• L’oublieuse mémoire coloniale italienne

    Commencée avant le fascisme, galvanisée par Mussolini, la colonisation par l’Italie de la Libye, de la Somalie et de l’Ethiopie fut marquée par de nombreuses atrocités,loin du mythe d’une occupation douce. Longtemps refoulés, ces souvenirs commencent à ressurgir

    Tout commence dans le centre de Rome, sur l’Esquilin, la plus haute des sept collines antiques. Plus précisément dans la cage d’escalier d’un immeuble sans ascenseur, situé à deux pas de la piazza Vittorio. Dans ce quartier à deux pas de la gare Termini, les prix de l’immobilier sont beaucoup plus modestes que dans le reste du centre, si bien que l’Esquilin est devenu, depuis une vingtaine d’années, un lieu de concentration de l’immigration africaine et asiatique, ce qui n’est pas sans provoquer des tensions le squat, occupé depuis 2003 par les militants néofascistes de CasaPound, est juste à côté.

    C’est donc là, en rentrant chez elle, épuisée, dans la touffeur d’une après-midi de fin d’été 2010, qu’Ilaria Profeti se retrouve nez à nez avec un jeune homme arrivé d’Ethiopie par la route des migrants. Dans un italien presque sans accent, celui-ci lui assure, documents à l’appui, qu’il est le petit-fils de son père, Attilio, un homme de 95 ans qui est resté, sa longue vie durant, plus que discret sur ses jeunes années de « chemise noire » fasciste, en Abyssinie.

    Levons toute ambiguïté : la scène qui vient d’être décrite est tout à fait vraisemblable, mais elle est issue d’une oeuvre de fiction. Il s’agit en réalité des premières pages d’un roman, le superbe Tous, sauf moi (Sangue giusto), de Francesca Melandri (Gallimard, 2019), qui dépeint avec une infinie subtilité les angles morts de la mémoire coloniale italienne. Le fil conducteur de la narration est le parcours sinueux d’un vieil homme dont le destin finalement assez ordinaire a valeur d’archétype.

    Issu d’un milieu plutôt modeste, Attilio Profeti a su construire à sa famille une position plutôt enviable, en traversant le mieux possible les différents mouvements du XXe siècle. Fasciste durant sa jeunesse, comme l’immense majorité des Italiens de son âge, il est parti pour l’Ethiopie, au nom de la grandeur impériale. Après la chute de Mussolini et la fin de la guerre, il parviendra aisément à se faire une place au soleil dans l’Italie du miracle économique, jouant de son physique avantageux et de ses amitiés haut placées, et enfouissant au plus profond de sa mémoire le moindre souvenir de ses années africaines, les viols, les massacres, les attaques chimiques. C’est ce passé, refoulé avec une certaine désinvolture, qui revient hanter ses enfants, trois quarts de siècle plus tard, sous les traits d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, arrivé à Rome après une interminable traversée.

    Comme l’héroïne de Tous, sauf moi, Francesca Melandri vit sur l’Esquilin, au dernier étage d’un immeuble à la population mélangée. Et à l’image d’Ilaria, c’est sur le tard qu’elle a découvert ce pan escamoté de l’histoire italienne. « Quand j’étais à l’école, on ne parlait pas du tout de ce sujet-là, confie-t-elle depuis sa terrasse dominant les toits de la ville. Aujourd’hui ça a changé, il y a eu une prise de conscience, et de nombreux travaux universitaires. Pourtant cette histoire n’est jamais rappelée par les médias. Lorsqu’on parle du dernier attentat à la bombe à Mogadiscio, qui se souvient des liens entre Italie et Somalie ? Quand des bateaux remplis de migrants érythréens sont secourus ou coulent avant d’être sauvés, qui rappelle que l’Erythrée, nous l’appelions "l’aînée des colonies" ? »

    Le plus étrange est qu’à Rome, les traces du passé colonial sont légion, sans que personne n’ait jamais pensé à les effacer. Des stèles près desquelles personne ne s’arrête, des bâtiments anonymes, des noms de rue... rien de tout cela n’est explicité, mais tout est à portée de main.

    Comprendre les raisons de cette occultation impose de revenir sur les conditions dans lesquelles l’ « Empire » italien s’est formé. Création récente et n’ayant achevé son unité qu’en 1870, alors que la plus grande partie du monde était déjà partagée en zones d’influence, le royaume d’Italie s’est lancé avec du retard dans la « course » coloniale. De plus, il ne disposait pas, comme l’Allemagne qui s’engage dans le mouvement à la même époque, d’une puissance industrielle et militaire susceptible d’appuyer ses prétentions.

    Visées impérialistes

    Malgré ces obstacles, l’entreprise coloniale est considérée par de nombreux responsables politiques comme une nécessité absolue, à même d’assurer une fois pour toutes à l’Italie un statut de grande puissance, tout en achevant le processus d’unification du pays nombre des principaux avocats de la colonisation viennent de la partie méridionale du pays. Les visées impérialistes se dirigent vers deux espaces différents, où la carte n’est pas encore tout à fait figée : la Méditerranée, qui faisait figure de champ naturel d’épanouissement de l’italianité, et la Corne de l’Afrique, plus lointaine et plus exotique.

    En Afrique du Nord, elle se heurta vite à l’influence française, déjà solidement établie en Algérie. Ses prétentions sur la Tunisie, fondées sur la proximité de la Sicile et la présence sur place d’une importante communauté italienne, n’empêcheront pas l’établissement d’un protectorat français, en 1881. Placé devant le fait accompli, le jeune royaume d’Italie considérera l’initiative française comme un véritable acte de guerre, et la décennie suivante sera marquée par une profonde hostilité entre Paris et Rome, qui poussera le royaume d’Italie à s’allier avec les grands empires centraux d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie plutôt qu’avec sa « soeur latine .

    Sur les bords de la mer Rouge, en revanche, la concurrence est plus faible. La première tête de pont remonte à 1869, avec l’acquisition de la baie d’Assab (dans l’actuelle Erythrée) par un armateur privé, pour le compte de la couronne d’Italie. Cette présence s’accentue au cours des années 1880, à mesure du recul de l’influence égyptienne dans la zone. En 1889, est fondée la colonie d’Erythrée, tandis que se structure au même moment la Somalie italienne. Mais l’objectif ultime des Italiens est la conquête du my thique royaume d’Abyssinie, qui s’avère plus difficile que prévu.

    En 1887, à Dogali, plusieurs centaines de soldats italiens meurent dans une embuscade menée par un chef abyssin, le ras Alula Engida. Cette défaite marque les esprits, mais ce n’est rien à côté de la déconfiture des forces italiennes lors de la bataille d’Adoua, le 1er mars 1896, qui porte un coup d’arrêt durable aux tentatives italiennes de conquête.

    Seul pays africain indépendant (avec le Liberia), l’Ethiopie peut désormais se targuer de devoir sa liberté à une victoire militaire. Le négus Menelik II y gagne un prestige considérable. Côté italien, en revanche, cette défaite est un électrochoc. Ressentie comme une honte nationale, la déroute des troupes italiennes entraîne la chute du gouvernement Crispi et freine durablement l’im périalisme italien.

    Adoua est un tournant. L’historien et ancien sénateur de gauche Miguel Gotor est l’auteur d’une remarquable synthèse sur le XXe siècle italien, L’Italia nel Novecento. Dalla sconfitta di Adua alla vittoria di Amazon (« L’Italie du XIXe siècle. De la défaite d’Adoua à la victoire d’Amazon » Einaudi, 2019, non traduit). Pour lui, c’est là-bas, sur les hauteurs de la région du Tigré, par cette humiliation retentissante, que le XXe siècle italien a commencé.

    L’aventure coloniale italienne s’est ouverte de façon peu concluante, mais l’aspiration à l’empire n’a pas disparu. La décomposition de l’Empire ottoman offrira à Rome une occasion en or, en lui permettant, en 1911-1912, de s’implanter solidement en Cyrénaïque et en Tripolitaine. « Souvent la conquête de ce qui allait devenir la Libye est évacuée un peu vite, mais c’est un moment très important. Pour l’armée italienne, c’est une répétition, un peu comme a pu l’être la guerre d’Espagne, juste avant la seconde guerre mondiale », souligne Miguel Gotor. Ainsi, le 1er novembre 1911, un aviateur italien lâche quatre grenades sur des soldats ottomans, réalisant ainsi le premier bombardement aérien de l’histoire mondiale.

    « La conquête des côtes d’Afrique du Nord est importante, certes, mais la Libye est juste en face de la Sicile, au fond c’est du "colonialisme frontalier". La colonie au sens le plus "pur", celle qui symboliserait le mieux l’idée d’empire, ça reste l’Abyssinie », souligne Miguel Gotor. Aussi les milieux nationalistes italiens, frustrés de ne pas avoir obtenu l’ensemble de leurs revendications territoriales au sortir de la première guerre mondiale, continueront à nourrir le rêve de venger l’humiliation d’Adoua.

    Le fascisme naissant ne se privera pas d’y faire référence, et d’entretenir le souvenir : les responsables locaux du parti se feront appeler « ras », comme les chefs éthiopiens. A partir de la fin des années 1920, une fois le pouvoir de Mussolini solidement établi, les prétentions coloniales deviendront un leitmotiv des discours officiels.

    Aussi la guerre de conquête déclenchée contre l’Ethiopie en 1935 est-elle massi vement soutenue. L’effort est considérable : plus de 500 000 hommes sont mobilisés. Face à un tel adversaire, le négus Haïlé Sélassié ne peut résister frontalement. Le 5 mai 1936, les soldats italiens entrent dans la capitale, Addis-Abeba, et hissent le drapeau tricolore. Quatre jours plus tard, à la nuit tombée, depuis le balcon du Palazzo Venezia, en plein coeur de Rome, Mussolini proclame « la réapparition de l’Empire sur les collines fatales de Rome » devant une foule de plusieurs centaines de milliers de personnes.

    « C’est bien simple, à ce moment-là, en Italie, il est à peu près impossible d’être anti fasciste », résume Miguel Gotor. Dans la foulée de ce succès, le roi Victor-Emmanuel III est proclamé empereur d’Ethiopie ; Benito Mussolini peut désormais se targuer d’avoir bâti un empire. La faillite d’Adoua avait été causée par un régime parle mentaire inefficace et désorganisé ? La victoire de 1936 est due, elle, aux vertus d’une Italie rajeunie et revigorée par le fascisme. La machine de propagande tourne à plein régime, l’assentiment populaire est à son sommet. « Ce moment-là est une sorte d’apogée, et à partir de là, la situation du pays se dégrade, analyse Miguel Gotor. Ar rivent les lois raciales, l’entrée en guerre... tout est réuni pour nourrir une certaine nostalgie de l’épopée éthiopienne. »

    Mécanisme de refoulement

    Le rêve impérial sera bref : il ne survivra pas à la défaite militaire et à la chute du fascisme. L’Ethiopie est perdue en 1941, la Libye quelques mois plus tard... Le traité de Paris, conclu en 1947, met officiellement un terme à une colonisation qui, dans les faits, avait déjà cessé d’exister depuis plusieurs années. Tandis que l’Ethiopie indépendante récupère l’Erythrée, la Libye est placée sous la tutelle de la France et du Royaume-Uni. Rome gardera seulement une vague tutelle sur la Somalie, de 1949 à 1960.

    Le projet d’empire colonial en Méditerranée et en Afrique, qui fut un des ciments de l’assentiment des Italiens à Mussolini, devient associé pour la plupart des Italiens au régime fasciste. L’un et l’autre feront l’objet du même mécanisme de refoulement dans l’Italie de l’après-guerre. Les dirigeants de l’Italie républicaine font rapidement le choix de tourner la page, et ce choix est l’objet d’un profond consensus qui couvre tout le spectre politique (le premier décret d’amnistie des condamnations de l’après-guerre remonte à 1946, et il porte le nom du dirigeant historique du Parti communiste italien Palmiro Togliatti). Les scènes de liesse de la Piazza Venezia ne seront plus évoquées, et avec elles les faces les plus sombres de l’aventure coloniale. Même la gauche transalpine, qui prendra fait et cause pour les mouvements anticoloniaux africains (notamment le FLN algérien) n’insistera jamais sur le versant italien de cette histoire.

    « Cela n’est pas étonnant, la mémoire est un phénomène sélectif, et on choisit toujours, consciemment ou non, ce qu’on va dire à ses enfants ou ses petits-enfants », remarque le jeune historien Olindo De Napoli (université de Naples-Frédéric-II), spécialiste de la période coloniale. « Durant l’immédiat après-guerre, ce sont les témoins qui parlent, ce sont eux qui publient », remarque l’his torien. Ainsi de la collection d’ouvrages L’Italia in Africa éditée sous l’égide du ministère des affaires étrangères, emblématique de la période. « Ces volumes sont passionnants, mais il y a certains oublis, qui vont vite poser des problèmes. »

    Parmi ces « oublis », la question la plus centrale, qui fera le plus couler d’encre, est celle des massacres de civils et de l’usage de gaz de combat, malgré leur interdiction par les conventions de Genève, lors de la guerre d’Ethiopie. Dans les années 1960, les études pionnières d’Angelo Del Boca et Giorgio Rochat mettront en lumière, documents officiels à la clé, ce pan occulté de la guerre de 1935-1936. Ils se heurteront à l’hostilité générale des milieux conservateurs.

    Un homme prendra la tête du mouvement de contestation des travaux de Del Bocaet Rochat : c’est Indro Montanelli (1909-2001), considéré dans les années 1960 comme le journaliste le plus important de sa géné ration. Plume du Corriere della Sera (qu’il quittera pour fonder Il Giornale en 1974), écrivain d’essais historiques à l’immense succès, Montanelli était une figure tutélaire pour toute la droite libérale.

    Comme tant d’autres, il avait été un fasciste convaincu, qui s’était porté volontaire pour l’Ethiopie, et il n’a pris ses distances avec Mussolini qu’en 1943, alors que la défaite était apparue comme certaine. Ra contant « sa » guerre à la tête d’une troupe de soldats indigènes, Montanelli la décrit comme « de longues et belles vacances », et qualifie à plusieurs reprises d’ « anti-Italiens » ceux qui font état de massacres de civils et d’usage de gaz de combat. La polémique durera des années, et le journaliste sera bien obligé d’admettre, à la fin de sa vie, que les atrocités décrites par Rochat et Del Bocaavaient bien eu lieu, et avaient même été expressément ordonnées par le Duce.

    A sa manière, Montanelli incarne parfaitement la rhétorique du « bon Italien » (« Italia brava gente »), qui sera, pour toute une génération, une façon de disculper l’homme de la rue de toute forme de culpabilité collective face au fascisme. Selon ce schéma, contrairement à son allié allemand, le soldat italien ne perd pas son humanité en endossant l’uniforme, et il est incapable d’actes de barbarie. Ce discours atténuant la dureté du régime s’étend jusqu’à la personne de Mussolini, dépeint sous les traits d’un chef un peu rude mais bienveillant, dont le principal tort aura été de s’allier avec les nazis.

    Ce discours trouve dans l’aventure coloniale un terrain particulièrement favorable. « Au fond, on a laissé s’installer l’idée d’une sorte de colonisation débonnaire, analyse Olindo De Napoli, et ce genre de représentation laisse des traces. Pourtant la colonisation italienne a été extrêmement brutale, avant même le fascisme. En Ethiopie, l’armée italienne a utilisé des soldats libyens chargés des basses oeuvres, on a dressé des Africains contre d’autres Africains. Et il ne faut pas oublier non plus que les premières lois raciales, préfigurant celles qui seront appliquées en 1938 en Italie, ont été écrites pour l’Ethiopie... Il ne s’agit pas de faire en sorte que des enfants de 16 ans se sentent coupables de ce qu’ont fait leurs arrière-grands-pères, il est seulement question de vérité historique. »

    Désinvolture déconcertante

    Malgré les acquis de la recherche, pour le grand public, la colonisation italienne reste souvent vue comme une occupation « douce », par un peuple de jeunes travailleurs prolétaires, moins racistes que les Anglais, qui se mélangeaient volontiers avec les populations locales, jusqu’à fonder des familles. L’archétype du colon italien tombant amoureux de la belle Abyssine, entretenu par les mémoires familiales, a lui aussi mal vieilli. Là encore, le parcours d’Indro Montanelli est plus qu’éclairant. Car aujourd’hui, si sa défense de l’armée italienne apparaît comme parfaitement discréditée, ce n’est plus, le concernant, cet aspect de sa vie qui fait scandale.

    En effet, on peut facilement trouver, sur Internet, plusieurs extraits d’entretiens télévisés remontant aux années 1970 et 1980, dans lesquelles le journaliste raconte avec une désinvolture déconcertante comment, en Ethiopie, il a « acheté régulièrement » à son père, pour 350 lires, une jeune fille de 12 ans pour en faire sa femme à plusieurs reprises, il la qualifie même de « petit animal docile », devant un auditoire silencieux et appliqué.

    Célébré comme une gloire nationale de son vivant, Indro Montanelli a eu l’honneur, à sa mort et malgré ces déclarations sulfureuses, de se voir dédié à Milan un jardin public, au milieu duquel trône une statue de lui. Au printemps 2019, cette statue a été recouverte d’un vernis de couleur rose par un collectif féministe, pour rappeler cet épisode, et en juin 2020, la statue a de nouveau été recouverte de peinture rouge, en lointain écho au mouvement Black Lives Matter (« les vies noires comptent ») venu des Etats-Unis.

    Indro Montanelli mérite-t-il une statue dans l’Italie de 2021 ? La question a agité les journaux italiens plusieurs jours, au début de l’été, avant que la polémique ne s’éteigne d’elle-même. Pour fondée qu’elle soit, la question semble presque dérisoire eu égard au nombre de témoignages du passé colonial, rarement explicités, qui subsistent un peu partout dans le pays.

    Cette situation n’est nulle part plus visible qu’à Rome, que Mussolini rêvait en capitale d’un empire africain. L’écrivaine italienne Igiaba Scego, née en 1974 de parents réfugiés somaliens, y a dédié un passionnant ouvrage, illustré par les photographies de Rino Bianchi (Roma negata, Ediesse, réédition 2020, non traduit).

    Passant par la stèle laissée à l’abandon de la piazza dei Cinquecento, face à la gare Termini, dont la plupart des Romains ignorent qu’elle a été baptisée ainsi en mémoire des 500 victimes italiennes de l’embuscade de Dogali, ou l’ancien cinéma Impero, aujourd’hui désaffecté, afin d’y évoquer l’architecture Art déco qui valut à la capitale érythréenne, Asmara, d’être classée au patrimoine de l’Unesco, la romancière fait une station prolongée devant le siège romain de la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), construit pour abriter le siège du puissant ministère de l’Afrique italienne.

    Devant ce bâtiment tout entier dédié à l’entreprise coloniale, Benito Mussolini avait fait ériger en 1937 un obélisque haut de 24 mètres et vieux d’environ seize siècles, ramassé sur site d’Axoum, en Ethiopie. Il s’agissait, rappelle Igiaba Scego, de faire de ce lieu « le centre de la liturgie impériale .

    La république née sur les ruines du fascisme s’était engagée à restituer cette prise de guerre à la suite des traités de 1947, mais après d’innombrables vicissitudes, le monument est resté en place jusqu’en 2003, où le gouvernement Berlusconi choisit de le démonter en trois morceaux avant de le renvoyer à Axoum, à ses frais.

    En 2009, la mairie de Rome a fait installer sur la même place, à deux pas de cet espace vide, une stèle commémorative afin « de ne pas oublier le passé . Mais curieusement, celle-ci a été dédiée... à la mémoire des attentats du 11-Septembre. Comme s’il fallait enfouir le plus profondément possible ce souvenir du rêve impérial et de la défaite, la ville a choisi de faire de ce lieu le symbole d’une autre tragédie. « Pourquoi remuer ces his toires horribles ? Pensons plutôt aux tragédies des autres. Le 11-Septembre était parfait », note, sarcastique, Igiaba Scego.

    A une quinzaine de kilomètres de là, dans le décor grandiose et écrasant du Musée de la civilisation romaine, en plein centre de ce quartier de l’EUR où la mémoire du fascisme est omniprésente, l’ethno-anthropologue Gaia Delpino est confrontée à un autre chantier sensible, où s’entrechoquent les mémoires. Depuis 2017, elle travaille à fusionner en un même lieu les collections du vieux musée ethnologique de Rome (Musée Pigorini) et du sulfureux Musée colonial inauguré en 1923, dont les collections dormaient dans des caisses depuis un demi-siècle.

    D’une fascinante complexité

    Lorsqu’on lui parle de l’odyssée de l’obélisque d’Axoum, elle nous arrête tout de suite : « C’est bien simple : ce qui a été réalisé là-bas, c’est exactement l’inverse de ce qu’on veut faire. » Restituer ces collections dans leur contexte historique tout en articulant un message pour l’Italie d’aujourd’hui, permettre à toutes les narrations et à toutes les représentations de s’exprimer dans leur diversité... L’entreprise est d’une fascinante complexité.

    « Les collections du MuséePigorini ont vieilli bien sûr, comme tous ces musées ethnographiques du XIXe siècle qui véhiculaient l’idée d’une supériorité de la civilisation occidentale. Le Musée colonial, lui, pose d’autres problèmes, plus singuliers. Il n’a jamais été pensé comme autre chose qu’un moyen de propagande, montrant à la fois les ressources coloniales et tout ce qu’on pourrait en tirer. Les objets qui constituent les collections n’ont pas vu leur origine enregistrée, et on a mis l’accent sur la quantité plus que sur la qualité des pièces », expliqueGaia Delpino.

    Sur des centaines de mètres de rayonnages, on croise pêle-mêle des maquettes de navires, des chaussures, des outils et des objets liturgiques... L’accumulation donne le vertige. « Et ce n’est pas fini, nous recevons tous les jours des appels de personnes qui veulent offrir des objets ayant appartenu à leur père ou à leur grand-père, qu’ils veulent nous confier comme une réparation ou pour faire un peu de place », admet l’anthropologue dans un sourire.

    Alors que le travail des historiens peine à se diffuser dans le grand public, où les représentations caricaturales du système colonial, parfois instrumentalisées par la politique, n’ont pas disparu, le futur musée, dont la date d’ouverture reste incertaine pour cause de pandémie, risque d’être investi d’un rôle crucial, d’autant qu’il s’adressera en premier lieu à un public scolaire. « Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que parallèlement à ce difficile travail de mémoire, la population change. Aujourd’hui, dans nos écoles, il y a aussi des descendants de victimes de la colonisation, italienne ou autre. Nous devons aussi penser à eux », précise Gaia Delpino.

    Retournons maintenant au centre de Rome. En 2022, à mi-chemin du Colisée et de la basilique Saint-Jean-de-Latran, une nouvelle station de métro doit ouvrir, dans le cadre du prolongement de la ligne C. Depuis le début du projet, il était prévu que celle-ci soit baptisée « Amba Aradam », du nom de la large artère qui en accueillera l’entrée, appelée ainsi en souvenir de la plus éclatante des victoires italiennes en Ethiopie.

    Ce nom était-il opportun, alors que les historiens ont établi que cette victoire écrasante de l’armée fasciste avait été obtenue au prix de 10 000 à 20 000 morts, dont de nombreux civils, et que les troupes italiennes avaient obtenu la victoire en faisant usage d’ypérite (gaz moutarde), interdit par les conventions de Genève ? Le 1er août 2020, la mairie a finalement fait savoir que la station serait dédiée à la mémoire de Giorgio Marincola.

    Pour le journaliste Massimiliano Coccia, qui a lancé cette proposition avec le soutien de collectifs se réclamant du mouvement Black Lives Matter, « revenir sur notre passé, ce n’est pas détruire ou incendier, mais enrichir historiquement notre cité . Et on peut choisir de célébrer la mémoire d’un résistant italo-somalien tué par les nazis plutôt que celle d’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale italienne.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/05/libye-somalie-ethiopie-l-oublieuse-memoire-coloniale-italienne_6068846_3232.

    #Italie #colonialisme #colonisation #Mussolini #fascisme #Libye #Somalie #Ethiopie #atrocités #occupation_douce #mémoire #mémoire_coloniale #occultation #impérialisme #Corne_de_l'Afrique #baie_d'Assab #royaume_d'Abyssinie #Alula_Engida #bataille_d'Adoua #Menelik_II #Crispi #Adoua #Tigré #Cyrénaïque #Tripolitaine #colonialisme_frontalier #Abyssinie #Haïlé_Sélassié #propagande #traité_de_Paris #refoulement #mémoire #massacres #gaz #Indro_Montanelli #gaz_de_combat #bon_Italien #Italia_brava_gente #barbarie #humanité #lois_raciales #vérité_historique #culpabilité #viol #culture_du_viol #passé_colonial #Igiaba_Scego #monuments #toponymie #toponymie_politique #Axoum #stèle #Musée_Pigorini #musée #Musée_colonial #Amba_Aradam #ypérite #gaz_moutarde #armes_chimiques #Giorgio_Marincola #Black_Lives_Matter

    L’article parle notamment du #livre de #Francesca_Melandri, « #sangue_giusto » (traduit en français par « Tous, sauf moi »
    https://seenthis.net/messages/883118

    ajouté à la métaliste sur le #colonialisme_italien :
    https://seenthis.net/messages/871953

    ping @cede

  • La vérité historique, première victime du nationalisme (janvier 2010)
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article348

    #Ernest_Renan, le grand mystificateur

    Joseph-Ernest Renan (1823-1892) était quelque peu tombé dans l’oubli. Le débat du jour le tire de l’ombre. Il redevient une référence, celle dont se revendiquent ouvertement des politiciens de haut vol comme Alain Juppé [1].

    Renan, ancien séminariste devenu rapidement, après quelques frictions avec Napoléon III, l’historien pour ainsi dire officiel de l’État, a au moins un avantage : son cynisme est tel qu’il n’y va pas par quatre chemins pour « lâcher le morceau ». Dans « Qu’est-ce qu’une nation  ? », conférence prononcée en 1882, il ne se gène pas pour écrire : « L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d’une nation, et c’est ainsi que le progrès des études historiques est souvent pour la nationalité un danger ». On ne saurait être plus clair...

    Renan, véritable « saint » de la troisième république, s’affirme partisan, pour les besoins de la cause, de « l’erreur historique », ce pourquoi on peut lui décerner le titre de «  Père du révisionnisme historique décomplexé  ». Aujourd’hui comme hier, ce révisionnisme permet au Pouvoir de continuer de travestir la vérité historique, de la faire entrer dans le moule qui lui convient, et de justifier ainsi son idéologie et sa pratique.

    Chantre du mensonge officiel, Renan fut le premier historien postérieur à la Révolution Française à remettre en selle, en tant que piliers de la « nation moderne », ceux qu’il nommait avec tendresse les « personnages du passé ». A sa suite, l’école de la troisième république intégrera toute une brochette de psychopathes royaux (et quelques uns de leurs plus célèbres laquais) dans l’imagerie héroïque de la France. Par ce coup de baguette magique, les brutes couronnées et leurs larbins devenaient, dans les livres scolaires, des héros qui auraient fondé la patrie française et se seraient sacrifiés pour elle.

    Les falsifications historiques vomies par Renan ont été la source à laquelle, à la fin du XIXème siècle, s’est abreuvée avec délectation cette bourgeoisie revancharde qui venait de massacrer les Communards. Les théories de Renan lui permettaient de faire coup double, d’une part en donnant un contenu clairement chauvin et réactionnaire à une République qui venait de s’installer par défaut [2], d’autre part, en contrant l’émergence du mouvement ouvrier internationaliste grâce à l’utilisation de cette version nationaliste de l’histoire. Deux attitudes qui allaient directement conduire à la boucherie sanglante de 1914/1918.

    L’essentiel de la falsification historique voulue par Renan et ses successeurs porte sur la Révolution française. Tout leur travail consiste à masquer la « rupture épistémologique » que représente cette période et à la présenter comme un simple prolongement du cours antérieur de l’histoire. Ainsi en est-il de l’idée de Nation, qui apparue dès le début de la Révolution, va être vidée de son sens par nos historiens et politiciens révisionnistes et déformée jusqu’à signifier le contraire de son sens premier. En effet, quand le terme Nation fait irruption dans le débat politique en 1789, il désigne clairement la collectivité formée par tous les individus, égaux entre eux, et de ce fait, la seule instance politique légitime dans un pays. L’idée de Nation se construit en opposition totale au pouvoir d’un seul (ou d’une petite caste), en opposition donc à la tyrannie qu’ont précisément défendu les Jeanne d’Arc, les Charles Martel et autres « personnages du passé » lors des siècles d’oppression féodale et monarchique, en opposition totale à cette idéologie qui permettait à n’importe quel crétin (pourvu qu’il fusse couronné) d’affirmer : « L’État, c’est moi  ! ».

    Ainsi, pendant la Révolution Française, on pouvait fort bien être étranger, être né loin du territoire français, et être immédiatement intégré dans la Nation. C’est pourquoi des hommes et des femmes de tous les pays se retrouvèrent en France, dés 1789, à délibérer, à décider et à agir pour les idéaux révolutionnaires. A partir de 1792, il y eut même des bataillons entiers formés par les nombreux étrangers désireux de combattre sous les drapeaux de la Nation. On ne parlait pas alors de « brigades internationales » mais de « Légions » : Légions Belges, Légion Franche Étrangère Batave (Hollandais), Légion des Allobroges, Légion Germanique, Légion des Américains (Antillais et habitants métis ou blanc des colonies), etc.

    Ces faits sont aussi remarquables qu’il sont peu connus. Et pour cause : ils gênent les historiographes nationalistes, préoccupés d’élaborer leur mystification xénophobe. Ils gênent tout autant l’école historique marxiste qui, les oeillères du matérialisme dialectique bien rivées, n’a jamais voulu voir dans la Révolution française que son expression bourgeoise. Il est vrai que l’existence des Légions belges, germaniques ou américaines prouve que la conscience internationaliste n’a pas attendu la théorie de Marx et la pratique de Lénine pour se manifester de façon concrète !

    Cette caractéristique du conflit fondateur de la Nation française est renforcée par un deuxième élément qui vient compléter clairement la signification en contrepoint : tout comme on pouvait être étranger et membre de la Nation, on pouvait tout aussi bien bien être français de souche, né sur le territoire et appartenir au parti de l’étranger.

    la frontière : fracture idéologique et non réalité territoriale

    En effet, si des esprits éclairés sont venus d’Europe et des Amériques pour défendre la Révolution, à l’inverse des membres éminents de la noblesse, de l’église et des milieux affairistes, tous « Français de souche » ont fui en masse le pays à partir de la prise de la Bastille [3]. Ceci nous montre où se situe la véritable fracture : non pas entre lieu de naissance, non pas entre territoires géographiques (d’un coté du Rhin ou de l’autre) , non pas entre « cultures » (culture française contre culture allemande...), mais bien entre intérêts économiques et de pouvoir.

    La France de la Révolution n’avait donc pas de problème avec les personnes nées hors de France. Elle en avait de sérieux avec toutes celles qui, selon l’expression des sans-culottes, formaient le « parti de l’étranger », parti désigné ainsi parce qu’il se regroupait sans vergogne autour des despotes régnant à l’étranger [4]. Un parti qui reçut la participation massive de « Français de souche » : on évalue à un million, chiffre énorme pour l’époque, le nombre de nobles, de riches et de curés qui n’hésitèrent pas à déserter le territoire français pour revenir l’attaquer avec les armées royales étrangères [5].

    les nouveaux émigrés

    L’histoire dit-on a tendance à se répéter. Parfois sous forme de farce. Après avoir connu l’émigration de la noblesse, revenue avec Louis XVIII dans les paquets des armées étrangères piller de nouveau le territoire dit national, voici que nous sommes menacés de l’émigration des... footballeurs. Le lien entre les deux émigrations n’est pas qu’apparent, et les théories révisionnistes des émules de Renan sont là pour masquer le scandale que constitue l’une comme l’autre.

    Alors que le slogan politicien affirme -ce que beaucoup de gens croient- que « Les plus pauvres ne payent pas d’impôt », en France, même les rmistes, tout comme les retraités aux pensions les plus minables, les étudiants aux bourses ridicules, et les sans-papiers les mieux cachés payent des impôts tous les jours [6]... A contrario, les politiciens s’en vantent moins, ils ont voté des « niches fiscales » qui permettent aux plus riches de ne pas payer d’impôts directs (ou de n’en payer que sur une fraction de leur revenu). Les joueurs professionnels de football, dont le salaire moyen tourne autour de 500 000 euros annuels, jouissent de ce privilège. Or, voici qu’un inconscient a envisagé de leur faire payer des impôts, comme à la masse de la population, sur la totalité de leur revenus. Quels cris d’effroi n’avons-nous pas entendus ! Et quelle menace ! Celle d’un « nouvel exode massif vers l’étranger des meilleurs joueurs du championnat. »

    Un exode massif vers l’étranger ? Bigre, cela nous en rappelle, des choses !

    Soulignons d’abord que cette menace d’émigration massive émane d’un milieu qui vit de la promotion d’un chauvinisme sportif identitaire qui englobe jusqu’à la couleur du slip ; qu’elle provient directement de gens qui composent l’équipe dite « de France » et qui font profession de chanter au garde à vous, en regardant le drapeau bleu-blanc-rouge « droit dans les yeux », devant des millions de personnes, l’hymne national. En plein débat sur l’identité nationale on mesure le peu de sincérité de l’establishment : alors qu’il s’était levé comme un seul homme pour fustiger cruellement le public qui avait, par jeu, sifflé la Marseillaise, pas un seul dignitaire du régime n’a dénoncé quelque chose qui devrait être bien plus grave à ses yeux et tirant bien plus à conséquence (s’il avait la moindre honnêteté) : une atteinte aux plus sacrés des devoirs, celui de verser, comme tout le monde, sa contribution.

    L’anecdote ridicule des tapeurs de ballon qui menacent, comme un seul homme, d’aller faire joujou ailleurs et, surtout, le silence complice qui accueille leur caprice nous révèle on ne peut plus clairement la véritable fonction du nationalisme : masquer, sous des mots creux, l’indignité passée, présente et à venir des privilégiés.

    Le principal pilier de la vie en société c’est la fraternité, la solidarité, sans cela, tout le reste n’est que mensonge et hypocrisie. Ceux qui sont trompé par les nationalismes défendent en réalité des privilégiés qui agitent leurs drapeaux nationaux (ou régionaux) pour mieux détourner l’attention et tirer des profits égoïstes. Hier comme aujourd’hui, il est notoire que ceux qui, à cause de leur rapacité, sont en dehors des valeurs fondamentales de la société humaine (de ce que les sans-culottes appelaient la Nation) ce ne sont pas les « étrangers » mais bien les riches, les patrons, les profiteurs de tous poils et leurs complices.

    G. Babeuf

    INTEGRISME & NATIONALISME

    Au moment, ou l’on parle beaucoup, en France, tour à tour, de l’intégrisme religieux et de l’identité nationale, je tiens à souligner que c’est bien le nationalisme que le pouvoir plébiscite au travers de cette fumeuse idée d’identité nationale. Et, il ne peut pas y avoir de doute sur le fait que le nationalisme est bien lui-même un intégrisme. Car comme tout intégrisme, il est un vecteur de fanatisme, parce qu’il est violemment excessif et injuste ; il est un vecteur qui génère des clichés sommaires, parce qu’il facilite l’existence d’une mentalité sécuritaire ; il est un vecteur d’ignorance, parce qu’il occulte la vérité de la réalité ; il est un vecteur de haine, parce qu’il engendre l’intolérance et la peur, donc, la violence, une violence qui servira toujours le pouvoir en place. Et de plus, le nationalisme revêt, aussi, un caractère fondamentalement religieux, car, il est, de par sa nature démagogique, appelé à être élevé au rang du sacré. Cette superstition est l’ennemie de tous les hommes libres, car, elle exalte le réflexe réactionnaire en faisant appel à l’émotionnel pour réveiller les pulsions primaires telles que, par exemple, l’esprit grégaire. Sa devise pourrait être : A chacun son drapeau, à chacun sa haine. Tous ceux qui savent qu’il y a d’autres manières d’exister que par la haine doivent rejeter toute complicité avec le nationalisme.

    [1] Voir par exemple le site de juppé http://www.al1jup.com/quest-ce-quune-nation

    [2] la chute de Napoléon III, la république fut instituée de façon provisoire par une assemblée monarchiste qui n’arrivait pas à se mettre d’accord entre elle. Moyennant quoi, cette Troisième république fut la plus longue de l’histoire de France

    [3] Trois jours après, le 17 juillet 1789, le comte d’Artois, frère du roi (et lui même futur roi, sous le nom de Charles X), passait à l’étranger sans oublier d’emporter tout ce qu’il pouvait de sa fortune

    [4] Certains lecteurs ont peut être entendu parler de Rivarol, une feuille qui se veut l’hebdomadaire de l’« opposition nationale et européenne » et soutient régulièrement le Front National. Ce périodique, adepte du slogan « La France ou on l’aime ou on la quitte » fait semblant d’oublier que le célèbre pamphlétaire royaliste dont il tire son nom ... a quitté la France en 1792, comme quoi, il ne devait pas l’aimer tant que ça...

    [5] Voir A. Soboul, Dictionnaire historique de la Révolution française. Ajoutons que c’est précisément pour avoir soutenu ce « parti de l’étranger » que Louis XVI, né français de souche, a été guillotiné en 1793.

    [6] ...car ils ne sont pas exonérés d’impôts indirects. Quand un rmiste achète des carottes, il verse 5,5 % du prix dans les caisses de l’État, et, s’il s’achète une chemise, 19,6 % !

    Article d’@anarchosyndicalisme ! n°115 janvier 2010
    http://www.cntaittoulouse.lautre.net/spip.php?article350

    • http://mondialisme.org/spip.php?article2383

      Temps critiques

      VERNISSAGE D’UNE ANTIQUITÉ :

      LE « DÉFAITISME RÉVOLUTIONNAIRE »

      À propos des attaques islamistes de Paris, nous avons reçu un tract qui passe une couche de vernis sur une ancienne position de la gauche communiste devenue aujourd’hui une antiquité : le défaitisme révolutionnaire.

      Premièrement, le tract est marqué par son incapacité à reconnaître ce qui est nouveau

      D’après lui, nous serions dans un système capitaliste mondialisé. On peut donc supposer, sans pour cela perdre du temps à s’interroger sur la validité de la notion (kautskienne je crois) de "super-impérialisme", que les souverainetés nationales ont aujourd’hui peu de poids face à l’imbrication des différentes fractions du capital dans ce que nous appelons, à Temps critiques, le "capitalisme du sommet" (cf. n° 15). Ce tract devrait donc en tirer toutes les conclusions possibles. Au lieu de cela, le texte nous dit qu’en fait la situation de guerre est engendrée par des puissances visant à la défense de leur pré carré ! Cela suppose de maintenir une vision traditionnelle des luttes anti-impérialistes comme si on en était encore à l’époque coloniale ou même post-coloniale des années 1960-1980. Or le mouvement mondial de globalisation a déplacé la question ancienne de la possession coloniale ou de la domination néocoloniale avec maîtrise des territoires vers celle du contrôle des flux par le biais de politiques financières et de mises en réseaux clientélistes. Pour ne prendre qu’un exemple, il ne s’agit pas tant de s’approprier le gaz ou le pétrole moyen oriental que de garder les robinets de distribution ouverts afin qu’il n’y ait pas de risque de rupture d’approvisionnement pour l’ensemble des pays consommateurs de la communauté internationale. Seuls les quelques pays soumis à embargo sont tenus à l’écart de ce consensus.

      Cet objectif internationalisé même si il est chapeauté par la puissance dominante, c’est-à-dire les États-Unis, change tout du point de vue stratégique. La stabilité d’un ordre mondial est primordiale pour garantir cette fluidité du capital et la circulation des ressources énergétiques ou des matières premières. Les stratégies ne sont donc plus dictées essentiellement par des efforts de déstabilisation de "l’autre camp" comme dans les soubresauts de l’après-guerre froide ; ou pour s’approprier des parts de gâteau dans une situation de guerre économique sauvage. Si on ne tient pas compte de ce nouvel ordre mondial, forcément instable dans certaines zones, alors pourquoi parler en termes de mondialisation comme le fait le tract ? Il n’y aurait rien de nouveau alors depuis 1945 !? C’est faire fi de toutes les réunions internationales incessantes, qu’elles soient de type commerciales, climatiques ou politiques.

      Qui peut penser, comme le soutient par exemple le tract, qu’El Assad veut développer son "capital national" ? que Daesh dont les antennes s’étendent paraît-il dans trente pays viserait à développer son capital national ? Et les talibans aussi, c’était ça aussi leur objectif en transformant Kaboul en un village du Moyen Age ?

      Cette incohérence ne permet pas de comprendre une double contradiction du capital. L’une au niveau stratégique de l’hyper-capitalisme du sommet entre d’un côté la tendance dominante à la mondialisation et donc à la crise des États sous leur forme d’État-nation et de l’autre la résurgence de politiques de puissance aussi diverses que celles menées récemment par le Japon, la Russie et l’Iran. L’autre au niveau de la gestion encore en grande partie nationale d’une situation où coexistent de façon conflictuelle, d’un côté une croissance de flux humains (migrants et réfugiés) parallèle à celle des flux financiers ou de marchandises et de l’autre une tendance protectionniste et souverainiste-identitaire.

      Deuxièmement, la guerre est conçue dans des termes anciens

      Cela découle de ce qui précède. Pour l’auteur du tract, la guerre ne peut être qu’une guerre entre États dans laquelle les gros mangeront les petits puisque les luttes de libération nationale qui avaient semblé inverser cette tendance ne sont plus vraiment d’actualité laissant place à une désagrégation des différents blocs issus de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre froide. Pourtant ce qui caractérise les actions militaires depuis 2001, pour nous donc des opérations de police (cf. note 1) c’est ce qui a été théorisé par les experts en stratégie militaire, comme des guerres asymétriques ou dissymétriques, ce qui change la donne et pour tout le monde. Du côté des puissances et du pouvoir la désignation des ennemis n’est plus claire ; l’ennemi est-il encore extérieur ou en partie intérieur ? Le politique retrouve ici sa dimension incontournable par rapport à la dimension militaire et au rapport de force brut. C’est aussi pour cela que la position de facilité à court terme, pour l’État apparaît comme celle du tout sécuritaire.

      Mais de « notre côté » les choses ne sont pas plus claires. S’opposer directement à la guerre comme ce fut le cas encore pour le Vietnam alors que la conscription existait toujours n’était déjà plus qu’une possibilité indirecte au moment de l’intervention en Irak de forces opérationnelles spéciales. Cette possibilité est maintenant devenue très problématique dans une configuration où s’affrontent professionnels technologisés et dronés d’une part, combattants fanatisés (et bien armés aussi), d’autre part. Les « lois de la guerre » ne sont d’ailleurs plus respectées ni par les uns ni par les autres. En conséquence, pratiquer le « défaitisme révolutionnaire » s’avère sans objet ; et se réfugier dans un refus de l’unité nationale comme si c’était l’objet du problème et par ailleurs comme si cela pouvait avoir un quelconque effet pratique, relève du slogan qui devient grandiloquent et même ridicule quand il nous promet, dans le cas contraire une mort programmée (le catastrophisme encore et toujours).

      Troisièmement, il est marqué par sa confusion entre capital et capitalisme

      Pour l’auteur tout est capitaliste et donc les États et même le "proto-État" Daesh sont des États capitalistes. Il s’ensuit, entre autres, qu’aucune analyse fine des particularités de Daesh ou d’Al Qaida n’est possible puisque le tract néglige complètement le fait que ces organisations prospèrent sur le tribalisme et non pas sur le capitalisme (ça n’empêche certes pas la valeur de circuler) et qui plus est sur un tribalisme religieux, le tribalisme sunnite en conflit ouvert avec un chiisme plus centralisé et institutionnalisé sur le modèle iranien. Le même phénomène se retrouve en Libye où la mort de Kadhafi a libéré la lutte clanique. Cet éclatement des guérillas peut même être l’objet d’une véritable stratégie comme celle des « franchises » d’Al Qaida, réplique militaire des franchisés commerciaux occidentaux. Cette organisation à l’horizontale se rapprochant aussi de certaines organisations mafieuses comme à Naples, ce qui rend « la traque » plus difficile..

      Si elle revêt parfois des formes anticapitalistes ou anti-impérialistes, cette guerre de guérilla est avant tout appuyée sur trois axes, le premier religieux qui oppose révélation à raison est très éloigné des formes religieuses de l’islam intégré des pays occidentaux, le second familial et patriarcal en concordance plus étroite avec les piliers de l’Islam et enfin le troisième de type mafieux reposant sur l’accaparement de la rente, le pillage et le commerce illégal y compris l’esclavage. Il est donc inapproprié de traiter de capitalistes des organisations comme Daesh et Al Qaida alors que leur organisation et leurs perspectives sont tout autres. Il est aussi erroné de les traiter de fascistes comme le font souvent les libertaires et les gauchistes parce que le fascisme est un sous-produit du socialisme et du nationalisme alors que ces organisations n’ont justement pas de visées nationales ; elles sont même directement mondiales et s’adressent à une communauté des croyants potentiellement sans limite. Ce sont donc bien ces organisations et pas celles de la gauche radicale qui ont dépassé en pratique le cadre de référence de la nation même si ce n’est pas dans la perspective de la communauté humaine, mais dans celle aliénée de la communauté religieuse. C’est particulièrement vrai pour Al Qaida et si Daesh présente au départ une option plus territorialisée avec le projet de Califat, il semble que son orientation récente rejoigne celle de l’organisation concurrente. Au rebours de ce que prétend le tract, on peut même dire que ces organisations sont le fruit de la défaite des pouvoirs nationaux-socialistes nassériens, baasistes et kadhafistes dans la région.

      Quatrièmement, sa perspective est d’origine historique décadentiste (mais drapeau dans la poche en quelque sorte).

      Une phrase en est emblématique : « la guerre rode partout sur l’ensemble de cette planète vivant une véritable agonie ». À la limite, on peut dire que les djihadistes sont plus clairvoyants qui s’attaquent au capitalisme et particulièrement à une société capitaliste pourvoyeuse de plaisirs et fonctionnant sur un modèle hédoniste adopté par toutes les couches de la population y compris les plus défavorisées. En effet, les lieux choisis ne tiennent pas du hasard. Les lieux de divertissement sportifs, musicaux, bars ou restaurants à la mode ont été taxés de lieux « d’abominations et de perversion » par le communiqué de revendication des attentats par l’EI du le 14/11/2015. La crise avec un grand C n’est donc pas encore là quoiqu’en pense ou souhaite le tract. Les difficultés actuelles à reproduire les rapports sociaux dans leur ensemble n’empêchent pas la poursuite d’une dynamique de capitalisation dont l’un des axes est constitué par le consumérisme, festif de préférence.

      C’est malheureusement une tradition, dans l’ultragauche, que de réactiver cette tendance décadentiste qui voit du mortifère et de la misère partout, mais aujourd’hui cela s’effectue sous une forme radicalisée catastrophiste bien rendue par la phrase : « ces attentats dont ceux de Paris ne sont qu’un hors d’œuvre ». Qui écrit cela frôle le cynisme et surtout pratique la politique du pire parce qu’il n’a pas de solution de rechange. Noircir le tableau est le signe d’une désespérance du courant communiste radical.

      Cinquièmement, le spectre du prolétariat remplace la lutte des classes

      Tout d’abord la classe ouvrière est définie comme la classe « antinationale par définition ». On se demande bien qui a pu établir cette définition. Le Larousse ? Non. Marx ? Oui, mais avec plusieurs bémols. Tout d’abord Marx n’est qu’un théoricien-militant à l’épreuve de la pratique et on connaît aujourd’hui la pratique qui a mis à mal ce qui devait être l’internationalisme prolétarien resté toujours très minoritaire au sein de la classe ouvrière. Ensuite la phrase du Manifeste adorée comme une Bible pour croyant est une phrase tronquée dont le contenu complet est moins clair ou univoque. Je cite : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ôter ce qu’ils n’ont pas … Comme le prolétariat de chaque pays doit d’abord conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe dirigeante de la nation, devenir lui-même la nation [c’est nous qui soulignons], il est encore par là national ; mais ce n’est pas au sens bourgeois du mot ». Certes, Marx est encore à l’époque, imprégné de démocratisme révolutionnaire (deuxième partie de la citation) et sa perspective communiste reste lointaine même si elle est affirmée en tête de citation. C’est bien pour cela qu’il ne s’avance pas trop sur le caractère « antinational » du prolétariat. Il se laissera même parfois aller à un certain pangermanisme comme par exemple dans son opposition au slavisme de Bakounine ou dans ses prises de position au début de la guerre franco-allemande avant de comprendre l’importance de la Commune de Paris. En tout cas, s’il cède parfois à un essentialisme du prolétariat parce qu’il le pense dépositaire final de l’universalisme bourgeois (c’est sa position dans les œuvres de jeunesse), il sait aussi combien la classe ouvrière est une classe déterminée par ses conditions (c’est sa position à partir des Grundrisse). Alors pourquoi reprendre cela dans un tract répondant à un événement actuel ? La situation serait-elle plus favorable à l’expression de ce côté universel qu’au côté particulariste ? On aimerait bien mais on en doute. Le tract lui-même en doute quand il espère « le réveil du prolétariat international » sans se poser la question du pourquoi de son grand sommeil et sans se demander comment les tirs de kalachnikovs au Bataclan sonneraient ce réveil.

      Ce qui est patent mais bien évidemment dur à reconnaître pour les courants communistes radicaux, c’est que ce genre d’événements nous met tout simplement hors jeu et on peut dire celui de novembre bien plus encore que ceux de janvier. Dans cette situation que nous subissons au plus haut point, toute position « programmatique », sous condition même qu’elle puisse être fondée en principe, s’avère artificielle et velléitaire. Pour éviter qu’elle apparaisse trop décalée il faut alors se replier sur une position du type de celle prise par Erri de Luca.

      Cette intervention d’Erri de Luca est en effet cohérente avec son actuelle position démocrate et « antifa ». Il propose l’organisation d’une défense citoyenne sur le modèle de ce qui se faisait dans les quartiers de l’Italie des années 1970 pour neutraliser les fascistes même s’il s’agit cette fois de neutraliser les terroristes et ainsi d’éviter ce qu’il nomme un risque de « militarisation » excessive de l’État et donc sa droitisation extrême. Les dispositifs stratégiques imaginés par l’ancien dirigeant du service d’ordre de Lotta continua refont surface mais convertis pour un usage citoyen dans l’État de Droit de façon à nous sauver de l’État d’exception expérimenté un temps par l’État italien au cours des « années de plomb ». Sans partager ce propos, le réduire à un appel à la délation auprès de la police comme le font déjà certains, est un réflexe révolutionariste qui pense que la dénonciation est bien supérieure à la délation mais sans rien proposer d’autre qu’un mot d’ordre abstrait qui présuppose une guerre (de classe ?) entre deux ennemis, d’une part un État-policier et d’autre part des « révolutionnaires » qui le combattent. Où trouverait-on un collégien, même intoxiqué par le NPA, pour croire à cette fiction ?

      Pour conclure et répondre indirectement à une intervention d’un camarade à propos de Jaurès et du patriotisme, nous joignons ci-dessous des extraits d’une lettre adressée à quelques camarades dans le cadre des discussions préparant notre texte sur les événements de janvier.

      La phrase de Renan (« L’oubli, et je dirai même l’erreur historique, sont un facteur essentiel de la création de la nation ») date d’une conférence de 1882 et ton énoncé n’est d’ailleurs pas complet. Il convient pourtant de lire toute la phrase puisque Renan ajoute à l’oubli, l’erreur historique (c’est-à-dire finalement la nécessité d’une réécriture qui fasse une « histoire »). Une citation donc très Troisième République et une définition fort éloignée de celle de Sieyès (« la nation c’est l’association ») et autres révolutionnaires de 1789. Une définition qui s’explique par la volonté de fonder en théorie une conception de la nation qui puisse être reconnue par tous, du bourgeois jusqu’à l’ouvrier, du républicain jusqu’au royaliste. Le patriotisme originel, par exemple de « l’armée révolutionnaire » se transformera alors progressivement en religion de la patrie.

      Les propos a-historiques que profèrent les « anti-nation » de principe et particulièrement ceux venus de l’ultra-gauche ou de l’anarchie, méconnaissent et c’est un peu étonnant, le fait qu’au moins jusqu’à la Commune de Paris, nation et patrie étaient des notions révolutionnaires puis internationalistes jusque dans la Première Internationale et que l’Église, la noblesse, les franges conservatrices de la bourgeoisie ne s’en revendiquaient pas, bien au contraire. On sait que la révolution française a combattu « le parti de l’étranger », mais qu’elle a accueilli comme français tous les volontaires étrangers dans ses légions, ancêtres des brigades internationales de 1936, les staliniens en moins.

      Plutôt que de résumer ici des positions historiques de marxistes sur la nation pour en montrer les limites ou les ambiguïtés (Marx et sa citation tronquée du Manifeste, Bauer et la nation comme communauté de destin que le socialisme ne "dépassera" pas plus d’un claquement de doigt qu’il ne "dépassera" la religion, Strasser, Pannekoek et leur déterminisme mécaniste, etc.) nous renvoyons aux 100 premières pages du n°33-34-35 de la revue Ni patrie ni frontières d’Yves Coleman sur « Les pièges de l’identité nationale ». On doit pouvoir le commander ou le lire directement sur le site de NPNF et "mondialisme.org".

      Temps critiques, le 19 novembre 2015.

  • Les #commémorations ratées de l’automne allemand

    La commémoration, cet acte politique lesté d’enjeux qui comme on le sait ne sont pas que #mémoriels, peut nuire gravement à la #vérité_historique. Laissons de côté celle de 1914-1918 et tournons-nous vers nos voisins d’outre Rhin. La fièvre commémorative qu’a connue Berlin l’automne dernier vient de nous en administrer la preuve. Ce n’est pas le côté spectaculaire qui est ici en cause. Le lâcher de #ballons le long de l’ancien tracé du #Mur fut du plus bel effet. Rien à dire non plus du concert, on ne boudera jamais son plaisir à entendre une 9e symphonie bien dirigée.

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/02/les-commemorations-ratees-de-l-automne-allemand_4548539_3232.html
    #Allemagne #histoire #mur_de_Berlin