Parlons d’idées de suicide, par Thierry Marot (sur un horrible réseau social de milliardaire)
(TRIGUEUR OUARNING : idées suicidaires, idéation morbide et autres joyeusetés folâtres. D’un autre côté, si vous avez besoin d’un avertissement avant de lire quoi que ce soit qui risque de nous percuter, vous devez aussi vous demander si vous ne contemplez pas un peu trop votre nombril).
On peut sans doute trouver curieux de parler comme ça de sa dépression sur Facebook. Mais si je le fait, c’est parce que je pense qu’au delà d’un cas individuel - le mien en l’espèce -, cette affaire de dépression est, comment dire…intéressante. Pas la mienne, de dépression, qui serait plus intéressante que les autres, elle ne l’est pas, encore une fois on ne devient pas intéressant parce qu’on traverse un épisode de dépression. Ce qui est intéressant en revanche, c’est comprendre, chercher à comprendre. D’où ça vient, qu’est-ce qui y a aboutit, quel entonnoir de circonstances, de chocs, de traumas, de tristesses mal cicatrisées et de fantômes du passé et du présent se sont cristallisés dans cette rupture avec la “normalité”. Le processus et ce qu’on ressent avant pendant et espérons le après l’épisode, ça oui, ça vaut la peine d’écrire dessus et de l’exposer, je crois.
Et donc malheureusement, l’idée d’en finir m’a traversé. C’est ça dont je parlais quand je disais hier que novembre et décembre ont été épouvantables : le désir morbide qui se fait jour, s’incruste et entame son travail de sape, aidé en cela par les incessantes ruminations tourbillonnantes et obsédantes qui sont le quotidien du déprimé. Et ces ruminations rendent fous. Elles détachent du réel, elles fragmentent, elles fracturent, morceaux par morceaux, tout ce qu’on croyait être soi. Ne reste…presque plus rien sinon la fascination de l’appel du néant.
Vous savez ce qui se passe, quand on est au bord de faire une connerie ?
Ce n’est pas du tout ce qui est décrit dans une certaine littérature “romantique” où l’on part se suicider dans la décision tragique, en en faisant des tonnes et en déclamant son dégoût du monde. Esthétisation assez dégoûtante, d’ailleurs, on parle là d’une maladie et pas d’un caprice, mais nous avons lu René Girard et nous savons que le romantisme est un mensonge réactionnaire, donc non, ce n’est pas comme ça que ça se passe.
On flotte.
Il finit par se passer un petit “ploc” dans la tête, et on se retrouve à flotter à deux centimètres du sol. On a perdu contact avec le réel et on est dans un état de délire, il n y a pas d’autre mot. Pas nécessairement un délire extravagant, d’ailleurs, avec cris et trucs qui se cassent. Mais c’est un état de délire où ce qui était jusque-là réel est temporairement suspendu.
C’est là, quand on est à deux centimètres du sol, que c’est dangereux. C’est dans ce moment qu’on peut passer à l’acte. En finir, qui juste avant était encore une idée horrible qu’on rejetait, devient une solution non seulement viable mais pire : évidente.
C’est d’ailleurs à ce moment que si vous voyez quelqu’un qui jusque là était dans une grande tristesse, depuis longtemps, et qui passait son temps à se plaindre et à vous hurler dessus - le déprimé est en colère, il n’a juste pas les moyens de la diriger sur les bonnes personnes - devenir tout d’un coup presque calme, avec l’air d’être “un peu ailleurs” : faites gaffe et surveillez cette personne de vraiment près. Elle flotte. Là, à ce moment, elle peut vraiment faire une connerie.
Mais l’instinct de vie est puissant. Très puissant, il vous ramène de force dans le réel, et en reposant les pieds au sol, on s’ébroue, on cligne des yeux et on se demande où on était passé pendant ces quelques minutes étranges et dangereuses.
Vouloir mourir, se donner la mort, c’est devenir à la fois juge, procureur et accusé. Il y a aussi la partie avocat, mais dans la dépression c’est un avocat timide et timoré qui ne pèse pas lourd face à la férocité de l’accusation et le jugement implacable. Et ce qui frappe, et c’est me rendre compte de ce que je vais dire qui m’a aidé à sortir de ces vilaines idées, c’est la disproportion ridicule entre les fautes dont je m’accusais moi-même, et la sanction. La mort, bigre, rien moins. Mais pour…quoi ? Quels crimes à ce point hideux et impardonnables aurais-je donc commis ? Ai-je tué ? Ai-je violé ? Suis-je responsable d’un accident mortel, est-ce que j’ai pris des décisions qui ont eu des conséquences tragiques pour d’autres, ou insisté pour faire tourner un réacteur nucléaire russe jusqu’à explosion, ou bombardé un orphelinat au napalm, que sais-je ?? Même pas. La vraie raison ? Vous voulez vraiment savoir ? C’est embarrassant.
Vouloir mourir parce qu’on est pas à la hauteur de l’idée qu’on se fait de soi-même.
Oui, sur ce coup là, je ne suis pas très fier de moi.
(J’ai finalement dans ma vie assez peu de choses à me reprocher, mon dernier crime en date est d’avoir tardé à remplir ma déclaration Urssaf. L’administration est certes de plus en plus exigeante, mais je crois que ça ne mérite pas la mort. Je crois, hein).
Alors, tous les trucs, la vie m’a appelée, ou la vie est fantastique, elle vaut la peine blablabla, je n’y crois pas. Actuellement, ma vie n’est pas fantastique. Elle a une drôle de tronche, et je ne suis pas très sûr de vraiment l’apprécier, pour être honnête.
Mais bon. C’est celle que j’ai.
La seule vraie question, désormais, est : quoi faire d’elle pour la suite.
Et ça en revanche, j’ai quand même un peu l’espoir que ça va être intéressant.
(Merci d’avoir lu jusqu’au bout).