Aprs Sarkozy

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  • Après Sarkozy - Antoine Zéo - revue Le Tigre (juillet-aout 2012)
    http://www.le-tigre.net/Apres-Sarkozy.html

    Ce messieur Zéo est plein de talents
    et ce numéro de l’été dernier était un délice.

    Et puis l’événement traumatique suprême est survenu quelques jours plus tard. Une pimbêche de quatorze ans, que mon travail m’amène à fréquenter avec quelques une de ses petites copines, m’a asséné sa vérité comme ça, au coin de la rue : « De toute faзon, зa se voit trop que vous avez votй pour Sarkozy. Vous кtes de droite, зa se voit trop sur votre tкte. Et puis vous кtes super catholique aussi ». Elle aussi semblait porter un masque, celui de la Jeunesse de France, blonde et pleines d’hormones délirantes, l’appareil dentaire s’affairant à standardiser son sourire. Face à des accusations si grossières, je chancelai, et devant tant d’ingénuité satisfaite, je me sentis dans l’obligation de nier. Erreur : elle en profita pour me porter l’estocade : « Alors Le Pen, vous avez votй Le Pen ». J’ai hésité à partir en courant, à les fuir, elle, petite pétasse monstrueuse et sa copine, une grande noire qui l’accompagnait et qui me balança, grave, que « Marine Le Pen, elle dit pas que des choses fausses, par exemple avec tous les envahissants (sic) qui arrivent - et puis moi je pense que vous кtes juif ». Le Pen ? Juif ? Mais putain de bordel, d’où lui venaient ces mots ? A ce moment-là, je voulais pleurer et appeler ma mère, mon grand-père et ma grand-mère, et donner une claque à ces gamines, dans une pulsion de violence à peine maîtrisée - et le RER m’a sauvé. Je mis quelques stations à me remettre du choc : dans quel univers parallèle étais-je parvenu pour qu’on me dise que j’avais l’air sarkozyste ? lepéniste ? juif ou catholique ? Bien sûr, l’ouverture de ce genre de vortex spatio-temporel n’est possible que dans la tête d’une gamine de treize ans ; mais quand même : qu’est-ce qui nous est arrivé ? Que s’est-il passé dans ce vieux pays pour qu’en dix ans, toute la vieille vase remonte à la surface, et imbibe jusqu’aux cerveaux innocents de deux banlieusardes gentiment écervelées ? Comment ces étranges préoccupations ont pu leur polluer la tête à elles aussi, qui ne devraient pourtant penser qu’à leurs amours collégiennes, à fumer des joints derrière le Lidl et faire des tours de scooter avec Karim et Kevin ?

    Pour le « pétainisme transcendantal », voyez Alain Badiou. Pour Copé en slip dans la piscine de Takieddine, voyez chez Mediapart. Moi ce que je dis, c’est que le nouveau là-dedans, ce n’est pas qu’ils se fassent élire sur des programmes crapuleux et moralement douteux, ni qu’ils aient essayé de servir dans les brouzoufs d’une vieille milliardaire en espérant ne pas se faire choper. Tout cela est fort ancien. Ce qui est nouveau là-dedans, c’est qu’ils s’en foutent. Vraiment : ils n’essaient même plus de se cacher. Quand l’un d’entre eux se faisait pincer, ils le laissaient au gouvernement. C’est parce qu’ils sont, d’une manière ou d’une autre, à l’image de leur chef déchu : des êtres entièrement spirituels, pour qui la carrière politique est la source de tout flux vital. Ils ne touchent pas terre ; depuis qu’ils se sont engagés dans la carrière, ils ne sont plus soumis aux règles des mortels que nous sommes. Ainsi sont-ils capables de séparer leur corps de leur esprit, de séparer le public du privé, et même, tels Eric Woerth, de bâtir dans leur propre tête, des « murailles de Chine » entre différentes parts de leur âme (Eric Woerth avait réussi à séparer son cerveau en compartiments étanches, disait-il ; dans l’un se trouvaient les données concernant ses fonctions de ministre du budget ; dans l’autre celles de trésorier de l’UMP, sans communication possible entre eux). Ils « cloisonnent », et c’est là leur secret : rien ne se tient si la Grande Tâche l’exige - servir le chef, ou quand on est le chef, le rester. Là non plus, rien de nouveau peut-être... si ce n’est l’abolition de la pudeur.

  • Après Sarkozy
    http://www.le-tigre.net/Apres-Sarkozy.html

    Depuis quelques jours pourtant, sa figure est revenue me visiter. Non que je l’aie jamais rencontré personnellement, ni même approché. Mais son visage, son souvenir sont avec moi. Une sorte de persistance rétinienne après dix ans de surexposition. Depuis quelques jours, je suis assailli par Sarkozy. Parfois physiquement : ainsi, lors d’une soirée qui se passait plutôt bien jusque-là, je m’amusai à porter un masque de Sarkozy sur la tête, acheté avant le premier tour de l’élection chez mon marchand de journaux. Il y avait aussi, chez ce buraliste, des masques de François Hollande ; je ne crois pas que ce soit par hasard que je choisis Sarko. En 2047, quand je le retrouverai au fond d’un tiroir, il sera la madeleine amère d’une époque durant laquelle la France s’est transformée comme rarement : la Révolution Sarkozyste (2002-2012). Je doute qu’il reste quelque chose de la présidence de Hollande en 2047 - à moins que la Grande Crise n’emporte la France et l’Europe dans la guerre civile et la révolution, ce qui 1. est improbable et 2. ne sera que dans une très faible mesure attribuable à l’ami François. Et moi en 2047, j’aurai le Masque de Sarkozy, et ce sera comme les horribles masques d’Ensor qui dansent avec la mort et nous rappellent, avec leur affreux sourire, comme les années 1890 étaient laides et plombées. Les nôtres aussi, nos années 2000, furent affreuses, et le Masque de Sarkozy me le rappellera, ainsi qu’à mes éventuels descendants.