« La situation demande une réponse de l’Etat qui ne saurait se réduire à la criminalisation des révoltes et à la répression »
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Le mardi 27 juin, alors que le jeune Nahel M., 17 ans, était tué par un policier à Nanterre, nous, membres du collectif de recherche Pop-Part, étions alors réunis pour prolonger une recherche participative portant sur dix quartiers populaires de la région parisienne, qui nous a occupés pendant cinq ans. Au cours de ces années, l’activité de notre collectif, composé de jeunes de quartiers populaires, de professionnels de la jeunesse, d’enseignants, de chercheurs et d’artistes, a mis en évidence la complexité et la diversité des expériences des jeunes des quartiers.
Au-delà des images caricaturales, cette expérience est faite d’engagements, de projets d’avenir, de solidarité. Le rapport à la violence, les relations à la police, les discriminations y sont aussi prégnantes, sans que l’expérience des jeunes ne s’y réduise. Pourtant, l’actualité et son traitement médiatique et politique nous y renvoient de nouveau.
Nous sommes profondément attristés par la mort tragique de Nahel qui est symptomatique du contexte d’inégalités et d’injustice, de mépris social et de non-écoute dans lequel nous, jeunes, vivons et avons grandi, dans lequel, nous, professionnels, chercheurs et artistes, travaillons et que nous avons analysé ensemble.
Rétablir les conditions du dialogue
Nous sommes choqués et inquiets de la réponse politique uniquement répressive et judiciaire apportée à ce drame. Quand prendra-t-on enfin au sérieux la colère qui s’exprime dans ces affrontements ? Il est urgent de rétablir les conditions du dialogue.
A la veille des commémorations des 40 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, près de vingt ans après les révoltes urbaines de 2005 qui ont fait suite à la mort de Zyed et Bouna, quelques années après la mort d’Adama Traoré, quelques semaines après celle du jeune Guinéen de 19 ans Alhoussein Camara, tué par un tir de policier en Charente, le 14 juin, le même scénario se répète.
Outre certaines figures connues, qui marquent la mémoire des jeunes générations, combien de Nahel n’ont pas été filmés ? Combien d’autres injustices et actes illégaux ont été étouffés ? La violence policière a été légitimée comme mode opératoire dans les quartiers populaires, sans que les responsables ne soient systématiquement condamnés et, une fois encore, c’est la victime qui est criminalisée dans beaucoup des discours publics.
La violence de la rénovation urbaine imposée
Nous, jeunes de quartiers populaires, vivons au quotidien l’expérience de la discrimination, le sentiment de ne jamais avoir une place, d’être tout simplement illégitimes dans cette société. Dans les médias, à l’école, au travail, dans les rapports aux institutions et notamment à la police, nous sommes trop souvent stigmatisés. Il est alors bien difficile de se projeter dans un avenir commun.
Nous, professionnels de la jeunesse, sommes toujours soumis à l’injonction d’éteindre le feu pour rétablir la paix sociale. Mais un seuil a été franchi. Sans dialogue ni assurance d’un véritable changement, cette mission est impossible à remplir. Les politiques publiques restent largement en deçà des enjeux et sont pensées et menées sans, voire contre, les principaux concernés.
Nous, jeunes de quartier, avons subi la violence de la rénovation urbaine imposée, incarnée par les démolitions, les déménagements, la déstructuration de nos réseaux de solidarité. Tout au long de notre enfance et de notre adolescence, nous avons vécu la montée de l’islamophobie et la stigmatisation, aggravées depuis les attentats de 2015 par les discours médiatiques et les mesures politiques. Combien de temps allons-nous continuer à craindre pour nos vies, celles de nos amis, de nos frères et de nos sœurs ?
Une crise sociale et démocratique profonde
Nous, professionnels, avons été pris dans des carcans administratifs et idéologiques sourds aux expériences des jeunes, qui n’ont eu comme effet que de limiter nos initiatives. Nos associations, qui prennent le relais sur le terrain pour pallier l’absence d’action publique, ne sont pas soutenues à la hauteur de leur engagement, voient leurs moyens diminués voire supprimés, quand leurs actions ne sont pas tout simplement réprimées.
Nous ne pouvons et nous ne voulons plus continuer à mettre ainsi des rustines. Nous, enseignants, chercheurs, avons documenté ces dérives. Nos propos ont souvent été caricaturés et dénoncés, quand nous n’avons pas été simplement insultés et étiquetés comme idéologues.
Aujourd’hui, les quartiers populaires subissent de plein fouet l’inflation, la crise du logement, la casse des services publics, qui s’accélère dans l’éducation nationale, dans la santé, et, de manière plus générale, dans la prise en charge des besoins des populations. Ces constats et ces interrogations renvoient à une crise sociale et démocratique profonde qui ne concerne pas les seuls quartiers populaires.
Ouvrir des espaces publics de débat
Nous ne sommes plus en 2005. La situation s’est aggravée. Les révoltes, qui partent des quartiers, n’y restent pas confinées, géographiquement et socialement. Ces territoires ne sont ni des îles, ni des déserts politiques. Ils catalysent des enjeux qui traversent l’ensemble de la société française. Les mouvements sociaux récents, qu’il s’agisse des « gilets jaunes », des mobilisations contre la réforme des retraites ou des luttes écologiques, ont montré la surdité du président de la République et des gouvernements, qui n’y ont répondu que par la répression.
Cette situation demande une réponse de l’Etat qui ne saurait se réduire à la criminalisation des révoltes et à la répression. Aucun bilan ne semble avoir été tiré de la gestion catastrophique des révoltes de 2005, qui n’avait conduit qu’à accentuer les tensions. Les perspectives d’avenir des jeunes accusés et condamnés à la suite de ces évènements ont été détruites, fragilisant par effet domino leurs familles et leurs cercles amicaux, alors qu’aucune solution de fond n’a été mise en œuvre.
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Nous espérons que les habitants des quartiers populaires, nos collègues, les forces sociales du pays, entendant cette colère, sauront construire ensemble, à partir des quartiers populaires et au-delà, un mouvement social porteur de propositions. Ouvrons des espaces publics de débat, entendons les paroles et les demandes portées par les révoltes urbaines et les mouvements sociaux, construisons et imposons ensemble un monde de justice sociale.
Parmi les signataires : Louiza Aoufi, étudiante ; Marie-Hélène Bacqué, enseignante-chercheuse en études urbaines, université Paris-Nanterre ; Mehdi Bigaderne, cofondateur du collectif AC-Lefeu, adjoint à la maire de Clichy-sous-Bois ; Djeneba Comté, étudiante ; Jeanne Demoulin, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, université Paris-Nanterre ; Mamadou Diallo, responsable de l’association Zy’Va, Nanterre ; Zineddine Nouioua, acteur, membre du collectif AC-Lefeu ; Hawa Traoré, étudiante ; Lassana Traoré, président de l’association Culture et loisirs pour tous, Corbeil-Essonnes ; Karim Yazi, comédien, producteur et metteur en scène, Kygel Théâtre.
La liste complète des signataires est accessible sur ce lien
Le collectif Pop-Part est un collectif scientifique qui regroupe les chercheurs, les professionnels et les jeunes ayant pris part à la recherche « Les quartiers populaires au prisme de la jeunesse : une recherche participative » (ANR Pop-Part), conduite de 2017 à 2022 dans dix villes et quartiers franciliens. La démarche et les résultats sont notamment restitués sur le site Jeunes de quartier. Le collectif a publié l’ouvrage Jeunes de quartier. Le pouvoir des mots (C & F Editions, 2021). Il intègre aujourd’hui le Kygel Théâtre, qui a monté la pièce de théâtre Vivaces, mettant en scène les textes de l’ouvrage. La pièce a été jouée une vingtaine de fois et continue à circuler.
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