#bernadettepivote

  • aime bien cette écriture-ci — en tout cas c’est possiblement dans ce style qu’elle aurait elle aussi voulu savoir écrire si elle avait été capable d’être écrivaine. Attention, hein, bien qu’assez commun le sujet du roman n’est pas inintéressant non plus : une « start-up nation » créatrice de quart-monde, des banlieues, des administrations kafkaïennes, une présidente disruptive, des gueux qui n’ont d’autres choix que de s’immoler en place publique... c’est tellement actuel et crédible que c’en est hyperréaliste. Mais vous connaissez les blocages et obsessions de la Garreau : dans tout texte et bien davantage que le fond c’est la forme, la prosodie, la « musicalité » qui retiennent toujours son attention. Or là... « ça le fait » comme disent les jeunes, et elle trouve même que « ça le fait » rudement bien : c’est virulent, l’auteuse tient le tempo, les phrases sont pile-poil de la bonne longueur, les syntagmes résonnent entre eux, ça valse, ça rebondit, ça tournoie, ça peut limite se scander, on se laisse griser par cette petite partie de ping-pong que les mots jouent sous nos yeux, et ce d’autant plus facilement qu’on n’a pas l’impression que la meuf se regarde écrire (contrairement à la Garreau que l’on soupçonne toujours d’adopter des postures). Bref, splif splaf splouf, pas de temps morts, pas de scènes-qui-ne-servent-à-rien, pas d’étalage d’érudition mais pas de facilités non plus : on ne pourra certes pas crier au génie, ça ne révolutionne rien du tout, ce n’est sans doute pas demain la veille que ça figurera dans le catalogue de La Pléiade mais franchement c’est une lecture tout à fait recommandable et assurément la meilleure de ces cinq ou six derniers jours — qui plus outre la dame, ouïe sur France Cul’ il y a peu, semble tenir dans la « vraie » vie des propos également très sensés.

    Le titre ? « La Peau sur la table », de Marion Messina. Ce n’était théoriquement que le 3878e bouquin sur la liste d’attente, mais franchement ça valait le coup de le faire arbitrairement remonter de quelques places.

    #BernadettePivote.

  • ne voulait pas spécialement lire celui-ci — elle ce qu’elle aurait voulu lire cet après-midi c’était « Renata n’importe quoi » de Guérard mais ne l’ayant pas trouvé dans sa caverne d’Ali Baba habituelle elle s’est rabattue un peu au hasard sur « Ces Princes », un précédent roman de la même auteuse, tout en s’attendant à être déçue parce que déjà les histoires d’amour « elle sait pas c’est quoi », alors autant dire que les histoires d’amours masculines ça lui passe complètement au-dessus du pompon (globalement la vieille Garreau considère que les hommes sont une faute de goût, ce qui n’empêche pas qu’elle est très contente qu’ils couchent entre eux comme ça avec un peu de chance ils fichent la paix aux femmes et aux non-binaires).

    Or vous savez quoi ? La plume de cette Guérard est épatante ! On sourit à ce récit d’un jeune dandy plutôt antimilitariste qui s’entiche d’un général, chaque chapitre démarre sur une prometteuse épigraphe (Nietzsche, Stendhal, La Bruyère...), le texte tient plus du conte ou de la fable que du roman, la prosodie est... évidente, oui, c’est ça, réellement évidente, la musicalité et les libertés de forme donnent l’impression que l’écrivaine nous narre cette étonnante idylle avec une déconcertante décontraction (ce qui est probablement faux, il n’y a rien de plus difficile que de faire croire que l’on écrit facilement), c’est très court et ça le paraît davantage encore — et puis il y a Paris, bien qu’à peine évoquée la ville est un troisième personnage dessiné en creux, un Paris « rive gauche », un Paris des années Cinquante que l’on devine forcément en noir et blanc et sous la pluie.

    Franchement ? C’est une authentique bonne surprise.

    #BernadettePivote.

  • ne dit pas, oui... ça se lit... L’histoire n’est pas mal, hein, un féminicide (encore un), un féminicide annoncé, on sait dès le début du roman qu’il va avoir lieu, après l’auteuse (Claire Berest) n’a plus qu’à nous emmener dans le lent délitement d’un couple — des cisgenres hétéros, bien sûr, avec elleux ça ne peut que mal se terminer. Seulement voilà : même si le récit est assez habilement construit et que sur le fond « ça se tient », la prose est poussive, les lieux communs, les maladresses et les répétitions s’enchaînent, et puis comme ça se déroule dans un milieu bobo il faut se farcir des pages et des pages de brunchs, de start-up, de vernissages, de cocktails et de hipsters — la vieille lectrice saute subséquemment des paragraphes et s’en fait pas mal d’autres en diagonale.

    Les critiques glanées sur Internet sont dithyrambiques — tant mieux si l’on commence enfin à dénoncer la misogynie ordinaire et meurtrière, mais à son pas très humble avis c’est un peu dommage que « L’Épaisseur d’un cheveu » (c’est le titre) soit doublée de celle de la plume.

    #BernadettePivote.