De Salfit à Hébron, la terre des paysans palestiniens est devenue un enfer

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  • De Salfit à Hébron, la terre des paysans palestiniens est devenue un enfer
    Rachida El Azzouzi | 29 décembre 2023 | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/international/291223/de-salfit-hebron-la-terre-des-paysans-palestiniens-est-devenue-un-enfer

    Régions de Bethléem, Hébron, Salfit (Cisjordanie occupée).– « Si tu n’avais pas été là, avec ta carte de presse officielle, ils nous auraient tabassés ou tiré dessus. Ils n’ont pas osé attaquer deux paysans palestiniens devant une journaliste étrangère accréditée par leur gouvernement. »

    Raed Abu Youssef allume une cigarette pour évacuer la colère en fixant du regard le 4x4 blanc qui dévale les virages en trombe avant de disparaître de l’autre côté de la colline d’oliviers.

    À son bord, l’un des mustawtenin (colons) qui fait trembler le village de Farkha au centre de la Cisjordanie occupée : un gringalet de moins de 30 ans, en jogging et grosses chaussures, accompagné d’un réserviste en uniforme qui tient le volant et un fusil automatique.

    Ils ne sont repartis – en faisant crisser les pneus – qu’après nous avoir intimidés, photographiés avec leurs téléphones et mitraillés d’agressivité : « Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? C’est la terre d’Israël ici. » Comprendre la « Judée-Samarie », le nom biblique que les colons israéliens donnent à la Cisjordanie.

    « Tous les jours, on subit ces malades qui le sont encore plus depuis le 7 octobre », fulmine Raed Abu Youssef en exhibant trois dents amochées par le poing d’un colon il y a un mois.
    (...)
    Raed Abu Youssef, 55 ans, cueillait sur ses terres du raisin pour faire du debs, la confiture épaisse qu’on sert en Palestine au petit-déjeuner, quand dix colons de l’âge de ses fils ont dévalé les pentes et se sont mis à l’insulter au haut-parleur depuis le bord de la route 35.

    Il a encaissé les noms d’oiseaux sans se retourner, convaincu que la troupe finirait par se lasser. Mais elle a continué de plus belle. Raed Abu Youssef s’est levé. Une question de dignité. Il est allé « à la rencontre de la haine ». Il a pris une droite dans la mâchoire. L’armée, qui a accentué son quadrillage oppressant depuis les massacres du Hamas, a débarqué, calmé les colons et promis au paysan palestinien de faciliter son dépôt de plainte.

    « Elle n’a rien fait du tout au final, raconte Raed Abu Youssef en démarrant son utilitaire. Elle a la même mission que les colons : nous empêcher de vivre. Ils veulent me pousser à bout, que j’abandonne ma parcelle proche de la colonie pour me déposséder. Au bout de trois ans, si tu ne cultives plus ta terre, elle peut être saisie et déclarée propriété d’État par l’administration israélienne qui s’appuie sur une loi ottomane de 1858. » (...)
    « Comment le monde entier peut-il assister au génocide du peuple palestinien et laisser faire, comme si nos vies ne valaient rien, comme si nous n’étions pas des êtres humains ? », lâche Raed Abu Youssef. (...)