec les diverses enveloppes de la planète dans laquelle il faudra bien finir par insérer l’économie. C’est ce qui les rend prêts à tout tenter pour extraire une dernière fois les conditions qui vont leur permettre de durer un peu plus longtemps et de se mettre à l’abri eux et leurs enfants. « L’arrêt de monde », ce coup de frein, cette pause imprévue, leur donne une occasion de fuir plus vite et plus loin qu’ils ne l’auraient jamais imaginé.[2] Les révolutionnaires, pour le moment, ce sont eux.

    C’est là que nous devons agir. Si l’occasion s’ouvre à eux, elle s’ouvre à nous aussi. Si tout est arrêté, tout peut être remis en cause, infléchi, sélectionné, trié, interrompu pour de bon ou au contraire accéléré. L’inventaire annuel, c’est maintenant qu’il faut le faire. A la demande de bon sens : « Relançons le plus rapidement possible la production », il faut répondre par un cri : « Surtout pas ! ». La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant.

    Par exemple, l’autre jour, on présentait à la télévision un fleuriste hollandais, les larmes aux yeux, obligé de jeter des tonnes de tulipes prête à l’envoi qu’il ne pouvait plus expédier par avion dans le monde entier faute de client. On ne peut que le plaindre, bien sûr ; il est juste qu’il soit indemnisé. Mais ensuite la caméra reculait montrant que ses tulipes, il les fait pousser hors sol sous lumière artificielle avant de les livrer aux avions cargo de Schiphol dans une pluie de kérosène ; de là, l’expression d’un doute : « Mais est-il bien utile de prolonger cette façon de produire et de vendre ce type de fleurs ? ».

    Nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation.
    De fil en aiguille, si nous commençons, chacun pour notre compte, à poser de telles questions sur tous les aspects de notre système de production, nous devenons d’efficaces interrupteurs de globalisation – aussi efficaces, millions que nous sommes, que le fameux coronavirus dans sa façon bien à lui de globaliser la planète. Ce que le virus obtient par d’humbles crachotis de bouches en bouches – la suspension de l’économie mondiale –, nous commençons à l’imaginer par nos petits gestes insignifiants mis, eux aussi, bout à bout : à savoir la suspension du système de production. En nous posant ce genre de questions, chacun d’entre nous se met à imaginer des gestes barrières mais pas seulement contre le virus : contre chaque élément d’un mode de production dont nous ne souhaitons pas la reprise.

    C’est qu’il ne s’agit plus de reprendre ou d’infléchir un système de production, mais de #sortir_de_la_production comme principe unique de rapport au monde. Il ne s’agit pas de révolution, mais de dissolution, pixel après pixel. Comme le montre Pierre Charbonnier, après cent ans de socialisme limité à la seule redistribution des bienfaits de l’économie, il serait peut-être temps d’inventer un socialisme qui conteste la production elle-même. C’est que l’injustice ne se limite pas à la seule redistribution des fruits du progrès, mais à la façon même de faire fructifier la planète. Ce qui ne veut pas dire décroître ou vivre d’amour ou d’eau fraîche, mais apprendre à sélectionner chaque segment de ce fameux système prétendument irréversible, de mettre en cause chacune des connections soi-disant indispensable, et d’éprouver de proche en proche ce qui est désirable et ce qui a cessé de l’être.

    D’où l’importance capitale d’utiliser ce temps de confinement imposé pour décrire, d’abord chacun pour soi, puis en groupe, ce à quoi nous sommes attachés ; ce dont nous sommes prêts à nous libérer ; les chaînes que nous sommes prêts à reconstituer et celles que, par notre comportement, nous sommes décidés à interrompre.[3] Les globalisateurs, eux, semblent avoir une idée très précise de ce qu’ils veulent voir renaître après la reprise : la même chose en pire, industries pétrolières et bateaux de croisière géants en prime. C’est à nous de leur opposer un contre-inventaire. Si en un mois ou deux, des milliards d’humains sont capables, sur un coup de sifflet, d’apprendre la nouvelle « distance sociale », de s’éloigner pour être plus solidaires, de rester chez soi pour ne pas encombrer les hôpitaux, on imagine assez bien la puissance de transformation de ces nouveaux gestes barrières dressés contre la reprise à l’identique, ou pire, contre un nouveau coup de butoir de ceux qui veulent échapper pour de bon à l’attraction terrestre.

    Un outil pour aider au discernement

    Comme il est toujours bon de lier un argument à des exercices pratiques, proposons aux lecteurs d’essayer de répondre à ce petit inventaire. Il sera d’autant plus utile qu’il portera sur une expérience personnelle directement vécue. Il ne s’agit pas seulement d’exprimer une opinion qui vous viendrait à l’esprit, mais de décrire une situation et peut-être de la prolonger par une petite enquête. C’est seulement par la suite, si vous vous donnez les moyens de combiner les réponses pour composer le paysage créé par la superposition des descriptions, que vous déboucherez sur une expression politique incarnée et concrète — mais pas avant.

    Attention : ceci n’est pas un questionnaire, il ne s’agit pas d’un sondage. C’est une aide à l’auto-description*.

    Il s’agit de faire la liste des activités dont vous vous sentez privées par la crise actuelle et qui vous donne la sensation d’une atteinte à vos conditions essentielles de subsistance. Pour chaque activité, pouvez-vous indiquer si vous aimeriez que celles-ci reprennent à l’identique (comme avant), mieux, ou qu’elles ne reprennent pas du tout. Répondez aux questions suivantes :

    Question 1 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles ne reprennent pas ?

    Question 2 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît nuisible/ superflue/ dangereuse/ incohérente ; b) en quoi sa disparition/ mise en veilleuse/ substitution rendrait d’autres activités que vous favorisez plus facile/ plus cohérente ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 1.)

    Question 3 : Quelles mesures préconisez-vous pour que les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs qui ne pourront plus continuer dans les activités que vous supprimez se voient faciliter la transition vers d’autres activités ?

    Question 4 : Quelles sont les activités maintenant suspendues dont vous souhaiteriez qu’elles se développent/ reprennent ou celles qui devraient être inventées en remplacement ?

    Question 5 : Décrivez a) pourquoi cette activité vous apparaît positive ; b) comment elle rend plus faciles/ harmonieuses/ cohérentes d’autres activités que vous favorisez ; et c) permettent de lutter contre celles que vous jugez défavorables ? (Faire un paragraphe distinct pour chacune des réponses listées à la question 4.)

    Question 6 : Quelles mesures préconisez-vous pour aider les ouvriers/ employés/ agents/ entrepreneurs à acquérir les capacités/ moyens/ revenus/ instruments permettant la reprise/ le développement/ la création de cette activité ?

    (Trouvez ensuite un moyen pour comparer votre description avec celle d’autres participants. La compilation puis la superposition des réponses devraient dessiner peu à peu un paysage composé de lignes de conflits, d’alliances, de controverses et d’oppositions.)

    [1] Voir l’article sur les lobbyistes déchainés aux Etats-Unis par Matt Stoller, « The coronavirus relief bill could turn into a corporate coup if we aren’t careful », The Guardian, 24.03.20.

    [2] Danowski, Deborah, de Castro, Eduardo Viveiros, « L’arrêt de monde », in De l’univers clos au monde infini (textes réunis et présentés). Ed. Hache, Emilie. Paris, Editions Dehors, 2014. 221-339.

    [3] L’auto-description reprend la procédure des nouveaux cahiers de doléance suggérés dans Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique. Paris, La Découverte, 2017 et développé depuis par le consortium Où atterrir http://www.bruno-latour.fr/fr/node/841.html

    *L’auto-description reprend la procédure des nouveaux cahiers de doléance suggérés dans Bruno Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique. Paris : La Découverte, 2017 et développé depuis par un groupe d’artistes et de chercheurs.

    #l'après #attachement #écologie #alliances

  • La #démocratie à l’épreuve du #coronavirus

    « Au printemps de 1832, quoique depuis trois mois le choléra eût glacé les esprits et jeté sur leur agitation je ne sais quel morne apaisement, Paris était dès longtemps prêt pour une commotion. Ainsi que nous l’avons dit, la grande ville ressemble à une pièce de canon ; quand elle est chargée, il suffit d’une étincelle qui tombe, le coup part. En juin 1832, l’étincelle fut la mort du général Lamarque. »

    Victor Hugo, Les Misérables

    Les épidémies n’emportent pas seulement les corps, elles mettent les sociétés en tension et les Etats en danger. Les effets de choix politiques de longue durée s’y révèlent, comme la déconstruction obstinée du service public de la santé, mais aussi de l’appareil de production industrielle (notamment de matériel de santé), qui laisse de nombreux pays, dont la France, singulièrement démunis face au virus[1]. Les institutions s’y trouvent mises à l’épreuve, et souvent le fossé entre les principes qu’elles professent et la réalité de leur pratique s’y donne à voir dans toute sa froide réalité. C’est le cas de la démocratie, mot fétiche s’il en est[2]. La démocratie telle que nous la connaissons, fondée sur l’élection de gouvernants supposés agir en faveur du peuple, est censée être le meilleur système politique, le mieux à même de protéger ses citoyens, de les consulter sur les décisions fondamentales, et de leur accorder une importance égale. Le coronavirus vient brutalement mettre cette supériorité démocratique en doute. Face à la pandémie, les Etats dits démocratiques, notamment la France, ne gèrent ni mieux, ni de manière plus démocratique, que les Etats dits autoritaires, en premier lieu la Chine. Alors que depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et plus encore depuis la chute de l’URSS, les régimes démocratiques dominent la scène internationale, leurs difficultés à faire face à la pandémie affaiblit leurs prétentions hégémoniques. C’est d’autant plus vrai que l’inefficacité des démocraties n’a pas eu comme contrepartie un plus grand investissement démocratique : si les Etats démocratiques n’ont pas mieux affronté la crise, ce n’est pas parce qu’elles auraient passé plus de temps à consulter les citoyens, ou à construire des politiques plus égalitaires. Au contraire, non seulement les réponses des démocraties n’ont pas été plus efficaces, mais elles n’ont pas non plus été significativement plus démocratiques que celles de régimes autoritaires. De même qu’en 1832 l’épidémie de choléra avait révélé l’incurie de la monarchie de Juillet – et l’existence au cœur des villes d’une classe, le prolétariat, que la bourgeoisie laissait mourir dans sa misère – et failli emporter le régime par une insurrection, la pandémie actuelle révèle alors le vide des promesses démocratiques de nos régimes, mettant en danger l’idée démocratique elle-même.

    Une reconfiguration des espaces politiques

    La pandémie de Covid-19 distord notre horizon politique. Son caractère mondial nous rend inhabituellement attentifs à sa progression dans différents pays, aux réponses des différents gouvernements – et, par un jeu d’écho, à la manière dont notre propre pays est vu à l’extérieur. Mais le confinement restreint aussi drastiquement, dans la pratique, le champ de la réalité sociale vécue, nous poussant à nous investir exclusivement dans le foyer, l’immeuble, notre cercle familial et amical. A cette hyper-attention au très proche et au très lointain correspond une désagrégation soudaine de toute une série de niveaux intermédiaires. Alors que la France connaît depuis le 5 décembre un mouvement historique de contestation, les engagements se sont brutalement effrités. Le 5 mars, des dizaines de milliers de travailleur.es et d’usager.es des universités et de la recherche ont manifesté dans toute la France ; le 6 et 7 mars une coordination nationale des facs et labos en lutte a rassemblée 500 délégué.es venu.es de toute la France ; les 7 et 8 mars des manifestations féministes déterminées et massives ont battu le pavé… Tout ceci semble avoir entièrement disparu des préoccupations, notamment médiatiques, alors que les causes de ces mobilisations sont toujours présentes – comme en témoigne l’enfumage de Macron, promettant 5 milliards à la recherche sur 10 ans, une augmentation en-dessous des augmentations des années précédentes, et distribuée sous forme de primes, de contrats précaires et de financements de projets, prenant le contrepied de ce que les chercheur.es demandent[3]. La mascarade des élections municipales n’a pas intéressé grand monde, et les résultats n’ont fait l’objet d’aucun commentaire, ou si peu – contrairement au scandale sanitaire de leur maintien obstiné[4]. Les partis politiques eux-mêmes semblent s’être murés dans le silence, et il faut tendre l’oreille pour entendre les syndicats, alors même que la continuité du travail est au cœur de la stratégie économique de crise du gouvernement.

    Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existerait désormais pour nous que le plus local et l’échelle internationale. Mais l’espace entre les deux est occupé par un seul acteur, massif autant que martial : l’Etat, et en particulier le pouvoir exécutif. Privés de nos collectifs et de nos solidarités, nous, individus, sommes laissés seuls face à l’Etat, qui nous protège et nous soigne dans les hôpitaux[5], qui contrôle nos activités par la police, et surtout qui parle, par la bouche de ses chefs, nous disant comment nous comporter, et nous grondant si l’on ne réagit pas assez vite ou assez bien à ses consignes, dont le contenu change quotidiennement. Mais jusque dans son omniprésence et dans la mise en scène frénétique de son activité, cet Etat révèle aussi ses faiblesses. Il ne peut même pas assurer des conditions minimales de sécurité à ses soignants, en fournissant masques et gel désinfectant. Mettre en œuvre le confinement de la population pose des problèmes logistiques massifs qui n’ont pas été anticipés. L’Etat se trouve d’autant plus en tension que toutes ses actions, tous ses discours, sont attendus, examinés, scrutés. Puisque lui seul occupe l’espace national, tous les regards sont sur lui, dans les médias professionnels comme sur les réseaux sociaux. Les représentants oscillent alors en permanence entre recherche de publicité, au risque de montrer leur incompétence et l’impuissance de l’Etat, et culte du secret, au nom de la raison d’Etat, mais surtout pour masquer le fait qu’ils naviguent à vue. Pour prendre un seul exemple, de multiples réunions ont lieu, avec l’armée, avec des scientifiques, il faut montrer qu’elles ont lieu, mais il ne faut pas dire aux citoyens ce qui s’y dit, ou bien plus tard, trop tard, quand les décisions ont déjà été prises. Cette centralité de l’Etat rend les dirigeants nerveux, et donc dangereux pour leurs citoyens. Ils prennent des mesures incohérentes, suspendent les libertés publiques, le code du travail, tout ce qui dans le droit pourrait encadrer leur action. Ils délaissent entièrement les cadres internationaux de discussion : l’ONU, l’Union européenne, toutes ces institutions supposément centrales dans la gouvernance contemporaine, et qui auraient toutes raisons de l’être face à une pandémie internationale, semblent simplement muettes, ou inaudibles. Chaque Etat européen décide de ses mesures dans son coin, comme si chacun avait, comme la Grande-Bretagne, fait son exit. La seule institution européenne que l’on entend, c’est la Banque centrale, qui active la planche à billets : lorsqu’il s’agit de la santé des entreprises, la coordination est possible ; mais qu’il s’agisse de la vie des habitants, et alors l’Etat reprend, seul, sa souveraineté la plus absolue.

    L’absence de réponse démocratique au virus

    Dans la gestion de cette crise, on peinerait à distinguer entre les réponses des Etats démocratiques et des régimes autoritaires, venant affaiblir encore un peu plus cette distinction si cruciale pour les dirigeants des démocraties occidentales. Dans les pays qui ont choisi des solutions dures de confinement généralisé, on trouve autant la plus grande puissance autoritaire mondiale, la Chine, que des démocraties européennes, qui plus est dirigées par des gouvernements socio-démocrates ou socio-libéraux : l’Italie, la France, l’Espagne. D’autres pays ont plutôt été, au moins dans un premier temps, dans un laisser-faire complet, comme les grandes démocraties libérales que sont les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, mais aussi des régimes plus autoritaires, comme l’Iran. D’autres pays ont pris des mesures de tests massifs et de quarantaine stricte des malades, des démocraties comme Taiwan et la Corée du Sud, mais aussi la bien moins démocratique Singapour. Les réponses ont été variées, mais enjambent largement les typologies classiques entre régimes. Et une chose est certaine : les démocraties ne se sont pas montrées particulièrement plus efficaces, plus attentives à la santé de leur population, plus honnêtes dans leur communication ou plus soucieuses de la vérité que les régimes autoritaires. Pire : au moment même où Donald Trump ou Boris Johnson semblaient prêts à sacrifier des centaines de milliers de leurs citoyens et mettre en péril la sécurité sanitaire internationale, la Chine prétendait avoir vaincu l’épidémie et envoyait dans le monde entier des experts, des respirateurs et des stocks de masques. C’est un pan central des discours de légitimation des démocraties qui s’effondre. Alors que les démocraties étaient censées se caractériser par un plus grand attachement aux principes à la fois politiques et moraux d’ouverture, de transparence, de solidarité, tout autant que par leur efficacité à prendre soin de leurs citoyens, la pandémie vient révéler qu’il n’en est rien. Dans la crise, les Etats dits démocratiques agissent avant tout comme des Etats, ni pires ni meilleurs que des dictatures, et non comme des démocraties.

    Que voudrait dire, pour des Etats, agir en démocratie face à une pandémie ? Cela nécessiterait, a minima, que les citoyens soient réellement informés des choix possibles, qu’un débat public contradictoire puisse avoir lieu, que le pouvoir puisse être contesté dans ses décisions, voire que les citoyens soient associés au processus[6]. Là est le sens d’une démocratie comme pouvoir du peuple, pouvoir de l’ensemble des citoyens : aucune loi, aucun acte du gouvernement, ne doit être étranger au contrôle des citoyens, et quand c’est possible à leur participation directe. Il ne s’agit bien sûr pas d’éliminer, face à une crise sanitaire, la nécessité de prendre des décisions rapides et scientifiquement fondées : mais le moins que l’on puisse dire est que les dirigeants élus ont été d’une rare incompétence. Il n’est pas dit que le premier venu (ho boulomenos, n’importe qui, cette expression qui venait désigner, à Athènes, un citoyen pris au hasard), correctement informé par des scientifiques, aurait vraiment fait pire. En ce premier sens du mot démocratie, qu’on peut qualifier de politique, la démocratie comme pouvoir de l’ensemble des citoyens, les Etats dits démocratiques n’ont pas affronté la crise en utilisant des moyens démocratiques, mais les moyens, banals, qu’ils ont en commun avec tous les Etats, y compris les plus autoritaires. Par le secret, parfois le mensonge, sans contrôle ni des corps intermédiaires ni des citoyens, en prenant les décisions à quelques-uns, et en utilisant l’urgence bien réelle pour se faire attribuer des pouvoirs démesurés.

    L’Etat contre les pauvres

    Mais l’idée de démocratie comme pouvoir de l’ensemble des citoyens n’épuise pas les sens du mot. Il est un autre ensemble de significations qui donnent au mot un sens social : le demos, le peuple, vient aussi désigner la classe la plus nombreuse, c’est-à-dire les travailleurs, les pauvres, par opposition aux privilégiés, aux riches. Une démocratie est un régime qui agit en faveur des dominés, car il donne le pouvoir à la majorité, mais aussi parce qu’il vise la création d’une société plus égalitaire. Or, de ce point de vue, la gestion du gouvernement français apparaît comme encore plus radicalement anti-démocratique. Alors que les entreprises sont massivement soutenues, que les personnes exerçant un métier d’encadrement sont invitées à faire du télétravail, que les bourgeois des villes ont pu tranquillement s’installer dans leurs résidences secondaires et leurs maisons de famille, le message adressé par le gouvernement aux travailleurs, et en particulier aux ouvriers, a été clair : l’économie doit continuer, et pour cela nous sommes prêts à vous faire prendre tous les risques. La ministre du Travail a osé accuser de « défaitisme » les entreprises du BTP qui voulaient mettre en pause les chantiers non prioritaires. Les transports publics continuent de charrier quotidiennement, sans véritable mesure de protection pour ces mêmes conducteurs qui étaient l’objet du plus bas mépris par le gouvernement il y a quelques semaines, des millions de caissier.es, de travailleur.ses du nettoyage, d’ouvrier.es, de livreur.es, de postier.es, d’éboueur.es, et bien sûr de soignant.es. Les effets des dominations de classe, mais aussi de race (beaucoup de ces métiers voient une surreprésentation de racisé.es) et de genre (les métiers plus féminins du soin sont sursollicités, sans parler du poids de la garde des enfants en l’absence d’école, qui retombe massivement sur les femmes), se trouvent alors démultipliés.

    Le virus n’a que faire de notre classe, de notre race ou de notre genre, mais les modalités de sa gestion par le pouvoir restaure et amplifie l’ensemble des inégalités sociales. Les plus grandes capacités des riches, des hommes, des Blancs, à mobiliser des ressources leur permettant de s’extraire du travail, des transports publics, du soin des enfants ou des aîné.es, des courses dans des supermarchés bondés, tout en continuant à bénéficier du travail des pauvres, des femmes, des racisé.e.s va se transformer, face au virus, en plus grande chance d’échapper à la pandémie. Le seul filet de sécurité égalisateur est alors le service public de la santé, où les cas graves sont traités indépendamment de ces considérations – ce même service public que les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de casser. Mais en dehors de ce maillon essentiel, tout dans la gestion de la crise renforce le poids des structures de domination. C’est visible dans le choix de continuer à mettre les pauvres au travail, mais aussi dans la gestion policière du confinement[7]. Dans les quartiers bourgeois désertés, non seulement les supermarchés restent ouverts, et relativement peu fréquentés, mais la présence policière est quasiment nulle. On croise des joggers, des employé.es de commerces faisant une pause, des SDF, des livreurs attendant une course… Au contraire, les quartiers populaires des grandes agglomérations sont l’objet d’un contrôle policier tatillon, d’autant plus insupportable que c’est là qu’il y a des problèmes d’approvisionnement, de promiscuité dans les marchés et supermarchés et de concentration de la population dans les rues – puisque c’est là que la densité d’habitations est la plus forte, les appartements les plus exigus et la proportion la plus faible de privilégiés pouvant télétravailler ou partir à la campagne. C’est là qu’ont lieu les contrôles, là que vont tomber les amendes, là que vont être prises les images montrant comment l’Etat fait bien régner l’ordre. Car au contrôle policier s’ajoute le mépris de médias relayant avec complaisance des images de bousculades dans ces quartiers, des commentateurs fustigeant l’irresponsabilité des pauvres et bien sûr des gouvernants faisant porter la responsabilité morale du confinement aux gens soi-disant indisciplinés, pour mieux camoufler leur culpabilité directe dans l’étendue de la catastrophe.

    Que restera-t-il des démocraties ?

    Les personnes, certainement majoritaires parmi les dirigeants, qui n’en ont cure de la démocratie et de ses valeurs égalitaires, ne voient peut-être pas le problème. Mais il faut prendre la mesure de ce basculement : le fait que les démocraties auto-proclamées ne se soient pas montrées plus efficaces qu’un régime autoritaire face à l’épidémie fait peser un danger véritable sur l’idée démocratique. Que le président élu des Etats-Unis envoie des centaines de milliers d’Américains au casse-pipe quand le secrétaire général du Parti communiste chinois envoie dans le monde entier experts et matériel, après avoir vaincu l’épidémie dans son pays, cela n’a rien d’anodin. On pourra sourire au retournement bienvenu de l’histoire, voire le saluer, par anti-impérialisme ; ce serait sous-estimer le danger réel que ce retournement fait peser sur la démocratie, non pas comme régime fondé sur l’élection des dirigeants, mais comme idée d’un pouvoir exercé par le peuple et pour le peuple. Le fait que les démocraties aient fait si peu de cas de l’avis des citoyens, comme le fait qu’elles aient si souvent, comme en France, pris des décisions qui mettent en danger les pauvres, les dominés, et protègent les entreprises et les riches, affaiblit encore le sens du mot démocratie. La démocratie, comme idée et comme pratique, a besoin que les gens y participent, y adhèrent, y croient. Et pour cela, il faut que la démocratie ait une substance, bien au-delà de l’élection ponctuelle des gouvernants, surtout quand le niveau de désagrégation des partis politiques permet à des Trump ou des Macron d’arriver au pouvoir. Si un virus suffit à éliminer toute spécificité des régimes démocratiques, toute valeur des principes démocratiques, il n’y a aucune raison que les gens y accordent de l’importance, surtout quand des régimes autoritaires se montrent plus efficaces dans la protection de la santé de leurs sujets. Le coronavirus ne met pas en danger la démocratie ; mais nos dirigeants, face au coronavirus, sont en train de sacrifier la démocratie pour dissimuler leur incompétence et se maintenir au pouvoir. Organiser entre nous la solidarité, se battre pour les services publics est plus que jamais nécessaire[8]. Mais face au danger que représentent nos dirigeants pour nos santés autant que pour l’idée démocratique, ce n’est pas suffisant. Nous ne pouvons remettre ces questions à l’après, à la fin de l’épidémie. Il faut, dès maintenant, rappeler les gouvernants à l’ordre, le seul ordre qui vaille en démocratie : celui du peuple[9].

    [1] Pierre-André Juven, Frédéric Pierru et Fanny Vincent, La casse du siècle : A propos des réformes de l’hôpital public, Raisons d’agir, 2019. Frédéric Lordon, « Coronakrach », 11 mars 2020. Auriane Guilbaud, « Il n’est pas possible d’embaucher des milliers de soignants en un claquement de doigts », Le Monde, 13 mars 2020.

    [2] Je me permets de renvoyer ici au livre Démocratie, paru en février 2020 chez Anamosa.

    [3] https://universiteouverte.org/2020/03/19/5-milliards-des-effets-dannonce-mais-toujours-pas-de-moyens-pour-

    [4] Rémi Lefebvre, Nicolas Bué et Fabien Desage, « Le premier tour des municipales n’a pas eu lieu », Libération, 18 mars 2020. Laurent Le Gall, « Le coronavirus révélateur d’une démocratie grippée », Libération, 19 mars 2020.

    [5] Même si les services publics ne sont en fait pas une émanation de l’Etat, mais bien du public qu’ils servent, comme le rappellent Pierre Dardot et Christian Laval, « L’épreuve politique de la pandémie », Médiapart, 19 mars 2020

    [6] Yves Sintomer, « Face au coronavirus, les politiques n’ont pas eu le cran de poser le débat », Le Monde, 18 mars 2020

    [7] Sur les liens entre gestion policière de l’épidémie et contrôle social, voir « Contagion sociale Guerre de classe microbiologique en Chine », Chuang, février 2020, traduit par Des nouvelles du front

    [8] Michèle Riot-Sarcey et Jean-Louis Laville, « Le monde d’après-demain », Libération, 17 mars 2020. « Face à la pandémie, retournons la « stratégie du choc » en déferlante de solidarité ! »

    [9] Merci à Aurélien Angel, Elisabeth Callot et Célia Keren pour leurs commentaires sur une première version de ce texte.

    https://samuelhayat.wordpress.com/2020/03/23/la-democratie-a-lepreuve-du-coronavirus

    #épidémie #service_public #production_industrielle #santé #autoritarisme #promesses_démocratiques #pandémie #Etat #banque_centrale #légitimité #échelles_géographiques #géographie_politique #incompétence #secret #mensonge #urgence #inégalités #travail #économie #classes_sociales #ouvriers #télétravail #BTP #transports_publics #domination #effets_de_domination #genre #inégalités_sociales #structures_de_domination #police #présence_policière #quartiers_populaires #amendes #contrôle_policier #responsabilité #irresponsabilité #culpabilité #mise_en_danger #incompétence #dictature #totalitarisme

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    Petite citation choisie pour @davduf :

    Mais en dehors de ce maillon essentiel, tout dans la gestion de la crise renforce le poids des structures de domination. C’est visible dans le choix de continuer à mettre les pauvres au travail, mais aussi dans la gestion policière du confinement[7]. Dans les quartiers bourgeois désertés, non seulement les supermarchés restent ouverts, et relativement peu fréquentés, mais la présence policière est quasiment nulle. On croise des joggers, des employé.es de commerces faisant une pause, des SDF, des livreurs attendant une course… Au contraire, les quartiers populaires des grandes agglomérations sont l’objet d’un contrôle policier tatillon, d’autant plus insupportable que c’est là qu’il y a des problèmes d’approvisionnement, de promiscuité dans les marchés et supermarchés et de concentration de la population dans les rues – puisque c’est là que la densité d’habitations est la plus forte, les appartements les plus exigus et la proportion la plus faible de privilégiés pouvant télétravailler ou partir à la campagne. C’est là qu’ont lieu les contrôles, là que vont tomber les amendes, là que vont être prises les images montrant comment l’Etat fait bien régner l’ordre. Car au contrôle policier s’ajoute le mépris de médias relayant avec complaisance des images de bousculades dans ces quartiers, des commentateurs fustigeant l’irresponsabilité des pauvres et bien sûr des gouvernants faisant porter la responsabilité morale du confinement aux gens soi-disant indisciplinés, pour mieux camoufler leur culpabilité directe dans l’étendue de la catastrophe.