A la source de la tribune pour Depardieu, un comédien proche des sphères identitaires et réactionnaires
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Yannis Ezziadi, comédien peu connu, est un proche de Sarah Knafo, la conseillère et compagne d’Eric Zemmour. Il relaie la peur, répandue à l’extrême droite, de voir les « “Français de souche” culturellement menacés par un islam d’atmosphère ».
« Les hommes ont peur d’avoir des plaintes contre eux quand bien même ils n’auraient rien fait. » C’est avec ces mots de justification que Yannis Ezziadi a jailli d’un coup, sur les plateaux de télévision, au lendemain de Noël, pour expliquer pourquoi il avait pris la plume pour défendre Gérard Depardieu. Ce qu’on ignorait, c’est que ce comédien, qui a entraîné derrière lui une cinquantaine de signatures, grands noms français du septième art ou du spectacle, a frayé avec Eric Zemmour durant sa campagne présidentielle.
Trois jours après la parution de sa tribune dans Le Figaro, Yannis Ezziadi a supprimé son compte Instagram, sur lequel il aimait s’afficher auprès de personnalités culturelles et médiatiques. Et signale au Monde qu’il « préfère arrêter de parler ».
Son aventure est comme un précipité de l’époque. D’ordinaire, le comédien de 32 ans était aperçu dans les fauteuils des cérémonies des Molières ou sur les chaînes du groupe Bolloré : sa défense de la corrida lui a valu plusieurs invitations sur CNews ou « Touche pas à mon poste ! », le talk-show de Cyril Hanouna. Mais le 26 décembre, c’est sur la chaîne BFM-TV qu’il justifiait la tribune écrite par ses soins et publiée la veille : un plaidoyer intitulé « N’effacez pas Depardieu », allusion à la « cancel culture » américaine.
Ami de Michel Fau et de Jean-Marie Besset, deux personnalités du théâtre français, Yannis Ezziadi vient en réalité de réaliser l’une des plus formidables opérations de séduction de la sphère réactionnaire au sein du monde de la culture, un bastion traditionnellement à gauche. Car cet homme, qui a réuni sur son nom des pointures du cinéma français, du théâtre et du spectacle, comme le réalisateur Bertrand Blier, les actrices Nathalie Baye, Carole Bouquet et Charlotte Rampling, les acteurs Benoît Poelvoorde, Jacques Weber et Pierre Richard, les chanteurs Roberto Alagna, Carla Bruni et Jacques Dutronc, est un proche de Sarah Knafo, la principale conseillère de l’ex-candidat à l’élection présidentielle Eric Zemmour. « Un excellent garçon », commente celle qui est aussi la compagne du polémiste maurrassien.
Soutien de Renaud Camus et Gabriel Matzneff
Le 27 mars 2022, Yannis Ezziadi participait à la réception organisée pour les « happy few » de la campagne d’Eric Zemmour sous le pont Alexandre-III, à l’issue de son meeting final au Trocadéro, à Paris. C’est ce fameux jour que les partisans du candidat d’extrême droite avaient rempli l’immense place face à la tour Eiffel et hurlé « Macron, assassin ! », sans émouvoir M. Zemmour, lequel affirmait n’avoir pas entendu. Le comédien n’a joué aucun rôle dans la campagne, précise Sarah Knafo. Le sympathisant a, en revanche, longuement interrogé Eric Zemmour sur le thème de la culture : un entretien publié la veille du meeting dans le mensuel réactionnaire Causeur.
Yannis Ezziadi a réalisé, en juin 2022, pour le même magazine, un reportage à Nangis, en Seine-et-Marne, où il décrivait une petite ville transformée par sa minorité musulmane. Il y interrogeait « des “Français de souche” culturellement menacés par un islam d’atmosphère qui les étouffe », écrivait-il, plus tard, dans Le Figaro Vox, où il a assuré le service après-vente de son reportage, comme chez son ami André Bercoff (Sud Radio) ou chez Jean-Marc Morandini (CNews).
Parmi les signataires de la pétition, certains ont apposé leur nom en connaissance de cause : ainsi de l’architecte Rudy Ricciotti, ami du comédien et grand défenseur de la corrida, et se revendiquant d’une « gauche réac’ », ou l’influenceuse Afida Turner, avec qui le jeune homme apparaissait hilare lors d’une soirée, en octobre, chez la patronne de Causeur, Elisabeth Lévy – la vidéo d’Afida Turner avait fait les délices des réseaux sociaux. Certains signataires ont été contactés par le biais d’autres personnes, comme Julie Depardieu, une partenaire sur les planches, ou Carole Bouquet. C’est le cas de l’ancien directeur de la Cinémathèque française, Serge Toubiana, qui ignorait tout de Yannis Ezziani, lequel l’a toutefois contacté a posteriori pour confirmer sa signature.
Sur son compte Facebook, le comédien signale simplement un article rédigé pour Causeur où il expliquait qu’il était un « dieudonniste repenti ». Sa pétition est une victoire idéologique symbolique dans la croisade culturelle chère à l’extrême droite. Voilà déjà trois jours, en effet, que la tribune sature l’espace médiatique. Et que cinquante noms de la culture française ont souscrit au texte d’un militant qui déplore que les écrivains Renaud Camus – qui a popularisé la théorie raciste et complotiste du « grand remplacement » – ou Gabriel Matzneff – accusé de viol sur mineures – fassent l’objet de « mépris », et pour qui « grand nombre des institutions culturelles » sont « complètement dévoyées (…) par le wokisme et la déconstruction ».