• Atos : on brade opaque | Mediapart | 23.08.23

    https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/230823/vente-d-atos-au-milliardaire-kretinsky-les-germes-d-un-scandale

    « Kretinsky agit toujours de la même manière : la logique de ses deals est de récupérer un actif dévalorisé et de se faire de l’argent dessus. L’argent, vous le gagnez au départ dans ce type d’opération. Mais même s’il récupère les activités historiques pour rien, je ne vois pas comment il va faire. Comment, avec le même management, des milliers de salariés dans le monde, des restructurations à mener, des centaines de millions à investir, un redressement qui va demander peut-être des années, va-t-il pouvoir s’enrichir ? Quel est l’intérêt pour lui ? Pour l’entreprise ? », s’interroge un ancien dirigeant d’Atos.

    « Il y a quelques “détails” que la direction d’Atos n’a pas communiqués au marché en annonçant la reprise par Kretinsky. Dans les négociations, celui-ci demande qu’Atos lui paie les frais de restructuration des activités historiques. Elles étaient évaluées à 800 millions dans le plan présenté en 2022. Même si l’entreprise commence à se redresser, Kretinsky demande cette somme. Et comme Atos n’a pas d’argent, l’essentiel de son augmentation de capital, qui va être supérieure à sa capitalisation boursière actuelle, risque de servir à payer Kretinsky. Il ne restera rien pour développer la partie conservée », nous signalait un connaisseur du dossier quelques jours après l’annonce de la reprise.

    Cette somme de 800 millions d’euros nous a été donnée par des salariés et d’anciens salariés d’Atos, des investisseurs, des banquiers, des conseils. Des analystes la mentionnent noir sur blanc. Dès lors, quel est l’intérêt du groupe de vendre une partie de ses actifs pour quasiment rien et même de payer pour leur reprise, alors qu’il est tellement à court d’argent qu’il lui a fallu vendre dans l’urgence EcoAct, sa filiale spécialisée dans la décarbonation et présentée jusque-là comme stratégique, s’interrogent les uns et les autres.

    • La direction d’Atos reconnaît néanmoins qu’« elle s’est engagée à céder la société avec un besoin en fonds de roulement (BFR) “normalisé” qui lui permette de fonctionner ». Cela va-t-il amener Atos à verser des fonds supplémentaires à EP Equity pour atteindre ce niveau « normalisé » dont on ignore tout de la définition ? Mystère.

      Rarement en tout cas entreprise aura autant communiqué sur son BFR. Même en prenant en compte son affacturage, ses dettes auprès des fournisseurs, ses avances clients, elle affiche des besoins de financement de plus de 800 millions hors de proportion avec son activité.

      « C’est une situation totalement inexplicable. Si on compare par rapport à ses concurrents qui exercent la même activité, ceux-ci ont des besoins dix fois moindres, ils sont même souvent en situation excédentaire. Comment se fait-il qu’Atos en soit arrivé à ce point-là ? On a le sentiment qu’ils ont voulu comptabiliser autre chose dedans », dit un ancien responsable d’Atos.

      Pour avoir regardé le dossier au printemps, un investisseur d’un grand fonds partage la même impression. « Il y a des postes de dépenses qui ne sont pas à la bonne place », commente-t-il sobrement. Le fonds a décidé de fermer le dossier au bout de deux jours.

    • « Ils n’avaient pas le choix. Il n’y avait pas d’autre offre », raconte un proche du dossier, en défense d’un conseil souvent critiqué pour sa passivité. « Il n’y avait pas d’autre offre », répète de son côté la direction d’Atos.

      Les prétendants, pourtant, n’ont pas manqué. Mais aucun n’a été jugé digne de se présenter.

      En septembre 2022, le français One Point approche la direction en lui faisant une offre de 4,2 milliards d’euros pour reprendre le groupe et ses 110 000 salarié·es. Bertrand Meunier lui oppose une fin de non-recevoir. En janvier, c’est Airbus qui à son tour se présente et propose de prendre une participation de 29, 9 % dans Eviden. Mais là encore, cette candidature ne plaît pas. Selon la rumeur, le ministère de la défense la jugerait « trop allemande », la branche défense du groupe aéronautique étant traditionnellement dirigée par un responsable allemand. « Tout a été fait pour les dissuader de déposer une offre. Du coup, Guillaume Faury [président d’Airbus – ndlr] a fait marche arrière », raconte un conseiller de l’ombre d’Airbus.

      Interrogé, le ministère de la défense assure aujourd’hui « ne pas avoir dissuadé Airbus. En lien avec Bercy, Airbus a été informé que des mesures de protection des actifs stratégiques d’Eviden seraient mises en place, comme dans toutes les opérations de ce type ». De son côté, le ministère des finances rappelle qu’il n’est pas actionnaire d’Atos, n’est pas présent au conseil d’administration, mais est juste susceptible d’avoir un droit de regard dans le cas d’investissements étrangers.

      Après Airbus, c’est un consortium emmené par la société Astek, une SSII (société de service en ingénierie informatique) dirigée par Julien Gavaldon et Chapvision, un éditeur de logiciels de données, qui tente de présenter une candidature. Le projet vise à sécuriser les actifs stratégiques d’Atos. Mais là encore, il ne verra jamais le jour. Le monde parisien se gausse de cette initative emmenée par « une grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ». « Toutes les demandes qui auraient permis de présenter une offre au conseil d’Atos et aux ministères n’ont étonnamment jamais abouti », raconte un responsable d’Astek.

      « Il est faux de dire que Bercy s’est désintéressé du sujet. Les équipes ont cherché à monter une offre de reprise. Ils espéraient pouvoir faire des annonces au Salon du Bourget. Mais cela n’a pas pu se faire. Il manquait un chef de file solide, Thales refusant de s’engager », assure aujourd’hui un connaisseur du dossier. « Bruno Le Maire, poursuit-il en défense du ministre des finances, a compris que le temps des opérations financières comme dans les années 1990 était révolu. Je ne suis pas sûr que l’Élysée en soit arrivé à la même prise de conscience. »