• Ce que révèle l’interrogatoire d’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée mis en examen pour « prise illégale d’intérêts »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/11/29/affaire-kohler-ce-que-revele-l-interrogatoire-du-secretaire-general-de-l-ely

    Selon l’AFP, les juges estiment que le bras droit d’Emmanuel Macron aurait « participé » à plusieurs délibérations concernant l’armateur MSC, avec lequel il entretient des liens familiaux.

    j’attends avec gourmandise des infos qui viendront peut-être quant aux éventuelles relations avec la camorra de MSC, boite née à Naples avant d’installer son siège en Suisse, et qui vient de racheter Bolloré Africa Logistics https://www.jeuneafrique.com/1345892/economie/diego-aponte-msc-nous-nous-inscrirons-dans-la-continuite-de-ce-qua-bat

    Dans le port de Naples opère le premier armateur d’État chinois, Cosco Group, qui possède la troisième flotte au monde et gère le plus grand terminal pour conteneurs en partenariat avec Mediterranean Shipping Company (MSC), propriétaire de la deuxième, dont le siège se trouve à Genève. Suisses et Chinois se sont associés et ont décidé d’installer à Naples la plus grande partie de leurs activités. Ils disposent de neuf cent cinquante mètres de quai, de cent trente mille mètres carrés de terminal pour les conteneurs et de trente mille mètres carrés de surface extérieure, absorbant la quasi-totalité des marchandises qui arrivent à Naples. Pour comprendre comment l’immense production chinoise peut s’appuyer sur une marche aussi petite que le port de Naples, il faut modifier l’échelle de son imagination. La métaphore biblique semble en l’occurrence appropriée : le port joue le rôle du chas d une aiguille et les bateaux celui du chameau qui passera au travers. Proues qui se heurtent, énormes bâtiments en file indienne qui attendent à l’extérieur du golfe de pouvoir entrer, chaos de poupes qui tanguent et émettent des plaintes métalliques : tôles et boulons qui pénètrent lentement dans le petit trou napolitain, un anus de mer qui s’élargit et martyrise les sphincters. Mais non, ce n’est pas cela. Aucune confusion apparente. Les bateaux entrent et sortent en bon ordre, du moins c’est l’impression qu on a en les observant depuis la terre ferme. Et pourtant cent cinquante mille conteneurs transitent chaque année par ici. Des villes entières de marchandises se dressent sur les quais avant d’être emportées ailleurs. L’atout du port est sa rapidité : la moindre lenteur bureaucratique, le moindre contrôle approfondi transformerait en paresseux, ce mammifère lent et lourd, le guépard que doit être le transport. Chaque fois que je vais sur le quai Bausan, je me perds. On dirait une construction en Lego : une immense structure qui ne semble pas avoir de place mais se la créer elle-même. Un coin du quai ressemble à un mur de nids de guêpes, des nids hybrides qui le remplissent tout entier : des milliers de prises électriques alimentant les conteneurs reefer destinés à la nourriture surgelée, dont la queue est attachée à chaque nid. Tous les bâtonnets de poisson et les surgelés Findus de la planète sont entassés dans ces conteneurs réfrigérés. Quand je vais sur le quai Bausan, j’ai le sentiment de voir l’endroit que traversent toutes les marchandises produites par l’espèce humaine. Le lieu où elles passent leur dernière nuit avant d être commercialisées. C’est comme scruter l’origine du monde. En quelques heures transitent par le port les vêtements que porteront les adolescents parisiens pendant un mois, les bâtonnets de colin qu on mangera à Brescia pendant un an, les montres qui orneront les poignets des Catalans, la soie qu’utilisera tout le textile anglais pendant une saison. Il serait intéressant de pouvoir repérer quelque part non seulement le lieu où les marchandises sont produites, mais aussi le trajet qu elles suivent pour arriver jusqu’au consommateur. Les biens ont des nationalités multiples et bâtardes. Ils naissent pour moitié dans le centre de la Chine puis sont assemblés dans quelque banlieue d Europe de l’Est. Ils sont conçus et développés dans le nord-est de l’Italie, fabriqués dans les Pouilles ou au nord de Tirana, puis se retrouvent dans quelque entrepôt européen. Les marchandises possèdent par essence un droit de libre circulation qu’aucun être humain n’aura jamais. Toutes les portions de route, tous les itinéraires officiels ou accidentels débouchent sur Naples. Quand les bateaux accostent au quai, les énormes porte-conteneurs complets (ou full-container load) ont l’air de petits animaux, mais dès qu’ils entrent dans le golfe et s’approchent lentement du quai, ils deviennent de lourds mammouths de tôle et de chaînes, aux flancs couverts de cicatrices rouillées qui dégoulinent d eau. Des bateaux sur lesquels vivent des équipages pléthoriques, imagine-t-on, et dont débarquent au contraire des groupes de petits hommes qui semblent incapables de dompter de tels monstres en plein océan. La première fois que j’ai vu un bateau chinois accoster au port, j’ai cru me trouver devant toute la production du monde. Mes yeux ne parvenaient pas à compter, à estimer le nombre de conteneurs déchargés. Je ne réussissais pas à faire le calcul. Ça peut sembler difficile à croire, pourtant je m y perdais, les chiffres étaient trop grands, ils se mélangeaient dans mon esprit. Aujourd hui, à Naples, on réceptionne presque exclusivement des marchandises provenant de Chine, un million six cent mille tonnes par an. Officiellement. Et au moins un million de tonnes supplémentaires entrent sans laisser de trace. Selon la direction des douanes, soixante pour cent des marchandises ne passent pas en douane, dans le port de Naples, vingt pour cent des factures n y sont pas contrôlées, cinquante mille cas de contrefaçon y ont été répertoriés (quatre-vingt-dix-neuf pour cent en provenance de Chine), et on estime à deux cents millions d’euros le montant des taxes non perçues chaque semestre. Les conteneurs qui doivent disparaître avant d’être inspectés se trouvent dans les premiers rangs. Chaque conteneur est dûment numéroté, mais beaucoup portent le même numéro. Ainsi celui qui est inspecté vaut-il pour tous ses homonymes illégaux. Ce qui est déchargé le lundi peut être vendu le jeudi à Modène ou à Gênes, ou bien se retrouver dans les vitrines de Bonn ou de Munich. Une grande partie des marchandises qui sont introduites sur le marché italien auraient seulement dû y transiter, mais la magie de ce passage en douane les autorise à s’y arrêter définitivement. Les biens ont une grammaire, une syntaxe pour les formalités, et d’autres pour le commerce.

    Gomorra, Roberto Saviano, 2006