• De l’infime tremblement d’une lèvre supérieure

    Contexte : le roi et le comte de Mirabeau (23 juin 1789) à l’Assemblée nationale https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/le-roi-et-le-comte-de-mirabeau-23-juin-1789

    La décision du Tiers-État de se constituer en Assemblée nationale surprend Louis XVI et le pousse à faire fermer la salle où les députés se réunissent habituellement. Ces derniers se rendent alors au Jeu de paume où ils prêtent le célèbre serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France. Le roi convoque alors les députés le 23 juin à une séance royale durant laquelle il consent quelques concessions mais annule toutes les initiatives prises par le Tiers-État et menace même l’Assemblée de dissolution.

    Après le départ du roi, les députés sont partagés entre peur et indignation mais décident de rester, alors qu’on leur demande de quitter les lieux. C’est à ce moment-là que Mirabeau, député de Provence, surnommé « l’Orateur du peuple », prononce cette phrase historique : « nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes. »

    Passage merveilleux de Kleist à ce propos :

    Quand tu cherches à savoir une chose et que tu ne la trouves pas par la méditation, je te conseille, mon cher ami, d’en parler à la première personne venue. Il n’est pas besoin qu’elle soit douée d’une pénétration particulière et je ne veux pas dire non plus que tu doives l’interroger : point du tout ! Raconte-lui simplement de quoi il s’agit.

    Je te vois ouvrir de grands yeux et me répondre qu’on t’a appris autrefois à ne jamais parler que de choses que tu comprenais. Mais à l’époque, tu avais probablement la prétention d’instruire les autres tandis que je te demande au contraire de parler dans l’intention fort raisonnable de t’instruire toi-même – de sorte que nous pouvons admettre l’une et l’autre maximes, quoique dans des cas différents.

    L’appétit vient en mangeant, disent les Français. Cette proposition reste vraie quand on la parodie et que l’on soutient que l’idée vient en parlant. Il m’arrive souvent d’être assis à ma table, penché sur les pièces d’un procès compliqué, et de me demander par où débrouiller l’affaire. Ou de chercher, devant un problème d’algèbre, l’équation qui exprimera mes données et dont découlera ensuite un calcul simple. Si, dans ces moments-là, j’en parle à ma sœur, qui est près de moi et se livre à ses travaux d’aiguille, je trouve parfois ce qu’une rumination de plusieurs heures ne m’aurait peut-être pas livré. Non qu’elle ait formulé la solution, car elle ne connaît ni le code civil, ni les traités d’Euler et de Kästner. Ni qu’elle m’ait interrogé pour m’amener habilement au point décisif, bien que cela se soit sans doute passé ainsi plus d’une fois. Non, c’est parce que j’ai déjà une vague idée de ce que je cherche, certes encore éloignée du but, et que mon esprit, dès lors que je me décide à parler et pendant que je parle, mène à son terme la partie engagée et transforme en représentation claire l’intuition confuse du début, de sorte qu’à mon grand étonnement, j’atteins mon but au moment même où je termine ma phrase. J’y introduis des sons inarticulés, je tire des conjonctions en longueur, j’ajoute çà et là une apposition qui n’était pas nécessaire et recours à d’autres manœuvres dilatoires pour que mon idée ait le temps de se former selon les exigences de la raison. Rien ne m’est alors plus utile qu’un geste que ma sœur fait pour m’interrompre, car mon esprit déjà tendu tire de cette tentative de m’arracher la parole une excitation supplémentaire. Il réagit comme un général au milieu d’une bataille.

    Je comprends en quoi la servante été utile à Molière. (…)

    Je me souviens comment Mirabeau a foudroyé le maître des cérémonies à la fin de la dernière séance des états généraux présidée par le roi, le 23 juin [1789]. Le roi avait ordonné à l’assemblée de se disperser. Le maître des cérémonies était revenu dans la salle, où l’on s’attardait, et avait demandé si l’on avait bien entendu l’ordre du roi. « Oui », lui a répondu Mirabeau, « nous avons entendu l’ordre du roi ». Je gage qu’en commençant de cette façon courtoise, il ne sait pas encore où il veut en venir et ne pense pas à l’estocade qu’il va porter. « Oui, monsieur, nous l’avons entendu », dit-il – on voit qu’il hésite encore – « mais qu’est-ce qui vous autorise… continue-t-il, – et devant lui s’ouvre une perspective prodigieuse – … à nous donner des ordres ? Nous sommes les représentants de la nation. » Lui vient alors le mot qu’il lui fallait : « La nation donne des ordres, elle n’en reçoit pas » – puis, poussant l’audace à son comble : « Pour m’exprimer tout à fait clairement… – c’est maintenant qu’il exprime pleinement la résistance dont son âme est capable : … dites à votre roi que nous ne quitterons ces lieux qu’à la pointe des baïonnettes. » Sur quoi il s’assied, satisfait. Après cette saillie, le maître des cérémonies s’est certainement trouvé dans un état de totale banqueroute, pareil à un corps non chargé d’électricité qui est entré dans le champ d’un corps électrisé et s’est instantanément chargé de l’électricité contraire. On sait que, par un effet en retour, la charge du premier corps s’accroît d’autant. C’est ainsi que le courage de notre orateur s’est mué, quand il eut frappé son adversaire, en une extrême témérité.

    Il se peut donc que l’ordre des choses ait été renversé en France à cause de l’infime tremblement d’une lèvre supérieure ou d’un jeu de manchette ambigu. Il paraît que Mirabeau, dès que le maître des cérémonies se fut éloigné, se leva et proposa : i) que l’on se constituât immédiatement en Assemblée nationale, et ii) que celle-ci serait inviolable. Car, après cette puissante décharge, il était de nouveau dans un état neutre et, revenu de sa témérité, laissa soudain la crainte du Châtelet et la prudence prendre le dessus.

    On voit là une étrange concordance entre les phénomènes du monde physique et moral qui se vérifierait, si on la poursuivait dans les détails, dans tout ce qui s’est produit d’autre à ce moment-là. (…)

    Heinrich von Kleist, Que certaines idées nous viennent en parlant, 1805, traduit par J-F. Billeter dans Un paradigme, Allia, 2017, pp.65-68. https://www.editions-allia.com/fr/livre/618/un-paradigme

    • et tout ce beau monde légifère les réformes de l’assurance-chômage pour leurs concitoyens :
      https://contre-attaque.net/2022/10/07/macron-dynamite-le-droit-au-chomage
      mais avec un statut particulier pour leur pommes :

      L’allocation chômage pour les députés en fin de mandat

      Les députés ne peuvent bénéficier d’aucune #allocation_chômage de droit commun, car l’indemnité perçue n’est pas un salaire. Depuis le 1er janvier 2018, un fonds spécifique, financé par les députés et géré par la Caisse des Dépôts et Consignations a été mis en place. Les règles d’indemnisation son calquées sur celles du régime des salariés.

      Le député qui démissionne de son mandat est expressément exclu du champ du dispositif, de même que les députés fonctionnaires n’ayant pas démissionné de la fonction publique ou ceux ayant atteint l’âge légal de la retraite. Les anciens députés demandant à être allocataires doivent être, à la date de fin de la législature sans aucune activité professionnelle et en recherche d’emploi.

      La durée d’indemnisation ne peut être inférieure à 6 mois, ni supérieure à 24 mois lorsque l’allocataire est âgé de moins de 53 ans. Cette durée est portée à 30 mois lorsque l’ancien député a entre 53 et 55 ans lors de son entrée dans le dispositif et à 36 mois lorsqu’il a 55 ans et plus.

      L’indemnisation mensuelle est égale à 57 % du montant de l’indemnité parlementaire, soit 4 271,18 € bruts . Pour les allocataires de moins de 57 ans, un abattement de 30 % est appliqué à compter du septième mois. Cette allocation est soumise à la CSG et à la CRDS. Elle est imposable.

      Le financement de ce dispositif est assuré par une cotisation de tous les députés en exercice, égale à 1 % de l’indemnité parlementaire (soit 74,93 € par mois).

    • les 10k€ / mois d’enveloppe permettent d’embaucher jusqu’à 5 personnes pour aider le député facho.

      les 5k€ / mois d’avance de frais peuvent servir à des formations, par exemple pour les 5 employés.

      Tout ça tombe probablement dans les poches des amis du FN qui offrent formation et personnel consentant ; quelle aubaine !

    • le JDD explique l’avance de frais de mandat (AFM) :
      https://www.lejdd.fr/Politique/quest-ce-que-lavance-de-frais-de-mandat-dont-beneficient-les-deputes-4109111

      p.ex. :

      L’AFM est contrôlée par le déontologue de l’Assemblée nationale aléatoirement, de façon à ce que chaque élu soit contrôlé au moins une fois par législature. Elle est versée sur un compte dédié et la part non-utilisée est reversé en fin de mandat.

      Auparavant, les députés bénéficiaient de l’Indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), qui n’était pas contrôlée et avait donné lieu à des abus.