« A un référendum sur l’immigration, la réponse ne peut être que populiste »

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  • Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits : « A un référendum sur l’immigration, la réponse ne peut être que populiste »
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    acques Toubon, ancien Défenseur des droits : « A un référendum sur l’immigration, la réponse ne peut être que populiste »
    Dans un entretien au « Monde », l’ancien ministre de la justice de Jacques Chirac et ex-Défenseur des droits s’élève contre l’idée d’étendre le champ du référendum aux questions de société, proposée par la droite et reprise par Emmanuel Macron.
    Propos recueillis par Nathalie Segaunes
    A la veille d’une nouvelle rencontre d’Emmanuel Macron à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) avec des chefs de parti, la première ministre et les présidents des deux assemblées, lors de laquelle doit être discuté « l’élargissement du champ du référendum afin de permettre à nos concitoyens de se prononcer sur les grandes questions », selon l’Elysée, l’ancien ministre de la justice de Jacques Chirac et ancien Défenseur des droits Jacques Toubon appelle le pouvoir exécutif « à ne pas déraper » en « ouvrant les vannes ».
    Emmanuel Macron réunit à nouveau, vendredi 17 novembre, à Saint-Denis, plusieurs chefs des partis politiques représentés au Parlement. Que vous inspirent ces rencontres de Saint-Denis ?
    Elles ont un caractère ambigu : elles ont à la fois un caractère privé, fermé, qui normalement permet de tout dire, et un caractère public, puisqu’elles ont lieu pour pouvoir ensuite en parler. Le véritable problème qui est posé, c’est de réunir les représentants des partis politiques. Qui y a-t-il encore aujourd’hui dans les partis ? On voit bien, sur l’ensemble de l’échiquier, qu’ils sont réduits à leur plus simple expression. Les structures politiques sont faibles et les personnes qui parlent au nom de ces structures ne sont pas éminentes. Je crois que la difficulté dans la vie politique française, c’est cette sorte d’évanescence institutionnelle.
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    Si les « représentants » ne représentent plus, n’est-il pas logique de recourir au référendum sur les questions de société, comme le propose le président de la République ?
    Non, car ce serait le dérapage incontrôlé. A l’heure actuelle, la Constitution permet de recourir au référendum dans des conditions strictes, bien encadrées par les articles 11 et 89, mais qui ne peuvent pas porter sur les questions de société. Faute d’avoir des gens capables d’exprimer ce que les Français veulent, on propose de leur demander : « Est-ce que vous préférez les tomates rouges ou les tomates vertes ? » Mais si on ouvre aux questions de société, on change de régime politique. On voit bien que le pouvoir du Parlement, et de manière générale des corps intermédiaires, y compris des élus locaux, va être annihilé par ces capacités qu’il y aura de recourir au référendum sur tous les sujets.
    La deuxième conséquence, c’est que sur ce type de question, la réponse ne peut être que populiste. Elle va être constituée par un mouvement d’opinion, qui va se traduire par un vote majoritaire à l’occasion du référendum. C’est une position « oui ou non », « Est-ce que vous êtes pour ou contre ? ». Ce que réclame Eric Ciotti [président du parti Les Républicains] aujourd’hui, ce n’est pas un référendum demandant : « Approuvez-vous le projet de loi sur l’immigration ? », mais un référendum demandant : « Est-ce que vous êtes pour ou contre l’entrée des étrangers en France ? » Mais quand on ouvre le référendum dans ces conditions, que se passe-t-il après, si les Français répondent « contre » ?
    Supposons que demain, on ait un référendum dont la question serait : « Faut-il supprimer le droit d’asile ? » Si la réponse est oui, que fait-on, on sort de toutes les conventions internationales, de tous les échanges ? On ne tient pas compte des prescriptions de la convention de Genève, de Strasbourg, de Luxembourg, et on fait la France forteresse, comme certains veulent faire l’Europe forteresse ? Et imaginons qu’on ne passe pas aux actes ensuite : on va créer encore plus de défiance, de la frustration, et la frustration est un puissant moteur de révolte.
    Le chef de l’Etat juge nécessaire de redonner la parole aux Français entre deux élections présidentielles…
    On va avoir une opinion qui se sera exprimée, le peuple considérera « j’ai dit ce que j’avais à dire », mais les institutions ne pourront rien faire. Et si une majorité de Français est favorable à ce qu’on revienne sur l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse, que fait le président de la République ? Que font les institutions ? Que font les médecins ? Idem avec l’aide médicale d’Etat [AME]. Imaginons que les Français disent, par référendum, qu’il faut la supprimer. Moi, docteur Durand, je vais continuer à pratiquer l’AME. Que va-t-il m’arriver ? Je vais passer devant le conseil de l’ordre ? Devant le tribunal administratif ? On voit bien qu’il y a là l’organisation d’une sorte de chaos, ou pour le moins d’une incertitude institutionnelle, qui n’est pas possible. Il faut maintenir les dispositions actuelles sur le référendum.
    Vous êtes donc contre l’élargissement du champ du référendum aux questions de société ?
    Bien sûr. Si on lâche, quelqu’un proposera un jour qu’on puisse faire des référendums sur la politique étrangère. Et on aura demain une question comme « Etes-vous pour Gaza ? » ou « Etes-vous pour Israël ? » A partir du moment où on ouvre les vannes, on peut faire un référendum sur la force de frappe : « Faut-il supprimer l’arme nucléaire ? » Les questions climatiques, écologiques, peuvent également être envisagées avec les conséquences les plus extravagantes. Il ne faut pas déraper.
    Oui, et je pense que mon ancienne famille politique se trompe. Aujourd’hui, sur l’immigration, il faut mettre en place, par les débats parlementaires entre les deux Chambres, une loi qui soit conforme à nos principes. Je pense d’ailleurs qu’il y a un certain nombre de dispositions, ajoutées dans le projet de loi sur l’immigration, qui ne passeront pas au Conseil constitutionnel. La suppression de l’AME, par exemple : il y a un droit fondamental à la santé dans notre pays. On dit que l’AME attire les gens dans notre pays et coûte la peau du dos. Les deux points sont faux. Mais sur ces bases-là, hardi petit ! on propose de la supprimer ! C’est le type même de l’irresponsabilité. Ou bien on laisse le populisme triompher dans notre pays ou bien on s’en tient à ce que la Constitution prévoit en matière de référendum.
    Si Macron dit vendredi « nous ouvrons le référendum aux questions de société », la question sera encore débattue dans trois ans, au moment de l’élection présidentielle. On ne sera pas passé aux actes. Et si on fait l’élection présidentielle là-dessus, il est clair qu’on donne une prime massive aux populistes.
    On reproche à Emmanuel Macron de tout décider seul depuis 2017. Le référendum n’est-il pas une réponse à la concentration du pouvoir ?
    Non, faisons plutôt fonctionner le Parlement. Si l’institution parlementaire fonctionne, les partis politiques reprendront du poil de la bête, parce que c’est leur boulot : ils désignent des candidats pour avoir des élus. Soyons lucides, réfléchissons : quelles sont les conséquences de ces positions, très séduisantes, que prendra peut-être le président ? Etre populaire, au détriment des institutions, au détriment de la représentation politique, est-ce que c’est bien ? Est-ce que ce n’est pas une popularité qui risque de se retourner contre l’intérêt général ? Quand on aboutit, par le biais du référendum, à une réponse qui est complètement contraire à l’intérêt général, au bon sens, on ne passe jamais à l’acte. On l’a vu en 2005 avec le traité européen. Le référendum peut être utilisé comme l’outil de l’irresponsabilité politique. Or, ce dont on a besoin aujourd’hui, c’est de davantage de responsabilité et de sagesse. J’espère que vendredi, le président de la République remettra l’église au milieu du village et la mairie au cœur de la ville.

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