Grande pirogue en souffrance, de Volker Braun

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  • Volker Braun, “Grande pirogue en souffrance”, par Jean Renaud
    https://www.poesibao.fr/volker-braun-grande-pirogue-en-souffrance-lu-par-jean-renaud
    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/08/03/braun-grande-pirogue-souffrance
    http://editionsbardane.org/livres/grande-pirogue-en-souffrance

    Mais ce que cite principalement ce livre, et qui le constitue, c’est la parole, authentique ou imaginée (difficile de savoir, d’être sûr) de ceux que l’entreprise coloniale a mis face à face. D’un côté, celle des colonisateurs, militaires ou commerçants, brutale, arrogante, atroce : “enfants / Qu’ils sont et qu’ils resteront” ; ils “poussent l’audace / Jusqu’à se défendre ! Cela m’a mis en rage” ; “Les habitants du lieu / Vivaient pour ainsi dire de leur oisiveté[…] Ils ne se souciaient que d’eux-mêmes. / Cet état de choses était déplorable.” De l’autre, celle des insulaires, à la fois fière et désespérée : “Nous écrivions à même le vent et sur le sable. / Nous allions tête haute” ; “Quand on m’eut fait violence / Derrière les latrines / Et àmes sœurs de même […] / Nous étions / Vouées à la mort.”

    On est tenté, et on vient de le faire, de garder de ce livre telles phrases fortes, dénonciations éclatantes de la violence coloniale. Mais ce qui retient le plus, ce sont sans doute, hors de ces formules, ces nombreux passages à l’écriture sèche, étroite, dépourvue d’émotion explicite, où l’on peut reconnaître la manière des objectivistes américains, en particulier celle de Reznikoff dans Testimony. Par exemple, côté allemand : “En onze jours 350 fusiliers marins / Ont éliminé sur env. six kilomètres carrés / Cinq villages et le bourg principal, avec tous les ustensiles / Et nasses, des canoés à n’en plus finir dont certains / De plus de 30 pieds de long, afin de leur ôter / Tous les moyens de fuir…” Ou, côté insulaires : “Les survivants avaient encore construit cet unique / Bateau, mais en raison du recul de la / Population n’avaient jamais pu lui trouver / D’équipage. Il n’a donc jamais été utilisé parce qu’on / N’en avait pas l’usage et que personne n’a réussi à le mettre à l’eau. A la suite de quoi il est / Resté sur la plage.

    Extrait :

    IV
    Nous fîmes route avec la canonnière
    HYENE et la corvette CAROLA pour punir
    Ces rebelles et de nos obus avons mis
    Leurs huttes en feu. Et tous ces messieurs s’étant
    Réfugiés dans la brousse, nous avons pris pied
    Sur la côte et avons fait du petit bois de leurs bateaux,
    Rien que grands canots tenant la mer, sculptés
    Et peints, ce qui nous étonna. Ils étaient aussi
    Nécessaires à leur vie que les plantations de palmiers
    Et arbres à pain que nous dévastâmes
    De semblable façon de telle sorte que ces
    Sauvages n’aient plus rien pour vivre. La moitié
    Estait déjà occise et les autres
    Furent poussés à la mer. Voilà ce que j’ai vu.
    (pages 15 et 17-18)

    #Allemagne #Papouasie #colonialisme #Luf