• Israël : le rétrécissement des pouvoirs de la Cour suprême accroît les tensions au cœur de la société

    Le Parlement israélien a voté la loi réduisant le pouvoir de la Cour suprême, malgré un mouvement de protestation inédit. La bataille entre les deux camps concerne la nature de l’État et souligne les contradictions d’Israël.

    Gwenaelle Lenoir 25 juillet 2023 Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/international/250723/israel-le-retrecissement-des-pouvoirs-de-la-cour-supreme-accroit-les-tensi

    Le secteur de la high-tech israélien a voulu marquer le coup : il a acheté des publicités couvrant toute la surface de la « une » de quatre quotidiens israéliens. Avec une seule image : une feuille entièrement noire, et une petite ligne : « Jour noir pour la démocratie ».
    La Knesset – le Parlement – a voté lundi 23 juillet dans l’après-midi le premier volet de la révision judiciaire voulue par la coalition au pouvoir dirigée par Benyamin Nétanyahou.
    La clause de « raisonnabilité », qui permettait à la Cour suprême de casser les décisions du gouvernement, les nominations ou le renvoi de haut·es fonctionnaires, n’existe plus. Dans un pays sans Constitution, c’est un renforcement spectaculaire du pouvoir exécutif et un affaiblissement considérable de la possibilité de le contrôler.

    L’enjeu est tel qu’il fait bouillonner l’État hébreu : le 22 juillet était le 29e samedi de contestation et de manifestations contre ce projet. (...)
    La Chambre a donc confirmé son vote de première lecture : 64 pour sur 120 et 0 contre, car les 54 député·es de l’opposition avaient quitté la salle. « C’est un grand pas vers un régime illibéral comme ceux de la Pologne ou de la Hongrie, constate Menachem Klein, professeur honoraire à l’université de Bar-Ilan et ancien négociateur israélien sur la question de Jérusalem. Le régime qui gouverne Israël vient de changer de façon fondamentale. Le premier ministre a désormais un poids inédit. » (...)

    Les opposant·es continuent en tout cas à donner de la voix et à occuper carrefours et routes stratégiques. La police montée est intervenue après le vote à la Knesset. Elle a fait donner également les canons à eau, projetant un liquide pestilentiel – coutume réservée habituellement aux Palestiniens.

    L’abrogation de la clause de « raisonnabilité » n’est que la première pierre d’un édifice législatif qui vise à modifier profondément l’équilibre des pouvoirs en faveur de l’exécutif et en faveur de la faction la plus religieuse du pays. (...)

    Sylvain Cypel, contributeur du site OrientXXI, nuance le clivage entre Juifs européens et orientaux, mais confirme la division sur la nature de l’État : « La population qui soutient Nétanyahou a une conception identitaire et ethnique de l’État. Pour elle, l’ethnicité est supérieure à la citoyenneté. »
    « Mais il ne s’agit pas de défendre la démocratie. Car il ne peut pas y avoir démocratie si l’occupation continue. Or les réservistes ne remettent absolument pas en cause la guerre coloniale !
    , s’étrangle Eyal Sivan. Ces pilotes n’ont pas refusé d’aller bombarder Gaza. “Frères et sœurs d’armes” a félicité les soldats qui ont écrasé Jénine [l’opération militaire menée du 3 au 5 juillet au cours de laquelle 12 palestiniens ont été tués – ndlr]. Benny Gantz, présenté comme le chantre de l’opposition à Nétanyahou, est le général qui promettait de “ramener Gaza à l’âge de pierre” en 2014 ! » Orly Noi, militante féministe et présidente de l’organisation de défense des droits humains Btselem, écrit de son côté : « Ceux qui souhaitent lutter pour une véritable démocratie doivent abandonner le narcissisme juif-israélien qui nous empêche d’ouvrir les yeux sur les endroits où Israël piétine non seulement l’idée de démocratie, mais l’idée même de ce que signifie être humain, et commencer notre lutte à partir de là. »

    L’occupation n’est présente qu’en marge, sur quelques banderoles minoritaires, clamant « Les colonies déchirent Israël » et « Nous ne tuerons pas et nous ne mourrons pas pour les colonies ». Elle n’est pas étrangère, pourtant, au mouvement des réservistes, en particulier des pilotes. « Si Israël n’est plus perçu comme une démocratie libérale, les pilotes d’avions de chasse, qui sont souvent réservistes et donc aussi pilotes commerciaux, risquent de se retrouver un jour arrêtés à l’étranger pour crimes de guerre », analyse Sylvain Cypel.

    Dans cette bataille qui interroge jusqu’aux démocrates américains, il y a de grands absents : les Palestiniens et Palestiniennes possédant la citoyenneté israélienne, soit 20 % de la population de l’État hébreu. Aucune association, aucun parti politique les représentant ne participe au mouvement de protestation.
    La défense des prérogatives de la Cour suprême ? Jamais, rappellent-ils, elle n’a remis en cause une détention administrative, peine sans procès ni jugement, infligée couramment aux Palestiniens. Jamais elle n’a condamné le refus de remettre les corps des Palestiniens tués à leurs familles. « C’est un instrument de notre oppression, s’insurge Majd Kayyal, écrivain, Palestinien de Haïfa. Toute cette histoire est un conflit entre deux groupes pour dominer l’État qui vole nos terres et nous réprime, qui fait le siège de Gaza depuis 15 ans, qui tue des femmes, des hommes et des enfants. » (...)