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  • Toni Negri : « Les gilets jaunes sont à la mesure de l’écroulement de la politique » | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/290119/toni-negri-les-gilets-jaunes-sont-la-mesure-de-l-ecroulement-de-la-politiq

    es gilets jaunes doivent rester un contre-pouvoir et ne surtout pas se transformer en parti politique, estime Antonio Negri. Le philosophe italien, qui vit à Paris depuis 1983, observe depuis longtemps les mouvements sociaux de par le monde. Dans Assembly, son dernier ouvrage coécrit en 2018 avec Michael Hardt (non traduit en français), il donnait un cadre philosophique aux occupations de places publiques qui ont vu le jour ces dix dernières années. Dans Empire, publié avec le même auteur en 2000, il inventait le concept de « multitude », qui prend aujourd’hui une acuité particulière avec l’actualité des gilets jaunes. Le mouvement qui a démarré en France en novembre révèle, d’après lui, une nouvelle forme de lutte qui s’appuie sur la fraternité. Entretien.

    Mediapart : Depuis une dizaine d’années, de nombreux mouvements de protestation ont émergé, en Europe et dans le monde, en dehors de tout parti ou organisation syndicale. Qu’est-ce que les gilets jaunes apportent de fondamentalement nouveau par rapport à cela ?

    Antonio Negri : Les gilets jaunes s’inscrivent dans cette mouvance que l’on observe depuis 2011 : des mouvements qui sortent des catégories droite/gauche comme Occupy Wall Street, les Indignés, ou encore le soulèvement tunisien.

    assembly
    En Italie aussi les gens se sont mobilisés, tout d’abord dans les universités avec le mouvement Onda [La Vague – ndlr], puis autour des communs avec l’opposition au TAV [la ligne ferroviaire Lyon-Turin – ndlr] ou la gestion des déchets à Naples. À chaque fois, il s’agit de luttes importantes qui ne se positionnent ni à droite ni à gauche, mais qui reposent sur une communauté locale.

    C’est quelque chose que l’on retrouve chez les gilets jaunes : il y a dans ce mouvement un sens de la communauté, la volonté de défendre ce qu’on est. Cela me fait penser à l’« économie morale de la foule » que l’historien britannique Edward Thompson avait théorisée sur la période précédant la révolution industrielle.

    Ce qu’il y a de nouveau, toutefois, avec les gilets jaunes, c’est une certaine ouverture au concept du bonheur : on est heureux d’être ensemble, on n’a pas peur parce qu’on est en germe d’une fraternité et d’une majorité.

    L’autre point important, me semble-t-il, c’est le dépassement du niveau syndical de la lutte. Le problème du coût de la vie reste central, mais le point de vue catégoriel est dépassé. Les gilets jaunes sont en recherche d’égalité autour du coût de la vie et du mode de vie. Ils ont fait émerger un discours sur la distribution de ce profit social que constituent les impôts à partir d’une revendication de départ qui était à la fois très concrète et très générale : la baisse de la taxe sur le carburant.

    S’il y avait une gauche véritable en France, elle se serait jetée sur les gilets jaunes et aurait constitué un élément insurrectionnel. Mais le passage de ce type de lutte à la transformation de la société est un processus terriblement long et parfois cruel.

    Est-on en train d’assister à l’émergence d’un nouveau corpus, alors que depuis l’écroulement du bloc communiste, les idées peinent à s’imposer pour faire face au rouleau compresseur du libéralisme ?

    De mon côté, cela fait vingt ans que je parle de « multitude » précisément pour analyser la dissolution des anciennes classes sociales. La classe ouvrière était une classe productive, liée à une temporalité et une localisation : on travaillait à l’usine et la ville marchait au rythme de l’usine. À Turin par exemple, les tramways étaient réglés sur les horaires de la journée de travail.

    Tout cela est terminé. Je ne suis pas nostalgique de cette époque, car l’usine tuait les gens. Certes, on a perdu le lien de la production, le lien de la journée de travail, le collectif. Mais aujourd’hui, on a de la coopération ; cela va plus loin que le collectif.

    La multitude, ce n’est pas une foule d’individus isolés, renfermés sur eux-mêmes et égoïstes. C’est un ensemble de singularités qui travaillent, qui peuvent être précaires, chômeurs ou retraités, mais qui sont dans la coopération.

    Il y a une dimension spatiale dans cette multitude : ce sont des singularités qui, pour exister, demandent à être en contact les unes avec les autres. Il ne s’agit pas seulement de quantité. C’est aussi la qualité des relations qui est en jeu.

    Est-ce un constat que vous faites également à propos du Mouvement Cinq Étoiles, né il y a une dizaine d’années en Italie et aujourd’hui membre du gouvernement aux côtés de la Ligue, parti d’extrême droite ?

    En effet, à l’origine des Cinq Étoiles se trouvaient des gens issus des mouvements autonomes, des luttes pour les communs, mais aussi, plus tard, de la critique des réformes constitutionnelles voulues par Matteo Renzi. C’était marqué à gauche. À la différence de la France où cela a explosé d’un coup, en Italie, tout cela s’est étalé dans le temps, les gens se sont formés petit à petit.

    Puis, avec leur habileté, le comique Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio [mort en 2016 – ndlr] ont commencé à faire un travail électoral sur ces mobilisations. Le pouvoir est progressivement passé du côté de ceux qui maîtrisaient les techniques politiques.

    À partir du moment où il a cherché à gouverner, sous la direction de Luigi Di Maio, le M5S s’est complètement fourvoyé. Prendre le pouvoir n’est pas révolutionnaire. Ce qui est révolutionnaire, c’est d’être en capacité de détruire le pouvoir ou, à la limite, de le réformer.

    Depuis, ce que fait le M5S au gouvernement est révoltant. Le revenu de citoyenneté universel qu’il avait promis l’an dernier pendant la campagne électorale est devenu une loi de pauvreté : le revenu n’est distribué qu’à une partie des chômeurs et il est assorti d’obligations disciplinaires. Ainsi, à la troisième offre d’emploi, le bénéficiaire est obligé de l’accepter, quelle que soit la distance à laquelle elle se trouve de son domicile.

    Les Cinq Étoiles ont été rattrapés par l’avidité, la gourmandise du pouvoir. Ils ont fait alliance avec des fascistes bien réels qui sont en même temps de profonds néolibéraux. Le fascisme est le visage politique du néolibéralisme en crise. Mais il y a une justice électorale : le M5S va perdre de nombreuses voix aux élections européennes de mai prochain.

    #Politique #Gilets_janues #Toni_Negri

    • "L’autre point important, me semble-t-il, c’est le dépassement du niveau syndical de la lutte. Le problème du coût de la vie reste central, mais le point de vue catégoriel est dépassé. Les gilets jaunes sont en recherche d’égalité autour du coût de la vie et du mode de vie. Ils ont fait émerger un discours sur la distribution de ce profit social que constituent les impôts à partir d’une revendication de départ qui était à la fois très concrète et très générale : la baisse de la taxe sur le carburant."

      [...]

      De mon côté, cela fait vingt ans que je parle de « multitude » précisément pour analyser la dissolution des anciennes classes sociales. La classe ouvrière était une classe productive, liée à une temporalité et une localisation : on travaillait à l’usine et la ville marchait au rythme de l’usine. À Turin par exemple, les tramways étaient réglés sur les horaires de la journée de travail.

      Tout cela est terminé. Je ne suis pas nostalgique de cette époque, car l’usine tuait les gens. Certes, on a perdu le lien de la production, le lien de la journée de travail, le collectif. Mais aujourd’hui, on a de la coopération ; cela va plus loin que le collectif.

      La multitude, ce n’est pas une foule d’individus isolés, renfermés sur eux-mêmes et égoïstes. C’est un ensemble de singularités qui travaillent, qui peuvent être précaires, chômeurs ou retraités, mais qui sont dans la coopération.

      Il y a une dimension spatiale dans cette multitude : ce sont des singularités qui, pour exister, demandent à être en contact les unes avec les autres. Il ne s’agit pas seulement de quantité. C’est aussi la qualité des relations qui est en jeu.

      Au fond, Macron est dans la lignée de tous les gouvernements néolibéraux en crise : ils tendent vers le fascisme. En France, les institutions sont encore suffisamment fortes pour empêcher cela, mais les méthodes et les armes de la police française sont inquiétantes. À la différence des forces de l’ordre allemandes, qui sont davantage dans la dissuasion, les policiers français sont encore sur le terrain de l’affrontement. Je l’interprète comme un élément de cette fragilisation du pouvoir.

      –- > (cf. projet de loi ’casseurs’, retour des voltigeurs, et récente perquiz chez mediapart, ndp ’note du partageur’)

      J’observe ce qu’il se passe à Commercy : c’est très intéressant d’assister à la transformation du rond-point en groupes de travail. La mutation du mouvement ne viendra pas de l’extérieur, elle viendra des acteurs eux-mêmes. Quant à savoir s’il débouchera sur un parti politique… De mon point de vue, ce serait une erreur, même si cette voie recueillait l’assentiment de la majorité.

      Ce mouvement me remplit d’espoir, car il met en place une forme de démocratie directe. Je suis convaincu depuis cinquante ans que la démocratie parlementaire est vouée à l’échec. J’écrivais déjà en 1963 un article où je critiquais l’état des partis politiques. Cela n’a fait que s’aggraver… Et cela se retrouve aujourd’hui à tous les niveaux : mairies, régions, États. Et bien sûr, Europe. L’Union européenne est devenue une caricature de l’administration démocratique.

      Prendre le pouvoir n’est pas révolutionnaire. Ce qui est révolutionnaire, c’est d’être en capacité de détruire le pouvoir ou, à la limite, de le réformer.

  • Chroniques françaises , par Toni Negri
    14 Décembre 2018

    Nous proposons ici la traduction d’une contribution rédigée par Antonio Negri au lendemain du discours d’Emmanuel Macron du 10 décembre dernier. Il s’agit d’un texte d’analyse (...) qui avance (...) des pistes de lecture intéressantes, notamment pour ce qui est des clivages classe/peuple, de l’impossibilité de médiation et de l’épuisement de la gouvernance, mais aussi de la question de la socialisation du salaire et de l’enjeu de la prolifération des foyers des luttes.

    http://www.platenqmil.com/blog/2018/12/14/chroniques-francaises

    #giletsjaunes #fédéralisme #municipalisme #macron #salaire #salaire_social #classe #peuple #multitude #médiation #représentativité #néolibéralisme #Macron #giletsjaunes #gilets_jaunes #Negri

    • Commentaire d’une camarade #intermittente : "Si Toni Negri lisait la page de la #CIP IDF, il aurait su le soir même qu’il n’y a pas d’augmentation du #SMIC et que la « prime d’activité », comme son nom l’indique, est idéologiquement très marquée (les pauvres sont des fainéants, etc)."

    • « Pas de coup de pouce, mais un revenu en hausse » dans L’iMmonde est incomplet mais pas que
      https://seenthis.net/messages/743277
      Si d’autres ont vu mieux...

      Negri, il plane grave sur le SMIC (entre autre chose), comme tous ceux qui oublient que le SMIC mensuel n’est plus le salaire minimum effectif, qu’il a été remplacé pour des millions d’actives et actifs par un SMIC horaire un temps de travail annualisé.
      En revanche lorsqu’il intègre la #prime_d'activité -aussi marquée soit-elle par le travaillisme- au #salaire social, il vise juste et à un endroit tout à fait négligé par l’analyse sociale (un aveuglement pallié par la nostalgie du CNR). Il y a pas de lecture possible de l’évolution des #droits_sociaux (au dela de l’emploi) sans partir du fait que cette prime finance en même temps (si si) des emplois et employeurs et la reproduction de la forme de travail, que c’est un rapport politique, pas juste une diversion conjoncturelle ou une anomalie à résorber. Comment fonctionne cette #individualisation du salaire social ? Quel mixte d’intégration (au modèle d’emploi, précaire et mal payé et/ou à la figure du cas’sos ; le rouage ou le déchet, telle est l’alternative offerte), de coercition (aiguillon de la faim, inséreurs, proprio, #dette) et de #punition (désocialisation, culpabilité, contrôle) présente-t-elle ?
      Je ne sais pas si ça se lit sur le site de la cip, mais on y trouve de nombreux papiers sur la nécessité de ne pas en rester à la #cotisation_sociale gagée sur la durée d’emploi et les salaires pour financer un #droit_au_chômage). On peut tout savoir du #salaire_social si on s’en tient à l’imaginaire des idéologues de la gauche formol (tel Friot qui exclue du salaire social le RSA, le minimum vieillesse, les bourses et tout droit financé par l’#impôt...), on peut continuer de se poser des questions comme certains secteurs syndicaux tout en ayant de moins en moins de prise au conflit capital travail, et puis on peut aller chercher des réponses chez les #Gilets_jaunes, dans la #grève_sociale expérimentale en cours... Les réponses de l’État sont à tout le moins un élément à prendre en compte dans un programme d’#enquête. Tout comme la réforme un instant reporté du droit aux chômage où les #chômeurs en activité à temps réduit seront en première ligne : diminuer les #allocations_chômage versée de 1,3 milliard est leur projet.

  • Reflexion sur le Manifeste pour une politique accélérationniste - e-flux
    http://www.e-flux.com/journal/reflections-on-the-%E2%80%9Cmanifesto-for-an-accelerationist-politics%E2%80%

    e-Flux publie une réflexion d’Antonio Negri sur le Manifeste pour l’automatisation croissante des processus de production et du travail intellectuel - http://syntheticedifice.wordpress.com/2014/02/11/accelerate-manifesto-for-an-accelerationist-politics ... Tags : fing internetactu internetactu2net #digiwork #digitallabor

  • Bibliographie
    http://www.vacarme.org/article2370.html

    Isabelle Avran, #Israël Palestine, Les inventeurs de la paix, L’atelier, 2001 Marwan Bishara, Palestine/Israël : la paix ou l’apartheid, La Découverte, 2001 Ilan Greilsammer, La nouvelle histoire d’Israël, Gallimard, 1998 Michael Hardt, Antonio Negri, Empire, Exils éditions, 2000 Éric Hobsbawm, Nations et nationalismes depuis 1780, Pluriel 1992 Ilan Pappe, La guerre de 1948 en Palestine, aux origines du conflit israélo-arabe, La fabrique, 2000 Uri Ram, La société israélienne, aspects (...)

    #Israël,_le_sionisme_en_miettes / #Dossiers, #Un_lieu, Israël, #Sionisme

  • Noyau rationnel, mouvement réel : Badiou et Théorie Communiste à l’âge des émeutes
    http://dndf.org/?p=12747

    Mais le marxisme n’est pas l’économie politique du genre pratiqué par Tim Geithner ou Milton Friedman, mais une critique de l’économie politique, qui relie l’analyse historique du capitalisme comme mode de production et le système de relations sociales à la théorie et la pratique de la lutte de classe au sein de et contre elle. Comprise comme une critique partisane de l’économie politique et comme une analyse rationnelle de la lutte de classe, les véritables porteurs contemporaines de la tradition marxiste ne sont pas Antonio Negri ou Christian Marazzi, ni marxologues académiques enregistrement des cours sur le capital, mais des groupes comme Notes (au Royaume-Uni et aux États-Unis), Blaumachen (en Grèce), Riff Raff (en Suède), Kosmoprolet (en Allemagne), et, plus important encore, Théorie Communiste (en France). En ce qui concerne la relation entre le marxisme et le communisme, c’est le travail de ce dernier groupe que je veux étudier aux côtés de l’analyse de Badiou sur le moment présent, ce qu’il appelle l’âge des émeutes.

    #communisme #communisation #théorie

    • Je viens de parcourir la traduction automatique de cet article de Nathan Brown édité par le journal Lana Turner et je suis encore tout remué, ahuri même, par ce discours abscons qui épuise le lecteur et cloue au pilori son auteur même.
      Cela mérite certes d’être examiné pour comprendre comment des esprits peuvent se perdre dans une imbécillité théorique sans limite, pathos qui fournit une preuve du risque de déraison de l’intelligence.
      ("L’âge des émeutes" annonce pompeusement A. Badiou, âge qu’il divise en sous-concepts, etc. Le même qui encore récemment appelait à la mobilisation contre les « réactionnaires » accusés de vouloir « criminaliser à coup d’anecdotes » des figures telle celle de Mao Zedong. )
      On n’en finira donc jamais avec ces momies sanglantes et leurs perroquets occidentaux ?

    • C’est pas pour Badiou que j’ai mis ce texte, mais parce que ça nous arrive de lire TC. T’es juste « ahuri » parce que tu n’aimes pas Badiou et les maoïstes ? Le contenu théorique de l’article est pourtant assez loin du maoïsme, en quoi exactement consisterait l’"imbécilité théorique sans limite" de celui-ci ?

    • J’ai aperçu effectivement qu’il n’était pas question de Badiou au centre de ce texte.
      Ce n’est pas que je n’aime pas ce gus, c’est que je l’ai lu. Différence.
      ( Et je l’ai même entendu parler d’amour, amour non pas du prolétariat, mais de sa femme, ça ne manquait d’ailleurs pas de sincérité, ni de fadeur.)

      En fait, pour le reste, il était bon d’exposer ce texte car il est l’exemple quasi-parfait de la sottise intellectuelle lorsqu’on s’avise de raisonner au moyen d’un jargon confidentiel.
      Puisque tu parais avoir compris de quoi il est question, pourrais-tu le résumer ? Ce serait - je l’avoue-un fier coup de main pour ce qui me concerne.

  • Révolutionnaires sans #révolution
    http://www.monde-diplomatique.fr/2013/05/BURLAUD/49078

    Figure de proue, aux côtés d’Antonio Negri, de l’opéraïsme italien, Mario Tronti offre aujourd’hui quelques souvenirs et réflexions sur ce mouvement qui, dans les années 1960, adopta, contre le pouvoir démocrate-chrétien et souvent aussi contre les autorités du Parti communiste italien (PCI), le « point de vue ouvrier » : centralité de la classe ouvrière et de son lieu propre, la grande usine, où se saisissent et s’avivent les contradictions du #capitalisme contemporain. - #2013/05

    #Italie #Communisme #Histoire #Idées #Idéologie #Mouvement_de_contestation #Parti_politique #Politique #Syndicalisme #Socialisme #Marxisme

  • Badiou cerné par l’anarchisme

    AutreFutur.org
    http://www.autrefutur.org/Badiou-cerne-par-l-anarchisme

    Alain Badiou a défrayé la chronique, en 2007, avec son pamphlet De quoi Sarkozy est-il le nom ?, sur la lancée, L’Hypothèse communiste, en 2009, reçut un certain écho. Le Réveil de l’histoire qui vient de paraître est passé presque inaperçu. Badiou serait-il passé de mode ? C’est possible mais ses travaux, caricaturés tant par la réaction que par la gauche radicale, méritent mieux qu’un anathème grossier.

    Une étude de Pierre Bance.

    Antonio Negri pourrait décourager la lecture d’Alain Badiou. Il qualifie « “l’extrémismeˮ badiousien » d’« utopie entretenant un rapport schizoïde avec l’histoire », en particulier l’histoire du socialisme réel, et le condamne comme « négation de la lutte des classes » [1]. Le lecteur familier des échanges entre philosophes radicaux ne s’arrêtera pas à ce jugement [2]. Il perdrait à ne pas lire ce Badiou habitué à recevoir des coups plus injustes encore. Si sa philosophie est obscure pour les non-philosophes et probablement pour quelques philosophes, sa théorie politique est plus abordable que celle d’un Rancière ou d’un Žižek [3].

    Jusqu’en 2007, l’œuvre philosophique d’Alain Badiou l’avait maintenu dans un cercle limité de professeurs, d’étudiants et de quelques militants à la recherche des voies régénératrices du marxisme [4]. Mais la parution du livre, De quoi Sarkozy est-il le nom ? a fait connaître Badiou au-delà des cénacles intellectuels [5]. L’ouvrage n’est pas qu’un pamphlet contre Nicolas Sarkozy et son idéologie associée au pétainisme, on y trouve, en conclusion, l’annonce de l’hypothèse communiste comme alternative au capitalisme symbolisé par l’actuel président de la République. Ce succès de librairie, inespéré aux dires de l’éditeur, Michel Surya [6], s’est accompagné d’une manipulation politico-médiatique dans le but de discréditer l’idée communiste. Pas plus que Slavoj Žižek, Alain Badiou n’est ce stalinien primaire, ce philosophe de la terreur, ce gauchiste dogmatique, ce maoïste attardé que l’on dit pour ne l’avoir pas lu, l’avoir mal lu ou par un anticommunisme résultant de la réduction, consciente ou non, du communisme au stalinisme [7]. Malheureusement, les provocations et les coquetteries de Badiou facilitent ces contrefeux et compliquent le rôle de l’exégète [8]

    Philosophe marxiste, Alain Badiou ne s’aventure pas à décrire le communisme. Le communisme est une hypothèse heuristique c’est-à-dire qu’elle est toujours provisoire et n’avance que par évaluations successives, rectifications, en se référant à des invariants : égalité, abolition de la propriété privée, antiétatisme [9]. Ces invariants communistes « synthétisent l’aspiration universelle des exploités au renversement de tout principe d’exploitation et d’oppression. Ils naissent sur le terrain de la contradiction entre les masses et l’État » [10]. Pour aller au communisme, il convient d’abord de montrer que l’histoire n’est pas finie, que le capitalisme n’a pas gagner une fois pour toutes. Ce n’est qu’en ayant compris que l’économie libérale et le parlementarisme ne sont ni naturels ni fatals qu’on pourra imaginer d’autres possibilités, envisager l’idée communiste qui est l’hypothèse de l’émancipation [11], « l’idée d’une société dont le moteur ne soit pas la propriété privé, l’égoïsme et la rapacité » [12]. Il conviendra alors de réinstaller l’hypothèse communiste, la faire exister dans le champ idéologique et militant en contrant le terrorisme intellectuel qui amalgame le communisme au socialisme d’État, associe à toute représentation ou expérience communistes des déviances staliniennes. Badiou s’attelle à cette tâche par ses articles, ses livres, en organisant des rencontres telle la Conférence de Londres de mai 2009 [13]. Il fait de la politique et en donne une définition qui ne déplairait pas à Jacques Rancière :

    « L’action collective organisée, conforme à quelques principes, et visant à développer dans le réel les conséquences d’une nouvelle possibilité refoulée par l’état dominant des choses » [14].