Les terres polaires, gelées depuis des millénaires, se réchauffent et libèrent des déchets industriels et militaires enfouis par les Canadiens et les Américains au siècle dernier et, parfois, encore aujourd’hui. Les experts redoutent des contaminations.
Le jour où l’Arctique déversera ses contaminants est peut-être arrivé et cela préoccupe les scientifiques. Les territoires du Grand Nord sont constitués de sols gelés (pergélisol, « permafrost » en anglais) depuis des milliers d’années. Réchauffement climatique oblige, certaines couches protégées de ce pergélisol dégèlent désormais. Les chercheurs ont montré, depuis de longues années, que cette fonte pouvait contribuer à l’augmentation des gaz à effet de serre, mais pas seulement.
Une récente étude allemande de l’institut Alfred-Wegener révèle que l’Arctique canadien et l’Alaska comptent des milliers de sites industriels et militaires abandonnés. « Il fut une période où les boues de forage (pétrolier) étaient enfouies dans des trous excavés dans le pergélisol. Ces boues sont contenues dans le trou, mais si le sol dégèle, l’eau peut circuler dans le sol et entraîner un lessivage des produits toxiques dans l’environnement », confie au Télégramme le professeur Daniel Fortier, géographe spécialiste du pergélisol à l’Université de Montréal. Et de préciser : « Le dégel du pergélisol rend mobiles ou disponibles ces contaminants. Ils représentent donc un risque pour les habitants, les animaux et autres êtres vivants (insectes, plantes…). »
Aucun inventaire des sites contaminés
Le Grand Nord est un immense réfrigérateur, dont le « permafrost » ne fait plus que partiellement son travail de barrière naturelle contre la propagation d’éléments contaminés enfouis en son sein. Si les chercheurs allemands estiment qu’il y aurait 3 600 sites industriels contaminés entre le Canada et l’Alaska, il n’existe malheureusement aucun inventaire complet de ces derniers. Le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest seraient les plus touchés par ces risques de contamination industrielle, et les premières populations exposées sont les autochtones de ces régions. Mais la pollution peut s’étendre aussi, via les rivières, aux villes situées dans le sud du Canada.
D’immenses sacs de nitrate d’ammonium sur le pergélisol, dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada.
Photo Ludovic HirtzmannLe Canada a abrité, durant la guerre froide, de nombreuses installations de l’armée américaine. Si ces installations, aujourd’hui fermées, sont frappées du sceau du secret-défense, des voix, au Canada, ont évoqué, il y a bien des années, l’enfouissement de déchets nucléaires américains, sans que l’on sache où, ni si c’est vraiment le cas.
Absence de volonté étatique
« Les installations militaires sont nombreuses dans le nord du Canada. La Défense nationale a entrepris un grand travail de décontamination des sites militaires arctiques, il y a quelques années, et les opérations se poursuivent », précise le professeur de l’Université de Montréal. Si Daniel Fortier explique que le gouvernement surveille les sites et investit de l’argent dans la recherche pour décontaminer les sols, il souligne que « c’est un processus très coûteux, d’autant plus qu’il n’y a pas d’infrastructures de décontamination dans le Grand Nord. »
Le principal obstacle reste l’absence de volonté étatique. Les gouvernements successifs et Justin Trudeau ne se préoccupent guère des questions environnementales, au-delà des belles paroles. Le Canada vit de ses ressources naturelles, à tout prix. Il existe, au Canada, et pas seulement en Arctique, des milliers de sites miniers et de puits de forage pétroliers abandonnés. Les entreprises doivent les nettoyer lors de leur fermeture. En théorie, car ce n’est jamais le cas.