Entre trĂȘve et fuite en avant, un tournant dans la guerre gĂ©nocidaire menĂ©e par IsraĂ«l | Stathis KouvĂ©lakis
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La trĂȘve nâaura donc durĂ© quâune semaine. SitĂŽt rompue, IsraĂ«l a repris lâopĂ©ration exterminatrice menĂ©e depuis le 7 octobre. Pourtant, il serait erronĂ© de croire quâelle nâaura Ă©tĂ© quâune parenthĂšse sans consĂ©quences sur la suite. En effet, la conclusion de la trĂȘve en elle-mĂȘme Ă©tait un premier revers pour IsraĂ«l, produit (temporaire) dâune dĂ©gradation du rapport de forces interne et externe, un revers que ses dirigeants essaient dâeffacer en sâengageant dans une fuite en avant dâautant plus meurtriĂšre et aveugle que les buts affichĂ©s par IsraĂ«l (Ă©radiquer le Hamas, et, de façon de plus en plus explicite, vider Gaza de sa population) apparaissent hors dâatteinte. (...)
La fuite en avant exterministe⊠et les moyens de lâarrĂȘter
La trĂȘve nâa jamais Ă©tĂ© acceptĂ©e par lâextrĂȘme droite la plus radicale du cabinet israĂ©lien mais aussi par les secteurs militaires et du renseignement les plus exposĂ©s par le dĂ©sastre du 7 octobre, le tout sur fond dâaffaiblissement politique de Netanyahou. Face Ă un Anthony Blinken venu lâimplorer de mener Ă Gaza-Sud une guerre plus « propre » (i.e. faisant moins de victimes civiles), le ministre de la dĂ©fense Yoav Gallant, « vĂȘtu de noir de la tĂȘte au pied⊠a assĂ©nĂ© le message quâil rĂ©pĂšte depuis le dĂ©but des hostilitĂ©s : “Câest une guerre juste pour le futur du peuple juif, pour le futur dâIsraĂ«l. Nous combattrons le Hamas jusquâĂ ce que nous gagnions. Peu importe le temps que cela prendra” ». Trois jours avant la reprise de la guerre, Itamar Ben Gvir, ministre de la SĂ©curitĂ© et dirigeant dâune formation radicale dâextrĂȘme droite, menaçait de quitter le gouvernement si lâassaut contre Gaza ne reprenait pas immĂ©diatement : « ArrĂȘter la guerre Ă©quivaut Ă la dissolution du gouvernement ». Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, son concurrent dans lâextrĂȘme droite radicale, dĂ©clarait de son cĂŽtĂ© que lâarrĂȘt de la guerre en Ă©change de la libĂ©ration de tous les dĂ©tenus Ă Gaza Ă©tait un « plan visant Ă dĂ©truire IsraĂ«l ».
Lâobjectif actuel de Tsahal est dâavancer vers le sud de Gaza, dâorganiser un nouveau dĂ©placement forcĂ© de la population vers la frontiĂšre Ă©gyptienne, vers une sorte de « zone tampon », en rĂ©alitĂ© une zone de mort et une antichambre vers une dĂ©portation massive. LâidĂ©e Ă peine voilĂ©e est de faire un chantage Ă lâEgypte et Ă dâautres pays arabes pour quâils acceptent le transfert massif de la population gazaouie. Selon « le journal Israel Hayom », rapportent les correspondants du Monde, Benyamin NĂ©tanyahou a demandĂ© Ă son conseiller Ron Dermer un plan pour « rĂ©duire la population de Gaza au niveau le plus bas possible », etautoriser lâouverture des frontiĂšres maritimes de lâenclave, pour permettre « une fuite massive vers les pays europĂ©ens et africains ».
Lâimagination gĂ©nocidaire des stratĂšges de lâĂtat sioniste semble ne connaĂźtre aucune limite. Comme le rapporte lâhebdomadaire britannique (de centre-gauche) The Observer, des travailleurs humanitaires ont averti quâIsraĂ«l a commencĂ© Ă utiliser son nouveau systĂšme de quadrillage pour les avertissements dâĂ©vacuation, qui divise Gaza en plus de 600 blocs, et qui est accessible grĂące Ă un QR code figurant sur les tracts et les messages diffusĂ©s sur les mĂ©dias sociaux. Ce systĂšme risque de transformer la vie dans le territoire en un « macabre jeu de bataille navale », prĂ©cisent-ils.
Y a-t-il un moyen de contrer ces plans gĂ©nocidaires ? Incontestablement, la force essentielle demeure la rĂ©sistance palestinienne, Ă la fois sur le front militaire et celui de la capacitĂ© de la population civile Ă prĂ©server sa vie et son courage dans cette Ă©preuve terrifiante. Mais, lâexpĂ©rience historique lâa montrĂ©, lâissue de conflits coloniaux ne se dĂ©cide pas seulement, voire mĂȘme pas principalement, sur le champ de bataille. La lutte de libĂ©ration du Vietnam a Ă©tĂ© gagnĂ©e autant dans la mĂ©tropole impĂ©riale, et grĂące Ă lâimmense mouvement mondial de solidaritĂ©, que sur le terrain.
En ce sens, la reprise des manifestations pour la libĂ©ration des otages en IsraĂ«l mĂȘme, qui, pour la premiĂšre fois, sont rejointes par des militants anti-guerre est un signe encourageant. Il en est de mĂȘme, bien entendu, de la poursuite et de lâamplification du mouvement international de solidaritĂ© avec le peuple palestinien, qui, malgrĂ© la rĂ©pression et une campagne incessante de diffamation, a dĂ©jĂ mobilisĂ© des millions de personnes dans des centaines de villes de par le monde. La pression de ces mobilisations sur les gouvernements, y compris celui des Ătats-Unis (oĂč le soutien inconditionnel de Biden Ă IsraĂ«l pourrait lui coĂ»ter sa rĂ©Ă©lection), peut sâavĂ©rer dĂ©cisive pour arracher un vĂ©ritable cessez-le feu, sanctionner IsraĂ«l et obtenir la reconnaissance effective des droits du peuple palestinien Ă lâautodĂ©termination.
Car une partie importante se joue bien sĂ»r au niveau des relations internationales. Au sein mĂȘme du camp occidental, des voix discordantes commencent Ă sâĂ©lever, notamment du cĂŽtĂ© de lâEspagne et de lâIrlande. MĂȘme Emmanuel Macron sâest senti obligĂ© dâinflĂ©chir sa ligne de soutien inconditionnel Ă IsraĂ«l, qui a dĂ©jĂ dĂ©truit le peu de crĂ©dibilitĂ© quâil restait Ă la France sur la scĂšne internationale. Confirmant la fracture avec le Nord dĂ©jĂ manifeste lors du conflit ukrainien, le Sud global affiche des positions qui vont de la dĂ©sapprobation dâIsraĂ«l Ă lâaffirmation de la solidaritĂ© avec la cause palestinienne â Ă lâexception notable des pays dirigĂ©s par des forces dâextrĂȘme droite ou de droite radicale (comme lâInde de Modi, lâArgentine de Milei, le Paraguay ou le Guatemala). Des pays comme la Colombie et le Chili ont rappelĂ© leur ambassadeur en IsraĂ«l, la Bolivie et lâAfrique du Sud ont rompu les relations diplomatiques avec Tel Aviv.
Disons-le une fois de plus. Ce qui se passe en Palestine va bien au-delĂ dâun conflit rĂ©gional et ne concerne en rien un diffĂ©rend religieux. La Palestine est aujourdâhui le nom dâun lieu oĂč se joue une part dĂ©cisive de notre humanitĂ©. Un sursaut collectif peut mettre en Ă©chec la mĂ©canique gĂ©nocidaire dĂ©ployĂ©e par IsraĂ«l et ses soutiens et faire advenir une nouvelle conscience internationaliste. Plus que jamais, le combat du peuple palestinien est celui de la libertĂ© et de la dignitĂ© humaines.