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  • Projet de loi « immigration » : le Sénat durcit le droit du sol
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    Projet de loi « immigration » : le Sénat durcit le droit du sol
    Les sénateurs ont supprimé, mercredi, l’automaticité de l’accès à la nationalité à leur majorité pour les jeunes nés en France de parents étrangers. Elus de gauche, associations et syndicats dénoncent une « rupture avec la tradition républicaine ».
    Par Julia Pascual
    C’est une disposition que le gouvernement n’avait pas pensée dans la première mouture de son projet de loi sur l’immigration, mais qu’il n’a pas combattue sur le fond devant le Sénat, mercredi 8 novembre. Dominé par la droite et le centre, le Palais du Luxembourg a finalement entériné une modification substantielle du droit du sol, introduite en commission des lois quelques mois plus tôt. Aujourd’hui, les jeunes nés en France de parents étrangers obtiennent de façon automatique la nationalité française à leur majorité. Ce droit du sol suppose seulement que le jeune réside en France, et découle d’une conception républicaine de la nationalité fondée sur la « socialisation plus que sur une donnée ethnique », soulignait l’historien Patrick Weil dans un rapport au gouvernement, en 1997, sur les législations de la nationalité.
    Le Sénat a voté, mercredi, la suppression de cette automaticité, en exigeant des jeunes qu’ils demandent à devenir Français pour être naturalisés. « Tout enfant né en France de parents étrangers peut, à partir de l’âge de 16 ans et jusqu’à l’âge de 18 ans, acquérir la nationalité française à condition qu’il en manifeste la volonté », ont adopté les sénateurs, sur proposition de la sénatrice (Les Républicains, LR) des Bouches-du-Rhône, Valérie Boyer. Et ils ajoutent qu’un jeune ne peut acquérir la nationalité « s’il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement ».De quoi faire bondir de nombreuses associations et des syndicats – tels que SOS-Racisme, la Ligue des droits de l’homme, l’UNSA, la CFDT ou la CGT – qui s’étaient, dans un courrier adressé à la première ministre, Elisabeth Borne, le 5 novembre, inquiétés d’un « degré de restriction du bénéfice du droit du sol inconnu depuis le régime instauré en… 1804 », année de promulgation du code civil par Napoléon Bonaparte.
    « L’accès a la nationalité favorise l’immigration », a défendu Valérie Boyer, mercredi en séance, tandis que le sénateur (Reconquête !) des Bouches-du-Rhône Stéphane Ravier a fustigé un droit du sol « stupide » et estimé, à propos des étrangers naturalisés, qu’« un veau qui naît dans une écurie ne fera jamais de lui un cheval » – des propos xénophobes qui lui ont valu un rappel au règlement.
    En 2021, 130 000 personnes ont obtenu la nationalité française. « Les acquisitions de nationalité par déclaration anticipée et sans formalités, qui concernent des mineurs étrangers nés en France de parents étrangers, représentaient 26,9 % du total, précisait la commission des lois du Sénat dans son rapport sur le texte. Ces conditions d’accès à la nationalité pour des mineurs, relativement favorables, peuvent potentiellement renforcer l’attractivité du territoire français ». C’est donc pour lutter contre un éventuel appel d’air que les sénateurs se sont attelés à restreindre le droit du sol.
    Dans l’Hémicycle, mercredi, la gauche s’est émue que le gouvernement n’ait pas déposé d’amendement de suppression du nouvel article. Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a toutefois déclaré qu’il n’a « rien à faire dans la loi », estimant que la modification du code civil qu’il implique sera considérée comme un cavalier législatif par le Conseil constitutionnel. M. Darmanin ne s’est du reste pas exprimé sur le fond des dispositions, se contentant de soutenir les amendements de suppression portés par la gauche – mais rejetés sans surprise par la majorité sénatoriale.
    Les sénateurs LR « ont tort » de modifier le code de la nationalité, expliquait-on il y a quelques semaines Place Beauvau. « Gérald Darmanin a dit à Bruno Retailleau [président du groupe LR au Sénat] qu’il devrait plutôt éviter le débat, car on peut avoir un débat sur le sujet au Sénat mais, à l’Assemblée nationale, il y a 88 députés RN », soulignait l’entourage du ministre.
    Aujourd’hui, les plus nombreux à bénéficier des naturalisations sont les ressortissants du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et du Royaume-Uni. Selon les données du ministère de l’intérieur, la France dispose d’un taux de naturalisation (1,7 %) de sa population étrangère légèrement inférieur à la moyenne européenne (2,0 %).
    L’automaticité de la naturalisation des enfants nés sur le sol français avait été écornée une première fois entre 1993 et 1998. Pendant cette période, le jeune né en France devait manifester sa volonté d’acquérir la nationalité à partir de l’âge de 16 ans et jusqu’à ses 21 ans.Sous le gouvernement du socialiste Lionel Jospin, le législateur est revenu au régime de l’automaticité. Pour cause : dans son rapport de 1997, Patrick Weil notait que le principe de la manifestation de la volonté « se heurte dans son application concrète à divers obstacles qui peuvent provenir du milieu social d’origine (pressions, méconnaissance des règles, rejet des démarches administratives) ou des conditions variables d’octroi de la nationalité selon les zones géographiques ». De sorte que des jeunes pouvaient demeurer étrangers sans le vouloir, ni même le savoir – parce qu’ils se croient déjà Français.
    La modification votée au Sénat mercredi toucherait « les publics les plus fragiles et les plus éloignés des institutions », s’inquiètent les organisations signataires du courrier à Elisabeth Borne. Pour Patrick Weil, ce serait une « régression énorme ».

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