Au Sénat, la crise politique couve autour du projet de loi « immigration »

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  • Au Sénat, la crise politique couve autour du projet de loi « immigration »
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    Au Sénat, la crise politique couve autour du projet de loi « immigration »
    Par Mariama Darame et Julia Pascual
    Le projet de loi « immigration » peut-il déboucher sur une crise politique ? Derrière les déclarations de principes, c’est le scénario redouté par une partie de l’exécutif et des parlementaires.
    Ajourné à maintes reprises depuis son annonce à l’été 2022, l’examen du texte porté par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, démarre en séance publique, lundi 6 novembre, au Sénat. Sans que personne ne sache s’il trouvera un point d’atterrissage à l’issue des débats, qui doivent durer jusqu’au 14 novembre, jour du vote solennel. « Il y a un compromis politique à trouver », a déclaré M. Darmanin, le 5 novembre sur France 2. Convaincu qu’une « voie de passage » existe, il s’est déclaré « opposé » au recours à l’article 49.3 de la Constitution, qui permet de faire adopter un texte sans vote.
    Ce texte – qui sera la seconde loi portant sur l’immigration sous la présidence d’Emmanuel Macron, soucieux de répondre à ce qu’il considère être une attente des Français – a été présenté par l’exécutif comme tenant d’un équilibre entre une jambe droite et une jambe gauche. Au titre de la première, il prévoit de faire sauter des protections à l’éloignement, en particulier celles applicables aux étrangers arrivés en France avant l’âge de 13 ans, y résidant depuis plus de vingt ans ou depuis plus de dix ans et étant conjoints ou parents de Français. Il entend aussi accélérer l’instruction des demandes d’asile, simplifier le contentieux administratif en droit des étrangers ou encore conditionner l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un niveau minimal de français. Sa jambe gauche repose, elle, sur deux mesures principales : la simplification des régularisations des travailleurs sans papiers et l’autorisation de travailler pour certains demandeurs d’asile. (...)A droite, où l’on défend désormais une réforme de la Constitution et une remise en cause des traités européens, ce texte est vu comme « une synthèse des contraires ». « On ne peut pas à la fois vouloir expulser plus tout en régularisant massivement des clandestins », clame Bruno Retailleau, le président du groupe LR au
    A gauche, le discours offensif du ministre de l’intérieur au lendemain de l’attentat d’Arras, au cours duquel un jeune homme originaire du Caucase russe ayant grandi en France a tué un professeur et blessé trois autres personnes, a achevé de convaincre que l’équilibre du texte initial était un « leurre ». « Depuis Arras, M. Darmanin instrumentalise le texte “immigration” en prétendant que, s’il avait été adopté, l’attentat ne se serait pas produit. Il se fabrique une protection à l’encontre de toute mise en cause de sa responsabilité. Or il n’a pas eu le courage de dire que le risque zéro n’existe pas », estime la sénatrice socialiste de Paris Marie-Pierre de La Gontrie.
    Si M. Darmanin a toujours assumé vouloir faire voter son texte grâce à l’appui des parlementaires de LR, il se retrouve aujourd’hui face à une droite qui rechigne à sceller un accord sur une thématique devenue l’un de ses seuls marqueurs de différenciation, après son soutien en dent de scie sur la réforme des retraites et à quelques mois des élections européennes où elle redoute la concurrence de l’extrême droite. D’autant qu’une grande partie des élus de LR vouent une hostilité grandissante au ministre de l’intérieur, perçu comme un concurrent pour l’échéance présidentielle de 2027.
    Résultat : M. Darmanin a beau se dire chaque jour davantage ouvert au « compromis » avec la droite, cette dernière n’a cessé de faire monter les enchères sans jamais se satisfaire des concessions accordées. « On risque de revivre le scénario de la réforme des retraites : tout donner aux LR pour n’avoir aucune voix en retour », s’inquiète le président du groupe macroniste au Sénat, François Patriat. A la veille des débats au Palais du Luxembourg, le président de la République, Emmanuel Macron, a fait savoir aux chefs de parti dans un courrier, dimanche, son intention d’aborder avec eux, lors d’une nouvelle rencontre à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 17 novembre, l’élargissement du champ du référendum aux « questions sociétales », dont les enjeux migratoires. Une demande de modification de l’article 11 de la Constitution formulée par LR et par le Rassemblement national. (...) La droite fait pour sa part du maintien de l’article 3 du projet de loi « immigration » – simplifiant la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers qui peinent à recruter – une ligne rouge. Aujourd’hui, cette régularisation relève d’une mesure exceptionnelle laissée à la discrétion des préfets. Des critères d’appréciation leur sont indiqués dans une circulaire ministérielle de 2012, qui permet de régulariser autour de 7 000 salariés chaque année. Ces derniers doivent par exemple prouver trois années de présence sur le territoire français, fournir vingt-quatre fiches de paie attestant de leur activité professionnelle et leur employeur doit signer une promesse d’embauche.L’article 3 simplifie le dispositif et permettrait à un travailleur d’être régularisé de plein droit dès lors qu’il cumule trois ans de présence en France et huit fiches de paie, sans être nécessairement accompagné par son patron. Le ministère de l’intérieur défend la fin d’une forme d’« esclavage moderne », la droite y voit la porte ouverte à une régularisation massive. « C’est un chiffon rouge qui est là simplement pour séduire l’aile gauche [de la majorité] mais qui est une brèche qui va ruiner tous les autres efforts faits sur ce texte », martèle Bruno Retailleau. L’article 3 est devenu un totem politique. LR jure qu’il ne votera pas le texte s’il est maintenu, tandis que, s’il est retiré, c’est l’aile gauche de la Macronie qui menace de bloquer l’adoption de la loi.
    En attendant, tout à son souhait de voir aboutir un vote, l’exécutif a laissé la commission des lois du Sénat – dominée par la droite et le centre – muscler considérablement le volet répressif du texte début mars. Ce dernier est ainsi passé de vingt-sept à quarante-huit articles. Quelque soixante-dix amendements ont notamment été adoptés qui prévoient la suppression de l’aide médicale d’Etat – un panier de soins pour les sans-papiers – au profit d’une « aide médicale d’urgence », la restriction des conditions d’acquisition de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers, le resserrement des critères du regroupement familial ou encore de l’accès au titre « étranger malade ». Une transformation à laquelle souscrit largement l’exécutif. L’examen en séance publique devrait être à nouveau l’occasion pour la majorité de droite et du centre de redessiner le texte à son image. Les quelque 640 amendements déposés par les sénateurs augurent de débats intenses et le projet de loi pourrait tripler de volume à l’issue des discussions au Palais du Luxembourg. Mais l’inconnue autour du devenir de l’article 3 reste entière. Le gouvernement s’est dit plusieurs fois prêt à sa réécriture, pour amoindrir sa portée. En somme : plutôt que de prévoir une régularisation de plein droit, une circulaire serait créée, qui laisserait aux préfets leur entier pouvoir discrétionnaire en matière d’admission exceptionnelle au séjour.
    Une solution moins-disante qui a le mérite de séduire une partie de la majorité sénatoriale, sans trop heurter l’aile gauche de la Macronie, attachée à une inscription de la mesure dans la loi. Le président du groupe centriste au Sénat, Hervé Marseille, a d’ailleurs déposé un amendement en ce sens, qualifié, Place Beauvau, de « compromis acceptable ».
    Mais, dans le même temps, Bruno Retailleau a déposé, lui, un amendement de suppression. « S’ils assouplissent les conditions de la régularisation, ça ne passera pas non plus pour nous », prévient-il. De quoi faire voler en éclat la majorité sénatoriale ?« A l’heure présente, il n’y a pas d’accord sur l’article 3, souligne Philippe Bonnecarrère. Il n’y a pas d’accord entre le Sénat et le gouvernement. Il n’y a pas d’accord au niveau de la majorité sénatoriale. » « Les prochaines quarante-huit heures vont être décisives », abonde Hervé Marseille. Le gouvernement pourrait également renvoyer la discussion des articles 3 et 4 – ce dernier vise à exempter certains demandeurs d’asile d’une période de carence de six mois avant de travailler – à la fin de la semaine afin de mener d’ultimes négociations avec le chef de file de la droite sénatoriale, M. Retailleau.
    Dans ce contexte, la possibilité que le projet de loi, durci dans sa quasi-totalité par les amendements des LR et des centristes soit finalement rejeté par une alliance de circonstance entre la droite et la gauche n’est pas négligeable. « Ce serait quand même par principe un échec du gouvernement, mais ce serait aussi un échec du Sénat », s’alarme le président (LR) de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, dont le rapport, en mai 2022, a servi d’inspiration au texte « immigration ».
    A mots couverts, des élus centristes et de droite pointent du doigt la démarche « jusqu’au-boutiste » de M. Retailleau, qui pourrait ébranler dans son sillage l’alliance entre la droite et les centristes au Sénat, et par là même fragiliser la position de son président (LR), Gérard Larcher. Ce dernier s’inquiète de débats qui mettraient en scène les divisions de sa majorité et, au-delà, d’une forme d’instabilité institutionnelle générée par l’absence de texte au Sénat, en miroir d’une Assemblée nationale dépourvue de majorité absolue.

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