• La #Dares, un organisme dépendant du ministère du Travail, constate que, entre octobre 2021 et août 2022, le #smic a augmenté de 5,6 %, un chiffre qui reste moins élevé que la #hausse_des_prix, en particulier celle des #produits_alimentaires.

    Le #salaire_minimum est donc toujours plus éloigné du minimum nécessaire pour vivre. Mais l’ensemble des salaires a évolué à un rythme encore inférieur. D’après le ministère, les #salaires de base (la première ligne du bulletin de paie) dans les entreprises de plus de dix salariés auraient augmenté de 4,5 % chez les #ouvriers et #employés et de 2,8 % chez les professions dites intermédiaires.

    Ces chiffres issus des déclarations des entreprises paraissent bien optimistes, mais même eux confirment que le #pouvoir_d’achat recule.

    https://journal.lutte-ouvriere.org/2023/02/08/pouvoir-dachat-officiellement-en-recul_494147.html

    #inflation #niveau_de_vie

  • Attaquer à la racine la domination des femmes par le capital - CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/attaquer-a-la-racine-la-domination-des-femmes-par-le-capital-extrait-dun

    Lotta Femminista a toujours été une tendance minoritaire au sein du mouvement féministe plus large, car les femmes du mouvement féministe se sont d’abord méfiées, à juste titre, de toute théorie politique développée dans le sillage de traditions politiques masculines. Ironiquement, le mouvement féministe au sens large serait devenu beaucoup plus puissant et plus fort s’il avait repris notre proposition politique du salaire au travail ménager (c’est-à-dire le « travail domestique », y compris l’éducation des enfants, les soins, etc.), plutôt que d’adopter, sans le savoir, la stratégie léniniste de lutte pour le travail, en dehors du travail domestique, comme moyen d’assurer un salaire pour les femmes. Mais il était très difficile pour les comités du salaire au travail ménager de trouver un consensus sur leur proposition, car généralement les femmes féministes pensent qu’il vaut mieux rejeter la totalité du travail domestique et quitter leur foyer.

  • À Gennevilliers, les travailleurs sans papiers de RSI ont levé leur piquet de grève - Le Parisien
    https://www.leparisien.fr/hauts-de-seine-92/a-gennevilliers-les-travailleurs-sans-papiers-de-rsi-ont-leve-leur-piquet
    https://www.leparisien.fr/resizer/LFm3UjPYSUewH4zxwGH0zCtc3iA=/1200x675/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/leparisien/KOHAF5IZYZDC7JLY3AWTLC5JEQ.jpg

    Les salariés mobilisés depuis 13 mois pour obtenir leur régularisation ont quitté leur campement après avoir obtenu un titre de séjour provisoire les autorisant même [même] à travailler. Mais ils restent vigilants jusqu’à la fin de l’instruction de leurs dossiers.

    Première victoire pour les grévistes sans papiers de RSI . La lutte continue pour ceux de DPD et Chronopost !
    http://www.sudptt.org/La-prefecture-du-92-delivre-83-recepisses-aux-grevistes-de-RSI-La-lutte

    M. Rendre-la-vie-impossible-Darmanin a reçu le 29 septembre une délégation concernant uniquement la situation du piquet de RSI à Gennevilliers, suite à l’interpellation de Mme Faucillon, députée des Hauts-de-Seine. Depuis, la préfecture des Hauts-de-Seine a convoqué 83 des occupants qui ont reçu des récépissés avec autorisation de travail avec la mention « a demandé un premier titre de séjour portant la mention travailleur temporaire ». C’est une première étape importante pour les camarades en grève depuis bientôt un an !

    L’article du Parisien est sous #paywall, en revanche j’ai trouvé ça

    JO de Paris 2024 : des travailleurs sans papiers sur les chantiers
    https://justpaste.it/6j8ko

    Alors qu’une enquête préliminaire a été ouverte en juin par le parquet de Bobigny pour travail dissimulé sur le chantier du village des athlètes, « Le Monde » a rencontré plusieurs ouvriers sans papiers sur des sites des JO en Seine-Saint-Denis. De son côté, le gouvernement dit vouloir faciliter la régularisation des travailleurs dans les secteurs en tension.

    « On est là pour survivre, on n’a pas le choix ».
    C’est un chantier comme un autre. Il est embauché comme manœuvre pour « piocher, faire du béton, de la maçonnerie ou ranger le matériel ». Un de plus où il n’a « pas de contrat, pas de fiche de paye, pas de congés », 80 euros la journée, qu’il termine à 17 heures ou à 21 heures.
    Le chantier sur lequel il pointe depuis des mois, c’est celui du village des athlètes des Jeux olympiques (#JO) de 2024.

    #travail #ouvriers #sans_papiers #intérim #Jeux-olympiques

    • Sans-papiers sur les chantiers de Paris 2024 : « Les JO ne pourraient pas se faire sans nous »
      https://www.liberation.fr/societe/sans-papiers-sur-les-chantiers-les-jeux-olympiques-ne-pourraient-pas-se-f

      La préparation des Jeux olympiques donne à voir les mêmes pratiques illégales qu’ailleurs dans le bâtiment : emploi de travailleurs sans-papiers, avec des conditions de sécurité déplorables et aucun droit pour ces travailleurs de l’ombre.
      par Gurvan Kristanadjaja, le 5 décembre 2022

      En 2021, l’heure était aux belles photos. Les chantiers en vue des Jeux olympiques (JO) de Paris 2024 étaient lancés en grande pompe. « Nous accueillons normalement les Jeux olympiques et paralympiques en France tous les cent ans, il vaut mieux, mes chers amis, être au rendez-vous du monde », déclamait l’ex-Premier ministre Jean Castex, appelant de ses vœux « des Jeux olympiques réussis, à la fois inspirateurs et illustrateurs des aspirations de notre société et des politiques publiques que nous conduisons pour y répondre et pour transformer notre pays ».

      Un an plus tard, Moussa (1) et ses collègues, réunis dans les locaux de la CGT à Bobigny (Seine-Saint-Denis) qui les accompagne dans leurs démarches, réécoutent ces mots avec amertume. Ils sont dix, tous maliens et sans papiers. Depuis un, deux ou trois ans, ils travaillent pour une entreprise sous-traitante – dont le nom change souvent – de #Vinci GCC Construction ou #Spie_Batignolles, les mastodontes de la construction. « C’est du bouche à oreille, de copain à copain. Si je travaille quelque part et que je vois des amis qui ne travaillent pas au foyer, je leur donne le numéro de mon patron. Pour vivre ici quand tu n’as pas de papiers, ce n’est pas du tout facile alors on préfère travailler dans le bâtiment plutôt que de faire des choses pas bien [et risquer davantage la prison et l’expulsion] . Si le patron a du travail pour toi, il t’appelle et il t’envoie l’adresse », explique Moussa, porte-parole du groupe.

      Nébuleuse d’entreprises

      Depuis un an, les adresses ont presque toutes mené sur des chantiers des JO : l’immense village olympique à L’Ile-Saint-Denis ou la piscine Marville à Saint-Denis pour les entraînements de water-polo. Parmi les dix Maliens, il y a des manutentionnaires, chargés de porter des sacs de ciment de plusieurs dizaines de kilos sur treize étages. Il y a des bancheurs, spécialisés dans la construction en béton armé. Et puis des hommes à tout faire : ils piochent la terre, construisent les murs, font de la maçonnerie… Le tout pour un peu plus de 80 euros non déclarés par jour, peu importe les conditions météo, et sans jour de congé.

      « On n’a aucun droit. On n’a pas de tenue de chantier, pas de chaussures de sécurité fournies, on ne nous paye pas le pass Navigo, on n’a pas de visite médicale et même pas de contrat », s’indigne Moussa. « Si tu tombes malade ou que tu te blesses, le patron te remplace le lendemain », dénonce Abdou (1), un de ses collègues. Le plus souvent, ils se présentent avec les papiers d’un ami ou d’un membre de la famille en règle sur le territoire. « Les Français ne veulent pas faire ce travail. Sur le chantier, il n’y a presque que des étrangers. Des Pakistanais pour l’électricité, des Arabes pour la plomberie, des Afghans pour la maçonnerie… Les blancs, ce sont ceux qui sont dans les bureaux », détaille Moussa.

      « On retrouve sur les chantiers des JO des pratiques qu’on retrouve par ailleurs » dans le secteur du bâtiment, reconnaît #Bernard_Thibault, membre du comité d’organisation. « Mais on a un dispositif de surveillance un peu plus développé, avec un comité présent sur les chantiers, doté d’une permanence. Ça nous permet de repérer des cas », assure-t-il. L’ancien leader de la CGT fait aussi valoir que les syndicats ont été intégrés au conseil d’administration de Paris 2024 : « Des JO en France, ça ne s’organise pas comme une Coupe du monde au Qatar. » Des garde-fous qui n’empêchent pas certaines « entreprises de passer entre les mailles du filet », admet-il.

      La société qui emploie Moussa et les autres Maliens est gérée par un ressortissant turc via une nébuleuse d’autres entreprises. Elles prospèrent grâce à la #sous-traitance. « Celle qui paye n’est pas forcément celle qui est sur le chantier. A tel point qu’il est impossible de s’assurer de quelle est la boîte qui les embauche vraiment », explique Jean-Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale CGT de Bobigny. Contacté, le patron n’a pas répondu à nos sollicitations.

      « On les prend au mot »

      En juin, une enquête a été ouverte par le parquet de Bobigny pour « emploi d’étrangers sans titre », « recours au travail dissimulé » et « exécution en bande organisée d’un travail dissimulé ». Plusieurs contrôles ont aussi été menés par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités Ile-de-France. Depuis le début de l’année, hormis Moussa et ses collègues, seize autres travailleurs sans papiers se sont plaints de leurs conditions de travail sur des chantiers des Jeux olympiques. Ils ont obtenu la régularisation, ce qu’espèrent aussi Moussa et les autres. « Le gouvernement français veut des Jeux olympiques propres, on les prend au mot », avance Jean-Albert Guidou à la CGT.

      Les cas de ces travailleurs font écho au débat qui s’ouvre à l’Assemblée nationale ce mardi. Dans son projet de loi immigration prévu pour « début 2023 », le gouvernement envisage d’intégrer la possibilité pour les travailleurs sans papiers des « métiers en tension » d’obtenir un titre de séjour. Ce qui pourrait favoriser les conditions de régularisation de ces personnes. En attendant, quand il est question d’immigration, le débat se porte plus sur la question des expulsions que sur celle des régularisations. « Nous sommes sans papiers car la France ne veut pas nous régulariser mais les Jeux olympiques ne pourraient pas se faire sans nous », regrette Moussa, qui a vu plusieurs de ses demandes d’asile refusées. « Nous sommes venus ici comme tous les jeunes Africains qui rêvent d’Europe. On a vécu des choses horribles en Libye et on a traversé la Méditerranée. On ne pensait pas qu’ici on profiterait de nous. » Ni le parquet de Bobigny ni la Dreets n’ont répondu à nos sollicitations.

      Respectabilité. Ici, un Thibault notabilité semble se porter garant d’un simulacre de mieux disant social

      #BTP

  • Covid-19 : les Chinois épuisés par des confinements à répétition
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/01/covid-19-les-chinois-epuises-par-des-confinements-a-repetition_6148119_3244.

    Covid-19 : les Chinois épuisés par des confinements à répétition
    Des milliers d’ouvriers de l’usine géante de Foxconn ont fui la ville de Zhengzhou pour échapper à un confinement jugé inhumain. Des scènes de chaos familières en Chine, où des foyers de la maladie continuent d’apparaître malgré les mesures drastiques.
    Par Simon Leplâtre(Shanghaï, correspondance)
    Publié hier à 17h27, mis à jour à 05h30
    Un sac sur l’épaule, ou poussant une mauvaise valise à roulette, des milliers d’ouvriers de Foxconn ont pris la route, en fin de semaine, pour fuir un confinement strict et mal organisé dans les usines de Zhengzhou, capitale de la province du Henan, dans le centre de la Chine. Foxconn, principal sous-traitant d’Apple et d’autres géants de l’électronique, y emploie entre 200 000 et 300 000 salariés selon les saisons, pour assembler plus de la moitié des iPhone vendus dans le monde. Ces ouvriers, originaires de villes alentour, ont décidé de rentrer chez eux à pied, parfois sur des centaines de kilomètres, coupant à travers champs pour éviter des points de contrôle, d’après des vidéos partagées sur les réseaux sociaux ces derniers jours. Ils dénoncent des conditions de confinement inhumaines, le manque de nourriture et de réactivité de l’entreprise et des autorités. Ces scènes de chaos sont désormais familières en Chine, où la politique zéro Covid est toujours appliquée avec la plus grande fermeté. D’après la banque japonaise Nomura, au 27 octobre, 232 millions de Chinois se trouvaient soumis à des formes de restrictions, contre 225 millions la semaine précédente. En tout, 31 villes chinoises représentant 24,5 % du PIB sont concernées.
    Malgré trois ans d’expérience, les autorités locales semblent régulièrement dépassées dès qu’un foyer compte plus de quelques centaines de cas. A travers le pays, des confinements ont actuellement lieu au Xinjiang, dont certaines villes sont confinées depuis plus de trois mois, au Tibet, au Qinghai, mais aussi plus récemment dans la province du Guangdong, au sud-est, au Heilongjiang, au nord-est, et à Wuhan, où la pandémie de Covid-19 a débuté en décembre 2019. Lundi 31 octobre, la Chine a enregistré 2 719 cas, soit le niveau le plus élevé depuis la mi-août, alors que les températures baissent dans le pays, faisant craindre une possible reprise de l’épidémie cet hiver.
    Malgré les perturbations massives de l’économie et du quotidien des Chinois, le président Xi Jinping a réaffirmé l’importance de la stratégie zéro Covid lors du 20e congrès du Parti communiste chinois (PCC), qui s’est tenu du 16 au 22 octobre. Le secrétaire général du parti communiste, confirmé à son poste pour un troisième mandat inédit depuis Mao Zedong, a rappelé l’importance de la « guerre du peuple pour stopper la diffusion du virus ».
    Dans ces conditions, difficile de voir l’économie rebondir dans un avenir proche. Après un deuxième trimestre en recul, marqué par le confinement de Shanghaï, l’économie chinoise a officiellement retrouvé une croissance molle au troisième trimestre, avec 3,9 % de hausse du produit intérieur brut (PIB). Mais en octobre, la production industrielle a baissé, d’après l’indice PMI des directeurs d’achat, publié le 31 octobre. Les perturbations de l’usine Foxconn de Zhengzhou pourraient affecter 10 % de la production d’iPhone, en amont d’un pic de demande pour les fêtes de Noël. Mardi 1er novembre, le leader taïwanais de la sous-traitance électronique a proposé à ses salariés de Zhengzhou de quadrupler leur bonus s’ils restaient sur place. En Chine, les secteurs de la restauration, du tourisme, et du divertissement sont particulièrement touchés. Après le parc Universal Resort à Pékin quelques jours plus tôt, Disneyland à Shanghaï a fermé ses portes en fin de matinée lundi, enfermant des milliers de visiteurs, qui n’ont pu quitter les lieux qu’après l’obtention d’un résultat négatif à un test PCR effectué sur place. Dans toutes les grandes villes chinoises, la population est obligée de se soumettre à des tests PCR tous les trois jours pour emprunter les transports en commun et fréquenter les lieux publics. Malgré ces mesures coûteuses, des foyers de l’épidémie continuent d’apparaître aux quatre coins du pays. Au Xinjiang, dans l’Ouest, les habitants de la préfecture autonome kazakhe d’Ili sont confinés sans arrêt depuis début août. Depuis, toute la région autonome où vit la minorité ouïgoure, par ailleurs cible d’une répression féroce, est concernée. A Ili, le confinement semble interminable. Après un mois de restrictions, qui permettait encore aux familles de s’approvisionner dans les magasins, la préfecture autonome kazakhe d’Ili a imposé une « période de silence » début septembre, plus stricte encore, interdisant toute allée et venue. « Apparemment, d’autres résidences ont été prévenues de la mise en place de ces dix jours de silence, mais pas la nôtre. Au bout du troisième jour, on n’avait plus rien à manger », raconte une jeune chinoise de la minorité kazakhe, coincée à Ili après une visite familiale début août, et qui préfère garder l’anonymat. « 
    Après quelques semaines de répit, la ville est à nouveau confinée sine die depuis le 10 octobre. Pour celle qui a vécu le confinement de Shanghaï au printemps, ce deuxième confinement est d’autant plus dur que la situation de cette préfecture de 4,5 millions d’habitants est largement ignorée du reste de la Chine. « On est privés de nos moyens de subsistance, le bétail crève parce que les éleveurs sont confinés. Ils ne nous disent pas si ça va encore durer des semaines ou des mois, personne ne se préoccupe de ce qui se passe ici, et tout ce que nous publions sur les réseaux sociaux est immédiatement censuré. On veut que ça s’arrête, et on veut être entendus ! », poursuit-elle.

    #Covid-19#migrant#migration#chine#sante#zerocovid#deplacementinterne#confinement#economie#ouvrier#migrantinterne#foyerepidemique#test#restrictionsanitaire

  • « Tant qu’on sera dans un système capitaliste, il y aura du #patriarcat » – Entretien avec #Haude_Rivoal

    Haude Rivoal est l’autrice d’une enquête sociologique publiée en 2021 aux éditions La Dispute, La fabrique des masculinités au travail. Par un travail de terrain de plusieurs années au sein d’une entreprise de distribution de produits frais de 15 000 salariés, la sociologue cherche à comprendre comment se forgent les identités masculines au travail, dans un milieu professionnel qui se précarise (vite) et se féminise (lentement). Les travailleurs, majoritairement ouvriers, sont soumis comme dans tous les secteurs à l’intensification, à la rationalisation et à la flexibilisation du travail. Leur réponse aux injonctions du capitalisme et à la précarisation de leur statut, c’est entre autres un renforcement des pratiques viriles : solidarité accrue entre hommes, exclusion subtile (ou non) des femmes, déni de la souffrance… Pour s’adapter pleinement aux exigences du capitalisme et du patriarcat, il leur faut non seulement être de bons travailleurs, productifs, engagés et disciplinés, mais aussi des “hommes virils mais pas machos”. Pour éviter la mise à l’écart, adopter de nouveaux codes de masculinité est donc nécessaire – mais laborieux. Dans cette étude passionnante, Haude Rivoal met en lumière les mécanismes de la fabrique des masculinités au travail, au croisement des facteurs de genre, de classe et de race.

    Entretien par Eugénie P.

    Ton hypothèse de départ est originale, elle va à rebours des postulats féministes habituels : au lieu d’étudier ce qui freine les femmes au travail, tu préfères analyser comment les hommes gardent leur hégémonie au travail « malgré la déstabilisation des identités masculines au et par le travail ». Pourquoi as-tu choisi ce point de départ ?

    J’étais en contrat Cifre [contrat de thèse où le ou la doctorant.e est embauché.e par une entreprise qui bénéficie également de ses recherches, ndlr] dans l’entreprise où j’ai fait cette enquête. J’avais commencé à étudier les femmes, je voulais voir comment elles s’intégraient, trouvaient des stratégies pour s’adapter dans un univers masculin à 80%. Ce que je découvrais sur le terrain était assez similaire à toutes les enquêtes que j’avais pu lire : c’était les mêmes stratégies d’adaptation ou d’autocensure. J’ai été embauchée pour travailler sur l’égalité professionnelle, mais je n’arrivais pas à faire mon métier correctement, parce que je rencontrais beaucoup de résistances de la part de l’entreprise et de la part des hommes. Et comme je ne comprenais pas pourquoi on m’avait embauchée, je me suis dit que ça serait intéressant de poser la question des résistances des hommes, sachant que ce n’est pas beaucoup étudié par la littérature sociologique. J’ai changé un peu de sujet après le début de ma thèse, et c’est au moment où est sortie la traduction française des travaux de Raewyn Connell [Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie, Paris, Éditions Amsterdam, 2014, ndlr] : cet ouvrage m’a ouvert un espace intellectuel complètement fou ! Ça m’a beaucoup intéressée et je me suis engouffrée dans la question des masculinités.

    C’est donc la difficulté à faire ton travail qui a renversé ton point de vue, en fait ?

    Oui, la difficulté à faire le travail pour lequel j’ai été embauchée, qui consistait à mettre en place des politiques d’égalité professionnelle : je me rendais compte que non seulement je n’avais pas les moyens de les mettre en place, mais qu’en plus, tout le monde s’en foutait. Et je me suis rendue compte aussi que l’homme qui m’avait embauchée pour ce projet était lui-même extrêmement sexiste, et ne voyait pas l’existence des inégalités hommes-femmes, donc je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il m’avait embauchée. J’ai compris plus tard que les raisons de mon embauche était une défense de ses propres intérêts professionnels, j’y reviendrai. Ce n’est pas qu’il était aveugle face aux inégalités – il travaillait dans le transport routier depuis 40 ans, évidemment que les choses avaient changé -, mais j’avais beau lui expliquer que les discriminations étaient plus pernicieuses, il était persuadé qu’il ne restait plus grand-chose à faire sur l’égalité hommes-femmes.

    Comment se manifeste cette “déstabilisation des identités masculines au et par le travail”, cette supposée « crise de la virilité », que tu évoques au début de ton livre ?

    Je me suis rendue compte en interviewant les anciens et les nouveaux que rien qu’en l’espace d’une génération, il y avait beaucoup moins d’attachement à l’entreprise. Les jeunes générations avaient très vite compris que pour monter dans la hiérarchie, pour être mieux payé ou pour avoir plus de responsabilités, il ne suffisait pas juste d’être loyal à l’entreprise : il fallait la quitter et changer de boulot, tout simplement. Ce n’est pas du tout l’état d’esprit des anciens, dont beaucoup étaient des autodidactes qui avaient eu des carrières ascensionnelles. Il y avait énormément de turnover, et ça créait un sentiment d’instabilité permanent. Il n’y avait plus d’esprit de solidarité ; ils n’arrêtaient pas de dire “on est une grande famille” mais au final, l’esprit de famille ne parlait pas vraiment aux jeunes. Par ailleurs, dans les années 2010, une nouvelle activité a été introduite : la logistique. Il y a eu beaucoup d’enquêtes sur le sujet ! Beaucoup de médias ont parlé de l’activité logistique avec les préparateurs de commandes par exemple, une population majoritairement intérimaire, très précaire, qui ne reste pas longtemps… et du coup, beaucoup d’ouvriers qui avaient un espoir d’ascension sociale se sont retrouvés contrariés. Ce n’est pas exactement du déclassement, mais beaucoup se sont sentis coincés dans une précarité, et d’autant plus face à moi qui suis sociologue, ça faisait un peu violence parfois. Donc c’est à la fois le fait qu’il y ait beaucoup de turnover, et le fait qu’il n’y ait plus le même sentiment de famille et de protection que pouvait apporter l’entreprise, qui font qu’il y a une instabilité permanente pour ces hommes-là. Et comme on sait que l’identité des hommes se construit en grande partie par le travail, cette identité masculine était mise à mal : si elle ne se construit pas par le travail, par quoi elle se construit ?

    Ça interroge beaucoup le lien que tu évoques entre le capitalisme et le patriarcat : la précarisation et la flexibilisation du travail entraînent donc un renforcement des résistances des hommes ?

    Oui, carrément. Il y a beaucoup d’hommes, surtout dans les métiers ouvriers, qui tirent une certaine fierté du fait de faire un “métier d’hommes ». Et donc, face à la précarisation du travail, c’est un peu tout ce qu’il leur reste. Si on introduit des femmes dans ces métiers-là, qui peuvent faire le boulot dont ils étaient si fiers parce que précisément c’est un “métier d’hommes”, forcément ça crée des résistances très fortes. Quand l’identité des hommes est déstabilisée (soit par la précarisation du travail, soit par l’entrée des femmes), ça crée des résistances très fortes.

    Tu explores justement les différentes formes de résistance, qui mènent à des identités masculines diversifiées. L’injonction principale est difficile : il faut être un homme « masculin mais pas macho ». Ceux qui sont trop machos, un peu trop à l’ancienne, sont disqualifiés, et ceux qui sont pas assez masculins, pareil. C’est un équilibre très fin à tenir ! Quelles sont les incidences concrètes de ces disqualifications dans le travail, comment se retrouvent ces personnes-là dans le collectif ?

    Effectivement, il y a plein de manières d’être homme et il ne suffit pas d’être un homme pour être dominant, encore faut-il l’être “correctement”. Et ce “correctement” est presque impossible à atteindre, c’est vraiment un idéal assez difficile. Par exemple, on peut avoir des propos sexistes, mais quand c’est trop vulgaire, que ça va trop loin, là ça va être disqualifié, ça va être qualifié de “beauf”, et pire, ça va qualifier la personne de pas très sérieuse, de quelqu’un à qui on ne pourra pas trop faire confiance. L’incidence de cette disqualification, c’est que non seulement la personne sera un peu mise à l’écart, mais en plus, ce sera potentiellement quelqu’un à qui on ne donnera pas de responsabilités. Parce qu’un responsable doit être un meneur d’hommes, il faut qu’il soit une figure exemplaire, il doit pouvoir aller sur le terrain mais aussi avoir des qualités d’encadrement et des qualités intellectuelles. Donc un homme trop vulgaire, il va avoir une carrière qui ne va pas décoller, ou des promotions qui ne vont pas se faire.

    Quant à ceux qui ne sont “pas assez masculins », je n’en ai pas beaucoup rencontrés, ce qui est déjà une réponse en soi !

    Peut-on dire qu’il y a une “mise à l’écart” des travailleurs les moins qualifiés, qui n’ont pas intégré les nouveaux codes de la masculinité, au profit des cadres ?

    Non, c’est un phénomène que j’ai retrouvé aussi chez les cadres. Mais chez les cadres, le conflit est plutôt générationnel : il y avait les vieux autodidactes et les jeunes loups, et c’est la course à qui s’adapte le mieux aux transformations du monde du travail, qui vont extrêmement vite, en particulier dans la grande distribution. C’est une des raisons pour laquelle le directeur des RH m’a embauchée : il avait peur de ne pas être dans le coup ! L’égalité professionnelle était un sujet, non seulement parce qu’il y avait des obligations légales mais aussi parce que dans la société, ça commençait à bouger un peu à ce moment-là. Donc il s’est dit que c’est un sujet porteur et que potentiellement pour sa carrière à lui, ça pouvait être très bon. Ça explique qu’il y ait des cadres qui adhèrent à des projets d’entreprise avec lesquels ils ne sont pas forcément d’accord, mais juste parce qu’il y a un intérêt final un peu égoïste en termes d’évolution de carrière.

    On dit toujours que les jeunes générations sont plus ouvertes à l’égalité que les aînés, je pense que ce n’est pas tout à fait vrai ; les aînés ont à cœur de s’adapter, ils ont tellement peur d’être dépassés que parfois ils peuvent en faire plus que les jeunes. Et par ailleurs, les jeunes sont ouverts, par exemple sur l’équilibre vie pro et vie perso, mais il y a quand même des injonctions (qui, pour le coup, sont propres au travail) de présentéisme, de présentation de soi, d’un ethos viril à performer… qui font qu’ils sont dans des positions où ils n’ont pas d’autres choix que d’adopter certains comportements virilistes. Donc certes, ils sont plus pour l’égalité hommes-femmes, mais ils ne peuvent pas complètement l’incarner.

    L’une de tes hypothèses fortes, c’est que le patriarcat ingurgite et adapte à son avantage toutes les revendications sur la fin des discriminations pour se consolider. Est-ce qu’on peut progresser sur l’égalité professionnelle, et plus globalement les questions de genre, sans que le patriarcat s’en empare à son avantage ?

    Très clairement, tant qu’on sera dans un système capitaliste, on aura toujours du patriarcat, à mon sens. C’était une hypothèse, maintenant c’est une certitude ! J’ai fait une analogie avec l’ouvrage de Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, pour dire que la domination masculine est pareille que le capitalisme, elle trouve toujours des moyens de se renouveler. En particulier, elle est tellement bien imbriquée dans le système capitaliste qui fonctionne avec les mêmes valeurs virilistes (on associe encore majoritairement la virilité aux hommes), que les hommes partent avec des avantages compétitifs par rapport aux femmes. Donc quand les femmes arrivent dans des positions de pouvoir, est-ce que c’est une bonne nouvelle qu’elles deviennent “des hommes comme les autres”, c’est-à-dire avec des pratiques de pouvoir et de domination ? Je ne suis pas sûre. C’est “l’égalité élitiste” : des femmes arrivent à des positions de dirigeantes, mais ça ne change rien en dessous, ça ne change pas le système sur lequel ça fonctionne, à savoir : un système de domination, de hiérarchies et de jeux de pouvoir.

    Donc selon toi, l’imbrication entre patriarcat et capitalisme est indissociable ?

    Absolument, pour une simple et bonne raison : le capitalisme fonctionne sur une partie du travail gratuit qui est assuré par les femmes à la maison. Sans ce travail gratuit, le système capitaliste ne tiendrait pas. [à ce sujet, voir par exemple les travaux de Silvia Federici, Le capitalisme patriarcal, ndlr]

    Ça pose la question des politiques d’égalité professionnelle en entreprise : sans remise en question du système capitaliste, elles sont destinées à être seulement du vernis marketing ? On ne peut pas faire de vrais progrès ?

    Je pense que non. D’ailleurs, beaucoup de gens m’ont dit que mon livre était déprimant pour ça. Je pense que les politiques d’égalité professionnelle ne marchent pas car elles ne font pas sens sur le terrain. Les gens ne voient pas l’intérêt, parce qu’ils fonctionnent essentiellement d’un point de vue rationnel et économique (donc le but est de faire du profit, que l’entreprise tourne et qu’éventuellement des emplois se créent, etc), et ils ne voient pas l’intérêt d’investir sur ce sujet, surtout dans les milieux masculins car il n’y a pas suffisamment de femmes pour investir sur le sujet. J’ai beau leur dire que justement, s’il n’y a pas de femmes c’est que ça veut dire quelque chose, ils ont toujours des contre-arguments très “logiques” : par exemple la force physique. Ils ne vont pas permettre aux femmes de trouver une place égale sur les postes qui requièrent de la force physique. Quand les femmes sont intégrées et qu’elles trouvent une place valorisante, ce qui est le cas dans certains endroits, c’est parce qu’elles sont valorisées pour leurs qualités dites “féminines”, d’écoute, d’empathie, mais elles n’atteindront jamais l’égalité car précisément, elles sont valorisées pour leur différence. Le problème n’est pas la différence, ce sont les inégalités qui en résultent. On peut se dire que c’est super que tout le monde soit différent, mais on vit dans un monde où il y a une hiérarchie de ces différences. Ces qualités (écoute, empathie) sont moins valorisées dans le monde du travail que le leadership, l’endurance…

    Ça ne nous rassure pas sur les politiques d’égalité professionnelle…

    Si les politiques d’égalité professionnelle marchaient vraiment, on ne parlerait peut-être plus de ce sujet ! Je pense que les entreprises n’ont pas intérêt à ce qu’elles marchent, parce que ça fonctionne bien comme ça pour elles. Ca peut prendre des formes très concrètes, par exemple les RH disaient clairement en amont des recrutements : ”on prend pas de femmes parce que physiquement elles ne tiennent pas”, “les environnement d’hommes sont plus dangereux pour elles”, “la nuit c’est pas un environnement propice au travail des femmes”… Tu as beau répondre que les femmes travaillent la nuit aussi, les infirmières par exemple… Il y a un tas d’arguments qui montrent la construction sociale qui s’est faite autour de certains métiers, de certaines qualités professionnelles attendues, qu’il faudrait déconstruire – même si c’est très difficile à déconstruire. Ça montre toute une rhétorique capitaliste, mais aussi sexiste, qui explique une mise à l’écart des femmes.

    On a l’impression d’une progression linéaire des femmes dans le monde du travail, que ça avance doucement mais lentement, mais je constate que certains secteurs et certains métiers se déféminisent. On observe des retours en arrière dans certains endroits, ce qui légitime encore plus le fait de faire des enquêtes. Ce n’est pas juste un retour de bâton des vieux mormons qui veulent interdire l’avortement, il y aussi des choses plus insidieuses, des résistances diverses et variées.

    En plus, l’intensification du travail est un risque à long terme pour les femmes. Par exemple, il y a plus de femmes qui font des burnout. Ce n’est pas parce qu’elles sont plus fragiles psychologiquement, contrairement à ce qu’on dit, mais c’est parce qu’elles assurent des doubles journées, donc elles sont plus sujettes au burnout. Les transformations du monde du travail sont donc un risque avéré pour l’emploi des femmes, ne serait-ce que parce que par exemple, les agences d’intérim trient en amont les candidats en fonction de la cadence. Il faut redoubler de vigilance là-dessus.

    Tu analyses les types de masculinité qui se façonnent en fonction des facteurs de classe et de race. On voit que ce ne sont pas les mêmes types d’identités masculines, certaines sont dévalorisées. Quelles en sont les grandes différences ?

    Je ne vais pas faire de généralités car ça dépend beaucoup des milieux. Ce que Raewyn Connell appelle la “masculinité hégémonique”, au sens culturel et non quantitatif (assez peu d’hommes l’incarnent), qui prendrait les traits d’un homme blanc, d’âge moyen, hétérosexuel, de classe moyenne supérieure. Par rapport à ce modèle, il y a des masculinités “non-hégémoniques”, “subalternes”, qui forment une hiérarchie entre elles. Malgré le fait que ces masculinités soient plurielles, il y a une solidarité au sein du groupe des hommes par rapport au groupe des femmes, et à l’intérieur du groupe des hommes, il y a une hiérarchie entre eux. Les masculinités qu’on appelle subalternes sont plutôt les masculinités racisées ou homosexuelles. Elles s’expriment sous le contrôle de la masculinité hégémonique. Elles sont appréciées pour certaines qualités qu’elles peuvent avoir : j’ai pu voir que les ouvriers racisés étaient appréciés pour leur endurance, mais qu’ils étaient aussi assez craints pour leur “indiscipline” supposée. En fait, les personnes “dévalorisées” par rapport à la masculinité hégémonique sont appréciées pour leurs différences, mais on va craindre des défauts qui reposent sur des stéréotypes qu’on leur prête. Par exemple, les personnes racisées pour leur supposée indiscipline, les personnes des classes populaires pour leur supposé mode de vie tourné vers l’excès, les femmes pour leurs supposés crêpages de chignon entre elles…. C’est à double tranchant. Les qualités pour lesquelles elles sont valorisées sont précisément ce qui rend l’égalité impossible. Ces qualités qu’on valorise chez elles renforcent les stéréotypes féminins.

    Tu montres que le rapport au corps est central dans le travail des hommes : il faut s’entretenir mais aussi s’engager physiquement dans le travail, quitte à prendre des risques. Il y a une stratégie de déni de la souffrance, de sous-déclaration du stress chez les travailleurs : pour diminuer la souffrance physique et psychologique au travail, il faut changer les conditions de travail mais aussi changer le rapport des hommes à leur corps ?

    Je pensais que oui, mais je suis un peu revenue sur cette idée. Effectivement, il y plein d’études qui montrent que les hommes prennent plus de risques. C’est par exemple ce que décrit Christophe Dejours [psychiatre français spécialisé dans la santé au travail, ndlr] sur le “collectif de défense virile”, qui consiste à se jeter à corps perdu dans le travail pour anesthésier la peur ou la souffrance. Ce n’est pas forcément ce que j’ai observé dans mes enquêtes : en tout cas auprès des ouvriers (qui, pour le coup, avaient engagé leur corps assez fortement dans le travail), non seulement parce qu’ils ont bien conscience que toute une vie de travail ne pourra pas supporter les prises de risque inconsidérées, mais aussi parce qu’aujourd’hui la souffrance est beaucoup plus médiatisée. Cette médiatisation agit comme si elle donnait une autorisation d’exprimer sa souffrance, et c’est souvent un moyen d’entrée pour les syndicats pour l’amélioration des conditions de travail et de la santé au travail. Donc il y a un rapport beaucoup moins manichéen que ce qu’on prête aux hommes sur la prise de risques et le rapport au corps.

    En termes d’émotions, là c’est moins évident : on parle de plus en plus de burnout, mais à la force physique s’est substituée une injonction à la force mentale, à prendre sur soi. Et si ça ne va pas, on va faire en sorte que les individus s’adaptent au monde du travail, mais on ne va jamais faire en sorte que le monde du travail s’adapte au corps et à l’esprit des individus. On va donner des sièges ergonomiques, des ergosquelettes, on va créer des formations gestes et postures, on va embaucher des psychologues pour que les gens tiennent au travail, sans s’interroger sur ce qui initialement a causé ces souffrances.

    D’ailleurs, ce qui est paradoxal, c’est que l’entreprise va mettre en place tous ces outils, mais qu’elle va presque encourager les prises de risque, parce qu’il y a des primes de productivité ! Plus on va vite (donc plus on prend des risques), plus on gagne d’argent. C’est d’ailleurs les intérimaires qui ont le plus d’accidents du travail, déjà parce qu’ils sont moins formés, mais aussi parce qu’ils ont envie de se faire un max d’argent car ils savent très bien qu’ils ne vont pas rester longtemps.

    Donc ce sont les valeurs du capitalisme et ses incidences économiques (les primes par exemple) qui forgent ce rapport masculin au travail ?

    Oui, mais aussi parce qu’il y a une émulation collective. La masculinité est une pratique collective. Il y a une volonté de prouver qu’on est capable par rapport à son voisin, qu’on va dépasser la souffrance même si on est fatigué, et qu’on peut compter sur lui, etc. J’ai pu observer ça à la fois chez les cadres dans ce qu’on appelle les “boys clubs”, et sur le terrain dans des pratiques de renforcement viril.

    Tu n’as pas observé de solidarité entre les femmes ?

    Assez peu, et c’est particulièrement vrai dans les milieux masculins : la sororité est une solidarité entre femmes qui est très difficile à obtenir. J’en ai fait l’expérience en tant que chercheuse mais aussi en tant que femme. Je me suis dit que j’allais trouver une solidarité de genre qui m’aiderait à aller sur le terrain, mais en fait pas du tout. C’est parce que les femmes ont elles-mêmes intériorisé tout un tas de stéréotypes féminins. C’est ce que Danièle Kergoat appelle “le syllogisme des femmes”, qui dit : “toutes les femmes sont jalouses. Moi je ne suis pas jalouse. Donc je ne suis pas une femme.” Il y a alors une impossibilité de création de la solidarité féminine, parce qu’elles ne veulent pas rentrer dans ces stéréotypes dégradants de chieuses, de nunuches, de cuculs… Les femmes sont assez peu nombreuses et assez vites jugées, en particulier sur leurs tenues : les jugements de valeur sont assez sévères ! Par exemple si une femme arrive avec un haut un peu décolleté, les autres femmes vont être plutôt dures envers elle, beaucoup plus que les hommes d’ailleurs. Elles mettent tellement d’efforts à se créer une crédibilité professionnelle que tout à coup, si une femme arrive en décolleté, on ne va parler que de ça.

    Toi en tant que femme dans l’entreprise, tu dis que tu as souvent été renvoyée à ton genre. Il y a une forme de rappel à l’ordre.

    Oui, quand on est peu nombreuses dans un univers masculin, la féminité fait irruption ! Quels que soient tes attributs, que tu sois féminine ou pas tant que ça, tu vas avoir une pression, une injonction tacite à contrôler tous les paramètres de ta féminité. Ce ne sont pas les hommes qui doivent contrôler leurs désirs ou leurs remarques, mais c’est aux femmes de contrôler ce qu’elles provoquent chez les hommes, et la perturbation qu’elles vont provoquer dans cet univers masculin, parce qu’elles y font irruption.

    Toujours rappeler les femmes à l’ordre, c’est une obsession sociale. Les polémiques sur les tenues des filles à l’école, sur les tenues des femmes musulmanes en sont des exemples… Cette volonté de contrôle des corps féminins est-elle aussi forte que les avancées féministes récentes ?

    C’est difficile à mesurer mais ce n’est pas impossible. S’il y a des mouvements masculinistes aussi forts au Canada par exemple, c’est peut-être que le mouvement féministe y est hyper fort. Ce n’est pas impossible de se dire qu’à chaque fois qu’il y a eu une vague d’avancées féministes, quelques années plus tard, il y a forcément un retour de bâton. Avec ce qui s’est passé avec #metoo, on dirait que le retour de bâton a commencé avec le verdict du procès Johnny Depp – Amber Heard, puis il y a eu la la décision de la Cour Constitutionnelle contre l’avortement aux Etats-Unis… On n’est pas sorties de l’auberge, on est en train de voir se réveiller un mouvement de fond qui était peut-être un peu dormant, mais qui est bien présent. L’article sur les masculinistes qui vient de sortir dans Le Monde est flippant, c’est vraiment des jeunes. En plus, ils sont bien organisés, et ils ont une rhétorique convaincante quand tu ne t’y connais pas trop.

    Les milieux de travail très féminisés sont-ils aussi sujets à l’absence de sororité et à la solidarité masculine dont tu fais état dans ton enquête ?

    En général, les hommes qui accèdent à ces milieux ont un ”ascenseur de verre” (contrairement aux femmes qui ont le “plafond de verre”) : c’est un accès plus rapide et plus facile à des postes à responsabilité, des postes de direction. C’est le cas par exemple du milieu de l’édition : il y a énormément de femmes qui y travaillent mais les hommes sont aux manettes. Le lien avec capitalisme et virilité se retrouve partout – les hommes partent avec un avantage dans le monde du travail capitaliste, souvent du simple fait qu’ils sont des hommes et qu’on leur prête plus volontiers d’hypothétiques qualités de leader.

    Dans quelle mesure peut-on étendre tes conclusions à d’autres milieux de travail ou d’autres secteurs d’activité ? Est-ce que tes conclusions sont spécifiques à la population majoritairement ouvrière et masculine, et au travail en proie à l’intensification, étudiés dans ta thèse ?

    J’ai pensé mon travail pour que ce soit généralisable à plein d’entreprises. J’ai pensé cette enquête comme étant symptomatique, ou en tout cas assez représentative de plein de tendances du monde du travail : l’intensification, l’informatisation à outrance… Ces tendances se retrouvent dans de nombreux secteurs. Je dis dans l’intro : “depuis l’entrepôt, on comprend tout.” Comme partout, il y a de la rationalisation, de l’intensification, et de la production flexible. A partir de là, on peut réfléchir aux liens entre masculinités et capitalisme. Les problématiques de violence, de harcèlement sortent dans tous les milieux, aucun milieu social n’est épargné, précisément parce qu’elles ont des racines communes.

    Comment peut-on abolir le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme ?

    Je vois une piste de sortie, une perspective politique majeure qui est de miser sur la sororité. La sororité fonctionne différemment des boys clubs, c’est beaucoup plus horizontal et beaucoup moins hiérarchique. Il y a cette même notion d’entraide, mais elle est beaucoup plus inclusive. Ce sont des dominées qui se rassemblent et qui refusent d’être dominées parce qu’elles refusent de dominer. Il faut prendre exemple sur les hommes qui savent très bien se donner des coups de main quand il le faut, mais faisons-le à bon escient. C’est une solution hyper puissante.

    Ne pas dominer, quand on est dominante sur d’autres plans (quand on est blanche par exemple), ça revient à enrayer les différents systèmes de domination.

    Tout à fait. Les Pinçon-Charlot, on leur a beaucoup reproché d’avoir travaillé sur les dominants, et c’est le cas aussi pour les masculinités ! Il y a plusieurs types de critique : d’abord, il y a un soupçon de complaisance avec ses sujets d’étude, alors qu’il y a suffisamment de critique à l’égard de nos travaux pour éviter ce biais. Ensuite, on est souvent accusé.e.s de s’intéresser à des vestiges ou à des pratiques dépassés, parce que les groupes (hommes, ou bourgeois) sont en transformation ; en fait, les pratiques de domination se transforment, mais pas la domination ! Enfin, on peut nous reprocher de mettre en lumière des catégories “superflues”, alors qu’on devrait s’intéresser aux dominé.e.s… mais on a besoin de comprendre le fonctionnement des dominant.e.s pour déconstruire leur moyen de domination, et donner des armes à la sororité.

    https://www.frustrationmagazine.fr/entretien-rivoal
    #capitalisme #identité_masculine #travail #féminisation #précarisation #intensification #rationalisation #flexibilisation #pratiques_viriles #masculinité #codes #codes_de_masculinité #genre #classe #race #intersectionnalité #hommes #égalité_professionnelle #sexisme #discriminations #crise_de_la_virilité #turnover #instabilité #solidarité #logistique #ouvriers #ascension_sociale #déclassement #métier_d’hommes #résistance #disqualification #beauf #responsabilités #vulgarité #égalité_professionnelle #carrière #présentéisme #genre #domination_masculine #pouvoir #égalité_élitiste #hiérarchies #travail_gratuit #travail_domestique #force_physique #écoute #empathie #différence #leadership #rhétorique #endurance #déféminisation #intensification_du_travail #burnout #burn-out #cadence #masculinité_hégémonique #masculinités_subalternes #stéréotypes #indiscipline #corps #souffrance #stress #souffrance_physique #souffrance_psychique #conditions_de_travail #risques #santé_au_travail #émotions #force_mentale #primes #boys_clubs #renforcement_viril #sororité #syllogisme_des_femmes #solidarité_féminine #jugements_de_valeur #crédibilité_professionnelle #féminité #violence #harcèlement #entraide

  • Accident du travail : silence des ouvriers meurent @DuAccident

    Deux ouvriers manquent de mourir après être tombés dans une cuve de chocolat.
    @TF1Info y voit une information « insolite », évoque un « drame chocolaté » et fait référence à « Charlie et la chocolaterie ». Voilà où en est le traitement des accidents du travail..
    https://www.tf1info.fr/international/insolite-deux-employes-de-mars-tombes-dans-une-cuve-de-chocolat-sauves-aux-e

    #travail #ouvriers #accidents_du_travail

  • Non, l’automatisation ne fera pas disparaître le travail. Entretien avec J. S. Carbonell – CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/automatisation-travail-machines-industrie-entretien-carbonell

    David Broder – Votre travail résiste à l’idée que nous assistons à un « grand remplacement technologique » du travail humain. Pourquoi ? Et qu’est-ce que les caisses automatiques nous apprennent à ce sujet ?

    Juan Sebastián Carbonell – D’abord, parce que c’est faux ; le remplacement technologique n’a pas lieu. Je prends l’exemple des caisses automatiques, car il y a eu une controverse en France au début des années 2000. La CFDT (Confédération française démocratique du travail) a fait campagne contre elles, en disant qu’elles allaient remplacer les caissières des supermarchés. Les syndicats sont parfois eux-mêmes victimes de cette illusion : la mythologie capitaliste du « grand remplacement » du travail par les machines. Pourtant, vingt ans après leur introduction, les caisses automatiques ne sont présentes que dans 57% des supermarchés en France, et là où elles sont présentes, elles s’ajoutent, et ne remplacent pas, les caisses conventionnelles avec des caissières humaines. Elles ne sont pas non plus toujours aussi automatiques : il y a toujours des caissiers pour surveiller et aider les clients, même si leurs tâches ont changé.

    Le livre tente donc de remettre en question ce sens commun. Pour moi, le problème de la transformation du travail aujourd’hui n’est pas tant que les nouvelles technologies pourraient éventuellement remplacer les travailleur.euse.s, mais qu’elles sont utilisées pour dégrader les conditions de travail, faire stagner les salaires et mettre en place une flexibilisation majeure du temps de travail.

    #travail #salariat #automatisation #machines #capitalisme #délocalisations #livre

  • ★ Déprolétarisons-nous - Socialisme libertaire
    https://www.socialisme-libertaire.fr/2022/03/deproletarisons-nous.html

    Parce que la condition de prolétaire n’offre aucun projet positif, notre projet doit être celui de détruire notre condition de prolétaire en mettant fin à notre dépossession, à notre aliénation. L’essence de ce que nous avons perdu n’est pas le contrôle des moyens de production ni la richesse matérielle ; ce sont nos propres vies, notre propre capacité à créer notre existence selon nos propres besoins, nos propres désirs. Notre lutte est donc permanente et se déroule sur tous les terrains, puisque nous devons détruire tout ce qui agit pour nous déposséder de notre vie : le capital, l’État, le travail, l’idéologie, la morale, l’esprit de sacrifice, ainsi que toutes les organisations — même de gauche, même ouvriériste — qui tentent de réifier notre révolte et d’usurper notre lutte. Bref : tous les systèmes de contrôle.

    #capitalisme #prolétariat #syndicalisme #anarchisme #ouvriérisme

  • Charles Piaget : le doux rêve de l’autogestion politique- L’En Dehors
    http://endehors.net/news/charles-piaget-le-doux-reve-de-l-autogestion-politique

    Charles Piaget : le doux rêve de l’autogestion politique ➡ https://t.co/m4Jxk5wSgr Entretien avec Charles Piaget, héros de la lutte des #Lip, combat #ouvrier devenu mythique car réussi. Dix mois de lutte en 1973 qui débouchent sur l embauche progressive de tous les employés. (...) @Mediarezo Actualité / #Mediarezo

  • « Amazon tire vers le bas les conditions de travail dans tout le secteur », entretien avec David Gaboriau

    Pour le sociologue David Gaborieau, Amazon est « l’arbre qui cache la forêt » de la logistique, un secteur qui accueille désormais un quart des ouvriers français, et où les conditions de travail sont particulièrement difficiles.

    Ce vendredi 26 novembre est le « Black Friday », le « vendredi noir » venu des États-Unis pour désigner un jour de promotions commerciales particulièrement alléchantes avant les fêtes de fin d’année. Une tradition restée longtemps inconnue en France, jusqu’à ce qu’Amazon et d’autres acteurs de l’e-commerce l’imposent dans les usages.

    Ce vendredi encore (et toute la semaine qui l’a précédé, car la période de promotion s’est étendue), le site d’Amazon aura connu un pic de fréquentation, et son chiffre d’affaires une hausse fulgurante. L’occasion est belle pour les opposants à tout ce que représente le géant de l’e-commerce : Attac a appelé à cibler particulièrement ce vendredi ce mastodonte qui « incarne une vision du monde en totale contradiction avec la profonde aspiration à une vie décente sur une planète vivable ».

    Mais Amazon est bien installé durablement en France, et pèse désormais, y compris en tant qu’employeur. En 2014, l’entreprise comptait 2 500 salariés en CDI en France, et quatre entrepôts logistiques. Aujourd’hui, ils sont 14 500 salariés permanents répartis sur tout le territoire dans huit entrepôts – le dernier a ouvert cet été à Augny, en Moselle. Il faut donc aussi scruter le géant à travers ses pratiques sociales, et c’est ce que fait David Gaborieau.

    Sociologue du travail, chercheur au Centre d’études de l’emploi et du travail-Cnam et chercheur associé à l’université Paris-Est, il s’intéresse particulièrement au secteur de la logistique (Mediapart l’a déjà interrogé à ce sujet). Pour sa thèse consacrée aux « usines à colis », il a régulièrement travaillé en entrepôt, comme préparateur de commandes, pendant sept ans.

    Selon David Gaborieau, Amazon « est devenu l’ennemi idéal », et son comportement vis-vis de ses salariés peut en effet susciter la critique. Mais l’entreprise est aussi « l’arbre qui cache la forêt » de toute la logistique, un secteur particulièrement dur, qui accueille désormais un quart des ouvriers français.

    Mediapart : Dans les débats publics autour du travail en entrepôt et de la place de la logistique dans notre vie, Amazon occupe toute la place. Pourquoi ?

    David Gaborieau : Cela fait longtemps que je dis qu’Amazon est l’arbre qui cache la forêt de la logistique. Ce qui s’est joué particulièrement en France, c’est qu’Amazon est devenu l’ennemi idéal. Quand on cherche à critiquer les nouveaux modes de consommation ou la logistique, c’est Amazon qui est la cible prioritaire.

    Amazon a tout ce qu’il faut pour constituer cette cible : un très grand groupe, états-unien, qui ne paye pas ses impôts en Europe, qui cherche à s’approprier des parts de marché gigantesques, et qui a commencé par investir le marché du livre, un secteur hautement symbolique en France.

    L’envergure du groupe justifie pleinement l’attention qu’on lui porte. Par exemple sur la question écologique : Amazon entraîne de grands changements dans nos modes de consommation, avec des conséquences catastrophiques. On l’a vu dans le scandale révélé en juin par Les Amis de la Terre autour de la destruction des invendus par Amazon au Royaume-Uni.

    Cette focalisation vous semble-t-elle parfois exagérée ?

    Amazon ne représente pas tout le secteur de la logistique. Si on reste sur la question écologique, la surface occupée par des entrepôts en France a plus que doublé en dix ans, passant de 32 millions à 78 millions de mètres carrés. Pour lutter contre l’artificialisation des terres et la destruction des terres agricoles, il peut être utile de cibler Amazon, mais il faut aussi considérer le secteur dans son ensemble.

    Amazon sert régulièrement de bouc émissaire. On l’a aussi vu pendant la crise sanitaire, où les seuls entrepôts qui ont dû fermer quelque temps sont ceux d’Amazon. C’était à la fois intéressant, car c’était une première, mais aussi aberrant de voir que seule cette entreprise était visée, alors que le problème était beaucoup plus large.

    Ce n’est pas pour rien si Amazon est mis en avant. Mais le pas suivant est de se poser de façon plus globale la question des modèles logistiques et des chaînes d’approvisionnement.

    Mais le poids d’Amazon fait de lui un acteur à part.

    Oui. Il faut tenir compte du fait qu’en tant qu’acteur dominant de l’e-commerce, en France et ailleurs dans le monde, Amazon transforme les conditions de travail dans l’ensemble de son secteur. Son modèle accroît la pression sur les coûts et sur les temps de livraison, et donc tire vers le bas les conditions de travail et les conditions d’emploi (car la part de l’intérim y augmente).

    On note aussi un affaiblissement des syndicats. Ce sont des logiques qui existaient déjà, et qui se renforcent. Plusieurs enquêtes sociologiques récentes le montrent bien, notamment aux États-Unis. (À ce sujet, lire cet article https://journals.openedition.org/travailemploi/10219 paru dans le récent numéro de la revue Travail et emploi sur « Les mondes logistiques », coordonné par Carlotta Benvegnù et David Gaborieau).

    Et en France, les conditions de travail des salariés d’Amazon sont-elles meilleures ou pires qu’ailleurs ?

    Elles ne sont ni meilleures ni pires. Les conditions de travail de l’ensemble du secteur de la logistique sont très dégradées. Le taux de fréquence des accidents du travail y est deux fois plus élevé que la moyenne. On se rapproche du niveau du BTP, qui a toujours été en tête du classement.

    Ce secteur génère de la pénibilité en raison du port de charges lourdes, cela est déjà ancien. Mais à partir du début des années 2000, on a aussi noté une vague d’intensification du travail, qui accroît cette pénibilité, notamment avec l’introduction d’outils numériques, qui accélèrent le rythme de travail : commande vocale, scanners avec écran tactile…

    Amazon est arrivé à cette époque [son premier entrepôt français a ouvert en 2007 – ndlr] , et dans ses usines, il y a ces nouvelles technologies. Toutes les données de l’entrepôt sont gérées avec des outils informatiques connectés aux ouvriers, qui, eux, gèrent le flux physique. L’accroissement de la circulation des données génère une intensification du travail, chez Amazon comme partout ailleurs.

    Vous soulignez que, de plus en plus, le travail en entrepôt ressemble au travail à la chaîne des ouvriers à l’usine.

    Dans l’ensemble de l’e-commerce, on voit apparaître ces dernières années des tapis roulants sur lesquels circulent les colis. Il y a quelques années, on disait qu’un salarié d’Amazon faisait 25 ou 30 km à pied par jour. C’est de moins en moins le cas. De plus en plus, le métier est celui d’un #ouvrier en travail posté, qui ne bouge plus, devant un tapis. Exactement à la façon des anciens « OS », les ouvriers spécialisés qui travaillent à la chaîne, comme Charlie Chaplin dans Les Temps modernes.

    Dans la logistique, il y a des entrepôts plus ou moins avancés sur ce point, mais les entrepôts Amazon sont vraiment devenus des usines à colis, avec des ouvriers spécialisés soumis au taylorisme. Un taylorisme assisté par ordinateur.

    Y a-t-il des avantages à travailler chez Amazon ?

    Sous certains aspects, travailler chez Amazon offre de meilleures conditions qu’ailleurs. La propreté dans l’entrepôt, la luminosité, tout ce qui concerne l’environnement de travail sont assez contrôlés.
    En revanche, l’hyper-sollicitation, et les gestes très répétitifs, va y être plus forte, parce qu’il y a beaucoup de petits produits qui circulent dans les entrepôts de l’e-commerce, ce qui implique une multiplication de gestes très rapides pour les ouvriers.

    Ce qui diffère vraiment chez Amazon, ce n’est pas le travail en lui-même, mais plutôt ce qui tourne autour. C’est une entreprise qui utilise beaucoup de communication interne, avec un slogan marquant, « Work hard, have fun, make history » (« Travailler dur, s’amuser, entrer dans l’histoire »), des activités ludiques dans l’entrepôt, où on fête Halloween ou Noël, un encadrement intermédiaire très jeune, familier avec les salariés. Amazon mobilise aussi tout un imaginaire de la grande entreprise, avec un vocabulaire à part, anglicisé.

    Quand on interroge des intérimaires qui circulent d’un entrepôt à un autre, ils ne disent pas que c’est pire qu’ailleurs. Ils disent tout de même que c’est mal payé, parce que les salaires y sont faibles.

    Mais ceux qui ont l’habitude des métiers physiques, dans des entrepôts sales ou anciens, décrivent l’entreprise comme « la maison des fous » – c’est une expression qui est revenue plusieurs fois dans mes enquêtes. Il y a ce décalage entre le travail à effectuer, les perspectives d’emploi qui sont faibles, et le monde enchanté qui est construit tout autour.

    À l’inverse, certains peuvent être convaincus, pour un temps au moins, par ce type de communication. Il s’agit notamment de salariés qui ont été longtemps éloignés de l’emploi.

    Dans cette ambiance, les syndicats ont-ils leur place ?

    C’est une autre distinction d’Amazon : la politique antisyndicale y est forte. Le #management cherche à surmobiliser les salariés, en développant un imaginaire particulier et en suscitant une adhésion chez des salariés qui ne sont pourtant que des exécutants.

    On a l’habitude de dire que le #taylorisme déshumanise, mais on a là une entreprise qui essaye de créer une « sur-humanisation managériale » – un terme emprunté à la sociologue Danièle Linhart.

    Cela implique un fort niveau de contrôle sur ce qui se passe sur le lieu de travail. Pas seulement un contrôle des tâches, mais aussi de l’ambiance, des discours qui sont produits sur le travail, des relations entre les personnes. Il y a une volonté de contrôler des espaces qui ne sont pas seulement ceux du geste ou de la tâche productive.

    Et dans ce modèle, avoir dans l’entreprise des syndicats d’opposition est considéré comme inacceptable. Comme contraire à l’ambition d’embarquer tous les salariés dans un même bateau, dans une grande aventure. (Lire aussi notre enquête sur les récentes condamnations de l’entreprise pour des licenciements de syndicalistes.)

    On le sait pour les États-Unis, où l’entreprise combat l’implantation des syndicats. Mais en France également ?

    Oui, même s’il est difficile d’avoir des chiffres concrets. Il peut y avoir de la discrimination syndicale, des syndicalistes licenciés pour leur action, mais il existe aussi d’autres éléments : pendant les mobilisations des « gilets jaunes », Amazon a enclenché plusieurs procédures de licenciement à l’égard de salariés qui avaient laissé des commentaires sur des groupes Facebook, où ils parlaient de leur entreprise https://www.leparisien.fr/economie/amazon-met-a-la-porte-des-salaries-pro-gilets-jaunes-03-02-2019-8003163.p. Pour repérer ce type de commentaires, il faut avoir une politique de surveillance active des réseaux sociaux, voire de ses salariés sur les réseaux sociaux.

    On le voit d’ailleurs bien lors de nos enquêtes sociologiques. Quand on travaille sur de grands groupes, il est rare que l’on soit contacté par ces groupes. Dans le cas d’Amazon, si on ne les contacte pas dès le départ, on peut être sûr qu’une responsable de la communication nous contactera à un moment, pour nous proposer de nous aider dans nos recherches. Et c’est plutôt intéressant de notre point de vue, même si nous savons que c’est une manière de contrôler un peu notre travail.

    Vous affirmez que le cœur de métier d’Amazon n’est pas la gestion d’un site internet, mais bien celle de l’organisation de ses ouvriers dans ses entrepôts.

    On peut sûrement en débattre, mais je pense qu’il est important de rappeler la centralité de l’exploitation massive d’une main-d’œuvre ouvrière dans ce modèle. Amazon, c’est 1,2 million de salariés dans le monde, et 15 000 en France, dont une grosse majorité d’ouvriers.

    Le discours qui a beaucoup été véhiculé sur l’entreprise a été celui d’une économie numérique, digitale, avec une image dématérialisée et volontairement dématérialisante. Amazon cherche toujours à effacer cet aspect-là de son activité : l’#usine, les ouvriers, les prolétaires.

    Ce discours se poursuit aujourd’hui, et son impact est fort : à chaque fois que je parle au grand public d’Amazon, on me dit que ses entrepôts sont déjà automatisés, ou qu’ils le seront bientôt. C’est entièrement faux. L’entreprise continue de recruter massivement. Elle bénéficie de nouvelles technologies, et de gains de productivité importants, certes. Mais à aucun moment on ne fait disparaître les ouvriers de ce modèle. Ils sont centraux.

    Un exemple flagrant du discours de l’entreprise, ce sont les vidéos montrant les robots Kiva https://www.youtube.com/watch?v=ULswQgd73Tc

    , rachetés par Amazon, à l’œuvre dans les entrepôts. Ils déplacent automatiquement des colis sur les étagères, oui.

    Mais dans ces vidéos, on ne voit jamais le poste de travail qui consiste à mettre les colis sur ces étagères, ou à les récupérer pour les mettre sur d’autres supports. Un travail occupé par un salarié, très répétitif et avec peu de latitude de mouvement.

    Dire que les ouvriers vont bientôt disparaître du monde industriel, c’est une chimère sans cesse renouvelée.

    Les salariés d’Amazon travaillent-ils sous commande vocale, avec un casque et un micro pour dialoguer avec une machine qui leur dicte leurs tâches, minute après minute ?

    Non, contrairement à ce qui se passe dans tous les entrepôts de la grande distribution alimentaire. En revanche, ils travaillent avec d’autres outils numériques. Et tous ces outils, commande vocale, PDA [personal digital assistants, petites tablettes numériques – ndlr], scanners ou bagues portant des scanners, produisent sensiblement les mêmes effets : perte d’autonomie, perte de savoir-faire, intensification du travail, contrôle accru et individualisation des tâches.

    Les travailleurs de ce monde-là évoluent-ils dans un monde différent de celui des ouvriers classiques ?

    On pourrait dire que ce sont les nouveaux ouvriers. Mais la différence avec les anciens mondes ouvriers (qui s’affaiblissent sans disparaître), où l’on fabrique des produits dans des usines, est que les conditions de travail sont un peu plus dégradées. Si on compare avec les usines automobiles, par exemple, les salaires y sont plus faibles, et les possibilités de carrière sont bien moindres.

    Dans le monde ouvrier classique, il y a des possibilités de petites évolutions, à l’ancienneté, qui permettent d’obtenir petit à petit des postes moins exposés à la pénibilité. Malgré les difficultés, on peut tenter de s’ancrer durablement dans un métier pour y trouver une stabilité. Dans les entrepôts, cela n’existe presque plus.

    Ce qui se passe, c’est que les salariés quittent l’entrepôt parce qu’ils savent que s’ils restent, on ne leur proposera pas d’évolution professionnelle et qu’ils auront des problèmes de santé. D’ailleurs, le secteur s’appuie massivement sur l’#intérim, ce qui l’exonère d’avoir à gérer toute une partie des problèmes de santé (lire ici notre reportage sur l’intérim dans un entrepôt Amazon https://www.mediapart.fr/journal/economie/261121/chez-amazon-l-interim-c-est-toute-l-annee).

    Décelez-vous l’émergence d’une conscience collective de ces ouvriers d’un nouveau genre ?

    Oui, c’est en train de bouger. D’abord parce que ces salariés deviennent très nombreux. Il y a 800 000 ouvriers dans la logistique en France, et 1,5 million si on ajoute le transport de marchandises et les livreurs. C’est-à-dire un quart des ouvriers. Le double de ce qu’ils représentaient dans les années 1980.

    Le souci est que cette émergence est assez récente et que le secteur a longtemps été éclaté en petites unités, avec beaucoup de turn-over, pas de carrière possible, et souvent des problèmes de santé. Il est donc difficile de s’inscrire durablement dans ce métier. En l’état, c’est juste un boulot de passage, dont on espère pouvoir sortir rapidement.

    À une échelle plus large et plus politique, la faible visibilité sociale de ces travailleurs fait qu’ils ont du mal à s’identifier. Dans les représentations classiques, le monde ouvrier reste associé à la production, à une usine qui fabrique des objets.

    Mais le monde s’est transformé, la circulation des produits y est devenue centrale. Ces nouveaux ouvriers produisent du flux, dans des usines à colis. Ils occupent aujourd’hui des lieux aussi stratégiques pour le capitalisme que l’étaient les grandes usines automobiles des années 1970-1980. Les forteresses ouvrières mythiques ont disparu, mais il faut essayer de les retrouver dans des secteurs comme la logistique.

    L’enjeu est aussi syndical.

    Tout à fait. Aujourd’hui, dans le secteur, le taux de syndicalisation est de 4 %, contre 10 % dans le monde ouvrier. La logistique elle-même a participé à favoriser l’éclatement des unités productives, qu’on observe depuis les années 1980 : grâce à une chaîne logistique performante qui relie ses différentes petites unités, un grand groupe peut avoir beaucoup plus recours à la sous-traitance. Cet éclatement rend difficiles l’identification et le syndicalisme.

    Mais actuellement, avec Amazon et plus généralement avec l’e-commerce, on voit réapparaître de très gros acteurs, avec de très gros entrepôts qui sont en train de devenir de très grosses usines. On a donc un phénomène de reconcentration ouvrière dans ces lieux. Et presque automatiquement, quand on met ensemble 2 000, 3 000, et maintenant 5 000 ouvriers comme dans certains entrepôts Amazon, on recrée de l’activité syndicale.

    En quelques années chez Amazon en France, on est parti d’un désert syndical et on est arrivé à des bases syndicales désormais bien implantées, qui arrivent à enrôler une partie de la main-d’œuvre. Ce qui manque en revanche, c’est une représentation syndicale à l’échelle de tout le secteur, un cadre qui permettrait de porter une parole commune et des revendications plus larges, pour l’ensemble de ces ouvriers, comme peuvent le faire les chauffeurs routiers par exemple.

    https://www.mediapart.fr/journal/economie/261121/amazon-tire-vers-le-bas-les-conditions-de-travail-dans-tout-le-secteur

    #travail #logistique #Amazon

  • Vague de grèves de salariés frustrés et épuisés aux États-Unis Radio Canada -
    https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1832259/economie-entreprises-travail-syndicats-striketober

    Ouvriers, infirmiers... Des dizaines de milliers de salariés américains, fatigués par de longues heures de travail pendant la pandémie et frustrés face aux profits de leurs employeurs, ont engagé des mouvements de grève cet automne.

    Quelque 31 000 employés du groupe de santé Kaiser Permanente dans l’ouest des États-Unis menacent aussi de cesser, sous peu, le travail.


    Depuis jeudi dernier, 10 000 salariés du constructeur américain de tracteurs John Deere sont en grève. Plusieurs milliers de travailleurs ont engagé des mouvements de grève cet automne aux États-Unis. Photo : Getty Images / Scott Olson

    Depuis jeudi, 10 000 salariés du constructeur de tracteurs John Deere sont, eux, déjà en grève ; 1400 chez le fabricant de céréales Kellogg’s depuis le 5 octobre, et plus de 2000 employés de l’hôpital Mercy à Buffalo depuis le 1er octobre.

    À Hollywood, une grève des équipes de tournage qui menaçait de paralyser à partir de lundi l’industrie du cinéma américain a été évitée de justesse ce week-end, avec la conclusion d’un accord sur les conditions de travail de ces employés techniques.

    Le mot Striketober, contraction de “strike” (grève) et “october” (octobre), est apparu sur les réseaux sociaux. La vedette de l’aile gauche du Parti démocrate, Alexandria Ocasio-Cortez, l’a même mis en avant jeudi sur Twitter.

    Pendant la pandémie, pour compenser les nombreux absents, “on a sacrifié du temps avec nos familles, on a manqué les matchs des enfants, des dîners, pour s’assurer que les boîtes de céréales soient dans les magasins”, raconte Dan Osborn, mécanicien chez Kellogg’s depuis 18 ans.

    Et c’est comme ça qu’on nous récompense ? En nous demandant de faire des concessions, alors même que le PDG et les grands chefs s’accordent des augmentations ?
    Une citation de :Dan Osborn, mécanicien chez Kellogg’s

    Ce président de la section locale du syndicat BCTGM se sent floué. “On ne demande pas d’augmentations de salaire”, remarque-t-il.

    Et les employés ne rechignent pas aux longues heures. Mais ils s’opposent à la généralisation d’une catégorie d’employés n’ayant pas accès aux mêmes avantages et à la suppression de l’ajustement automatique des salaires au coût de la vie, un point important au moment où l’inflation est forte.

    La grève “durera le temps qu’il faudra, il suffit de tenir un jour de plus que l’entreprise”, dit-il.


    Environ 1400 employés du fabricant de céréales Kellogg’s sont en grève depuis le 5 octobre. Photo : Associated Press / Alyssa Keown

    Les grévistes “revendiquent en majorité une amélioration des conditions de travail”, remarque Kate Bronfenbrenner, spécialiste des mouvements syndicaux à l’Université Cornell.

    Les organisations font plus de profits que jamais et demandent aux salariés de travailler plus que jamais, parfois en risquant leur vie avec la COVID-19.
    Une citation de :Kate Bronfenbrenner, spécialiste des mouvements syndicaux à l’Université Cornell _

    Mais face à des employeurs refusant les compromis, les salariés “sont moins enclins à accepter des conventions collectives ne répondant pas à leurs besoins”, remarque-t-elle.

    Un mouvement de grèves en hausse
    Il est difficile de connaître le nombre exact de grèves, le gouvernement américain ne recensant que celles impliquant plus de 1000 salariés. Mais la tendance est clairement à la hausse depuis le mouvement des enseignants en Virginie-Occidentale en 2018, affirme Josh Murray, professeur de sociologie à l’Université Vanderbilt.

    Déçus par la convention négociée par leur syndicat, les enseignants avaient décidé de se mettre en grève, obtenant satisfaction. Il y a eu ensuite un phénomène de contagion.

    Plus il y a de grèves qui parviennent à leurs fins, plus il y en a qui démarrent, car les gens commencent à vraiment croire qu’ils peuvent gagner et sont prêts à risquer leur salaire ou leur emploi.
    Une citation de :Josh Murray, professeur de sociologie à l’Université Vanderbilt

    La grève chez Kellogg’s succède ainsi à celle en juillet de 600 salariés dans le Kansas d’une usine de gâteaux apéritifs Frito-Lay, filiale de PepsiCo. Ils avaient cessé le travail pendant 19 jours pour obtenir, entre autres, la garantie d’un jour de congé par semaine et des augmentations.

    Le millier de grévistes des grignotines Nabisco (filiale du géant Mondelez) ont, eux, obtenu des concessions en septembre après cinq semaines de conflit.

    Autre source de motivation, “pendant la pandémie, ces travailleurs ont pris conscience qu’ils étaient essentiels, que l’économie ne pouvait pas fonctionner sans eux”, remarque M. Murray.

    Les syndicats ont aussi profité ces dernières années de la montée de divers mouvements sociaux avec qui ils ont su s’associer, comme le syndicat des métiers de l’hôtellerie en Arizona, Unite Here, avec les organisations de migrants.
    Il y aura forcément un effet de balancier, les entreprises ne vont pas laisser les coûts salariaux augmenter trop.
    Une citation de :Josh Murray, professeur de sociologie à l’Université Vanderbilt

    Mais, en attendant, “les économistes et les sociologues ont démontré que plus le marché du travail est tendu [comme c’est le cas actuellement aux États-Unis, NDLR], plus les travailleurs ont du pouvoir, plus la probabilité de grèves est élevée”.

    #USA #grèves #salariés #salariées #pandémie #profits #Ouvriers #Ouvrières #infirmières #infirmiers #john_deere #kellogg's #hollywood #strike #pepsico #pepsi #Mondelez

  • Un homme est mort.
    http://rougemidi.org/spip.php?article10274

    Cela n’est pas en soi un motif de réjouissance mais de là à lui rendre hommage...


    Que cet hommage vienne de gens comme Macron, Séguéla, Sarkozy ou Hidalgo, cela n’a rien de surprenant puisqu’il a toujours été de leur clan. Celui de l’argent et du pouvoir, du grand patronat insolent et méprisant, au point qu’il a toujours pu compter sur le soutien sans faille de son camp même quand il a été pris la main dans le sac de magouilles les plus sordides.

    Mais qu’il se trouve des gens qui se réclament du camp des travailleurs pour rendre hommage au truqueur à l’égo surdimensionné qu’il était, cela laisse pantois.

    En ce qui me concerne, j’avais bien plus que des divergences avec ce bateleur qui jouait avec la vie des travailleurs comme d’autres jouent au tiercé et ce sans aucun respect de rien. Capable de dire avec aplomb le contraire de ce qu’il avait dit la veille.

    Bien sûr je pense à celles et ceux de Manufrance, de la Vie Claire, de Terraillon, d’Adidas et tant d’autres qui ont fait les frais dans leur chair des mensonges et des tripatouillages de l’illusionniste que le pouvoir mitterrandien encourageait dans ses œuvres.

    Je pense aussi particulièrement aux 105 du chantier naval de La Ciotat qui attendaient le 1er septembre 1989 que le patron qui s’était engagé à les embaucher pour construire des bateaux de plaisance vienne le faire. Il n’est jamais venu et sera d’ailleurs condamné aux prud’hommes pour cela.

    On saura plus tard que les bateaux qu’il avait soi-disant en commande étaient ceux qui étaient déjà commandés au chantier de Villeneuve-la-Garenne : déshabiller Pierre pour (mal) habiller Paul, il savait faire.

    Seule la lutte et le sens de la solidarité des métallos fera échouer la manœuvre.

    Mais il y aura pire.

    On apprendra plus tard par une lettre officielle de Jean-Pierre Jouyet, chef de cabinet du ministre de l’Industrie d’alors, Roger Fauroux, que le truqueur voulait en fait récupérer l’ensemble des équipements du chantier dont la revente, au seul prix de la ferraille, aurait rapporté des millions de francs...

    Et ce dans une ville aux 4000 chômeurs qui avait connu, dans l’année qui a suivi la fermeture, 50 suicides et 500 familles éclatées...Mon deuil est pour ceux-là.

    Pour finir quant à ceux qui confondent arrivisme sans scrupules tous azimuts et engagement tenace pour de grandes causes humaines, qui assimilent son entrée dans le sport à une passion digne de Pierre de Coubertin, le marseillais que je suis dira seulement ceci. Il a été avec son homologue d’alors du club de foot de Bordeaux, celui qui a contribué à polluer non seulement le football, mais à sa suite l’ensemble du sport français. Le polluer par l’argent, revendiquant son droit d’acheter et de revendre des hommes pour en faire ses esclaves dorés.

    A ce titre s’il fut « un président de club de foot remarquable » c’est pour son affairisme sans scrupules et son sens du truquage qui lui valut une de ses condamnations.

    Lui et ceux qui se sont engagés sur ses pas ont donné raison à l’un des plus grands footballeurs de tous les temps, Alfredo Di Stefano qui disait : "Le vrai football s’est arrêté le jour où le premier coiffeur a mis les pieds dans un vestiaire."

    Est bien malade une société qui rend hommage aux licencieurs, truqueurs et truands en col blanc qui ne méritent même pas qu’on les cite nommément.
    #tapie #bernard_tapie #fraude_fiscale #impunité #grand_homme #PS #en_vedette #france #travail #justice #actualités_françaises #politique #médias #chômage #ouvrières #ouvriers #revue_de_presse #actualités_françaises #politique #mérdias #argent

  • Hommage a bernard tapie par Jean-Paul Mahoux
    https://www.asymptomatique.be/hommage-a-bernard-tapie-par-jean-paul-mahoux/?share=email

    En hommage à Bernard, je vous propose ces quelques photos.

    Photos des ouvriers de la fabrique de balances de précision Terraillon, rachetée 1 franc en 1981 et revendue 125 millions en 1986.

    Photos des ouvriers en grève de Manufrance à Saint-Étienne, rachetée, revendue.

    Photos d’ouvriers de la fabrique de cadres en carbone Look, rachetée 1 franc en 1983 et revendue 260 millions en 1988.

    Photos des employées des boutiques bio « La Vie claire », rachetées 1 franc en 1980 et revendue on ne sait combien en 1995.

    Photo des artisans d’instruments de mesure de l’usine Testut, rachetée 1 franc en 1983 et mise en liquidation en 2003 (pour laquelle Tapie a été condamné pour abus de biens sociaux).

    Photo d’une ouvrière en larmes des usines de piles électriques Wonder, rachetée 1 franc en 1984 et revendue 470 millions en 1988 à l’Américain Ralston qui fermera toutes les usines en 1994.

    Photo des usines belges Donnay à Couvin rachetées 1 franc en 1988 et revendue 100 millions de francs en 1991 à la région wallonne.
    Aujourd’hui c’est une friche industrielle.

    Photo des ouvrières d’Adidas au Cambodge, société qui pèse dix milliards d’euros en Bourse et que Tapie a possédé trois ans, le temps de la délocaliser en Asie.

    C’est suite au montage frauduleux de la revente d’Adidas au Crédit Lyonnais que Tapie a plongé dans les ennuis judiciaires interminables.

    En fait, c’était un hommage au travail, pas au capital.

    Jean-Paul Mahoux

    #tapie #bernard_tapie #fraude_fiscale #impunité #grand_homme #PS #en_vedette #france #travail #justice #actualités_françaises #politique #médias #chômage #ouvrières #ouvriers

  • Grèves d’ouvrières en usine : une non-mixité émancipatrice ?
    https://metropolitiques.eu/Greves-d-ouvrieres-en-usine-une-non-mixite-emancipatrice.html

    La division du travail industriel place souvent les ouvrières dans des usines composées exclusivement de femmes et de postes peu qualifiés. Ève Meuret-Campfort étudie comment les périodes de grèves conduisent – ou non – ces travailleuses à politiser et revendiquer cette non-mixité de fait comme instrument d’émancipation. Dans le monde #ouvrier industriel, les ouvrières se trouvent souvent en situation de non-mixité de fait, concentrées dans des secteurs d’emploi très féminisés, comme celui de #Terrains

    / non-mixité, #mobilisation, #féminisme, ouvrier, #politisation

    #non-mixité
    https://metropolitiques.eu/IMG/pdf/met_meuret-campfort.pdf

  • Jennifer Bates : « Nous sommes les milliardaires d’Amazon » Jonathan Lefèvre

    « Dès le troisième jour, je souffrais, j’ai regardé autour de moi et j’ai réalisé que je n’étais pas la seule à souffrir. » Arrivée en mai dernier à l’entrepôt de Bessemer (Alabama), Jennifer Bates décide quelques semaines plus tard de tenter l’inimaginable : créer un syndicat chez Amazon. Portrait.


    Jennifer Bates, une ouvrière qui a fait bouger le président des États-Unis. (Photo AFP)

    En commençant à travailler chez Amazon, l’ancienne ouvrière de l’automobile pensait avoir trouvé un « bon job » : 15 dollars de l’heure, une assurance-maladie. Mais elle déchante vite. « Ce n’est pas seulement physique. C’est une tension mentale. » Jennifer Bates parle du contrôle du temps – « time off task » – en vigueur chez Amazon : chaque seconde où le travailleur ne fait pas la tâche qui lui est assignée est comptée. Si ce quota est dépassé, les travailleurs sont pénalisés (jusqu’au licenciement). Problème : c’est totalement arbitraire car les travailleurs ne connaissent pas leur quota. Pour Jennifer et ses collègues, aller aux toilettes devient donc un dilemme : si on n’arrive pas à se retenir jusqu’à sa pause, aller aux WC pendant son shift compte dans son « time off task ».

    Un jour a eu lieu un contrôle aléatoire pour vérifier si les travailleurs ne volent pas de marchandises. « J’ai dû enlever ma veste, passer au scanner, enlever mes chaussures. Alors j’ai demandé si ce temps passé au contrôle, j’allais le récupérer pour mon temps de pause. L’agent de sécurité a dit non. J’étais furieuse. » C’est le déclic : après une discussion avec des collègues, des travailleuses et travailleurs d’Amazon font appel au syndicat. Dans le plus grand secret. Car Amazon déteste les organisations de travailleurs.

    L’ouvrière qui fait bouger le président des États-Unis
    Elle et ses collègues forcent la tenue d’un referendum sur le droit à créer son syndicat dans l’entrepôt de Bessemer. Ils reçoivent le soutien d’élus de gauche (comme Bernie Sanders qui invitera Jennifer à un débat au Sénat), de stars d’Hollywood, de joueurs de football américain et même de... Joe Biden. Le président, poussé dans le dos par l’énorme mouvement de soutien, est obligé de se prononcer en faveur de la syndicalisation. Pour le journaliste du New York Times Michael Corkery, c’est historique : « Les historiens du travail n’avaient jamais vu un président en exercice faire une déclaration aussi forte en faveur de la syndicalisation. »

    Le vote qui pouvait permettre, pour la première fois de l’histoire d’Amazon aux USA, à un syndicat de s’implanter sur un de ses sites a été remporté par la direction. Grâce à des consultants « anti-syndicat » payés 3 000 dollars la journée, de harcèlement, et de pratiques sans doute illégales.

    Amazon gagne un vote, mais perd l’opinion
    La lutte de Jennifer Bates et ses collègues a mis en lumière les conditions de travail chez Amazon et surtout la violence que la direction utilise pour empêcher un vote favorable au syndicat. Comme une onde de choc, plus de 1 000 salariés d’Amazon ont contacté le syndicat pour mener le combat sur leur lieu de travail. Soit exactement ce que la direction voulait éviter.

    Comme l’explique celle qui a commencé à travailler à 16 ans dans un fast-food : « Nous ne sommes pas des robots conçus uniquement pour travailler. Nous travaillons pour vivre. Nous méritons de vivre, de rire, d’aimer et d’avoir une vie pleine et saine. Nous, les travailleurs, gagnons des milliards pour Amazon. Je dis souvent : “Nous sommes les milliardaires, mais nous n’avons pas le droit de dépenser un seul centime de cette fortune.” »

    Avant de passer du temps avec ses sept petits-enfants, Jennifer Bates entend bien poursuivre la lutte. Finalement, tout est une question de temps...

    Source : https://www.solidaire.org/articles/jennifer-bates-nous-sommes-les-milliardaires-d-amazon
     #ouvrière #amazon #wc #toilettes #algorithme #surveillance #travail #domination #santé #bigdata #gafam #bénéfices #gigeconomy #femmes #sexisme #féminisme #travail #violence #inégalités #exploitation #travail #capitalisme #surveillance #économie #esclavage #exploitation #Syndicat #vie

  • « Ils nous parlent comme à des chiens » : le labeur éreintant des cueilleurs de muguet du 1er mai | Nicolas Mollé
    https://www.bastamag.net/Fete-des-travailleurs-premier-mai-saisonniers-conditions-travail-vente-de-

    Pénibilité, pressions de l’encadrement, faibles salaires : le labeur des ouvriers agricoles saisonniers du muguet est loin des clichés rayonnants et sympathiques associés à cette plante printanière censée symboliser la fête des travailleurs. Source : Basta !

  • Les dernières heures des Trente Glorieuses
    https://laviedesidees.fr/Donald-Reid-L-affaire-Lip-1968-1981.html

    À propos de : Donald Reid, L’affaire Lip, 1968-1981, Rennes, Presses universitaires de Rennes. Un ouvrage de référence sur l’affaire Lip revient sur cet événement charnière, qui marque la fin des insubordinations ouvrières et le début d’une nouvelle ère, frappée par la #crise et le chômage de masse.

    #Histoire #ouvriers #révolte #manifestations

  • Inde : les villages sans utérus

    C’est l’un des secrets les mieux gardés de l’Inde rurale. Un mal invisible qui ronge le #corps de milliers de femmes dans le sous-continent.

    Alors que le taux d’hystérectomie est de 2/1000 en Occident, il atteint 17/1000 en Inde, et surtout jusqu’à 350/1000 dans l’Etat du Maharashtra à l’Ouest du pays, la « Sugar Belt ».

    Premier producteur de sucre au monde, l’Inde compte environ 1,5 million d’Indiens qui convergent, après la mousson, dans les champs de cannes à sucre. Parmi ces forçats, la moitié sont des femmes issues des castes les plus basses de la société indienne.

    Ces femmes, qui ont déjà donné naissance à plusieurs enfants et pour qui les #règles sont un fardeau, se laissent facilement convaincre de la nécessité de l’opération, sans connaître les #risques pour leur #santé et sans comprendre que ces actes médicaux ne sont absolument pas nécessaires. Pas de jour de #congé, pas de #couverture_sociale, encore moins de #convalescence : après une #opération coûteuse entièrement à leur charge – entre 250 et 500 euros – ces #ouvrières_agricoles retournent, mutilées, dans les champs de canne à sucre pour rembourser leur #dette, à la merci de l’avidité des barons du sucre.

    https://www.arte.tv/fr/videos/100785-000-A/inde-les-villages-sans-uterus

    #Inde #canne_à_sucre #plantations #saisonniers #saisonnières #travail #femmes #hystérectomie #mukadam #exploitation #coupeuses_de_canne_à_sucre #santé_mentale #hormones #ménopause #cliniques_privées #industrie_du_sucre #industrie_sucrière #hygiène #ruralité #mutilation
    #vidéo #documentaire #film_documentaire #menstruations

  • La bataille de Hlaing Thar Yar a été un tournant du mouvement de résistance en Birmanie
    https://justpaste.it/66sp3

    Le fragile équilibre qui prévalait entre ouvriers birmans et entreprises chinoises de textile a volé en éclats dans la banlieue de Rangoun.

    De la fumée s’échappe encore des cendres des barricades marquant l’entrée de Hlaing Thar Yar, la zone industrielle la plus dense de Birmanie, au nord-ouest de Rangoun. Des soldats bloquent les routes principales. La loi martiale y a été décrétée le 15 mars, le lendemain d’une journée sanglante, faisant au moins 50 morts rien que dans cette banlieue, soit le bilan le plus meurtrier depuis le début du coup d’Etat.

    (...)Le 14 mars, après plus d’un mois de grève générale, des centaines d’habitants du quartier et d’ouvrières s’étaient réunis pour manifester au milieu des usines, comme ils l’avaient déjà fait à plusieurs reprises. Certains étaient armés de sabres, de cocktails Molotov et de lance-pierres, prêts à en découdre avec les militaires.

    « Même si c’est un piège de l’armée, nous n’avons plus d’autre choix que de nous battre. Ils nous tirent dessus lorsque nous manifestons pacifiquement. Si nous ne gagnons pas, ceux qui sont morts l’auront été en vain » , nous avait dit, la veille du défilé, Su Nwe, 25 ans, serveuse dans un restaurant chinois du quartier. Ce jour-là, Mahn Win Khaing Than, le vice-président du gouvernement en exil formé par les parlementaires de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), avait déclaré sur Facebook que « le peuple birman a le droit à l’autodéfense ». A la mi-journée, le 14, les manifestants ont été accueillis par des tirs de sniper et d’armes automatiques.

    « Pour chaque manifestant tué nous brûlerons une usine » (...) En février, des messages avaient largement circulé sur les réseaux sociaux, évoquant un sabotage des pipelines chinois (un oléoduc et un gazoduc, reliant le golfe du Bengale au Yunnan) si la Chine soutenait les généraux, selon une menace sous forme de boutade « If the military coup is an internal affair, then this pipeline is also our internal affair » (« Si le coup d’Etat est une affaire interne, alors l’explosion du pipeline sera notre affaire interne »), que Pékin a prise très au sérieux.

    #Birmanie #ouvriers #ouvrières #industrie_textile

  • #Intersectionnalité : une #introduction (par #Eric_Fassin)

    Aujourd’hui, dans l’espace médiatico-politique, on attaque beaucoup l’intersectionnalité. Une fiche de poste a même été dépubliée sur le site du Ministère pour purger toute référence intersectionnelle. Dans le Manuel Indocile de Sciences Sociales (Copernic / La Découverte, 2019), avec Mara Viveros, nous avons publié une introduction à ce champ d’études. Pour ne pas laisser raconter n’importe quoi.

    « Les féministes intersectionnelles, en rupture avec l’universalisme, revendiquent de ne pas se limiter à la lutte contre le sexisme. »

    Marianne, « L’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », 12 au 18 avril 2019

    Une médiatisation ambiguë

    En France, l’intersectionnalité vient d’entrer dans les magazines. Dans Le Point, L’Obs ou Marianne, on rencontre non seulement l’idée, mais aussi le mot, et même des références savantes. Les lesbiennes noires auraient-elles pris le pouvoir, jusque dans les rédactions ? En réalité si les médias en parlent, c’est surtout pour dénoncer la montée en puissance, dans l’université et plus largement dans la société, d’un féminisme dit « intersectionnel », accusé d’importer le « communautarisme à l’américaine ». On assiste en effet au recyclage des articles du début des années 1990 contre le « politiquement correct » : « On ne peut plus rien dire ! » C’est le monde à l’envers, paraît-il : l’homme blanc hétérosexuel subirait désormais la « tyrannie des minorités ».

    Faut-il le préciser ? Ce fantasme victimaire est démenti par l’expérience quotidienne. Pour se « rassurer », il n’y a qu’à regarder qui détient le pouvoir dans les médias et l’université, mais aussi dans l’économie ou la politique : les dominants d’hier ne sont pas les dominés d’aujourd’hui, et l’ordre ancien a encore de beaux jours devant lui. On fera plutôt l’hypothèse que cette réaction parfois virulente est le symptôme d’une inquiétude après la prise de conscience féministe de #MeToo, et les révélations sur le harcèlement sexiste, homophobe et raciste de la « Ligue du Lol » dans le petit monde des médias, et alors que les minorités raciales commencent (enfin) à se faire entendre dans l’espace public.

    Il en va des attaques actuelles contre l’intersectionnalité comme des campagnes contre la (supposée) « théorie du genre » au début des années 2010. La médiatisation assure une forme de publicité à un lexique qui, dès lors, n’est plus confiné à l’univers de la recherche. La polémique a ainsi fait entrevoir les analyses intersectionnelles à un public plus large, qu’articles et émissions se bousculent désormais pour informer… ou le plus souvent mettre en garde. Il n’empêche : même les tribunes indignées qui livrent des noms ou les dossiers scandalisés qui dressent des listes contribuent, à rebours de leurs intentions, à établir des bibliographies et à populariser des programmes universitaires. En retour, le milieu des sciences sociales lui-même, en France après beaucoup d’autres pays, a fini par s’intéresser à l’intersectionnalité – et pas seulement pour s’en inquiéter : ce concept voyageur est une invitation à reconnaître, avec la pluralité des logiques de domination, la complexité du monde social.

    Circulations internationales

    On parle d’intersectionnalité un peu partout dans le monde – non seulement en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Amérique latine, en Afrique du Sud ou en Inde. Il est vrai que le mot vient des États-Unis : c’est #Kimberlé_Crenshaw qui l’utilise d’abord dans deux articles publiés dans des revues de droit au tournant des années 1990. Toutefois, la chose, c’est-à-dire la prise en compte des dominations multiples, n’a pas attendu le mot. Et il est vrai aussi que cette juriste afro-américaine s’inscrit dans la lignée d’un « #féminisme_noir » états-unien, qui dans les années 1980 met l’accent sur les aveuglements croisés du mouvement des droits civiques (au #genre) et du mouvement des femmes (à la #race).

    Cependant, ces questions sont parallèlement soulevées, à la frontière entre l’anglais et l’espagnol, par des féministes « #chicanas » (comme #Cherríe_Moraga et #Gloria_Anzaldúa), dans une subculture que nourrit l’immigration mexicaine aux États-Unis ou même, dès les années 1960, au Brésil, au sein du Parti communiste ; des féministes brésiliennes (telles #Thereza_Santos, #Lélia_Gonzalez et #Sueli_Carneiro) développent aussi leurs analyses sur la triade « race-classe-genre ». Bref, la démarche intersectionnelle n’a pas attendu le mot intersectionnalité ; elle n’a pas une origine exclusivement états-unienne ; et nulle n’en a le monopole : ce n’est pas une « marque déposée ». Il faut donc toujours comprendre l’intersectionnalité en fonction des lieux et des moments où elle résonne.

    En #France, c’est au milieu des années 2000 qu’on commence à parler d’intersectionnalité ; et c’est d’abord au sein des #études_de_genre. Pourquoi ? Un premier contexte, c’est la visibilité nouvelle de la « #question_raciale » au sein même de la « #question_sociale », avec les émeutes ou révoltes urbaines de 2005 : l’analyse en termes de classe n’était manifestement plus suffisante ; on commence alors à le comprendre, pour les sciences sociales, se vouloir aveugle à la couleur dans une société qu’elle obsède revient à s’aveugler au #racisme. Un second contexte a joué un rôle plus immédiat encore : 2004, c’est la loi sur les signes religieux à l’école. La question du « #voile_islamique » divise les féministes : la frontière entre « eux » et « nous » passe désormais, en priorité, par « elles ». Autrement dit, la différence de culture (en l’occurrence religieuse) devient une question de genre. L’intersectionnalité permet de parler de ces logiques multiples. Importer le concept revient à le traduire dans un contexte différent : en France, ce n’est plus, comme aux États-Unis, l’invisibilité des #femmes_noires à l’intersection entre féminisme et droits civiques ; c’est plutôt l’hypervisibilité des #femmes_voilées, au croisement entre #antisexisme et #antiracisme.

    Circulations interdisciplinaires

    La traduction d’une langue à une autre, et d’un contexte états-unien au français, fait apparaître une deuxième différence. Kimberlé Crenshaw est juriste ; sa réflexion porte sur les outils du #droit qu’elle utilise pour lutter contre la #discrimination. Or aux États-Unis, le droit identifie des catégories « suspectes » : le sexe et la race. Dans les pratiques sociales, leur utilisation, implicite ou explicite, est soumise à un examen « strict » pour lutter contre la discrimination. Cependant, on passe inévitablement de la catégorie conceptuelle au groupe social. En effet, l’intersectionnalité s’emploie à montrer que, non seulement une femme peut être discriminée en tant que femme, et un Noir en tant que Noir, mais aussi une femme noire en tant que telle. C’est donc seulement pour autant qu’elle est supposée relever d’un groupe sexuel ou racial que le droit peut reconnaître une personne victime d’un traitement discriminatoire en raison de son sexe ou de sa race. Toutefois, dans son principe, cette démarche juridique n’a rien d’identitaire : comme toujours pour les discriminations, le point de départ, c’est le traitement subi. Il serait donc absurde de reprendre ici les clichés français sur le « communautarisme américain » : l’intersectionnalité vise au contraire à lutter contre l’#assignation discriminatoire à un groupe (femmes, Noirs, ou autre).

    En France, la logique est toute différente, dès lors que l’intersectionnalité est d’abord arrivée, via les études de genre, dans le champ des sciences sociales. La conséquence de cette translation disciplinaire, c’est qu’on n’a généralement pas affaire à des groupes. La sociologie s’intéresse davantage à des propriétés, qui peuvent fonctionner comme des variables. Bien sûr, on n’oublie pas la logique antidiscriminatoire pour autant : toutes choses égales par ailleurs (en l’occurrence dans une même classe sociale), on n’a pas le même salaire selon qu’on est blanc ou pas, ou la même retraite si l’on est homme ou femme. Il n’est donc pas ou plus possible de renvoyer toutes les explications à une détermination en dernière instance : toutes les #inégalités ne sont pas solubles dans la classe. C’est évident pour les femmes, qui appartiennent à toutes les classes ; mais on l’oublie parfois pour les personnes dites « non blanches », tant elles sont surreprésentées dans les classes populaires – mais n’est-ce pas justement, pour une part, l’effet de leur origine supposée ? Bien entendu, cela ne veut pas dire, à l’inverse, que la classe serait soluble dans une autre forme de #domination. En réalité, cela signifie simplement que les logiques peuvent se combiner.

    L’intérêt scientifique (et politique) pour l’intersectionnalité est donc le signe d’une exigence de #complexité : il ne suffit pas d’analyser la classe pour en avoir fini avec les logiques de domination. C’est bien pourquoi les féministes n’ont pas attendu le concept d’intersectionnalité, ni sa traduction française, pour critiquer les explications monocausales. En France, par exemple, face au #marxisme, le #féminisme_matérialiste rejette de longue date cette logique, plus politique que scientifique, de l’« ennemi principal » (de classe), qui amène à occulter les autres formes de domination. En 1978, #Danièle_Kergoat interrogeait ainsi la neutralisation qui, effaçant l’inégalité entre les sexes, pose implicitement un signe d’égalité entre « ouvrières » et « ouvriers » : « La #sociologie_du_travail parle toujours des “#ouvriers” ou de la “#classe_ouvrière” sans faire aucune référence au #sexe des acteurs sociaux. Tout se passe comme si la place dans la production était un élément unificateur tel que faire partie de la classe ouvrière renvoyait à une série de comportements et d’attitudes relativement univoques (et cela, il faut le noter, est tout aussi vrai pour les sociologues se réclamant du #marxisme que pour les autres. »

    Or, ce n’est évidemment pas le cas. Contre cette simplification, qui a pour effet d’invisibiliser les ouvrières, la sociologue féministe ne se contente pas d’ajouter une propriété sociale, le sexe, à la classe ; elle montre plus profondément ce qu’elle appelle leur #consubstantialité. On n’est pas d’un côté « ouvrier » et de l’autre « femme » ; être une #ouvrière, ce n’est pas la même chose qu’ouvrier – et c’est aussi différent d’être une bourgeoise. On pourrait dire de même : être une femme blanche ou noire, un garçon arabe ou pas, mais encore un gay de banlieue ou de centre-ville, ce n’est vraiment pas pareil !

    Classe et race

    Dans un essai sur le poids de l’#assignation_raciale dans l’expérience sociale, le philosophe #Cornel_West a raconté combien les taxis à New York refusaient de s’arrêter pour lui : il est noir. Son costume trois-pièces n’y fait rien (ni la couleur du chauffeur, d’ailleurs) : la classe n’efface pas la race – ou pour le dire plus précisément, le #privilège_de_classe ne suffit pas à abolir le stigmate de race. Au Brésil, comme l’a montré #Lélia_Gonzalez, pour une femme noire de classe moyenne, il ne suffit pas d’être « bien habillée » et « bien élevée » : les concierges continuent de leur imposer l’entrée de service, conformément aux consignes de patrons blancs, qui n’ont d’yeux que pour elles lors du carnaval… En France, un documentaire intitulé #Trop_noire_pour_être_française part d’une même prise de conscience : la réalisatrice #Isabelle_Boni-Claverie appartient à la grande bourgeoisie ; pourtant, exposée aux discriminations, elle aussi a fini par être rattrapée par sa couleur.

    C’est tout l’intérêt d’étudier les classes moyennes (ou supérieures) de couleur. Premièrement, on voit mieux la logique propre de #racialisation, sans la rabattre aussitôt sur la classe. C’est justement parce que l’expérience de la bourgeoisie ne renvoie pas aux clichés habituels qui dissolvent les minorités dans les classes populaires. Deuxièmement, on est ainsi amené à repenser la classe : trop souvent, on réduit en effet ce concept à la réalité empirique des classes populaires – alors qu’il s’agit d’une logique théorique de #classement qui opère à tous les niveaux de la société. Troisièmement, ce sont souvent ces couches éduquées qui jouent un rôle important dans la constitution d’identités politiques minoritaires : les porte-parole ne proviennent que rarement des classes populaires, ou du moins sont plus favorisés culturellement.

    L’articulation entre classe et race se joue par exemple autour du concept de #blanchité. Le terme est récent en français : c’est la traduction de l’anglais #whiteness, soit un champ d’études constitué non pas tant autour d’un groupe social empirique (les Blancs) que d’un questionnement théorique sur une #identification (la blanchité). Il ne s’agit donc pas de réifier les catégories majoritaires (non plus, évidemment, que minoritaires) ; au contraire, les études sur la blanchité montrent bien, pour reprendre un titre célèbre, « comment les Irlandais sont devenus blancs » : c’est le rappel que la « race » ne doit rien à la #biologie, mais tout aux #rapports_de_pouvoir qu’elle cristallise dans des contextes historiques. À nouveau se pose toutefois la question : la blanchité est-elle réservée aux Blancs pauvres, condamnés à s’identifier en tant que tels faute d’autres ressources ? On parle ainsi de « #salaire_de_la_blanchité » : le #privilège de ceux qui n’en ont pas… Ou bien ne convient-il pas de l’appréhender, non seulement comme une compensation, mais aussi et surtout comme un langage de pouvoir – y compris, bien sûr, chez les dominants ?

    En particulier, si le regard « orientaliste » exotise l’autre et l’érotise en même temps, la #sexualisation n’est pas réservée aux populations noires ou arabes (en France), ou afro-américaines et hispaniques (comme aux États-Unis), bref racisées. En miroir, la #blanchité_sexuelle est une manière, pour les classes moyennes ou supérieures blanches, de s’affirmer « normales », donc de fixer la #norme, en particulier dans les projets d’#identité_nationale. Certes, depuis le monde colonial au moins, les minorités raciales sont toujours (indifféremment ou alternativement) hypo- – ou hyper- –sexualisées : pas assez ou bien trop, mais jamais comme il faut. Mais qu’en est-il des majoritaires ? Ils se contentent d’incarner la norme – soit d’ériger leurs pratiques et leurs représentations en normes ou pratiques légitimes. C’est bien pourquoi la blanchité peut être mobilisée dans des discours politiques, par exemple des chefs d’État (de la Colombie d’Álvaro Uribe aux États-Unis de Donald Trump), le plus souvent pour rappeler à l’ordre les minorités indociles. La « question sociale » n’a donc pas cédé la place à la « question raciale » ; mais la première ne peut plus servir à masquer la seconde. Au contraire, une « question » aide à repenser l’autre.

    Les #contrôles_au_faciès

    Regardons maintenant les contrôles policiers « au faciès », c’est-à-dire fondés sur l’#apparence. Une enquête quantitative du défenseur des droits, institution républicaine qui est chargée de défendre les citoyens face aux abus de l’État, a récemment démontré qu’il touche inégalement, non seulement selon les quartiers (les classes populaires), mais aussi en fonction de l’âge (les jeunes) et de l’apparence (les Arabes et les Noirs), et enfin du sexe (les garçons plus que les filles). Le résultat, c’est bien ce qu’on peut appeler « intersectionnalité ». Cependant, on voit ici que le croisement des logiques discriminatoires ne se résume pas à un cumul des handicaps : le sexe masculin fonctionne ici comme un #stigmate plutôt qu’un privilège. L’intersectionnalité est bien synonyme de complexité.

    « Les jeunes de dix-huit-vingt-cinq ans déclarent ainsi sept fois plus de contrôles que l’ensemble de la population, et les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents (c’est-à-dire plus de cinq fois dans les cinq dernières années). Si l’on combine ces deux critères, 80 % des personnes correspondant au profil de “jeune homme perçu comme noir ou arabe” déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16 % pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité vingt fois plus élevée que les autres d’être contrôlés. »

    Répétons-le : il n’y a rien d’identitaire dans cette démarche. D’ailleurs, la formulation du défenseur des droits dissipe toute ambiguïté : « perçus comme noirs ou arabes ». Autrement dit, c’est l’origine réelle ou supposée qui est en jeu. On peut être victime d’antisémitisme sans être juif – en raison d’un trait physique, d’un patronyme, ou même d’opinions politiques. Pour peu qu’on porte un prénom lié à l’islam, ou même qu’on ait l’air « d’origine maghrébine », musulman ou pas, on risque de subir l’#islamophobie. L’#homophobie frappe surtout les homosexuels, et plus largement les minorités sexuelles ; toutefois, un garçon réputé efféminé pourra y être confronté, quelle que soit sa sexualité.

    Et c’est d’ailleurs selon la même logique qu’en France l’État a pu justifier les contrôles au faciès. Condamné en 2015 pour « faute lourde », il a fait appel ; sans remettre en cause les faits établis, l’État explique que la législation sur les étrangers suppose de contrôler « les personnes d’#apparence_étrangère », voire « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère ». Traiter des individus en raison de leur apparence, supposée renvoyer à une origine, à une nationalité, voire à l’irrégularité du séjour, c’est alimenter la confusion en racialisant la nationalité. On le comprend ainsi : être, c’est être perçu ; l’#identité n’existe pas indépendamment du regard des autres.

    L’exemple des contrôles au faciès est important, non seulement pour celles et ceux qui les subissent, bien sûr, mais aussi pour la société tout entière : ils contribuent à la constitution d’identités fondées sur l’expérience commune de la discrimination. Les personnes racisées sont celles dont la #subjectivité se constitue dans ces incidents à répétition, qui finissent par tracer des frontières entre les #expériences minoritaires et majoritaires. Mais l’enjeu est aussi théorique : on voit ici que l’identité n’est pas première ; elle est la conséquence de #pratiques_sociales de #racialisation – y compris de pratiques d’État. Le racisme ne se réduit pas à l’#intention : le racisme en effet est défini par ses résultats – et d’abord sur les personnes concernées, assignées à la différence par la discrimination.

    Le mot race

    Les logiques de domination sont plurielles : il y a non seulement la classe, mais aussi le sexe et la race, ainsi que l’#âge ou le #handicap. Dans leur enchevêtrement, il est à chaque fois question, non pas seulement d’#inégalités, mais aussi de la #naturalisation de ces hiérarchies marquées dans les corps. Reste que c’est surtout l’articulation du sexe ou de la classe avec la race qui est au cœur des débats actuels sur l’intersectionnalité. Et l’on retrouve ici une singularité nationale : d’après l’ONU, les deux tiers des pays incluent dans leur recensement des questions sur la race, l’#ethnicité ou l’#origine_nationale. En France, il n’en est pas question – ce qui complique l’établissement de #statistiques « ethno-raciales » utilisées dans d’autre pays pour analyser les discriminations.

    Mais il y a plus : c’est seulement en France que, pour lutter contre le racisme, on se mobilise régulièrement en vue de supprimer le mot race de la Constitution ; il n’y apparaît pourtant, depuis son préambule de 1946 rédigé en réaction au nazisme, que pour énoncer un principe antiraciste : « sans distinction de race ». C’est aujourd’hui une bataille qui divise selon qu’on se réclame d’un antiracisme dit « universaliste » ou « politique » : alors que le premier rejette le mot race, jugé indissociable du racisme, le second s’en empare comme d’une arme contre la #racialisation de la société. Ce qui se joue là, c’est la définition du racisme, selon qu’on met l’accent sur sa version idéologique (qui suppose l’intention, et passe par le mot), ou au contraire structurelle (que l’on mesure à ses effets, et qui impose de nommer la chose).

    La bataille n’est pas cantonnée au champ politique ; elle s’étend au champ scientifique. Le racisme savant parlait naguère des races (au pluriel), soit une manière de mettre la science au service d’un #ordre_racial, comme dans le monde colonial. Dans la recherche antiraciste, il est aujourd’hui question de la race (au singulier) : non pas l’inventaire des populations, sur un critère biologique ou même culturel, mais l’analyse critique d’un mécanisme social qui assigne des individus à des groupes, et ces groupes à des positions hiérarchisées en raison de leur origine, de leur apparence, de leur religion, etc. Il n’est donc pas question de revenir aux élucubrations racistes sur les Aryens ou les Sémites ; en revanche, parler de la race, c’est se donner un vocabulaire pour voir ce qu’on ne veut pas voir : la #discrimination_raciste est aussi une #assignation_raciale. S’aveugler à la race ne revient-il pas à s’aveugler au racisme ?

    Il ne faut donc pas s’y tromper : pour les sciences sociales actuelles, la race n’est pas un fait empirique ; c’est un concept qui permet de nommer le traitement inégal réservé à des individus et des groupes ainsi constitués comme différents. La réalité de la race n’est donc ni biologique ni culturelle ; elle est sociale, en ce qu’elle est définie par les effets de ces traitements, soit la racialisation de la société tout entière traversée par la logique raciale. On revient ici aux analyses classiques d’une féministe matérialiste, #Colette_Guillaumin : « C’est très exactement la réalité de la “race”. Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts. [...] Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non, certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. »

    Morale de l’histoire

    A-t-on raison de s’inquiéter d’un recul de l’#universalisme en France ? Les logiques identitaires sont-elles en train de gagner du terrain ? Sans nul doute : c’est bien ce qu’entraîne la racialisation de notre société. Encore ne faut-il pas confondre les causes et les effets, ni d’ailleurs le poison et l’antidote. En premier lieu, c’est l’#extrême_droite qui revendique explicitement le label identitaire : des États-Unis de Donald Trump au Brésil de Jair Bolsonaro, on assiste à la revanche de la #masculinité_blanche contre les #minorités_raciales et sexuelles. Ne nous y trompons pas : celles-ci sont donc les victimes, et non pas les coupables, de ce retour de bâton (ou backlash) qui vise à les remettre à leur place (dominée).

    Deuxièmement, la #ségrégation_raciale que l’on peut aisément constater dans l’espace en prenant les transports en commun entre Paris et ses banlieues n’est pas le résultat d’un #communautarisme minoritaire. Pour le comprendre, il convient au contraire de prendre en compte un double phénomène : d’une part, la logique sociale que décrit l’expression #White_flight (les Blancs qui désertent les quartiers où sont reléguées les minorités raciales, anticipant sur la ségrégation que leurs choix individuels accélèrent…) ; d’autre part, les #politiques_publiques de la ville dont le terme #apartheid résume le résultat. Le #multiculturalisme_d’Etat, en Colombie, dessinerait une tout autre logique : les politiques publiques visent explicitement des identités culturelles au nom de la « #diversité », dont les mouvements sociaux peuvent s’emparer.

    Troisièmement, se battre pour l’#égalité, et donc contre les discriminations, ce n’est pas renoncer à l’universalisme ; bien au contraire, c’est rejeter le #communautarisme_majoritaire. L’intersectionnalité n’est donc pas responsable au premier chef d’une #fragmentation_identitaire – pas davantage qu’une sociologie qui analyse les inégalités socio-économiques n’est la cause première de la lutte des classes. Pour les #sciences_sociales, c’est simplement se donner les outils nécessaires pour comprendre un monde traversé d’#inégalités multiples.

    Quatrièmement, ce sont les #discours_publics qui opposent d’ordinaire la classe à la race (ou les ouvriers, présumés blancs, aux minorités raciales, comme si celles-ci n’appartenaient pas le plus souvent aux classes populaires), ou encore, comme l’avait bien montré #Christine_Delphy, l’#antisexisme à l’antiracisme (comme si les femmes de couleur n’étaient pas concernées par les deux). L’expérience de l’intersectionnalité, c’est au contraire, pour chaque personne, quels que soient son sexe, sa classe et sa couleur de peau, l’imbrication de propriétés qui finissent par définir, en effet, des #identités_complexes (plutôt que fragmentées) ; et c’est cela que les sciences sociales s’emploient aujourd’hui à appréhender.

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    Ce texte écrit avec #Mara_Viveros_Vigoya, et publié en 2019 dans le Manuel indocile de sciences sociales (Fondation Copernic / La Découverte), peut être téléchargé ici : https://static.mediapart.fr/files/2021/03/07/manuel-indocile-intersectionnalite.pdf

    À lire :

    Kimberlé Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur » Cahiers du Genre, n° 39, février 2005, p. 51-82

    Défenseur des droits, Enquête sur l’accès aux droits, Relations police – population : le cas des contrôles d’identité, vol. 1, janvier 2017

    Christine Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles Questions Féministes, vol. 25, janvier 2006, p. 59-83

    Elsa Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, Paris, 2006

    Elsa Dorlin, Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Presses universitaires de France, Paris, 2009

    Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, La Découverte, Paris, 2009 [première édition : 2006]

    Éric Fassin (dir.), « Les langages de l’intersectionnalité », Raisons politiques, n° 58, mai 2015

    Éric Fassin, « Le mot race – 1. Cela existe. 2. Le mot et la chose », AOC, 10 au 11 avril 2019

    Nacira Guénif-Souilamas et Éric Macé, Les féministes et le garçon arabe, L’Aube, Paris, 2004

    Colette Guillaumin, « “Je sais bien mais quand même” ou les avatars de la notion de race », Le Genre humain, 1981, n° 1, p. 55-64

    Danièle Kergoat, « Ouvriers = ouvrières ? », Se battre, disent-elles…, La Dispute, Paris, 2012, p. 9-62

    Abdellali Hajjat et Silyane Larcher (dir.), « Intersectionnalité », Mouvements, 12 février 2019

    Mara Viveros Vigoya, Les Couleurs de la masculinité. Expériences intersectionnelles et pratiques de pouvoir en Amérique latine, La Découverte, Paris, 2018

    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/050321/intersectionnalite-une-introduction#at_medium=custom7&at_campaign=10

    #définition #invisibilisation #antiracisme_universaliste #antiracisme_politique #racisme_structurel

    voir aussi ce fil de discussion sur l’intersectionnalité, avec pas mal de #ressources_pédagogiques :
    https://seenthis.net/messages/796554

    • #Fimmine_fimmine
      –-> Tradizionale canto di lavoro femminile salentino con numerose varianti nel numero e nel contenuto ‎delle strofe.‎
      https://www.youtube.com/watch?v=IdPkZKLw2zM&feature=emb_logo


      Per buona parte del 900 la coltivazione del tabacco fu fonte di ricchezza e sostentamento per tante ‎famiglie di contadini del Salento. ‎
      Oggi non ce n’è quasi più traccia. L’ultima fabbrica, la Manifattura Tabacchi di Lecce, ha chiuso il ‎‎1 gennaio del 2011. ‎
      Nella prima metà del secolo scorso – e anche oltre – il lavoro era in gran parte manuale e per la ‎foglia del tabacco c’era bisogno di mani esperte, veloci, abili e fini, come quelle delle donne e dei ‎bambini. Tanto più che le donne e i bambini potevano essere pagati molto di meno e sfruttati molto ‎di più degli uomini…‎

      ‎“Fimmine fimmine” è un canto di lavoro e di denuncia delle condizioni delle “tabacchine”, le ‎lavoratrici del tabacco, una categoria molto sfruttata ma per ciò stesso anche molto attiva e ‎combattiva. Fin dal 1925, all’inizio dell’era fascista, si ha già notizia di una manifestazione delle ‎tabacchine a Trepuzzi, dove un corteo di 500 operaie sfilò per il paese protestando. ‎

      A Tricase il 25 maggio del 1935 una manifestazione di lavoratori del tabacco venne repressa nel ‎sangue (cinque morti, tre donne e due uomini) dai fascisti e dalla forza pubblica. A Lecce, nel 1944, ‎con il paese ed il mondo ancora in guerra, le tabacchine di nuovo scesero in piazza contro il ‎caporalato, per rivendicare salari sufficienti per vivere, per il rinnovo e l’applicazione dei contratti ‎nazionali e per sussidio di disoccupazione: la polizia sparò e tre tabacchine rimasero uccise. Si aprì ‎allora una stagione di lotte molto lunga che culminò nello sciopero generale del 1961 che ebbe ‎come epicentro il paese di Tiggiano, in provincia di Lecce.‎

      Lascio parlare Alfredo Romano e Giovanni De Francesco, rispettivamente introduttore ed autore ‎della ricerca storica contenuta nel libro ‎‎“Le operaie tabacchine di Tiggiano e lo ‎sciopero generale del 1961”, edito nel 2005 e ristampato nel 2011.‎


      Mi sono reso subito conto dell’importanza che riveste il volume che dà ‎testimonianza non solo di uno straordinario sciopero delle tabacchine di Tiggiano nel 1961, ma ‎anche delle gravose condizioni di lavoro delle tabacchine. Tutti i paesi salentini hanno avuto a che ‎fare col tabacco e in tanti sono emigrati nel secondo dopoguerra in varie parti d’Italia, tra cui Civita ‎Castellana, per esportare, per così dire, la lavorazione. Perfino a Collemeto, una frazione di Galatina ‎che contava nel dopoguerra appena 500 abitanti, c’era una fabbrica di tabacco che durante l’inverno ‎occupava quasi tutte le donne del paese. Perciò ho il ricordo delle tabacchine che, come gregge, ‎attraversava la via principale per arrivare alla fabbrica Mongiò, alla periferia del paese, alle sette in ‎punto. E tornavano a casa dieci ore dopo. Di storie di sfruttamento e duro lavoro perciò ne ho ‎sentite tante, a cominciare da mia madre Lucia, tabacchina essa stessa… (Alfredo Romano)

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      Quello che è successo a Tiggiano nel 1961 non ha precedenti nella storia ‎del paese. Anzi, veste una rilevanza che oltrepassa il circondario comunale se si pensa ai 28 giorni ‎di sciopero generale, con il paese bloccato, la popolazione tutta mobilitata in difesa delle operaie ‎della fabbrica di tabacco, fino alla vittoria, senza resa alle intimidazioni nemmeno alle armi ‎dell’esercito.
      Sono nato nel dicembre del 1962, circa due anni dopo i fatti dello sciopero del 1961. Sono cresciuto ‎nel clima che ha ripercorso le condizioni delle operaie tabacchine e la vita della fabbrica, ed ho ‎respirato i ritmi degli avvenimenti della lotta grazie ai miei genitori. Mia madre, Anna Marzo, è ‎entrata in fabbrica come operaia all’età di 14 anni, nel 1946, e vi ha lavorato, sempre come operaia, ‎sino al 1975. Mio padre, Vincenzo De Francesco, è stato un attivista e promotore di iniziative di ‎lotta insieme alle operaie tabacchine, protagonista delle battaglie a partire proprio dallo sciopero del ‎‎1961.
      Il primo accesso all’informazione dei fatti è avvenuta, quindi, dai loro racconti, riferimenti, ‎discussioni, critiche sull’andamento degli eventi, ho ascoltato sin da piccolo.
      Poi c’è il contesto del paese. Tiggiano era un paese prettamente agricolo composto da poco più di ‎‎2000 abitanti. La fabbrica di tabacco occupava 200 operaie. Perciò, quanto riguardava la fabbrica, la ‎vita delle operaie, le condizioni dei lavoratori agricoli, lo sciopero del 1961, era di dominio ‎pubblico.
      Pertanto, la presente pubblicazione riguarda fatti riferiti oralmente dai protagonisti, da chi pativa lo ‎sfruttamento dei padroni, da chi subiva le ingiustizie delle istituzioni, da chi si è reso attivo per la ‎conquista delle rivendicazioni.
      Alcuni episodi sono stati integrati con dei documenti rinvenuti nell’archivio sezionale e zonale delle ‎Acli di Tiggiano e di Tricase. I documenti delle forze dell’ordine e della prefettura mi risultano ‎ancora secretati. (Giovanni De Francesco)

      Sulla “rivolta di Tricase” e la storia del lavoro del tabacco nel Salento, si veda anche il ‎fondamentale volume ‎‎“Tabacco e ‎tabacchine nella memoria storica. Una ricerca di storia orale a Tricase e nel Salento”, a cura di ‎Vincenzo Santoro e Sergio Torsello, con una introduzione di Alessandro Portelli (2002)

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      Fimmine fimmine ca sciati allu tabaccu
      ne sciati ddoi e nne turnati quattru.‎

      Fimmine fimmine ca sciati allu tabaccu
      lu sule è forte e bbu lu sicca tuttu.‎

      Fimmine fimmine ca sciati allu tabaccu
      la ditta nu bbu dae li talaretti.‎

      Fimmine fimmine ca sciati a vindimmiare
      e sutta allu cippune bu la faciti fare.‎

      Fimmine fimmine ca sciati alle vulie
      ccugghitinde le fitte e le scigghiare.‎

      https://www.antiwarsongs.org/canzone.php?id=39803&lang=it

      #chant #chant_populaire #chanson #musique #musique_populaire #chants_populaires

    • Alan Lomax - Salento, Puglia - Fimmene fimmene chi scjiati a lu tabaccu

      Fimmene fimmene chi scjiati a lu tabaccu
      e scjati dhoi e ne turnati quattro
      e scjati dhoi e ne turnati quattro

      Ci te lu disse cu chianti zagovina
      e cu chianti zagovina
      passa lu duca e te manda alla rovina
      passa lu duca e te manda alla rovina

      Ci te lu disse cu chianti lu saluccu
      passa lu duca e te lu tira tuttu
      passa lu duca e te lu tira tuttu.

      TRAD: Donne donne che andate al tabacco/ andate in due e ne tornate in quattro/Chi te l’ha detto di piantare Zagovina/ passa il duca e ti manda in rovina/Chi te l’ha detto di piantare Salucco/ passa il duca e te lo tira tutto.

      https://www.youtube.com/watch?v=A2idZQ_VHaU&feature=youtu.be

  • Moutier - Les héros du tour

    À Moutier, au cœur de l’Arc jurassien, des mécaniciens retraîtés consacrent bénévolement leur temps à la restauration d’anciens tours automatiques. Ces machines-outils complexes permettent de produire des pièces mécaniques que l’on retrouve dans les objets du quotidien et qui contribuent au confort de la plupart d’entre nous (horlogerie, électroménagers, automobiles, informatique etc.).

    Ces mécaniciens sont les derniers témoins d’un pan méconnu de l’histoire industrielle du 20è siècle en Suisse Romande. Ils sont passionnés par leur ancien métier et leurs témoignages nous révèlent des aspects inédits du monde ouvrier.

    Site du film :
    https://www.lesherosdutour.ch

    Pour voir le film (disponible jusqu’au 20.12.2020) :
    https://pages.rts.ch/docs/evenement/11706061-moutier---les-heros-du-tour.html
    #Moutier #mécanique #Jura #ouvriers #mémoire #machines-outils #Tornos #Bechler #mécanique_de_précision #tours_automatiques#Pétermann #travail #histoire #retraités #histoire_industrielle #Suisse #décolletage #film #film_documentaire

  • Inde : des salariés saccagent leur usine de fabrication d’iPhone - Le Parisien
    https://www.leparisien.fr/economie/inde-des-salaries-d-un-fournisseur-d-apple-saccagent-leur-usine-13-12-202

    Inde : des salariés saccagent leur usine de fabrication d’iPhone
    Dans cette usine proche de Bangalore ; l’équipe de nuit dénonçait des salaires inférieurs à ceux promis par la firme taïwanaise Wistron.

    L’usine de Wistron à 60 km de Bangalore est très récente, les autorités ont multiplié les démarches pour faire venir la firme taïwanaise. AFP/Manjunath Kiran
    Par J.Cl.
    Le 13 décembre 2020 à 13h21, modifié le 13 décembre 2020 à 14h32

    Une centaine de personnes ont été arrêtées après la mise à sac d’une usine fabriquant des iPhone dans le sud de l’Inde par des ouvriers en colère.

    L’émeute s’est produite entre vendredi soir et samedi dans l’usine du groupe taïwanais Wistron Infocomm Manufacturing en banlieue de Bangalore. Des images tournées sur place montrent des vitres pulvérisées par des membres de l’équipe de nuit. Les caméras de vidéosurveillance, des lampes et des ventilateurs ont également été brisés, les bureaux des cadres dirigeants étant pris pour cible, et une voiture a été incendiée.

    • Pas si vite ! Mélenchon ou un ami à lui - rentier d’une quelconque république, lui aussi ?- a peut-être choisi de conseiller discrètement l’employeur (cf. passage en gras plus bas).

      ...ils affirment qu’ils étaient sous-payés et que leurs heures supplémentaires n’étaient pas rétribuées.

      Il est 6 h du matin, samedi, et c’est l’heure du changement d’équipe dans cette usine de la banlieue de Bangalore, au sud du pays. Les salariés viennent de recevoir leur paie, et c’est alors que la révolte éclate.

      Beaucoup estiment qu’ils sont exploités par la compagnie taiwainaise Wistron, car ils sont payés environ deux fois moins que ce qui leur était promis. 130 euros pour un ingénieur, 60 euros pour un ouvrier qualifié, qui fabriquent entre autres le modèle iPhone SE. Les heures supplémentaires, elles, ne seraient pas rétribuées.

      Cette gronde dure depuis des mois, elle éclate finalement de manière anarchique. Certains prennent des batons, et détruisent tout ce qu’ils trouvent : les vitres de l’entrée de l’usine, les bureaux à l’intérieur. Ils retournent aussi six voitures et incendient deux véhicules utilitaires.

      Un délégué syndical dénonce une « exploitation brutale des ouvriers », mais la société taiwanaise soutient que ce sont des personnes extérieures qui sont responsables du sacage, sans raison apparente, dit elle. Le producteur d’Iphone restera dans tous les cas fermé pendant une semaine afin de tout remettre en ordre.

      https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20201213-inde-saccage-dans-une-usine-d-iphone?ref=tw_i
      #Inde #salaire #travail #ouvriers #sous-traitance #révolte

    • En toile de fond de la révolte des ouvriers de cette usine de fabrication d’iPhone, grèves ouvrières et blocus paysans

      Inde, colère paysanne (menace de blocus sur New Delhi)
      https://seenthis.net/messages/890431
      https://seenthis.net/messages/890424

      En Inde, la plus grande #grève de l’histoire mondiale
      https://www.humanite.fr/en-inde-la-plus-grande-greve-de-lhistoire-mondiale-696823

      La plus grande grève du monde : 200 millions de travailleurs paralysent l’Inde (fin novembre)
      https://www.revolutionpermanente.fr/La-plus-grande-greve-du-monde-200-millions-de-travailleurs-para

      Jeudi, quelque 200 millions de travailleurs ont participé à une grève générale en Inde, à l’appel de dix centrales syndicales, contre les politiques du gouvernement de Narendra Modi, le Premier ministre du pays. Le train de réformes comprend de nouvelles lois sur le travail, une plus grande flexibilisation (des réglementations plus souples) sur les régulations en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail et dans le secteur agricole, ainsi que des privatisations du secteur public.

      Le gouvernement a approuvé quatre codes du travail qui remplacent les lois protégeant les travailleurs. Ces réglementations permettent aux employeurs et aux gouvernements d’augmenter la charge de travail, de contraindre encore davantage l’obtention de salaires équitables, de licencier facilement les travailleurs, de réduire la couverture d’assurance maladie et de rendre plus difficile la création de syndicats.
      En coordination avec les syndicats, une plateforme de plus de 300 organisations d’agriculteurs a appelé à une manifestation pour ce vendredi 27 novembre.

      Les travailleurs des principaux secteurs industriels tels que la production d’acier, de charbon, les télécommunications, l’ingénierie, les transports, les ports et docks, les banques et transporteurs de fond se sont joints à la grève, tandis que dans plusieurs Etats (l’Inde est une république fédérale composée de vingt-huit États et huit territoires de l’Union), une grève rurale est en préparation.

      Les réformes proposées par le gouvernement contre les droits des travailleurs s’inscrivent dans le contexte des effets de la pandémie de coronavirus sur le pays. Le gouvernement de Modi répond à la pandémie en donnant la priorité aux profits des grandes entreprises et en protégeant la fortune des milliardaires plutôt que la vie et les moyens de subsistance des travailleurs.

      L’Inde compte plus de 9,2 millions de personnes infectées par le COVID-19, le deuxième plus grand nombre au monde et près de 135 000 décès, selon les données officielles. La pandémie s’est étendue aux grandes villes comme Delhi, Mumbai et d’autres centres urbains, ainsi qu’aux zones rurales où les soins de santé publique sont rares ou inexistants.

      Des millions de personnes ont perdu leurs revenus, et ce dans un pays où, avant la pandémie, 50 % des enfants étaient en malnutrition. L’économie indienne a connu une chute de 23,9 % de son produit intérieur brut (PIB) au cours du trimestre d’avril-juin, alors qu’elle devrait baisser au total d’environ 10 % au cours de l’exercice 2020-2021. Dans ce contexte, des dizaines de millions de personnes ont perdu leur emploi de façon permanente, ou ont vu leurs heures de travail réduites. Selon un rapport du FMI publié en octobre, d’ici la fin de 2020, 40 millions d’Indiens supplémentaires se retrouveront dans une « pauvreté extrême », définie comme le fait de survivre avec 1,60€ ou moins par jour.

      Les salariés de l’industrie, les employés du secteur des services et du public exigent une augmentation du salaire minimum, la fin du travail précaire, le contrôle des prix des produits de première nécessité et la fin de la politique gouvernementale de privatisation du secteur public.

      Les revendications incluent 10 kilos de nourriture pour les familles dans le besoin, la fourniture d’une aide d’urgence aux secteurs les plus démunis de la population, effectuer un paiement unique de 7 500 roupies (environ 85 euros), le renforcement du système de distribution publique, le retrait des nouveaux codes du travail et des trois lois agricoles qui ouvrent les portes à l’agrobusiness, ainsi que l’abandon de la nouvelle politique d’éducation.

      En outre, les travailleurs revendiquent l’allocation de 5% du PIB à l’éducation, aux soins de santé pour tous et de 6% du PIB pour la santé. Les agriculteurs réclament depuis des années de meilleurs prix pour leurs produits, que l’exécutif annonce des prix minimaux de soutien sur la base de la recommandation faite il y a 16 ans par la Commission nationale des agriculteurs, et l’élimination de la dette des travailleurs ruraux.

      Les directions syndicales ont appelé à la grève pour désamorcer le mécontentement de millions d’indiens contre le gouvernement, mais pour l’instant elles ne donnent pas de réelle continuité aux protestations.

      Le profil nationaliste et de droite du gouvernement a répondu à la pandémie en intensifiant son discours contre les minorités religieuses, comme les musulmans, et en cherchant à attaquer les droits de millions de personnes avec des lois qui aboutiraient à une plus grande flexibilité du travail au profit des seuls milliardaires locaux et des entreprises étrangères.

      La rhétorique nationaliste de Modi s’est également intensifiée, en particulier contre la Chine, en plus d’approfondir la coopération stratégique et militaire avec les États-Unis en essayant de tirer profit du différend entre Washington et Pékin.

      #paysans #grève_générale

  • Bridgestone-Béthune : que crève le pneu !
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1424

    Voici un avis de notre compère Renart à propos des fermetures d’usines de pneu dans le nord.
    C’est négatif pour tout dire. Quand on finit cette notice sur les innombrables nuisances sociales et écologiques du pneu, des origines à nos jours, on se dit que c’était une fort méchante idée que de l’inventer, et de fonder là-dessus une branche de l’industrie automobile. – Sauf, bien sûr pour les fabricants et marchands de pneus et de voitures.
    Aussi, peut-on répéter à propos du pneu tout le mal que Ivan Illich (cf ici ) avait dit à propos de la voiture et qu’on avait appliqué à l’usine Ford de Bordeaux (là )

    L’extrême-gauche ouvriériste et industrialiste (ça va ensemble) nous reprochera une fois de plus notre manque de sens dialectique. La lutte révolutionnaire sait retourner contre le système ses propres armes. Voyez la Petite histoire de la voiture piégée (Mike Davis, La Découverte, 2007), qui, des anarchistes aux islamistes, permet depuis un siècle de forts beaux attentats de masse. Nous, on se souvenait de l’ingénieuse pratique du necklace, un pneu enflammé autour du cou, employée par les tueurs de l’ANC pour se débarrasser des dissidents et des mouchards supposés, dans les townships d’Afrique du sud, durant la lutte contre l’apartheid. Aujourd’hui un génial universitaire du site Lundi matin nous rappelle à propos des feux de pneus sur les piquets de grève – comme à Bridgestone-Béthune - qu’« en immolant sur les routes un de leurs excédents les plus ordinaires, les êtres humains, avec ces feux de pneus, enrayent une mondialisation fluide, retournant politiquement l’un de ses matériaux de base, et donnant à voir et à sentir son âcre matérialité. »

    Vous voyez bien, le négatif ce n’est pas le pneu, ni la voiture, mais l’usage qu’on en fait.

    Pour lire le texte de Renart, ouvrir le document ci-dessous.
    Pour voir le site de Renart : ici.

    https://chez.renart.info #Nécrotechnologies
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/bridgestone.pdf