On pourrait croire qu’une séquestration anti-syndicale pourrait attirer au moins autant l’attention médiatique que l’agression d’Amiens. Mais l’événement n’a eu le droit, à ce jour, qu’à une vingtaine d’articles, une bonne part réalisée par la presse indépendante (Rapports de force, Révolution Permanente, l’Insoumission…).
Ces deux événements sont d’une gravité comparable : deux personnes ont été violentées, elles sont choquées, leur dignité a été atteinte. Mais d’un côté nous avons un notable très entouré, bien défendu et soutenu par l’ensemble de la classe politique et de l’autre un salarié syndicaliste, qui semble terrifié par ce qu’il a vécu, et dont personne ou presque ne parle. L’analyse du traitement médiatique des deux événements est assez explicite : l’affaire Trogneux est très peu décrite au conditionnel, les faits sont là, pour la presse, tandis que l’agression du délégué syndical de Vertbaudet est une information prise avec des pincettes, c’est peu de le dire. Les faits de l’affaire d’Amiens, autour de laquelle plusieurs versions circulent, notamment celles des accusés, peuvent être toujours sujets à caution, mais qu’importe : le procès a déjà eu lieu, Cet épisode est une aubaine médiatique pour la bourgeoisie qui permet de stigmatiser l’ensemble des opposants à Macron comme une foule de violents irrationnels dont elle aurait tort de se priver
Auteur d’un essai passionnant sur la question de la violence pour le mouvement climat, l’activiste suédois Andreas Malm parle d’un “flanc radical” et potentiellement violent qui viendraient aider les mouvements pacifistes à rester respectables tout en ayant des gens qui, à leur gauche, font efficacement avancer la cause. Sauf qu’actuellement, c’est bien la bourgeoisie qui a un flanc d’extrême-droite qui l’aide à évoluer vers la forme autoritaire et dictatoriale dont elle a besoin pour juguler les tensions sociales et poursuivre son accumulation antisociale et écocidaire. Dans les campagnes, ce sont les Jeunes Agriculteurs, une branche du puissant lobby agro-industriel FNSEA, qui joue ce rôle en s’en prenant aux écologistes, comme dans l’affaire des méga-bassines en Poitou-Charentes. Le retour d’une milice patronale à Verbaudet en est un autre exemple : la violence a été déchaînée par une petite équipe anonyme, le syndicaliste et sa famille sont probablement traumatisés. Mener une grève c’est déjà terrible sur le plan économique, mais si en plus vous risquez votre intégrité physique et celle de vos proches, à quoi bon ? Si la grève a Verbaudet lâche, ses patrons et ses actionnaires pourront continuer à se gaver sur le dos des salariés. La violence aura joué son rôle.
Le flanc violent de la classe dominante est d’autant plus puissant qu’il n’est pas dénoncé comme tel. Car non seulement la bourgeoisie peut, de plus en plus, compter sur des alliés violents, mais elle le fait d’autant plus facilement que c’est aussi elle qui dit ce qui est violent et ce qui ne l’est pas. Ainsi, elle a le pouvoir d’invisibiliser la violence, de l’euphémiser voire d’inverser la culpabilité. Cette semaine, l’agression du petit neveu de Brigitte Macron aura pris toute la surface médiatique. Tous les journaux en ont parlé. La peur du manifestant est venue s’imposer.
Face à de telles manœuvres, que pouvons-nous faire ?
D’abord, mettre totalement à distance la notion de “violence” quand elle émane d’un membre de la classe dominante. Rappelons-nous toujours que ces gens sont totalement biaisés en matière d’appréciation de la violence, qu’ils appartiennent à un groupe social qui a été le plus violent de tous au cours des siècles, et qu’ils ont un rapport opportuniste à la qualification de la violence : en ce moment, ils ont besoin de criminaliser les manifestants et l’extrême-gauche et d’invisibiliser la violence patronale et d’extrême-droite. En la matière, la réaction de Jean-Luc Mélenchon est assez fine : “ Des commentateurs indifférents aux tentatives de meurtres et agressions racistes contre des insoumis me somment de me prononcer sur l’agression à Amiens contre le chocolatier Trogneux. Je lui exprime ma compassion et je joins ma protestation à la sienne. Je demande à Macron et Madame d’en faire autant pour nos amis agressés ou menacés sans réserver leur sollicitude au seul Zemmour quand il fut molesté ” : bien tenté, mais ça n’arrivera pas.